samedi 5 octobre 2019

JOKER


Drame/Un film fort et intense qui laisse KO

Réalisé par Todd Phillips
Avec Joaquin Phoenix, Robert De Niro, Zazie Beetz, Frances Conroy, Brett Cullen, Shea Whigham, Bill Camp, Douglas Hodge, Dante Pereira-Olson, Carrie Louise Putrello, Glenn Fleshler... 

Long-métrage Américain/Canadien
Durée : 02h02mn
Année de production : 2019
Distributeur : Warner Bros. France 

Date de sortie sur les écrans américains : 4 octobre 2019
Date de sortie sur nos écrans : 9 octobre 2019

Lauréat du Lion d’Or à la Mostra de Venise


Résumé : le film, qui relate une histoire originale inédite sur grand écran, se focalise sur la figure emblématique de l’ennemi juré de Batman. Il brosse le portrait d’Arthur Fleck, un homme sans concession méprisé par la société.

Bande annonce (VOSTFR)


Ce que j'en ai penséle réalisateur Todd Phillips se lance dans le drame avec JOKER et c’est un uppercut pour les spectateurs. Tout en nous donnant des points d’accroche dans l’univers du célèbre homme chauve-souris, il crée une tragédie qui existe complètement en dehors et qui serait auto-suffisante si on en retirait toute référence à Batman. Il ne faut pas s’attendre à un film de super-héros, ce n’en est pas un ou alors c’est un chamboulement total de tout ce que l’on a connu jusqu’à présent. 

Todd Phillips, le réalisateur du film JOKER

Le réalisateur nous dépeint une descente aux enfers intimiste. Il déroule la bobine du fil de la folie qui étrangle son protagoniste, Arthur, jusqu’à ce que son dernier souffle de lien avec un semblant de santé mentale soit anéantit. La musique du compositeur Hildur Guðnadóttir vient enfoncer le clou sur le poids du mal-être, pour le rendre palpable. 

Le réalisateur fait preuve d’une maîtrise impressionnante de ses plans et de ses atmosphères. Il situe son action dans un Gotham qui ressemble à s’y méprendre au Manhattan des années 80. On sent d’ailleurs aux codes couleurs, aux vêtements, aux décors que l’on est dans un passé récent qui n’entame en rien les parallèles avec le monde d’aujourd’hui. Il accompagne l’évolution subtile de son protagoniste avec sa caméra. Il le filme de façon à ce qu’il paraisse toujours petit dans son environnement puis au fur et à mesure qu’Arthur se révèle à lui-même, le réalisateur lui octroi plus de place jusqu’à le faire dépasser du cadre. Il y a donc un véritable accompagnement visuel pour nous faire comprendre le cheminement intérieur de cette âme démente. C’est un film sombre, dur, qui dénonce des problèmes sociétaux. Todd Phillips utilise Arthur comme une métaphore de tout ce qui est cassé, il en fait le symbole des rejetés.

Le réalisateur a trouvé en Joaquin Phoenix un moyen de transmission incroyable. L’acteur effectue un travail de funambule hors norme sur un fil ultra fin. Son protagoniste Arthur Fleck est hyper pathétique, mais Joaquin Phoenix lui évite toujours le ridicule et le rend bizarrement très attachant parce qu’on comprend sa souffrance, qu’il exprime d’ailleurs également physiquement par une maigreur douloureuse à regarder. Il réussit même à faire fonctionner un peu d’humour noir qui nous fait rire tout en nous mettant mal à l’aise. On peut se retrouver quelque part dans son ressenti d’exclu, dans cette agressivité permanente qu’il doit affronter. On n’adhère pas à la part violente du personnage (ni la sienne, ni celle des autres), mais on sait que c’est l’histoire de ce protagoniste fictionnel et elle fait sens dans le cadre construit ici. Voir Arthur peu à peu glisser vers sa vérité, sa réalité, cette révélation qui le rend léger et qui prend la forme du Joker est effrayant parce que cela sonne comme une sentence inévitable.






Les autres acteurs sont impeccables dans leur rôle qui sont secondaires, mais qui ont un impact dans le déroulement des événements. On comprend tout à fait la présence de Robert De Niro dans le rôle de Murray Franklin, puisque ce personnage et le film font écho à La Valse des pantins (The King of Comedy), comédie dramatique réalisée par Martin Scorsese en 1983 et qui abordait déjà le thème de la folie et ce besoin d’exister dans le regard des autres. On retrouve ici des thématiques très similaires. 



Zazie Beetz interprète Sophie Dumond, une jeune femme qui croise Arthur et dans laquelle il voit une âme sœur. 


Frances Conroy interprète Penny Fleck, la mère d’Arthur. L’actrice laisse les possibilités exister au-delà de ce que son rôle montre à l’écran.


JOKER nous prend sans arrêt au dépourvu. Ce film est soigné, intense, avec une narration très précise. Il laisse songeur et, en même temps, il soulève beaucoup de questions. C’est une œuvre à part, qui prend ses racines dans une veine de cinéma indépendant et qui pourtant se raccroche vraiment à l’univers DC Comics et aux images qui ont fait la légende du Joker jusqu’à présent. C’est une expérience de cinéma qui enthousiasme tout en laissant KO et qu’il ne faut pas hésiter à vivre sur grand écran.

Copyright photos: © 2019 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved
Photos Credit: Niko Tavernise

NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
Ma mère me répète sans cesse de sourire et d'afficher un visage heureux…—Arthur Fleck 
Au début des années 1980, Gotham City est en ébullition. Mais il n’y a pas de forces obscures criminelles à l’œuvre, ni de grand patron de la pègre qui met tout en jeu pour servir ses propres intérêts. C’est plutôt une inquiétude quasi palpable qui frappe les habitants d'une métropole divisée entre les possédants et les plus pauvres, où les écarts de richesse sont devenus extrêmes et les tensions exacerbées par une longue grève de ramassage des ordures. Gotham est au bord du gouffre, et comme toute ville en faillite, le manque de fonds conduit à la suppression des services publics et des aides aux plus démunis.

