vendredi 13 novembre 2015

LES SUFFRAGETTES


Drame/Historique/Sujet très important mais dont le traitement manque d'ampleur

Réalisé par Sarah Gavron
Avec Carey Mulligan, Helena Bonham Carter, Meryl Streep, Brendan Gleeson, Anne-Marie Duff, Ben Whishaw, Romola Garai...

Long-métrage Britannique
Titre original : Suffragette
Durée: 01h46mn
Année de production: 2015
Distributeur: Pathé Distribution

Date de sortie sur les écrans britanniques : 12 octobre 2015
Date de sortie sur nos écrans : 18 novembre 2015


Résumé : Au début du siècle dernier, en Angleterre, des femmes de toutes conditions décident de se battre pour obtenir le droit de vote. Face à leurs revendications, les réactions du gouvernement sont de plus en plus brutales et les obligent à entrer dans la clandestinité pour une lutte de plus en plus radicale. Puisque les manifestations pacifiques n’ont rien donné, celles que l’on appelle les suffragettes finissent par avoir recours à la violence pour se faire entendre. Dans ce combat pour l’égalité, elles sont prêtes à tout risquer: leur travail, leur maison, leurs enfants, et même leur vie. Maud est l’une de ces femmes. Jeune, mariée, mère, elle va se jeter dans le tourbillon d’une histoire que plus rien n’arrêtera…

Bande annonce (VOSTFR)


Ce que j'en ai pensé : LES SUFFRAGETTES est l'histoire d'un combat : celui des femmes anglaises pour obtenir le droit de vote. Se rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, les femmes n'étaient pas considérées comme des êtres capables de penser par elles-mêmes est extrêmement important, premièrement pour faire honneur à ce combat (en allant voter) et deuxièmement parce qu'il n'est pas terminé. Les droits des femmes ne s'arrêtent pas au vote et ne se limitent pas à l'Angleterre. L'exemple de la différence de salaire dans le film est hélas un sujet qui fait que LES SUFFRAGETTES dépasse son cadre historique et géographique en abordant des thématiques restées très actuelles.
Le film illustre parfaitement bien le courage qu'il a fallu aux femmes suffragettes pour se faire entendre face aux réactions de l'époque. Elles ont dû subir violences physiques et morales et faire face au rejet de leur communauté et de leur famille. Les hommes sont également bien représentés puisqu'il y a toute la galerie des attitudes masculines, depuis l'être abject qui ne pense qu'à profiter de sa position de manière odieuse, jusqu'à l'allié le plus fidèle qui n'hésite pas à soutenir sa femme contre vents et marées.
La partie historique avec les décors, les ambiances, les costumes et les moyens à disposition est très bien illustrée. Les personnalités des principaux personnages, qui viennent de milieux différents, sont habilement travaillées. Carey Mulligan, dans le rôle de Maud Watts, incarne avec douceur mais détermination la femme qui joint le combat parce qu'elle n'en peut plus de supporter l'insupportable.




Helena Bonham Carter, dans le rôle Edith Ellyn, joue sans peine la femme brillante et de caractère qui fait ce qui doit être fait pour faire avancer la cause.



Meryl Streep, dans le rôle d'Emmeline Pankhurst, est une meneuse de cause tout à fait crédible.


Ben Whishaw, dans le rôle de Sonny Watts, apporte une belle sensibilité à ce mari pris entre son amour et son manque de courage face au regard des autres.



Je trouve cependant que la réalisatrice, Sarah Gavron, ne donne pas assez d'ampleur à l'ensemble. Elle fait un travail soigné mais plus proche du documentaire que du long-métrage dont le souffle dramatique vous emporte pour vous laisser un souvenir mémorable du sort des personnages. Le sujet est tellement important qu'il aurait mérité d'être encore plus marquant et surtout de s'adresser à un public plus large que celui des personnes à la recherche d'un drame historique.
LES SUFFRAGETTES est une leçon d'Histoire qui résonne dans notre présent. C'est un film intéressant dont le message clair et essentiel mérite votre attention.


NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

100 ANS D’HISTOIRE

La réalisatrice Sarah Gavron nourrissait depuis longtemps l’ambition de faire un film sur le mouvement des suffragettes. Elle explique : « Le terme « suffragette » a été inventé par la presse britannique pour tourner en dérision les activistes du mouvement en faveur du suffrage des femmes, mais celles-ci se le sont approprié. Les suffragettes perturbaient les communications en sabotant les lignes télégraphiques ou en faisant exploser les boîtes aux lettres publiques, mais également en s’attaquant aux biens ; elles ont été emprisonnées et ont entamé des grèves de la faim pour faire connaître leur combat pour l’égalité face à un État de plus en plus répressif. J’étais stupéfaite que cette extraordinaire et poignante histoire n’ait jamais été racontée. En tant que femmes cinéastes, nous avons tout de suite été séduites par le sujet. »

En 2007, lorsqu’elle réalise son premier long métrage, RENDEZ-VOUS À BRICK LANE, Sarah Gavron trouve des âmes soeurs chez les productrices, Alison Owen et Faye Ward, et la scénariste du film, Abi Morgan. Alison Owen déclare : « Je parlais avec une amie des rôles féminins au cinéma – combien il est rare d’en trouver d’intéressants et quand bien même il y en a un, il est toujours entouré d’hommes. Nous nous sommes demandé pourquoi personne n’avait jamais fait de film sur les suffragettes. Le mouvement britannique des suffragettes n’était pas un mouvement puritain comme aux États-Unis, où il était étroitement lié à la ligue de tempérance. Au Royaume-Uni, le combat a pris des allures de guérilla. Le sujet était plus que digne d’intérêt. Par chance, j’ai découvert que Sarah, avec qui j’avais collaboré sur RENDEZ-VOUS À BRICK LANE, avait elle aussi très envie de raconter cette histoire. Nous avons donc développé le scénario avec le soutien de Film4, Focus Features et BFI. » « En découvrant ces évènements majeurs mais largement méconnus de notre histoire récente et la volonté et l’ambition d’Abi, Sarah, Faye et Alison de les raconter, nous n’avons pas hésité une seconde à prendre part au film » confesse Rose Garnett, directrice du département Création de Film4. «L’histoire qu’elles ont imaginée est à la fois essentielle, émouvante et troublante - et encore largement d’actualité plus de 100 ans après. » Ben Roberts, directeur du fonds cinématographique du BFI, confie : « De temps à autre, un projet comme LES SUFFRAGETTES parvient jusqu’à nous et toutes les pièces du puzzle s’imbriquent parfaitement. C’est une histoire sur le thème de l’action sociale et du changement politique qui n’est jamais racontée de manière ennuyeuse, car Abi a intégré au scénario de la tension, de l’émotion et de l’action. L’ambition de Sarah, Faye et Alison nous a donné l’assurance que cette histoire ferait un grand film, et le casting qu’elles ont rassemblé en est la preuve. LES SUFFRAGETTES illustre notre volonté de soutenir le cinéma britannique et les cinéastes de talent tout en racontant des histoires éclectiques et engagées qui touchent les spectateurs. » Il aura fallu plusieurs années à l’équipe pour définir l’histoire du film. La version finale du scénario a finalement vu le jour en 2014 lorsque Pathé a accepté de financer et distribuer le film, en collaboration avec Ingenious Investments comme co-investisseur. Selon Cameron McCracken, producteur exécutif du film et directeur général de Pathé UK: « Ce qui m’a immédiatement attiré dans ce projet, c’est son caractère impérieux et viscéral. Il ne s’agit pas d’un film d’époque nostalgique qui célèbre avec calme les avancées majeures des droits des femmes, mais d’un rappel brutal des sacrifices consentis et du chemin qu’il reste à parcourir aux femmes pour atteindre l’égalité. »

