samedi 13 avril 2019

WORKING WOMAN


Drame/Un film pédagogique sur une certaine vision de l'enfer qui ne laisse pas indifférent

Réalisé par Michal Aviad 
Avec Liron Ben-Shlush, Menashe Noy, Oshri Cohen... 

Long-métrage Israélien
Titre original : Isha Ovedet 
Durée: 01h32mn
Année de production: 2018
Distributeur: KMBO

Date de sortie sur nos écrans : 17 avril 2019


Résumé : Orna travaille dur afin de subvenir aux besoins de sa famille. Brillante, elle est rapidement promue par son patron, un grand chef d'entreprise. Les sollicitations de ce dernier deviennent de plus en plus intrusives et déplacées. Orna prend sur elle et garde le silence pour ne pas inquiéter son mari. Jusqu’au jour où elle ne peut plus supporter la situation. Elle décide alors de changer les choses pour sa famille, pour elle et pour sa dignité.

Bande annonce (VOSTFR)


Ce que j'en ai pensé : la réalisatrice Michal Aviad illustre une vision de l'enfer avec WORKING WOMAN. Celle d'un quotidien de femme prise entre obligations familiales et bourreau harceleur au travail. Son film est factuel. Il montre des signes traçant une ligne vers une situation dramatique. Ce fil conducteur du harcèlement est ici très bien mis en scène, car il met en exergue l'enfermement qui prend place peu à peu entre contrainte financière et promesse d'un avenir professionnel meilleur.

Le film joue très habilement sur les idées nauséabondes menant aux 'c'est de sa faute à elle' pour les démonter non pas en exagérant le trait, mais au contraire en restant dans le terre-à-terre, le quotidien. L'abus de pouvoir est d'autant plus probant que la victime est brillante dans son travail, elle n'a donc aucune raison ni d'abandonner son poste, ni de devoir compromettre son avenir professionnel à cause d'un criminel qui estime qu'elle lui doit quelque chose.

C'est un film qui pousse au débat, non pas sur l'évidence du délit qui ne doit plus exister, jamais. Il faut de toute évidence inlassablement veiller à ce que le harcèlement sous toutes ses formes devienne un non-sujet. Ce long-métrage nous fait débattre sur ce qui fait que cet homme peut se sentir le droit d'agir de la sorte, des problèmes mentaux qui ont pu le mener à penser qu'il pouvait s'octroyer le droit d'utiliser un pouvoir imaginaire pour agir comme une pourriture absolue. Et aussi pour parler de la fin proposée par la réalisatrice en mi-teinte, ainsi que du devenir des victimes qui se retrouvent avec une cicatrice intérieure pour toujours.

Les acteurs sont excellents pour mettre en avant les nuances de leurs rôles. Liron Ben-Shlush interprète avec une grande crédibilité Orna, une femme intelligente, efficace, qui a un vrai sens du business et est une bosseuse invétérée. L'actrice joue avec une grande justesse le doute, la perplexité, la culpabilité, le mal-être et tour à tour le courage et la peur.

Copyright photo © Vered Adir

Menashe Noy interprète Benny. L'acteur est parfait pour mettre en place les pièges de la manipulation, souffler le chaud et le froid en permanence et surtout faire la preuve qu'un harceleur peut montrer un visage tout à fait sympathique et solide au reste du monde. C'est ce double jeu qui les rend glissant comme des vipères et décontenance leurs victimes.


Copyright photos © Lama Films

Oshri Cohen interprète Ofer, le mari d'Orna, dont le soutien vis-à-vis de sa femme s'effrite quand son égoïsme prend le dessus.

Copyright photo © Vered Adir

WORKING WOMAN, au dire de sa réalisatrice qui est venue nous dire quelques mots avant le début de la projection, est un hommage aux millions de femmes qui vivent ce calvaire au quotidien dans l'anonymat le plus total. C'est vrai, mais il mérite d'être plus. Il dénonce avec une grande force, mais sans esbroufe, le harcèlement, il doit donc être un outil d'information qu'il ne faut pas hésiter à découvrir, puisqu'il ne vous laissera pas indifférent.



Copyright photos © Epixod

NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

NOTE DE LA RÉALISATRICE, MICHAL AVIAD

Depuis quand portez-vous le projet de Working Woman ?