Il ne s'agit ni du Gotham, ni du Joker qu’on a si souvent vus dans les bandes dessinées ou au cinéma depuis 80 ans. Au contraire, il s’agit là d’une histoire inédite sur l’origine de ce méchant tristement célèbre – le récit d’une époque trouble engendrant un homme qui, comme la ville qui l’a vu naître – ou sans doute à cause d’elle – se rapproche de plus en plus de l'abîme : Arthur Fleck.

"J’adore la complexité du Joker et je pensais que ça valait la peine d’explorer ses origines", déclare le réalisateur Todd Phillips. "Personne ne l’avait fait auparavant et même dans la légende [de DC Comics, NdT.], il n’y a pas de naissance officielle du personnage. Scott Silver et moi avons donc écrit une version du personnage complexe, montrant comment il évolue et finit par dégénérer. C’est ça qui m’intéressait, pas de raconter une histoire du Joker, mais une histoire sur la naissance du Joker".

Le film comprend tout juste assez de monuments emblématiques de Gotham, habilement cachés dans son paysage urbain lugubre pour permettre au public de se repérer. Le décor laisse ainsi la place à l’interprétation hypnotique et sans concession de Joaquin Phoenix : grâce à la force émotionnelle de son jeu, on s'embarque dans le périple d’Arthur à travers la ville et ses facettes les plus sombres. "On tenait à aborder l’empathie et, plus encore, l'absence d’empathie omniprésente dans le monde d’Arthur", explique Phillips.

"Par exemple, dans le film, on voit une différence dans le regard qu'enfants et adultes portent sur Arthur, parce que les enfants n’ont pas de filtres : ils ne font pas de distinction entre riches et pauvres, et contrairement aux adultes, ils n’ont pas la notion de marginalité. Ils considèrent simplement Arthur comme un homme qui essaie de les faire sourire. Ce n’est pas inné : on apprend à devenir intolérant et, malheureusement, c’est une disposition qu’on acquiert très vite", poursuit-il.

"Il commence par vouloir faire rire les gens et essayer de leur rendre le sourire, et c’est pour cela qu'il est clown et qu’il rêve de devenir comique. Il veut seulement apporter de la joie dans ce monde. Mais l’environnement toxique de Gotham le brise peu à peu, avec son manque de compassion et d’empathie et la disparition de tout civisme. C’est cela qui façonne le Joker", déclare Silver.

L'Arthur créé par Phillips et Silver est plongé dans un cycle fatidique d’erreurs de jugement. Même le rire incontrôlé et déplacé d’Arthur, qui gagne en puissance quand il tente de le contenir, lui vaut l'hostilité de ceux qu’il croise au quotidien, ce qui l’expose encore plus aux moqueries et l'isole des habitants de Gotham. "De nos jours, son syndrome serait reconnu mais à l’époque à laquelle se déroule l’histoire, ce n’était pas vraiment diagnostiqué, même s’il s’agit bien d’une maladie réelle", constate le réalisateur.

Phoenix reconnaît que, même pendant le tournage, "il y a eu des moments où j’ai éprouvé de la peine pour lui : j’ai d’ailleurs eu l’impression de comprendre ses motivations, et puis l’instant d’après, j’étais écœuré par ses décisions. Ce n'était pas un personnage facile à jouer et je savais qu’il allait mettre le public mal à l’aise et bousculer ses idées préconçues sur le Joker, car, dans son univers fictionnel comme dans notre monde réel, tout n’est pas noir ou blanc".

"On parle souvent du sommet de l’iceberg mais rarement de ce qui se cache en-dessous, de ce qui peut y conduire", ajoute Phillips. "Arthur est le genre de type sur lequel on ne se retourne pas, voire qui pourrait se faire marcher dessus. Avec ce film, on espère pousser les gens à aller au-delà des apparences".

Ce sont ces sujets, ainsi que la passion du réalisateur pour le cinéma, qui ont contribué à faire de ce film une œuvre singulière. "Je me suis inspiré des drames psychologiques que je regardais quand j'étais jeune. L’esthétique, l’atmosphère, le ton de ces films prenaient tout leur sens pour ce projet", dit-il.

Pour Phillips, il s'agissait de se replonger dans les années 1970 et 1980, à l'époque de grands classiques comme SERPICO, TAXI DRIVER ou NETWORK, MAIN BASSE SUR LA TÉLÉVISION. "On a intégré quelques éléments propres à cette esthétique dans une ville de Gotham ravagée, aux alentours de 1981, pour faire référence à cette époque tout en s’éloignant de l'univers des comics auquel on est tellement habitué au cinéma de nos jours".

Phillips a non seulement souhaité que ce soit Phoenix qui campe le rôle mais il l'a écrit avec l’acteur en tête. "Les personnages joués par Joaquin sont marquants mais, ce qui me plaît chez lui, c’est son style et son côté imprévisible qui colle parfaitement au personnage", poursuit-il. " Quand d’autres ont besoin de tout calculer, Joaquin, lui, improvise et semble jouer du jazz. Il fait partie des plus grands, il n’a peur de rien, son travail illustre son courage et sa vulnérabilité, et je me suis dit que, s'il nous donnait son accord, on pourrait faire de ce film une œuvre à part".

L’acteur avait jusque-là refusé de participer à des films qui puissent être qualifiés de genre mais a été intrigué à la lecture du script. "Je me suis dit que c’était audacieux, complexe et radicalement différent de ce que j’avais pu lire jusqu’alors. Todd a une façon unique d’envisager les choses et c’est parfait pour un film comme celui-ci", détaille Phoenix. "Quand je travaille avec un metteur en scène, je tiens à ce qu’il ait une vision singulière du sujet et personne d’autre que Todd n’aurait pu faire ce film".

La trajectoire d’Arthur est à la fois réaliste et fantasmatique. Phillips se souvient que Silver et lui l’ont écrite "sur une année, dans un petit bureau, à New York", en commençant tout d’abord par réfléchir à la manière dont un type des plus banals pouvait devenir aussi maléfique et malveillant. "Dans notre version, un type qui tombe dans un bain d’acide n’est pas crédible – même si je pense que c’est intéressant – et on a donc continué à tout envisager à travers le prisme de la réalité", dit-il. "Par souci de cohérence par rapport à notre récit, on s'est demandé pourquoi il porte ce maquillage quand il se transforme en Joker. Comment a-t-il eu l'idée de ce maquillage et comment se l'est-il procuré ?"