« Nous voulions raconter l’histoire d’une ouvrière ordinaire en 1912 », confie Sarah Gavron à propos des aspirations créatives de l’équipe. « Nous avons fait d’importantes recherches. Nous nous sommes plongées dans les journaux intimes et les mémoires inédits de ces femmes, dans les dossiers de la police et dans les textes universitaires. Puis, nous avons créé le personnage de Maud, qui participe à des évènements réels où elle croise le chemin de figures historiques majeures telles qu’Emmeline Pankhurst, Emily Wilding Davison et David Lloyd George. » L’idée de raconter l’histoire d’une jeune femme traversant un moment singulier de l’Histoire a particulièrement plu à Abi Morgan, qui venait d’écrire deux films inspirés de personnages historiques : LA DAME DE FER (un portait de Margaret Thatcher) et THE INVISIBLE WOMAN (sur l’histoire d’amour de Charles Dickens et d’une jeune actrice). 
« IL S’AGIT D’UNE GUERRE QUI A ÉTÉ MENÉE EN NOTRE NOM
ET DONT NOUS RÉCOLTONS AUJOURD’HUI LES FRUITS,
MAIS TROP PEU DE GENS CONNAISSENT CETTE HISTOIRE. »
CAREY MULLIGAN
Elle explique : « Je n’avais vraiment pas envie d’écrire le biopic d’une personnalité publique, mais je me suis dit qu’il était impossible de raconter le mouvement des suffragettes sans parler d’Emmeline, de Christabel et de Sylvia Pankhurst. J’ai alors décidé que l’approche la plus intéressante serait de découvrir le mouvement à travers les yeux d’une femme ordinaire anonyme, d’explorer comment l’injustice peut mener à la radicalisation et comment les gens peuvent être attirés par le fondamentalisme et tout sacrifier à un idéal. »

Mais la scénariste a mis du temps à trouver l’histoire de Maud. Elle confie : « La plupart des bons films reposent sur ce que l’on choisit de laisser à l’écart et sur la capacité du scénariste à se défaire de ses marottes, en particulier avec un sujet aussi vaste que celui-ci. J’ai découvert des choses fascinantes pendant mes recherches, je n’arrêtais pas de faire des détours. La première version du scénario se concentrait davantage sur Alice, une femme de la bourgeoisie incarnée par Romola Garai. Bien que ce soit un personnage vraiment fascinant, je trouvais sa vie trop éloignée du quotidien des vraies ouvrières. C’est Sarah qui m’a mise sur la piste du personnage de Maud. » À travers Maud, une jeune femme mariée qui travaille très dur dans une blanchisserie du quartier de Bethnal Green sous le regard du libidineux propriétaire des lieux, Norman Taylor (Geoff Bell), les cinéastes ont ainsi pu raconter une histoire captivante sans être limitées par les faits réels.

Sarah Gavron commente : « Cela nous a permis de raconter une histoire qui soit accessible au public car Maud est un personnage qui vit des émotions et des expériences que nous pouvons tous comprendre. Abi a fait énormément de recherches et cela lui a permis de dresser le portrait authentique d’une femme du début du XXe siècle dont la conscience politique s’éveille. » Initialement, Maud, interprétée par Carey Mulligan, ne tient pas à s’engager avec les suffragettes. Elle a peur de se démarquer, de mettre en péril son emploi et la paix de son foyer. Mais lentement et douloureusement, elle choisit de prendre part au courageux et dangereux combat en faveur du droit de vote des femmes et de l’égalité. Mais Maud, comme la plupart des suffragettes, paye cet engagement au prix fort sur le plan personnel.

Le fait que cette période de l’Histoire ait été si peu racontée, en particulier au cinéma, et que ces événements soient si méconnus, a galvanisé l’équipe du film. La réalisatrice déclare : « Nous avons été frappées en découvrant combien ces femmes étaient en avance sur leur temps. Elles ont brisé tous les tabous et toutes les conventions de la société de leur époque, et pourtant, le grand public ignore presque tout d’elles. Leur combat a d’une certaine manière été enterré. On n’en parle pas à l’école et peu de gens savent ce qu’ont fait et enduré les suffragettes : les attentats à la bombe et les attaques sur les biens ou la brutalité policière à laquelle elles ont été confrontées. Elles ont en effet été passées à tabac et nourries de force quand elles faisaient la grève de la faim. Cette histoire était inédite et se devait d’être racontée. »

Carey Mulligan ajoute : « Il s’agit d’une guerre qui a été menée en notre nom et dont nous récoltons aujourd’hui les fruits, mais trop peu de gens connaissent cette histoire. » Faye Ward, l’une des productrices du film, déclare : « Il était impératif pour nous que le film s’adresse à un large public et que son actualité l’empêche d’être reléguée aux oubliettes. »