Il y a douze ans, une amie est venue chez moi avec une collègue qui nous a raconté comment elle avait été sexuellement harcelée par son patron pendant trois ans. La plupart du temps, cela prenait la forme d’une menace constante et tacite. Elle avait besoin de ce travail et croyait qu’elle pourrait encaisser, jusqu’à ce qu’elle fasse une dépression nerveuse. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai compris comment le harcèlement sexuel pouvait se produire au fil du temps et impliquer une dépendance psychologique et économique. J’ai senti que je pouvais bâtir un film à partir de cette histoire. Six ans plus tard, après avoir réalisé Invisible (2011), qui parlait du traumatisme lié au viol trente ans après les faits, j’ai commencé à me documenter sur le sujet.

Vous avez réalisé de nombreux documentaires. Pourquoi choisir la forme de la fiction plutôt que celle du documentaire cette fois-ci ?

Il fallait que je comprenne d’abord par moi-même ce qui se passe réellement avant d’essayer de le faire comprendre aux spectateurs. Je voulais mettre une loupe sur les détails de cette relation si complexe, montrer la proximité des corps d’un homme et d’une femme qui travaillent ensemble avec toutes les nuances de leur gestuelle, explorer l’éventail de ces émotions contradictoires. Seule la fiction permettait cela.

Quel genre de recherches avez-vous faites ?

J’ai fait des recherches sur de nombreuses problématiques. J’ai commencé par essayer de comprendre comment la notion de harcèlement et les lois mêmes qui le pénalisent aujourd’hui avaient évolué à travers le temps. J’ai rencontré des avocates spécialisées dans les relations de travail qui représentaient des victimes à la cour. Elles m’ont rapporté des comportements choquants et de nombreux récits d’employées à qui on permettait de garder leurs jobs uniquement si elles avaient des relations sexuelles avec leur patron. À peu près au même moment, des allégations d’agressions sexuelles qui mettaient en cause des hommes puissants dans le monde entier, comme Strauss-Kahn ou Berlusconi, ont commencé à faire la une des journaux. Lorsque je me suis mise à écrire, ce n’était pas le matériau qui manquait !

Le film a-t-il été difficile à financer ?

Oui, cela a pris trois ans. En Israël, la plupart des films sont financés avec des fonds publics, la compétition est dure. On avait du mal à convaincre les lecteurs que notre film valait le coup d’être produit. « Il ne se passe rien », « Où est le drame ? », pouvait-on entendre. N’est-ce pas édifiant qu’un tel drame dans la vie d’une femme soit considéré comme un événement si peu dramatique au cinéma ?

Comment s’est passée l’audition de Liron Ben Shlush qui joue Orna ?

Je me souvenais de son interprétation excellente dans Next to Her (2014), qu’elle avait aussi écrit et dont elle incarnait le premier rôle. C’était une possibilité, mais je voulais essayer d’autres options. Nous voulions donner sa chance à une actrice d’une trentaine d’années qui n’avait encore jamais décroché de premier rôle. Nous avons auditionné une quarantaine de comédiennes dont beaucoup ont tenu à me raconter leur propre histoire de harcèlement sexuel. Lorsque nous avons visionné les essais, j’ai su immédiatement que Liron était la bonne. Elle ne m’a rien raconté du tout, mais il y avait chez elle un mélange de force et de fragilité qui m’a fait comprendre tout de suite qu’elle était Orna. Je l’ai appelée dans la seconde pour le lui dire. Elle m’a demandé les dates du tournage, je lui ai répondu en mai. Et là, elle m’a annoncé qu’elle était enceinte de vingt semaines, tout en promettant qu’elle serait sur le plateau juste après avoir accouché, début juin. J’étais convaincue qu’elle était mon héroïne et je savais aussi pertinemment qu’elle ne pourrait pas tourner juste après avoir accouché. Alors, avec le soutien total de mes producteurs, on a reporté le tournage au mois d’octobre pour laisser le temps à Liron de passer quelques mois avec son bébé.

Trouver un acteur qui accepte de jouer le rôle de Benny a-t-il été compliqué ?

Pendant le casting, deux des acteurs les plus célèbres en Israël ont été accusés de harcèlement sexuel. Je pensais que Menashe serait parfait pour le rôle de Benny mais j’ai quand même envoyé le scénario à d’autres comédiens pour être sûre. Certains d’entre eux ont purement et simplement refusé le rôle, et un autre a quasiment voulu le réécrire. Cela ne pose donc aucun problème d’interpréter un meurtrier, un homme violent, mais un harceleur, si ?