"Puis, bien évidemment, on a dû se demander comment il a l'idée de travailler comme clown et on a décidé que c’était parce que sa mère lui répétait toujours qu’il devait procurer de la joie et du rire au monde entier. Tout est parti de là", poursuit-il.

Outre les attentes esthétiques propres au personnage, on retrouve, depuis 80 ans, un trait de personnalité distinctif à travers les bandes-dessinées et les films mettant en scène le Joker – un élément que Phillips et Silver tenaient à reprendre dans leur récit : la capacité du personnage à être un narrateur classique mais à qui on ne peut jamais totalement faire confiance. "On a une immense liberté avec un narrateur dont les propos ne sont jamais totalement fiables, et plus encore quand il s’agit d'un être aussi dépravé et menteur que le Joker", note le réalisateur en évoquant son narrateur, dont la propension à mêler fiction et réalité imprègne la matière même du film. "Il va jusqu'à déclarer dans le comic 'Batman : The Killing Joke' : 'Si je dois avoir un passé, je préfère en choisir un parmi plusieurs versions' ". Au final, la trajectoire du Joker et son identité sont tributaires du prisme à travers lequel on envisage le le film. On n’obtient pas toutes les réponses et c’est ce qui est si passionnant chez un tel personnage".

Pour concrétiser sa vision de JOKER, Phillips a décidé de tourner l'essentiel du film en décors réels, dans la ville qui a inspiré Gotham au départ – New York dont le réalisateur est originaire – et dans le New Jersey voisin. Pour y parvenir, ils ont sollicité l’aide de la productrice Emma Tillinger Koskoff, experte dans les tournages de la région, et capable de faire jouer ses contacts pour réunir l’é quipe la plus formidable qui soit. "Emma est l’une des grandes productrices à New York et on a eu de la chance de collaborer avec elle", confirme Phillips.

Emma Tillinger Koskoff ne s'est pas contentée d'organiser et de gérer les moindres aspects logistiques du tournage. "Todd avait une vision unique et inspirée de son projet en matière d’esthétique et d’atmosphère", déclare-t-elle. "Mon rôle a consisté à l'accompagner pour donner vie à cette vision et à créer une ambiance appropriée sur le tournage afin qu’il puisse se concentrer sur les acteurs et la mise en scène. Todd et moi avons eu la chance de travailler avec une équipe formidable – les meilleurs de New York. Tous nos collaborateurs se faisaient confiance et se respectaient, si bien que Todd pouvait prendre des décisions rapidement et laisser libre cours à sa créativité. C’était un privilège de voir Todd et Joaquin collaborer à ce film à couper le souffle".

L’équipe artistique de Todd Phillips comprend aussi le directeur de la photographie Lawrence She r pour leur 6ème film ensemble ; le chef-costumier Mark Bridges, qui a déjà travaillé à plusieurs reprises avec Joaquin Phoenix ; le chef-monteur Jeff Groth, fidèle collaborateur du cinéaste, et la compositrice Hildur Guðnadóttir, qui a commencé à envoyer à Phillips des morceaux inspirés du scénario avant même que le premier plan du film ne soit tourné.

"C’est toujours extraordinaire de faire un film quand on a des collaborateurs d’un tel talent, et on a eu les meilleurs sur ce film", signale le réalisateur.

Des propos qui peuvent s’appliquer également aux comédiens présents à l’écran, puisque, dès les cinq premières minutes du film, on découvre celui qui incarne le rêve de tout directeur de casting : Robert De Niro. L’acteur légendaire prête ses traits à Murray Francklin, le présentateur d’une émission de deuxième partie de soirée qu’Arthur vénère et qu’il considère, sans le connaître, comme un comique de la même trempe que lui. Nombre d’aspirants comiques le savent : être invité à passer dans ce genre d’émission peut changer la vie du tout au tout et c’est le désir le plus cher d’Arthur…
"Elle m’a dit que j’avais une mission dans la vie : mettre du rire et de la joie dans ce monde". —Arthur Fleck

Acteurs et personnages

Dans l'une des premières scènes, Arthur est en rendez-vous avec une assistante sociale qui lui demande s'il se sent aidé d’avoir quelqu’un à qui parler. Peu importe la réponse d'Arthur : il est évident, rien qu'à son regard, qu’elle n’est pas cette personne. Mais dans le même temps, on ne sait pas trop si quiconque pourrait trouver grâce à ses yeux. "Arthur a toujours du mal à savoir ce qu’il veut dire et comment il veut l’exprimer", explique Phoenix. "Ses instincts ne sont pas compatibles avec les conventions sociales en matière de conversation et de rapports humains… avec quoi que ce soit, à vrai dire".
Arthur ne tardera pas à comprendre ce qui explique son comportement, confie Phillips, mais quand on le voit pour la première fois, "Arthur est le genre de type à vouloir se conformer aux attentes des autres, 'Je vais faire ce qu’on attend de moi, je vais être bien comme il faut, prendre le bus et m’asseoir sagement et ne pas déranger', et ainsi de suite". Mais tel un chien qui a été battu par son maître, tôt ou tard, tout finit par basculer. "Il y a toujours quelque chose en lui qui le pousse à revenir à sa vraie nature, à celui qu’il va devenir, et au cours de l’histoire, on le voit peu à peu prendre le dessus".

La vraie nature d’Arthur est complexe. Il s'essaie au stand-up, carrière dont il rêve et pour laquelle il observe d’autres comiques, espérant s’approprier leur ton et leur rythme. Il désire, comme eux, pouvoir hypnotiser les spectateurs avec ses remarques pleines d’esprit et se faire d’autant mieux accepter grâce à leurs applaudissements. "Malheureusement, son regard sur le monde et son humour ne fonctionnent pas. Il ne comprend pas ce qui fait rire les gens et n’est pas non plus capable de s'adapter", précise Phoenix.