LES SUFFRAGETTES TROUVENT LEUR VOIX

Carey Mulligan, lauréate d’un BAFTA Award et nommée à l’Oscar pour son rôle dans UNE ÉDUCATION en 2010, est désormais l’une des actrices les plus sollicitées de sa génération. Elle était le premier choix de l’équipe du film pour interpréter Maud. Abi Morgan avait déjà travaillé avec elle sur SHAME, le drame de Steve McQueen (12 YEARS A SLAVE) avec Michael Fassbender, et savait parfaitement ce dont elle était capable : « Carey fait partie de ces rares actrices capables d’être d’une justesse et d’une sincérité absolues, même si elles n’ont que quelques lignes de dialogue. » Sarah Gavron ajoute : « Carey a ce talent incroyable de se glisser totalement dans la peau des personnages qu’elle interprète. Elle est juste, captivante et possède une présence extraordinaire à l’écran. Elle a non seulement fait énormément de recherches pour ce rôle mais elle avait également plein de bonnes idées pendant les répétitions et le tournage. Nous tenions à ce que le film soit le plus réaliste possible et elle a vraiment compris cette aspiration. »

Carey Mulligan venait d’incarner un autre personnage féminin fort, celui de Bathsheba Everdene dans LOIN DE LA FOULE DÉCHAÎNÉE du réalisateur danois Thomas Vinterberg, et elle avait très envie d’en apprendre davantage sur les suffragettes, dont elle a très vite réalisé qu’elle ignorait presque tout. L’actrice confie : « Personne autour de moi n’a entendu parler de leurs grèves de la faim, ni même de leurs attaques les plus violentes contre des galeries d’art et des bâtiments publics. Je ne savais rien de tout cela avant de prendre part à ce projet. Je connaissais la version édulcorée des événements qu’on nous apprend à l’école, j’avais l’image de femmes avec leurs chapeaux et leurs écharpes défilant tranquillement en chantant et buvant du thé. Je n’avais aucune idée de la réalité de ce que ces femmes avaient enduré. » La distribution des rôles s’est achevée quelques semaines avant le début du tournage afin que les acteurs puissent faire leurs recherches.
Carey Mulligan raconte : « J’ai découvert The Hard Way Up, l’autobiographie d’Hannah Mitchell, une jeune ouvrière sans véritable éducation devenue une figure de proue du mouvement des suffragettes et du Parti travailliste. La manière dont elle a découvert le mouvement – en rencontrant des femmes de la classe moyenne et de la bourgeoisie – est très similaire à ce que vit Maud dans le film. Cela lui a ouvert les yeux sur beaucoup de choses, elle a trouvé l’inspiration et fini par découvrir sa propre voie. Son livre m’a accompagné pendant tout le tournage. » Une fois Carey Mulligan choisie pour le rôle principal, la directrice de casting Fiona Weir, Sarah Gavron et Faye Ward se sont mises en quête des autres interprètes du film.

La réalisatrice déclare : « Ce film était l’occasion de rassembler une distribution majoritairement féminine. J’étais très enthousiaste à l’idée de trouver un groupe d’actrices britanniques éclectique pour incarner le trio formé par Maud, Violet et Edith. » Anne-Marie Duff, actrice de cinéma, de télévision et de théâtre, campe Violet, la collègue de Maud à la blanchisserie qui lui fait découvrir le combat des suffragettes. Anne-Marie Duff avoue ce qui l’a séduite dans ce rôle: « Violet est un personnage passionné, c’est une femme exaltée et audacieuse. » Sarah Gavron confie : « J’admire beaucoup le travail d’Anne-Marie au cinéma et au théâtre, j’étais persuadée qu’elle ferait de Violet une femme de tempérament pleine d’énergie. »

Helena Bonham Carter, citée à de multiples reprises aux Oscars, aux Golden Globes et aux BAFTA Awards et primée aux BAFTA Awards pour son second rôle dans LE DISCOURS D’UN ROI en 2011, interprète quant à elle Edith. Son personnage est une pharmacienne de la classe moyenne obligée de laisser son mari, qu’elle adore mais qui est moins compétent qu’elle, gérer leur commerce. Leur boutique sert également de lieu de rendezvous clandestin à la branche locale des suffragettes.
« LA DÉCOUVERTE DES ACTIONS COUP DE POING MENÉES
PAR LES SUFFRAGETTES A SÉDUIT LES ACTRICES
DU FILM LORSQU’ELLES ONT LU LE SCÉNARIO, CAR
IL EST TRÈS RARE POUR DES FEMMES D’INCARNER
DES PERSONNAGES AUSSI PASSIONNÉS. »
Selon Helena Bonham Carter, Edith est un personnage composite. En effet, « elle est en partie insiprée d’une femme extraordinaire originaire du Pays de Galles qui s’appelait Edith Garrud. » Le nom de son personnage, initialement nommée Caroline, a été changé à la demande de l’actrice, afin de lui rendre hommage. « Elle mesurait moins de 1,50 mètre et a enseigné le ju-jitsu à toutes les suffragettes afin de les aider à se défendre contre la police. Elle a également formé le groupe des gardes du corps qui entouraient et protégeaient Emmeline Pankhurst. »

L’arrière-grand-père de l’actrice n’est autre que Lord Herbert H. Asquith, le premier ministre britannique à l’époque des événements décrits dans le film, et à bien des égards le pire ennemi des suffragettes. Faye Ward, qui avait déjà collaboré avec Helena Bonham Carter sur le téléfilm « Toast », tenait absolument à ce qu’elle prenne part au projet. Elle commente : « Sachant qui était son aïeul, c’était assez osé de lui proposer le rôle. Elle nous a longuement parlé de sa grand-mère, Violet, la fille d’Asquith, qui n’hésitait pas à faire savoir qu’elle ne tenait pas les suffragettes en haute estime. Selon Helena, Violet Asquith était une femme indépendante qui avait tout ce qu’elle désirait et ne comprenait pas le combat mené par les suffragettes. Et cela m’a beaucoup intéressée, ça m’a permis de mieux comprendre le point de vue des femmes qui s’opposaient aux suffragettes. Violet était déjà une femme indépendante et puissante, elle n’était pas assujettie aux mêmes contraintes que les autres femmes de son époque, et c’est sans doute la raison pour laquelle elle ne comprenait pas le combat des suffragettes. »

Helena Bonham Carter ajoute : « Lorsque j’ai rencontré la petite-fille d’Emmeline, Helen Pankhurst, je me suis sentie obligée de m’excuser ! Violet était une femme extraordinaire et indomptable, mais je n’arrivais pas à comprendre pourquoi elle n’avait pas demandé à son père d’écouter les revendications des suffragettes et pourquoi elle était contre le droit de vote des femmes. D’après ma mère, l’explication réside dans le fait que Violet était traitée comme un homme et qu’elle n’a jamais été personnellement discriminée en raison de son sexe. Quant à Asquith, il y avait beaucoup de femmes à poigne dans son entourage, elles comptaient d’ailleurs parmi ses meilleures amies et confidentes. » L’actrice est intimement persuadée que son arrière-grand-père était opposé aux suffragettes en raison du caractère violent de leur mouvement.