Avez-vous beaucoup répété ?

Oui, pendant des mois. Avec Liron, on a travaillé de chez moi en discutant de chaque scène, de chaque pulsation, on s’est raconté nos vies et on est devenues très proches. J’ai travaillé de la même façon avec les acteurs. Ensemble, nous avons changé des dialogues et des bouts de scène, construit les personnages et appris à se faire une confiance aveugle sans répéter les émotions des personnages. Nous étions tous d’accord pour laisser la place à l’improvisation pendant le tournage, sauf pour les scènes de sexe. Menashe Noy n’en pouvait plus d’être confronté à des réalisateurs qui n’osaient pas lui dire quoi faire dans ce genre de scènes et lui demandaient : « Tu veux boire un verre ou fumer un joint pour te détendre ? ». Non, ce que Menashe voulait, c’était être dirigé. Quant à Liron, elle désirait savoir exactement ce qui allait se passer pour pouvoir se concentrer sur ses sentiments sans avoir l’impression d’être manipulée. Je trouve immoral de surprendre les acteurs dans ce type de scènes. Nous avions en tête le témoignage de Maria Schneider et beaucoup d’autres. Nous avons donc décidé de répéter méticuleusement toutes les scènes de sexe quelles qu’elles soient. Liron et moi avons aussi rencontré des agents qui vendaient des appartements en les observant au travail. Avec Menashe, nous sommes allés à la rencontre d’agents immobiliers qui nous ont amenés sur leurs chantiers, ce qui nous a permis de réaliser à quel point ce sont des hommes de pouvoir.

Benny est alternativement gentil, chaleureux, puis dominant et prédateur. Comme beaucoup de harceleurs, il souffle le chaud et le froid pour brouiller les pistes. Le film décrit parfaitement ce processus du harcèlement. On ressent presque physiquement la pression exercée sur Orna, le souffle sur sa nuque, elle qui doit bien s’habiller, être à son avantage pour vendre. Elle a besoin de ce travail et, en même temps, elle est ambitieuse. Benny n’est pas le méchant ultime et Orna n’est pas une oie blanche. Elle pense qu’elle peut gérer, jusqu’au moment où elle atteint un point de non-retour. Comment avez-vous travaillé cette zone grise ?

Effectivement, nous voulions rester dans cette zone grise aussi longtemps que possible. Pendant l’écriture, à chaque étape, on se demandait si Orna pouvait déposer plainte contre Benny. Pouvait-elle porter plainte contre lui parce qu’il avait éteint la lumière dans son bureau, même sans la toucher ? Parce qu’il avait essayé de l’embrasser, avant de s’excuser et de promettre que ça ne se reproduirait plus ? Parce qu’il l’avait regardée fixement plus d’une fois ? Il y avait plus d’un exemple pour illustrer ces zones grises dans lesquelles nous autres, femmes, avons souvent l’habitude d’évoluer. Nous connaissons tous des hommes parfaitement charmants, intelligents, généreux, qui se révèlent être aussi des harceleurs. Nous étions tous d’accord pour ne pas faire de Benny un monstre. Il apprécie vraiment Orna, il en est même peut-être amoureux, mais il est aussi parfaitement conscient du pouvoir qu’il a sur elle et il s’en sert. Orna, pour sa part, choisit de continuer de collaborer avec Benny parce qu’elle veut travailler et prendre du galon, mais aussi pour subvenir aux besoins de sa famille. Il y a une vraie réalité économique et sociale.

Après avoir été agressée sexuellement, Orna raconte à sa mère qu’elle a « commis une erreur ». Quand elle en parle à son mari, on dirait qu’elle avoue un adultère, comme si elle était coupable. Comment expliquez-vous cette réaction ?

Je pense que le conflit entre l’agression sexuelle qu’elle a subi et les normes de la société qu’elle a intégrées pendant trente ans en tant que femme est très déstabilisant pour elle. Sa première réaction est de se sentir coupable même si elle ne peut s’accuser d’aucun acte répréhensible. Était-ce mal de partir en voyage d’affaires avec son patron ? De dîner avec lui ? De l’aider à ouvrir la porte de sa chambre ? Une victime d’agression sexuelle met longtemps à comprendre qu’elle n’est pas coupable. Le témoignage qu’Orna livre à son mari est plein de trous et erroné parce qu’elle est incapable de mettre des mots sur ce qu’il vient de se passer, elle n’a aucun recul. Je pense qu’elle ressent de la honte par-dessus tout. Elle se sent souillée. Cela prendra du temps avant qu’elle puisse dire : « Il a essayé de me violer ».