Accomplissant la prophétie auto-réalisatrice de sa mère qui le surnommait "Happy" – et bien avant qu’Arthur n’ose s’essayer au stand-up –, on le voit travailler pour la société Ha-Ha’s comme hommesandwich déguisé en clown. Il sillonne ainsi différents quartiers de la ville mais, où que ses pas le mènent, il est systématiquement contraint de grimper de longues marches avant de rentrer chez lui.

Ces marches, réelles ou métaphoriques, apparaissent régulièrement dans le monde d’Arthur, qu'il s'agisse des escaliers qu’il arpente ou des étapes qu’il franchit lorsqu’il applique son maquillage d’Happy. Ce sont des indicateurs des nombreux passages qu’il doit encore emprunter pour se métamorphoser et trouver sa vraie nature au cours du film.

L’évolution du personnage s’est surtout manifestée par la préparation suivie par Phoenix p our le rôle, une approche cérébrale qu’il a ensuite transposée sur le plan physique. Dans le film, sur les conseils de l’assistante sociale, Arthur tient un journal qui comporte ses des sins, sa prose et ses fantasmes. Pendant la prépa, Phoenix a lui-même écrit à plusieurs reprises dans ce journal. "J’ai écrit dans le journal d’Arthur, quand Todd m’a envoyé un message au sujet d’un ensemble de marches dans l’histoire. Ça m’a poussé à écrire 'pas à pas à pas', encore et encore, page après page, et puis c’est ensuite devenu un leitmotiv qu’on s’envoyait par SMS".

Au début du film, Arthur monte les marches, très voûté. En effet, Phillips avait suggéré que le personnage marche d'un pas lourd, comme s'il portait le poids du monde sur ses épaules. Cependant, lorsqu’il les redescend par la suite, Arthur semble radicalement différent.

Peu importe la préparation, déclare Phillips, "toute préparation disparaît dans l’interprétation. Joaquin est tellement méthodique qu’il n’y a pas un moment où on le voit passer d’Arthur au Joker : c’est très subtil et accompli de manière très progressive".

L’acteur a aussi montré son investissement dans le rôle en acceptant de modifier son allure physique et a ainsi perdu plus 23 kilos, ne mangeant guère plus qu’une pomme par jour. C'était, comme il le reconnaît, l'idée de Phillips : "Je voulais qu’il ait l’air d’avoir faim et en mauvaise santé, comme un loup efflanqué", précise le réalisateur.

Phoenix et Phillips ont noué une vraie complicité au cours du tournage, découvrant et affinant ensemble leur perception de la nature schizophrène d’Arthur. Conscients que la narration était assurée par un homme aussi peu fiable que le Joker, qui émerge peu à peu de cet homme de plus en plus désespéré et asocial, ils ont choisi de laisser la vérité profonde d’Arthur Fleck sujette à interprétation – à l'instar du propre parcours d’Arthur.

"Parfois, je me disais qu’Arthur ne serait pas mécontent de voir sa trajectoire modifiée, ne s erait-ce que pour changer le regard que porte la société sur lui, mais à d’autres moments, j'estimais qu’il l’aurait luimême modifiée, car c’est son fonctionnement profond", pondère l’acteur. "D’habitude, c’est frustrant de ne pas comprendre les motivations des personnages. Mais avec celui-ci, c'est libérateur car tout devient possible. En travaillant avec Todd sur une scène, on se rendait compte que si on ne trouvait pas de manière intéressante de l’explorer, on n’était pas satisfaits du résultat".

Leurs échanges se sont poursuivis tout au long du tournage et tard le soir, après chaque journée de travail. "On passait des heures au téléphone ou à s’envoyer des messages au sujet des scènes du lendemain et, le week-end, on se retrouvait pour préparer les scènes de la semaine à venir", se souvient Phoenix. "Pendant tout le tournage, j’ai eu l’impression que nous étions fusionnels. Si l’un de nous ne se sentait pas inspiré, on pouvait compter sur l’autre pour être stimulé et c’était très gratifiant".

Arthur vit avec sa mère, Penny Fleck, une femme chétive, et il lui est dévoué corp s et âme. Si Penny habite dans le même minuscule appartement, elle est en réalité perdue dans son propre univers mental. Quand elle ne regarde pas la télévision, elle passe en revue tous les problèmes propres à Gotham avant d'écrire des lettres à Thomas Wayne. Étant donné qu'elle a travaillé pour lui trente ans plus tôt, elle est convaincue que le riche homme d’affaire qui souhaite se présenter aux municipales va l’aider dès qu’il saura dans quelles conditions elle vit.

Frances Conroy, qui incarne cette femme assez fragile, s'est montrée admirative du degré d'investissement de Phoenix dans son rôle. "Il est d’un naturel calme, il ne fait qu'un avec son personnage et avec ses partenaires", fait-elle remarquer. C’est presque comme si, ajoute-t-elle, "je connaissais Arthur et non Joaquin. Il disparaît derrière le personnage, il s’efface et ne vit que dans l'instant de la scène".

Élevé quasi exclusivement par une mère narcissique, Arthur peine à trouver sa place dans le monde et il a également douloureusement conscience d’être quasiment invisible aux yeux des autres, y compris de sa génitrice, qui l’appelle encore Happy, si tant est qu’il ait jamais été heureux... Arthur aspire à pouvoir parler à quelqu’un, n’importe qui, et il lui tarde d’être reconnu et de se se ntir enfin exister. Tous les soirs, Penny et lui regardent ensemble l'émission "Live with Murray Franklin" et il rêve d’être invité à cette émission. Être adoubé par ce présentateur est tout ce dont un comique a besoin pour devenir une star à Gotham. Mais un professionnel patenté comme Murray est prêt à rire de tout et aux dépens de n’importe qui.

Robert De Niro campe Franklin, inspiré par de nombreux présentateurs comme Joe Franklin et Johnny Carson. Phoenix se rappelle leur premier jour ensemble sur le plateau. Pour l'occasion, les deux hommes devaient tourner une longue scène. "On s’imagine qu’on va lui poser toutes sortes de questions, car, après tout, c’est Robert De Niro ! On est vraiment exalté quand l’opportunité se présente, et puis on prend conscience qu’on a une scène de neuf pages à jouer et qu'on n’a pas le temps. Aucune chance de lui demander quoi que ce soit !", raconte Phoenix avec humour.