En 1912, après plusieurs décennies de manifestations pacifiques qui leur avaient valu le mépris et les sarcasmes du Parlement, de la presse et de la société en général, les femmes ont décidé de passer à l’action. Il était cependant de la plus haute importance pour elles que personne ne soit blessé et de ne s’en prendre qu’aux biens matériels. La scénariste Abi Morgan déclare : « Je pense que leur militantisme est né d’une nécessité et d’une profonde colère. Le mouvement avait trouvé un leader en la personne d’Emmeline Pankhurst, qui était une femme éduquée, éloquente, qui avait des relations et était une excellente oratrice. C’était quelqu’un capable de représenter le mouvement et sa philosophie. C’était un leader charismatique qui a très vite compris que la seule manière de faire reconnaître les droits des femmes était d’utiliser les tactiques guerrières des hommes. Le film incite les spectateurs à se demander jusqu’où ils seraient prêts à aller pour défendre leurs droits. »

Emmeline Pankhurst est interprétée par l’actrice oscarisée à trois reprises Meryl Streep. L’équipe du film tenait à ce que cette icône du droit des femmes soit incarnée par une icône du cinéma pour donner une idée de l’aura et de l’importance de cette femme, que la plupart des sympathisantes du mouvement ne connaissaient qu’à travers les articles de journaux qui lui étaient dédiés ou pour l’avoir entraperçue lors d’un évènement public. La productrice Faye Ward explique : « Confier le rôle d’Emmeline à Meryl était l’idée de Carey. Sa première question a été de savoir qui allait interpréter Emmeline Pankhurst. Nous avions besoin d’une actrice capable d’expliquer qui est cette femme de manière quasi-métaphorique en une scène très brève, et c’est le cas de Meryl. » Sarah Gavron se souvient : « C’était un rêve devenu réalité. Meryl nous a très vite donné son accord. Ça a été merveilleux de tourner avec elle durant quelques jours à Londres. »

Il était prévu que l’actrice passe deux jours sur le tournage, mais elle est restée une journée supplémentaire. La réalisatrice explique : « Elle avait le sentiment de devoir être présente lors du tournage des images de la foule à laquelle elle s’adresse. Toute la soirée, elle a récité son discours hors caméra pour que la foule puisse réagir à ses paroles. Cela résume assez bien l’incroyable générosité dont elle a fait preuve envers l’équipe et le projet. »

Parmi les autres personnages réels représentés dans le film figure Emily Wilding Davison, incarnée par Natalie Press, la femme mortellement blessée par le cheval du roi George V, Anmer, lors du derby d’Epsom le 4 juin 1913. Maud fait la connaissance d’Emily grâce à Violet et Edith, et se rend avec elle à Epsom afin de placer le drapeau des suffragettes sur le cheval du roi dans une tentative désespérée pour attirer l’attention de la presse sur leur cause. Personne ne sait si la jeune femme voulait se suicider – elle a succombé à ses blessures quatre jours plus tard, le 8 juin 1913 – ou si elle s’est simplement laissée emporter par l’excitation du moment, une ambiguïté que l’équipe du film ne lève pas.

Natalie Press explique : « On ne saura jamais vraiment quelles étaient ses intentions et le film n’essaye pas d’apporter de réponse. Nous laissons les spectateurs libres de se faire leur propre opinion. Certains la qualifieront de folle, d’autres admireront son courage. » Mais qu’importent les motivations d’Emily Wilding Davison : le mouvement avait désormais une martyre. Sa mort fut en effet l’un des moments charnières de l’histoire du mouvement, car elle a suscité un revirement en faveur des suffragettes dans l’opinion publique. La découverte des actions coup de poing menées par les suffragettes a séduit les actrices du film lorsqu’elles ont lu le scénario, car il est très rare pour des femmes d’incarner des personnages aussi passionnés.

Carey Mulligan déclare : « Il y a beaucoup d’action dans LES SUFFRAGETTES, il ne s’agit pas d’un film uniquement politique dans lequel on assiste à des débats, c’est un véritable film d’action à l’image de ce qu’était ce mouvement militant. Les suffragettes voulaient faire avancer leur cause et se faire entendre en étant plus bruyantes que leurs adversaires. »

ET LES HOMMES DANS TOUT ÇA ?

Le difficile rôle de Sonny, le mari de Maud qui voit sa femme s’engager dans le mouvement des suffragettes, est interprété par Ben Whishaw. La notion d’égalité entre homme et femme lui est étrangère, comme à la plupart des hommes de cette époque, et l’association de sa femme à cette cause est quelque chose de honteux pour lui. Habitant une communauté ouvrière très soudée, Sonny a peur d’être rejeté par les siens. Ben Whishaw tenait à ce que Sonny soit un personnage complexe, d’une certaine manière aussi prisonnier des conventions de son temps que Maud.

L’acteur déclare : « Il était important pour moi d’interpréter le personnage avec beaucoup d’affection. Sonny aime profondément sa femme. Il pense sincèrement qu’il vaut mieux pour elle ne pas être affiliée aux suffragettes. Je ne voulais en aucun cas porter de jugement sur lui ou l’évaluer en fonction de nos critères modernes. Son comportement est avant tout dicté par la peur.
« À L’INVERSE, JE ME SUIS ATTACHÉE À RENDRE LES
UNIVERS DOMINÉS PAR LES HOMMES FROIDS ET
TERNES, NOTAMMENT À LA BLANCHISSERIE, DANS
LA PRISON ET AU POSTE DE POLICE. »
Il est submergé par la possibilité d’un tel changement. Cela le perturbe et l’inquiète beaucoup. Le monde dans lequel il a toujours vécu est en train de se transformer sous ses yeux. Il est facile de se dire aujourd’hui que ces changements ont été bénéfiques, mais sur le coup, les gens n’en savaient rien. » Le portrait sensible de Sonny dressé par l’acteur correspond exactement aux attentes de Sarah Gavron, qui déclare : « Ben Whishaw est un acteur avec lequel j’ai toujours voulu travailler. Sonny aurait pu se transformer en stéréotype, mais ça n’est pas le cas. C’est un homme aux prises avec les conventions de son temps. Il a le sentiment d’être obligé de réagir comme il le fait, même si cela lui arrache le coeur. »