Vous filmez beaucoup de dos ou de côté.

Pour moi, et c’est encore plus vrai pour ce film, les corps ont autant d’importance que les dialogues. La proximité des corps entre eux, les silences, les gestes, les ambiguïtés, sont le matériau brut du film. Souvent, le harcèlement survient entre les mots et c’est ce que je voulais saisir. Nous avons donc décidé de tourner caméra à l’épaule de longues prises qui permettent un écoulement du temps plus réaliste et accentuent les nuances dans les sentiments, avec souvent un seul plan par scène. Au final, il n’y a qu’une centaine de plans dans le film. On a évité au maximum les champs contre-champs, car pour moi, écouter et réagir n’est pas moins important que parler. Un mouvement d’épaule en dit autant qu’une expression du visage. On a tourné le film essentiellement du point de vue de l’héroïne pour essayer de comprendre ce qu’elle traverse. Daniel Miller, le chef opérateur, et moi, avons décidé que les mouvements de caméra, accrochée à la nuque d’Orna, et les changements de focale, détermineraient son point de vue. Mais je voulais aussi de temps en temps avoir le point de vue du narrateur pour exposer les normes sociales qui régissent les protagonistes sans qu’ils en aient conscience. Finalement, ayant obtenu le réalisme que je cherchais, je n’avais pas besoin de musique pour indiquer aux spectateurs ce qu’ils devaient ressentir.

Aviez-vous des références en tête ?

J’avais des références de films inspirantes et des contre-exemples. Depuis toujours, la représentation du sexe et du mélange sexe/violence au cinéma est faite pour émoustiller un public masculin. Quand Hollywood raconte une histoire de harcèlement sexuel au travail, ça donne Harcèlement de Barry Levinson, et l’harceleur est une femme ! Comme de nombreuses cinéastes telles Chantal Akerman avec Jeanne Dielman, Jane Campion avec La Leçon de piano, Claire Denis avec Vendredi soir ou Andrea Arnold avec Fish Tank, j’ai voulu trouver une nouvelle manière de montrer le plaisir et le danger ressentis par les femmes dans les scènes de sexe. Mon but n’est pas d’exciter les spectateurs, mais de leur faire éprouver la tendresse, l’amour, la peur, le dégoût, bref, tout le répertoire des émotions liées à la sexualité. Je me situe dans la tradition des cinéastes humanistes comme les Dardenne, Andrea Arnold ou Cristian Mungiu, qui filment leurs personnages avec compassion, caméra à l’épaule, à travers de longues prises.

Le mouvement #MeToo est né au moment où vous tourniez. Êtes-vous heureuse que Working Woman soit au cœur du débat ?

Oui et non. Oui, car je suis contente que le film sorte au moment où l’on est dans une refonte globale d’un vieux système. Non, parce que mon histoire est différente de celles de #MeToo. Orna n’est ni riche, ni célèbre et elle ne fait pas les gros titres des journaux. Elle est comme des millions de secrétaires, de femmes de chambre, d’infirmières ou d’assistantes personnelles qui ont trop à perdre si elles parlent.

Vous montrez Israël comme un pays en construction avec un peuple juif dont le rêve ultime est d’acheter un appartement avec vue sur mer, non loin de l’aéroport.

Je n’avais jamais pensé à la métaphore d’un pays en chantier, mais vous avez parfaitement raison. J’ai essayé de montrer un pays qui, comme d’autres pays capitalistes sur le tard, vend tout pour de l’argent. Un lieu dont le pouvoir découle de la richesse, de la corruption et de l’intimidation. Israël vend ses terrains publics et ses plages aux plus fortunés en leur construisant des tours de luxe qui obstruent le paysage et privent les citoyens ordinaires comme la famille d’Orna d’une vue sur mer et de l’air marin. Les agents immobiliers comme Benny utilisent l’idéologie sioniste, la peur de l’antisémitisme et la cupidité consumériste pour vendre les derniers espaces naturels du pays. Les acheteurs sont souvent étrangers, américains, russes ou français. Ce sont les seuls à pouvoir s’offrir ces tours.

Source et copyright des textes des notes de production @ KMBO

  
#WorkingWoman

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