Phillips a adopté une approche totalement différente lorsqu’il a rencontré cette légende du cinéma : "Je me suis rendu dans son bureau avant le tournage et lui ai clairement dit, 'Écoutez, il faut que je passe dix minutes à vous poser toutes ces questions que j’ai préparées et ensuite, c’est promis, je redeviendrai professionnel'. On a fini par discuter pendant au moins vingt minutes et c’était merveilleux".

Tandis qu'il aspire à être aimé, Arthur fantasme aussi sur sa voisine Sophie Dumond. Il en pince pour elle mais comme un adolescent qui ne vit que pour l’apercevoir.

"Sophie et sa fille vivent au bout du couloir, en face de chez les Fleck, et elle croise Arthur dans l’ascenseur, rien de plus normal", développe Zazie Beetz, qui incarne la mère célibataire d’une fillette de cinq ans. "Elle élève sa fille seule et ce n’est sans doute pas facile tous les jours. Pourtant, elle voit qu’il a du mal à communiquer avec les autres et qu’il n’a pas l’air sûr de lui. Elle se montre donc ouverte et lui sourit comme on le ferait avec n'importe quel voisin".

L’actrice a apprécié de travailler avec Phoenix. "J’ai toujours beaucoup admiré le talent de Joaquin et je trouve que c’est l’un des meilleurs acteurs de sa génération", déclare-t-elle. "Je n’avais jamais vécu une telle expérience auparavant", ajoute-t-elle en se montrant tout aussi élogieuse à l'égard de Phillips. "C'était un vrai travail d'équipe".

Brett Cullen campe Thomas Wayne, candidat aux municipales et figure paternelle solitaire qu’Arthur tente d’approcher sans succès à plusieurs reprises. Quant à Douglas Hodge, il incarne Alfred Pennyworth, l’homme de main de Wayne engagé pour protéger le manoir contre des intrus comme Arthur.

Parmi les autres comédiens venant compléter le casting, citons Shea Whigam et Bill Camp sous les traits des inspecteurs Burke et Garrity du Département de la Police de Gotham ; Glenn Fleshler dans le rôle de Randall et Leigh Gill dans celui de Gary, les clowns travaillant aux côtés d’Arthur ; Josh Pais dans celui du patron de Ha-Ha's, Hoyt Vaughn ; Brian Tyree Henry dans celui d'Arkham Clerk Carl ; et Marc Maron dans celui du producteur du "Murray Franklin Show", Gene Ufland. Enfin, les humoristes Gary Gulman et Sam Morril apparaissent en comiques de stand-up sur la scène d’un club.
"Je me fais des idées ou c’est de plus en plus la folie ?" —Arthur Fleck

Décors / Lieux de tournage / Mouvements d'appareil

Pour mettre en exergue le conflit intérieur d’Arthur et sa perception déviante de la réalité, Phillips a cherché à ancrer le film dans un univers esthétique aussi réaliste que possible. "En tant que cinéaste, on a beaucoup d’outils à notre disposition pour dépeindre un univers et les lieux et décors sont très importants dans ce film. L'environnement d’Arthur occupe un rôle majeur dans sa vie. On a donc souhaité l’utiliser au maximum".

Il a travaillé en étroite collaboration avec le chef décorateur Mark Friedberg qui, comme Phillips, a grandi à New York et savait parfaitement quelle palette de couleurs le réalisateur recherchait. "Mark a passé au crible de vieilles photos de New York pour trouver le bon type de graffitis, de détritus et de voitures. Son souci du détail était hallucinant", fait-il remarquer.

"J’ai trouvé poignant que le Gotham créé par Todd et Scott soit un monde qui me parle – un monde rude et dur pour ses habitants les plus démunis", continue le chef décorateur. "Les dysfonctionnements, le gouffre entre ceux qui ont le pouvoir et les simples citoyens, c’est tout le New York de mon enfance. C’était sale, les services municipaux étaient soit en grève, soit corrompus. C’est ce que j’ai trouvé de plus frappant à ma première lecture du scénario et qui a été le point de départ de notre réflexion sur l’univers du Joker : il s'agit d'un Gotham qui n’est pas New York mais une entité urbaine à part entière, une ville sombre, rude et brutale qui trouve ses origines dans notre passé collectif".

Phillips et collaborateurs ont longuement discuté de leur regard sur Gotham, qu'il s'agisse de la métropole représentée dans les albums de BD, au cinéma ou à la télévision. Pour les guider dans leur réflexion, puis par la suite dans la mise en scène concrète des pérégrinations quotidiennes d’Arthur, Friedberg a réellement dessiné une carte des transports de Gotham, en tout point semblable à celles affichées dans les stations de métro de New York. Son plan a d’ailleurs été utilisé dans ce but et affich é au mur d’un décor durant le tournage.

Bien que les auteurs aient veillé à ne pas ajouter trop d’éléments originels, ceux qu’ils ont repris ont été légèrement modifiés pour évoquer la ville telle qu’ils l’envisageaient. "On part toujours de quelque chose", dit Friedberg en souriant.

"L’asile d’Arkham de notre film s’appelle Hôpital d’Arkham, car on s'est dit que c'est comme ça qu'il se serait sans doute appelé", élabore Phillips.

Le Metropolitan Hospital Center de Harlem a servi pour ses intérieurs et pour les scènes se déroulant dans un service de pédiatrie. Les extérieurs ont eux été filmés à Sunset Park, à Brooklyn, dans le Brooklyn Army Terminal, un dépôt d’une centaine d’années à l’architecture emblématique du style industriel.

La difficulté a consisté à repérer des sites susceptibles de servir au tournage afin de figurer un Gotham des années 1970-1980, car "les bâtiments que l’on tentait de représenter n’existent plus, étant donné que les villes se sont peu à peu hérissées de gratte-ciels et de centres commerciaux tout en verre", explique Friedberg. "Pour trouver les extérieurs dont on avait besoin, on a fini par se rendre à Newark – où l’on a installé Gotham Square – et à Jersey City dans le New Jersey, et dans les banlieues voisines".