Ben Whishaw a fait preuve d’empathie envers son personnage. Il commente : « Les hommes du film sont pris au piège d’une masculinité en voie d’extinction, ils n’ont aucun autre modèle auquel se raccrocher quant à l’avenir. » L’acteur poursuit : « Dans le carnet qui m’a accompagné pour la préparation de ce rôle, j’ai écrit qu’il fallait que je fasse comme si le film racontait l’histoire de Sonny. Il serait facile pour nous de condamner ses actes, mais ce serait injuste. » Certains hommes soutenaient cependant activement les suffragettes. Ils sont représentés dans le film par Hugh, le mari d’Edith, incarné par Finbar Lynch. Faye Ward commente : « Il était important qu’il y ait un personnage comme Hugh dans le film, car il y avait des hommes parmi les sympathisants du mouvement. Ces derniers ont joué un rôle clé dans l’organisation de la cause et travaillé d’arrache-pied dans l’ombre pour que les femmes obtiennent le droit de vote. »

L’autre rôle masculin majeur du film est celui d’Arthur Steed, le policier irlandais envoyé à Londres pour appliquer les mêmes tactiques impitoyables contre les suffragettes que celles employées contre les Fenians, un groupe nationaliste irlandais. Le personnage d’Arthur Steed, inspiré de plusieurs véritables policiers sud-irlandais qui ont combattu les suffragettes, est celui qui donne l’idée à Scotland Yard d’investir dans du matériel dernier cri (des reflex Wigmore Model 2 dotés d’objectifs Ross Telecentric de 280 mm) afin de mettre en oeuvre une stratégie de surveillance photographique révolutionnaire. C’est en effet la première fois dans l’Histoire qu’une telle surveillance a été mise en place par un État contre ses citoyens. Arthur Steed est incarné par l’acteur irlandais Brendan Gleeson. Ce dernier considère son personnage comme un homme foncièrement honnête qui pense que la loi représente l’ordre et que si une loi – juste ou injuste – est enfreinte, celui ou celle qui l’a transgressée doit être puni.

Il dit : « Cela peut paraître sévère, mais pour Steed le seul rempart contre le désordre, c’est la loi, et il entend bien la faire respecter. Il est prêt à tout pour faire cesser une activité illégale, quelle que soit sa nature. Mais au cours du film, il a une sorte de révélation, il prend conscience que protéger une loi profondément injuste n’a pas de sens. »

Pour s’assurer que ce revirement soit crédible, Brendan Gleeson a collaboré avec Sarah Gavron, Abi Morgan et Faye Ward afin de conférer au personnage une réelle profondeur. L’acteur commente : « Steed est un policier catholique originaire d’Irlande du Sud. Il se devait donc d’avoir des convictions chevillées au corps, à moi d’essayer de les définir. Dans le cas contraire, le personnage n’aurait été qu’un simple policier faisant son boulot sans état d’âme, ni véritable objectif. » La réalisatrice Sarah Gavron affirme : « Ce qui est intéressant chez Steed, c’est qu’il finit par comprendre la raison pour laquelle ces femmes se battent. En les surveillant, il apprend à les connaître très intimement. »

VIOLET, BLANC ET VERT

Les couleurs associées au mouvement des suffragettes – le violet, le blanc et le vert – dominent l’esthétique du film. Les suffragettes ont très vite pris conscience du pouvoir de l’art alors naissant de la publicité et ont utilisé leurs couleurs comme un véritable outil de propagande. La chef décoratrice Alice Normington explique : « Nous avons utilisé une palette de violets et de verts délavés dans l’univers des femmes, qu’il s’agisse des locaux de la WSPU (Union sociale et politique des femmes), de la pharmacie ou de l’intérieur de Maud. Pour ces lieux peuplés par les suffragettes, nous avons opté pour des tons légèrement plus chauds que dans le reste du film. Sarah et moi avons conceptualisé le choix de ces couleurs en imaginant qu’il s’agissait des couleurs des hématomes infligés à ces femmes opprimées. C’est pourquoi nous avons opté pour une palette de couleurs inspirées de celle des bleus. »

Elle poursuit : « À l’inverse, je me suis attachée à rendre les univers dominés par les hommes froids et ternes, notamment à la blanchisserie, dans la prison et au poste de police. » L’équipe tenait à ce que LES SUFFRAGETTES ne ressemble à aucun autre film d’époque. Les cinéastes voulaient en effet inscrire les évènements de 1912 et 1913 dans un contexte moderne. Le directeur de la photographie espagnol Edu Grau, qui a éclairé A SINGLE MAN de Tom Ford (et qui a dû surmonter son aversion pour le vert !), a filmé au format Super 16 et a utilisé jusqu’à quatre caméras portées en même temps. La réalisatrice Sarah Gavron déclare : « Les acteurs ne savaient jamais vraiment quand la caméra était sur eux, ce qui confère du réalisme à leur jeu et du dynamisme à la mise en scène. On ne s’y attend pas forcément, mais il y a beaucoup d’action dans le film. Je tenais à prendre le contrepied des attentes du public et montrer combien ces femmes étaient en avance sur leur époque. »

Cette volonté d’aller à contre-courant a également affecté le choix des décors. La productrice Faye Ward commente : « Souvent, l’esthétique délibérément « historique » des films d’époque est un trait de caractère en soi qui est mis en avant par tous les moyens. Mais Sarah et moi tenions à ce que l’esthétique de notre film coule de source, à montrer simplement le cadre dans lequel vivent nos personnages. Il nous a donc fallu trouver à Londres des lieux de tournage authentiques qui existent en eux-mêmes et permettent à l’action de se dérouler librement sans peser dessus. »

Trouver des décors authentiques dans l’East End s’est cependant révélé être un défi de taille. Les quartiers ouvriers ont disparu depuis longtemps, détruits par les raids de la Luftwaffe pendant la Seconde Guerre mondiale, tandis que les quelques bâtiments d’époque restants ont été transformés en lofts et en bureaux huppés par des promoteurs immobiliers. L’équipe s’est donc mise en quête d’une rue aux rangées de maisons mitoyennes de style Regency pour figurer une rue du centre de Londres pour la scène d’ouverture du film dans laquelle des suffragettes s’attaquent aux fenêtres des maisons des beaux quartiers. La productrice raconte : « Il faut plusieurs jours pour préparer les décors d’une grande séquence d’action, je pensais donc que la meilleure chose à faire était de faire fermer une rue et d’avoir un contrôle total sur le lieu de tournage. Nous avons opté pour la rue qui se prêtait le mieux à la scène sur le plan créatif : Cornhill, en plein coeur de Londres, mais nous n’avons eu qu’un contrôle limité. Il a fallu que nous tournions la totalité de la séquence en l’espace d’une journée. Le département artistique a travaillé toute la nuit du samedi au dimanche, nous avons filmé toute la journée du dimanche puis avons remballé notre matériel. Ça a été une tâche colossale. »