Pour aménager Gotham Square à Newark, un jeune artiste, Malcolm A. Rolling, a été engagé pour réaliser des peintures murales sur les façades des bâtiments le long des rues choisies pour les prises de vue des extérieurs. Les fresques devaient évoquer les thèmes du film et certaines se sont étendues sur presque tout un pâté d’immeubles.

La production a également tourné des scènes à Brooklyn au légendaire Kings Theater. Ce cinéma avait ouvert ses portes en 1929, mais a récemment été rénové et, dans le film, campe Wayne Hall. Les quartiers déshérités de Highbridge et de Kingsbridge du Bronx abritent l'immeuble où vivent Arthur et sa mère Penny, mais aussi la voisine Sophie que le protagoniste admire tout particulièrement.

Toujours dans le Bronx, on aperçoit à plusieurs reprises une longue série de marches qu'Arthur arpente encore et encore pour rentrer chez lui, comme s'il s'agissait pour lui d'une véritable corvée. "Todd souhaitait qu'on voie Arthur dans le quartier escarpé de South Bronx", explique Friedberg. "C'est ainsi qu'il grimpe péniblement les escaliers de la ville et qu'il sillonne les ruelles qui, dans ce quartier, ne forment pas un quadrillage. Du coup, ses repères sont chamboulés, ce qui correspond bien à l'intrigue. Quand on pense à New York, on ne s'imagine pas que les rues puissent être en pente, si bien que cela nous a offert une topographie inattendue et un style visuel bien spécifique". Un style visuel défini en collaboration avec le chef-opérateur Lawrence Sher. "Larry est sans doute mon collaborateur de création en qui j'ai le plus confiance et on a parcouru la planète pour tourner des films", affirme le réalisateur.

Sher signale : "Todd a des compétences à bien des égards incomparables. Il s'intéresse à l'écriture, au jeu des acteurs, à la mise en scène et au montage et il sait orchestrer ces quatre aspects de la fabrication d'un film de manière fluide, sans que l'un d'entre eux soit privilégié au détriment des autres. Très souvent, on tourne des plans larges et des plans de coupe et, à chaque fois qu'on travaille ensemble, il accorde sa priorité au jeu des comédiens. Pour autant, il réussit au montage à insérer dans les scènes des plans de coupe qui donnent au film une véritable ampleur cinématographique. Chacun pousse l'autre dans ses retranchements quotidiennement, si bien que c'est une grande satisfaction de travailler avec lui. C'est le genre de stimulation et de tension qui donne le jour à des petits bijoux. Il n'est pas question de laisser quoi que ce soit au hasard".

Grâce à cette complicité, les deux hommes se comprennent à demi-mot. "Comme il s'agit de notre sixième film ensemble, on parle essentiellement des idées que nous avons pour tel ou tel détail dans telle ou telle scène qui, par la suite, nous permettent de mettre en œuvre le film", indique Sher. "Sur ce film, je me souviens que Todd m'a parlé de son idée d'une 'identité fantôme' – le fantôme incarnant notre part d'ombre – et de la métamorphose d'Arthur en Joker. Ces deux termes – métamorphose et ombre – m'ont nourri et m'ont donné, très en amont du projet, une idée des thèmes qu'il souhaitait explorer dans le film. Grâce à ces indications, j'ai été en mesure de traduire ses intentions visuellement".

"Dans notre approche", poursuit-il, "il s'agissait de savoir comment mettre en scène un film qui, pour l'essentiel, est une étude psychologique sans se reposer sur les dialogues. Il fallait, à la limite, qu'on puisse voir le film en coupant le son et éprouver les mêmes émotions. Car au fond, l'interprétation de Joaquin est beaucoup dans la retenue et qu'il exprime énormément sans prononcer un mot". Selon le chef-opérateur, le choix de l'Alexa 65 a été déterminant à cet égard. "Une caméra grand format comme celle-ci permet d'isoler le personnage en jouant sur la faible profondeur de champ.

Du coup, Arthur se retrouve, pour ainsi dire, l'unique personnage de son monde, ce qui renforce l'idée qu'il est un paria et qu'il considère parfois qu'il n'existe même pas. Grâce à la caméra, on a pu mettre en exergue cette dimension de l'histoire, qu'il soit dans l'intimité de son appartement ou parmi d'autres personnes, parce qu'on a réussi à l'isoler au sein même de son environnement".

La plupart de ces scènes collectives se déroulent en extérieurs. Sher ajoute : "Todd, Mark et moi avons grandi à Manhattan et dans ses environs et on a tous les trois connu l'époque à laquelle se déroule le film, si bien qu'on s'en souvient très précisément et qu'on a pu s'en inspirer. Mais où trouver encore des endroits dans cette ville qui ne soient pas hérissés de gratte-ciels ? On voulait que dès le tout premier plan, le spectateur soit plongé dans notre Gotham du début des années 80 et ne se dise jamais qu'on était à Newark ! Mark a déniché des lieux qui étaient restés presque inchangés et qui pouvaient encore évoquer une époque révolue. Il a, bien évidemment, ajouté beaucoup d'ordures dans les rues et modifié les panneaux de signalisation et les devantures des magasins pour faire en sorte qu'on ait non seulement l'impression de changer d'époque, mais aussi d'atmosphère. À ce moment-charnière de l'histoire, Gotham est une ville sordide et envahie par les ordures".

"Qu'il s'agisse des plans larges de Gotham Square ou de ceux d'un type assis dans un bus ou en train d'arpenter Jerome Avenue sous la voie ferrée du métro aérien – ou encore du tout petit appartement d'Arthur –, Larry souhaitait montrer ce tout petit homme perdu dans un gigantesque univers, mais aussi le tout petit monde où évolue cet homme", note Friedberg. "Pour moi, il s'agissait de travailler aussi bien les vastes compositions que les textures spécifiques – et de représenter une petite puce se déplaçant dans les rues de la ville ou une cigarette en train de se consumer. Par exemple, si on pénètre dans de vieux immeubles d'habitation du Bronx, on est frappé par l'état extrême de ce qu'on y découvre – et par les odeurs tout aussi fortes – et, sur un plan esthétique, je trouve cela beau. Todd était prêt à ce que je m'inspire de cette radicalité pour accentuer l'authenticité des décors".