La scène du derby a quant à elle été tournée sur trois jours au Royal Windsor Racecourse avec près de 350 figurants et 15 chevaux de course. Faye Ward déclare : « En tant que productrice, il est parfois préférable de penser de manière pratique et d’avancer pas à pas plutôt que de rester paralysé devant l’étendue de la tâche. » L’équipe du film a déniché la blanchisserie de l’East End où travaille Maud à Harpenden, dans le Hertfordshire. L’environnement oppressant et hostile de la blanchisserie constitue un décor clé du film. La scénariste Abi Morgan révèle : « Si vous regardez des photos de blanchisseries de l’époque, tout y évoque la répression. En apparence, les femmes ont l’air méticuleuses, équilibrées et en contrôle, elles débarrassent le linge des taches disgracieuses et le repassent avec soin, mais il s’agit en réalité d’une sorte d’esclavage. Le fait que les femmes n’étaient pas payées au même salaire que les hommes et qu’elles faisaient des horaires incroyables dans un environnement particulièrement malsain constituait une parfaite toile de fond pour notre histoire. La blanchisserie était un lieu où les femmes troquaient la servitude domestique pour la servitude du travail. »

Alice Normington se souvient : « La première scène du scénario est celle de la blanchisserie. J’ai immédiatement été saisie par ce lieu, j’aurais presque pu me passer de lire la suite car ma décision était déjà prise : je voulais prendre part au projet. Et puis je n’avais encore jamais vu une immense blanchisserie industrielle au cinéma. Nous savions que nous allions devoir fabriquer les machines à laver car elles n’existent plus. Par chance, Barbara Herman-Skelding, mon ensemblière, avait travaillé sur PHILOMENA pour lequel elle avait dû fabriquer des baquets à linge. »

Inspirée par de nombreuses photographies d’époque, la chef décoratrice a trouvé un entrepôt désaffecté où la production a pu bénéficier d’un contrôle total sur le processus créatif. Après le tournage, les propriétaires du lieu prévoyaient le développement d’un skate park. Une mezzanine, une passerelle en métal et une plateforme de bureaux surélevée ont été construits pour les besoins du film, puis les machines ont été installées. LES SUFFRAGETTES est le tout premier film à avoir été tourné dans la Chambre des communes au palais de Westminster, un joli coup réalisé grâce à la ténacité de la régisseuse d’extérieurs Harriet Lawrence et au fait que la Chambre des communes venait d’ouvrir ses portes aux équipes de cinéma au printemps 2014.
« LES SUFFRAGETTES EST UN FILM SUR LES FEMMES,DES FEMMES QUI VEULENT SE FAIRE ENTENDRE ET SONTPRÊTES À SE BATTRE POUR CELA, MAIS IL S’ADRESSEÀ TOUS CEUX – HOMMES ET FEMMES – QUI CROIENT ÀLA JUSTICE SOCIALE, À L’ÉGALITÉ ET AU BESOIN DECHAQUE ÊTRE HUMAIN DE SE SENTIR VALORISÉ. »
Sarah Gavron commente : « Nous étions la première équipe de cinéma à pénétrer dans ces lieux et nous avons filmé une gigantesque émeute dans la cour centrale avec des figurants, des chevaux et des cascadeurs ! C’était extraordinaire de se trouver là et de recréer un événement historique à l’endroit même où il s’était produit. » Des quartiers ouvriers de l’East End au coeur de l’establishment britannique au palais de Westminster, en passant par les belles maisons Regency du West End, l’équipe créative de Sarah Gavron avait une idée très précise de ce qu’elle voulait accomplir. La réalisatrice explique : « Nous voulions créer un univers réaliste, absolument pas stylisé. Je tenais à ce que le film soit viscéral et qu’il parle au public d’aujourd’hui, qu’il ait presque l’air moderne sur le plan esthétique, mais qu’il possède aussi tous les détails d’époque. »

LES COSTUMES

Les coiffures, le maquillage et les costumes des personnages reflètent le désir d’authenticité de la réalisatrice Sarah Gavron et ont représenté un défi intéressant pour la chef coiffeuse et maquilleuse Sian Grigg, qui a récemment travaillé avec Carey Mulligan sur LOIN DE LA FOULE DÉCHAÎNÉE. Elle explique : « Notre objectif n’était pas de rendre Maud jolie, mais crédible. Le problème, c’est que Carey est naturellement jolie ! » La chef costumière Jane Petrie a utilisé autant que possible des pièces de vêtements d’époque.

À propos de la garde-robe de Maud, elle déclare : « Chacun de ses costumes devait être fonctionnel et authentique. Tous ses vêtements sont de seconde, troisième voire quatrième main. Être à la mode ne fait pas partie de son monde. » Pour pouvoir habiller les quelque 300 figurants du film ainsi que les acteurs principaux, la chef costumière a écumé les boutiques de costumes de Londres et Paris. Elle raconte : « Nous avons acheté toutes les pièces d’époque sur lesquelles nous avons pu mettre la main puis les avons recyclées tout au long du film. Les chapeaux ont par exemple été réutilisés quatre fois pour la scène des funérailles, celle du derby et celle de Westminster. »

Jane Petrie et Sian Grigg ont également collaboré afin de souligner subtilement les différences de classes sociales entre les femmes du film. La chef coiffeuse et maquilleuse déclare : « Nous voulions montrer que certaines femmes étaient pauvres et que d’autres vivaient plus confortablement. Par exemple, le maquillage d’Helena Bonham Carter est plus sophistiqué car Edith travaille dans une pharmacie. »

Elle poursuit : « À l’inverse, les filles qui vivent dans les quartiers pauvres et travaillent à la blanchisserie ont l’air négligées, elles ont des cernes, les mains à vif et leurs cheveux n’ont pas été lavés depuis des mois. Si elles sont aussi crédibles, c’est que les actrices qui les interprètent ont accepté avec courage d’apparaître à l’écran sans aucun artifice pour camoufler leurs imperfections. » Jane Petrie a cependant dû réaliser certaines tenues pour le personnage d’Helena Bonham Carter. Elle explique : « Pour incarner Edith, Helena avait besoin de costumes dans lesquels elle pourrait réaliser des cascades. Edith faisant partie des plus militantes du mouvement, nous voulions qu’elle porte des pantalons. Elle emprunte en effet ceux de son mari pour aller poser des bombes. Elle enseigne le ju-jitsu et a beaucoup voyagé, elle possède plein de traits de caractère très intéressants qu’il est impossible de ne pas explorer en tant que chef costumière. Nous tenions donc à les souligner sans en faire trop. » L’allure d’Edith contraste avec le style sévère d’Emmeline Pankhurst, interprétée par Meryl Streep.

Jane Petrie explique : « Emmeline Pankhurst s’habille à la mode édouardienne mais elle est également très influencée par le mouvement Arts & Crafts. Ses vêtements sont recouverts de broderies, il y a toujours quelque chose qui pendouille ! Il a évidemment fallu que je pose des limites car je ne tenais pas à ce que ses tenues prennent le pas sur son discours. Nous voulions que ses costumes respirent la féminité et la douceur, nous nous sommes donc inspirés du style de l’époque – et notamment de la mode des manches amples – que nous avons légèrement épuré. Nous nous sommes contentées de structurer un peu ses tenues. » Alors que Maud s’implique davantage dans le mouvement, sa garde-robe se diversifie car elle porte des vêtements qu’on lui donne ou qu’elle emprunte à ses nouvelles amies de toutes classes sociales. Carey Mulligan commente : « Jusqu’alors, les femmes de classes différentes ne se mélangeaient pas. Le mouvement pour le suffrage des femmes leur a permis de se parler pour la première fois dans un véritable esprit de communauté et de générosité. Et cela se reflète dans leurs tenues. D’une certaine manière, Maud devient une femme grâce à cette lutte, elle dit ce qu’elle a à dire sans attendre qu’on lui en donne la permission. »

Avant l’apparition des suffragettes, le mouvement était largement dominé par les femmes de la bourgeoisie et de la classe moyenne. Mais ces dernières ont pris conscience qu’elles devaient mobiliser la société dans son ensemble – elles avaient besoin d’agents de terrain, peu importe leur origine sociale ou leur niveau d’éducation. L’actrice reprend : « Les ouvrières se sont mises à tenir des meetings, à parler et à se faire entendre. Elles ont enfreint de nombreuses règles. » Sian Grigg et Jane Petrie se sont assurées qu’il y ait toujours des femmes androgynes au style moderne dans les scènes de foule. La chef coiffeuse et maquilleuse explique : « Les suffragettes rassemblaient des personnes très différentes et de toutes origines sociales, mais elles avaient toutes en commun d’être des femmes. Edith, le personnage d’Helena, n’aurait jamais été amie avec Maud, incarnée par Carey, si elles ne s’étaient pas rencontrées en luttant pour la même cause. »

Elle confie : « J’ai pleuré en lisant le scénario. J’ai été traversée par toutes sortes d’émotions, notamment la fierté. J’ignorais combien ces femmes s’étaient battues pour nous et tout ce qu’elles avaient sacrifié à cette cause au siècle dernier. C’est incroyable. Il n’est pas étonnant que nous ne sachions pas grand-chose à leur sujet car la presse n’a évidemment pas beaucoup parlé d’elles à l’époque. Personne ne devait savoir combien ces femmes étaient maltraitées. » 

CONTINUER LE COMBAT

La productrice Faye Ward déclare : « LES SUFFRAGETTES est un film sur les femmes, des femmes qui veulent se faire entendre et sont prêtes à se battre pour cela, mais il s’adresse à tous ceux – hommes et femmes – qui croient à la justice sociale, à l’égalité et au besoin de chaque être humain de se sentir valorisé. » Abi Morgan ajoute : « Le terme « féministe » a longtemps été considéré comme péjoratif, mais ça n’aurait jamais dû être le cas. Ce film nous incite à revendiquer notre féminisme, à libérer la suffragette qui sommeille en nous et à la placer sur le devant de la scène. LES SUFFRAGETTES a permis à toutes celles qui ont pris part au film de s’inscrire dans une longue lignée de femmes. »

Pour la scénariste, l’une des plus grandes difficultés a consisté à exprimer le poids des inégalités qui pèse sur ses héroïnes. Elle explique : « Cela m’a fait prendre conscience de la liberté dont jouissent les femmes de ma génération, mais aussi qu’à bien des égards, nous sommes les premières à en bénéficier. Pour autant, je suis tout à fait consciente que les inégalités et le sexisme existent toujours. Même si les choses ont beaucoup changé en Occident, ce n’est pas le cas partout dans le monde, notamment au Nigeria, au Pakistan ou au Moyen-Orient. » Elle ajoute : « En écrivant ce film, j’ai également réalisé qu’au Royaume-Uni, nous avions besoin que plus de femmes s’engagent en politique et exercent leur droit de vote. » Pour Carey Mulligan : « Ce film ne raconte pas une histoire sur une époque révolue, sans lien avec ce que nous vivons aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’un évènement historique figé dans le passé mais d’un mouvement général qui est toujours d’actualité. »

LONDRES ET LES SUFFRAGETTES

En 1900, les femmes militaient pour obtenir le droit de vote aux élections législatives depuis plus d’un demi-siècle. Mais 50 années de manifestations pacifiques n’avaient pas permis au mouvement de provoquer la mise en oeuvre de réformes, et les femmes, tout comme les prisonniers, les fous et les mendiants, étaient toujours exclues du processus parlementaire. En 1903, la campagne pour le droit de vote des femmes a été dynamisée par la création de l’Union sociale et politique des femmes (Women’s Social and Political Union ou WSPU). Fondée à Manchester par Emmeline Pankhurst et ses filles, la WSPU avait pour but de « sensibiliser la nation » à la cause du suffrage des femmes à travers « les actes et non les mots ».