En témoigne la scène décisive où Arthur se réfugie dans des toilettes publiques qui s'est révélée un moment crucial pour Sher et son opérateur Steadicam Geoff Haley. "Dans notre fonctionnement à Todd et moi, on éclaire les décors et on laisse les acteurs investir les lieux pour qu'ils disposent d'une totale liberté de mouvement", souligne Sher. "Pour ce film, mon équipe s'attaquait à une scène sans savoir ce que Joaquin allait faire. Todd et Joaquin avaient parlé de la scène en amont, mais avec mon opérateur, on faisait une mise en place lui permettant de faire ce qu'il voulait et de laisser place à l'imprévu. Ça a commencé par la scène des toilettes – Todd et moi adorons les toilettes crasseuses et on trouve des scènes se déroulant dans des toilettes et des ascenseurs dans les six films qu'on a tournés ensemble. On a installé les différents éclairages – comme les lampes fluorescentes non corrigées –, on n'a pas répété les mouvements de caméra et quand on a commencé à tourner, on est restés focalisés sur Joaquin".

"Joaquin est extrêmement présent et investi dans la scène qu'il tourne", poursuit-il, "et du coup, en tant que directeur photo ou opérateur, on essaie d'être à la hauteur et de comprendre où il souhaite nous emmener. Mon opérateur et moi étions chacun derrière une caméra et on laissait la scène se dérouler en toute liberté, en dansant pour ainsi dire autour de Joaquin tandis qu'il découvrait les lieux en temps réel. On a eu recours à la même méthode dans d'autres scènes, comme celle où Arthur, dans son appartement, grimpe dans son réfrigérateur. C'était totalement improvisé. C'est exaltant de tourner comme ça : on obtient des plans d'une grande précision et les acteurs ont tout loisir d'improviser devant la caméra".

Dans le même état d'esprit, Friedberg et Sher ont collaboré ensemble pour construire et éclairer un autre décor majeur du film – celui de l'émission "Live with Murray Franklin". "Les décors et les éclairages qu'on a utilisés étaient conformes à l'époque et on n'a pas du tout eu recours aux éclairages contemporains", affirme Sher.

"Je suis un snob qui ne jure que par le cinéma et j'ai tenté toute ma vie d'éviter de travailler pour la télévision, mais j'ai souvent conçu les décors d'émissions de télé qui figurent dans les films auxquels je collabore", plaisante Friedberg. "L'un des décors les plus importants de ce projet est celui de l'émission de Murray Franklin. "On n'a pas imité Johnny Carson [célèbre animateur du "Tonight Show", NdT] mais on s'en est inspirés : un bureau, une chaise, une deuxième chaise et un divan, un type qui présente l'émission et s'assoit devant un vrai public, un orchestre… une régie et des loges. Le plus amusant, c'est que ce décor un peu rétro était le tout premier à être construit sur le tout nouveau plateau des Steiner Studios".

L'équipe du chef-décorateur a retrouvé d'authentiques caméras de télévision d'époque pour cette séquence au Museum of Broadcast Technology du Rhode Island. Des moniteurs rétro ont été fixés aux caméras afin que des images défilent sur les objectifs pendant qu'ils faisaient mine de tourner.

Des wagons de métro des années 70-80 ont aussi été mis à la disposition de la production par le New York City Transit Museum et conduits par des personnels de la Metropolitan Transit Authority (MTA). Le tournage s'est déroulé sur des lignes de Brooklyn et du Bronx, à l'intérieur des tunnels , sur des voies aériennes et sur des quais, dont la plupart restaient ouverts au public, si bien que les acteurs jouaient pendant que de véritables passagers montaient à bord des rames ou en descendaient.

Les scènes où Arthur est d'abord parmi le public, puis où il se produit sur scène pour son premier numéro de stand-up ont été tournées au célèbre club Dangerfield's dans l'Upper East Side de Manhattan.

Nommé ainsi en hommage au célèbre comique Rodney Dangerfield, le club a ouvert ses portes en 1969 et reste la plus ancienne institution new-yorkaise du genre toujours en activité.

~ D'Arthur au Joker ~
Les costumes

Pour élaborer le style d'Arthur – et, progressivement, celui du Joker –, le réalisateur a fait appel au chef-costumier Mark Bridges qui avait habillé Phoenix pour THE MASTER et INHERENT VICE. "Ces films se déroulaient également à des périodes-charnières : le premier dans les années 50 et le second dans les années 70", dit-il.

Comme dans THE MASTER, Phoenix a perdu beaucoup de poids pour le tournage. "Très franchement, je ne sais pas comment il s'y prend", reconnaît Bridges. "Mais on a commencé les essayages six mois avant le début du tournage si bien que j'ai intégré son évolution physique dans mon travail".

Phillips, lui, n'avait jamais travaillé avec Bridges, mais admirait beaucoup ses créations. "Mark est un type incroyable", signale le réalisateur. "Rien que les essayages avec Robert De Niro valaientt la peine d'être vécus. Et comme il avait déjà travaillé avec Joaquin auparavant, ils étaient très complices".

Bridges s'est senti flatté quand Phillips l'a contacté. "Todd m'a envoyé un mot adorable en me parlant de ce projet et en me demandant s'il pouvait m'intéresser", reprend-il. "C'est un véritable honneur de recevoir un mot pareil d'un homme de l'envergure de Todd. Et c'est un vrai bonheur de travailler avec un vieil ami comme Joaquin. On se comprend à demi-mot et je lui fais confiance. On discutait et il était très ouvert à mes propositions concernant l'allure de ce personnage dont il travaillait la psychologie. Du coup, tout s'est mis en place en suivant les consignes de Todd".