Le transfert du siège de l’Union à Londres en 1906 a transformé le mouvement, et au cours des huit années suivantes, dans les rues du Londres édouardien, le combat des suffragettes a pris une tournure publique et parfois violente. La WSPU a investi les rues de la capitale britannique à une époque où les femmes n’avaient pas voix au chapitre dans la vie publique, leur seul rôle dans la société étant celui de mère et d’épouse. Les Pankhurst ont éveillé chez leurs sympathisantes un « esprit de révolte » remettant directement en cause le rôle dominant des hommes en plaçant les femmes à l’avant-garde de la vie publique. En descendant dans la rue, les suffragettes ont ainsi fait parler de leur cause. Reconnaissables à leurs bannières violettes, blanches et vertes, elles sont devenues une présence familière dans le centre de Londres. Des fanfares annonçaient leurs défilés tandis que leurs meetings et rassemblements étaient médiatisés à travers des tracts et des dessins à la craie sur les trottoirs.

En politisant leur combat, les suffragettes ont ainsi pu maintenir une présence constante dans les plus hauts lieux du pouvoir britannique en adressant des pétitions au Premier ministre, en interrompant les discours des députés et en s’enchaînant aux grilles des bâtiments publics. En s’installant à Londres, l’Union a également donné une dimension internationale à la lutte pour le droit de vote des femmes, ce qui lui a permis d’organiser de gigantesques manifestations destinées à convaincre le gouvernement qu’il s’agissait d’un mouvement d’ampleur massivement soutenu. En juin 1908, Women’s Sunday, le premier meeting d’ampleur tenu par la WSPU dans la capitale, a rassemblé des suffragettes venues des quatre coins du pays qui ont défilé en 7 processions différentes en direction de Hyde Park. Les manifestantes, originaires de plus de 70 villes différentes, sont arrivées à Londres dans des trains spécialement affrétés et ont pu écouter plus de 80 intervenantes à Hyde Park.

Cette manifestation hautement chorégraphiée a attiré jusqu’à 300 000 curieux, captivés par le spectacle pittoresque des suffragettes habillées dans leurs trois couleurs emblématiques et portant plus de 700 bannières brodées. On a ensuite pu lire dans le Daily Chronicle : « Jamais un défilé politique n’avait attiré une telle foule à Londres. » Le couronnement de George V, trois ans plus tard, a inspiré la WSPU, qui a organisé sa propre cérémonie d’intronisation dans l’espoir d’obtenir le soutien du nouveau roi. La procession des suffragettes sur plus de 6 kilomètres à travers les rues du centre de Londres s’est achevée par un rassemblement au Royal Albert Hall, auquel ont participé plus de 60 000 représentantes de groupes de suffragettes régionaux et internationaux en costumes nationaux et historiques. La campagne des suffragettes a été dirigée depuis le siège de l’Union sociale et politique des femmes, initialement situé au 4 Clement’s Inn, près du Strand, puis à partir de 1912, à Lincoln’s Inn, aux abords de Kingsway. Les employées et volontaires de la WSPU organisaient des collectes de fonds, des réunions publiques et des manifestations, et éditaient l’hebdomadaire Votes for Women qui, en 1909, était distribué à 22 000 exemplaires.

L’Union comptait 90 sections à travers le Royaume- Uni, dont un total de 34 antennes locales à Londres. Les membres de ces sections tenaient régulièrement des meetings, organisaient des collectes de fonds et soutenaient le travail du siège en participant aux manifestations et processions nationales. En 1910, la maison d’édition de l’Union, baptisée The Woman’s Press, s’est installée au 156 Charing Cross Road. Choisis pour leur proximité avec Oxford Street, les locaux comprenaient une boutique où étaient vendus des badges, des livres, des cartes postales et du papier à lettres aux couleurs des suffragettes. Le succès commercial de l’entreprise a permis l’ouverture de 19 boutiques similaires à Londres, des quartiers de Chelsea et Kensington à l’ouest, à Streatham et Wandsworth au sud, en passant par Mile End et Limehouse à l’est et Hampstead et Kilburn au nord. L’Union sociale et politique des femmes était un vaste mouvement, mais ses membres les plus actifs et les plus militants étaient des femmes jeunes et célibataires avec peu de responsabilités. Elles avaient plus de temps à consacrer à la campagne ainsi que le courage et l’état d’esprit nécessaires pour entreprendre des actions qui pouvaient les mener en prison.

Plus de mille suffragettes, dont Emmeline Pankhurst et ses filles, Christabel, Sylvia et Adela, ont été emprisonnées pour leur militantisme. La plupart étaient envoyées dans la prison de Holloway, au nord de Londres, où elles protestaient contre leurs conditions de détention en refusant de manger mais étaient nourries de force. En 1912, la WSPU a opté pour un mode d’action plus violent en s’attaquant aux biens matériels et en perturbant l’ordre publique londonien. Une campagne de vandalisme organisée par 150 suffragettes en mai 1912 a valu aux vitrines du quartier commerçant de Londres d’être saccagées, ce qui a fait dire à Emmeline Pankhurst que cette action éclair resterait longtemps gravée dans la mémoire des Londoniens. La dégradation d’oeuvres d’art, notamment de la « Vénus à son miroir » de Vélasquez à la National Gallery, a valu aux femmes d’être interdites d’accès à de nombreuses galeries d’art et musées de Londres. Leurs actions provoquaient souvent des confrontations avec la police et le public, et donnaient lieu à des bagarres.

Nombre de leurs opposants voyaient le militantisme des suffragettes comme une menace pour l’équilibre social et sexuel d’une société où hommes et femmes évoluaient jusqu’alors dans deux sphères distinctes. Les suffragettes étaient souvent qualifiées de femelles hystériques coupables de mettre à mal l’image de la femme idéale, pure et féminine destinée à devenir mère. Photographiées par la presse nationale en train d’être arrêtées, de scander des slogans, de s’enchaîner à des grilles et de prononcer de vibrants discours politiques en public, elles étaient également raillées dans la culture populaire et représentées comme de vilaines harpies travesties en hommes. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale a provoqué l’arrêt des actions militantes : les suffragettes se sont alors consacrées à l’effort de guerre. Mais en faisant entendre leurs revendications dans les rues et en concentrant leurs actions sur Londres, les Pankhurst ont revigoré le mouvement pour le suffrage des femmes et insufflé à leurs sympathisantes une confiance et un esprit d’indépendance qui leur a fait remettre en question la société patriarcale dans laquelle elles vivaient. Leur travail a permis aux femmes de prendre un rôle plus actif et public dans la société durant le conflit. Leur contribution à l’effort de guerre a prouvé que les femmes étaient non seulement vitales pour la victoire, mais également pour le succès économique du pays à long terme – une valeur reconnue en 1918 lorsque les femmes propriétaires de plus de 30 ans ont obtenu le droit de vote aux élections législatives.

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