Concernant l'époque où se déroule le film, Bridges signale : "Si on veut être restituer l'ambiance du début des années 80, il faut savoir que certaines couleurs et certains camaïeux étaient présents dans les magasins. On a privilégié les bleus, bruns, marrons, mauves, gris, bleus marine et kaki… On s'es t démarqué des oranges et verts foncés des années 70, même si on en a utilisé un peu pour des raisons de cohérence narrative. Mais ne serait-ce qu'en se focalisant sur cette palette, on a automatiquement eu le sentiment de basculer dans une autre époque car on ne trouve plus cette gamme de couleurs dans les boutiques aujourd'hui".

S'agissant du style vestimentaire d'Arthur, le chef-costumier précise : "Il ressemble à un type ordinaire qui ne cherche pas à faire preuve de goût, mais qui privilégie le confort et qui porte les mêmes vêtements depuis un bon moment. Ses tenues ont à la fois un côté enfantin et vieux-jeu. Avec Joaquin, je ne tiens pas à ce que ses vêtements soient trop expressifs car son jeu est déjà d'une grande puissance".

Dans les premiers plans du film, on découvre Arthur au travail : il porte donc un costume – celui d'un clown – censé avoir été conçu par Arthur lui-même. "En sachant que certains mouvements du personnage s'inspirent de Charlie Chaplin, j'ai un peu travaillé à partir de la silhouette particulière de Charlot", précise Bridges. "J'ai aussi gardé en tête le fait qu'Arthur a fabriqué ce costume de manière très artisanale". Il ajoute : "Je me suis permis une légère coquetterie en lui faisant porter un petit chapeau melon car j'ai toujours adoré ça chez les clowns".

Bien entendu, Arthur porte les traditionnelles grandes chaussures de clown avec lesquelles Phoenix a dû courir plusieurs fois. Une prouesse difficile à accomplir.

Quant à la tenue du Joker, Bridges explique que son allure était – en partie – décrite dans le scénario comme "un costume couleur rouille qu'Arthur possède depuis très longtemps". Pour autant, "j'ai eu des tas d'idées qui m'ont traversé l'esprit en lisant cette description, même s'il y avait une certaine pression pour satisfaire les attentes des fans et être dans l'esprit du film. Mais au bout du compte, il fallait que le costume épouse naturellement le personnage : il s'agit de vêtements qu'on a vu Arthur porter plus tôt et qu'il a désormais réunis pour ressembler au Joker".

À partir du costume final, Bridges a décidé quels éléments de la tenue allaient être visibles tout au long du film. "Par exemple, je me suis dit qu'Arthur pouvait porter telle pièce dans la scène du club et qu'on la retrouverait associée à d'autres à des moments ultérieurs du film pour parvenir au résultat final", explique-t-il. "Quand Joaquin a fait son dernier essayage pour le costume finalisé, il avait la bonne chemise, le bon gilet… C'était très seventies même si la veste était un peu plus longue – et il avait soudain une étrange assurance qu'Arthur n'a pas, mais qui correspond parfaitement au Joker. À mes yeux, c'était pleinement satisfaisant".

Phoenix ajoute : "Quand il est dans la peau du Joker, il bombe le torse. Il a confiance en lui. Auparavant, c'est comme s'il n'était que l'ombre de lui-même".

Tout au long du film, Arthur arbore un visage de clown dont les grimaces évoluent en fonction des scènes. Le style final du Joker a été conçu par Phillips et Phoenix comme une exacerbation du maqui llage habituel d'Arthur et mis en œuvre par la chef maquilleuse Nicki Lederman et son équipe qui ont utilisé le rouge et le vert primaires du personnage clownesque d'Arthur. Nicki Lederman a créé une nuance particulière pour les larmes d'Arthur à partir de divers pigments dont elle disposait : il s'agit, selon elle, d'un "bleu rétro".
"Je pensais que ma vie était une tragédie, mais je constate à présent que c'est une comédie".
—Le Joker

Pour illustrer les thèmes abordés par le film, Phillips a très tôt sollicité la compositrice Hildur Guðnadóttir. "Elle a commencé à écrire de la musique dès la prépa", se rappelle le réalisateur. "Je lui envoyais des pages du scénario et elle écrivait de la musique avant même le tournage – et ce qu'elle a fait est magnifique".

Hildur Guðnadóttir témoigne : "Todd m'a demandé d'écrire de la musique à partir de ce que m'inspirait le scénario et j'en ai été ravie car il m'a vraiment parlé". Elle a envoyé au cinéaste un premier morceau : "Il m'a dit que j'avais vraiment cerné l'atmosphère du film".

La musicienne a surtout été frappée par "Arthur, ce personnage d'une grande simplicité, à la fois ouvert aux autres et enfantin, qui tente désespérément de trouver sa place. Mais l'univers dans lequel il évolue et son entourage l'en empêchent. Sur un plan musical, j'ai tenté de traduire ces thèmes par des mélodies à la fois dépouillées et monotones car, au fond, c'est comme ça qu'il voit le monde. Et j'ai ensuite cherché à donner une vraie ampleur à l'orchestration, non avec des accords complexes, mais avec des ambiances qui, à mon sens, collaient à la mélancolie du personnage".

La bande-originale est dominée par le violoncelle et des cordes. Hildur Guðnadóttir note : "Très souvent, il y a un orchestre symphonique de 90 musiciens qui jouent la même partition, mais celle-ci est comme dissimulée derrière le violoncelle. J'ai eu le sentiment que cela s'accordait bien au personnage : il est lui-même d'une grande complexité mais ne s'en rend pas compte. Je me suis dit qu'en faisant en sorte que les instruments ne soient pas toujours audibles on ait le sentiment de n'entendre qu'un violoncelle mais, tout comme chez Arthur, il y a d'autres instruments en arrière-plan".

La compositrice a entamé sa collaboration très en amont, si bien que Phillips a pu faire écouter un morceau à Phoenix au bout de quelques semaines de tournage : il s'agissait de stimuler son imagination dans une scène où le spectateur décèle un premier indice de ce qui va suivre… "

Avec Joaquin, on était sur le plateau et on était en panne d'inspiration", rapporte le réalisateur. "On n'avait pas encore bien réfléchi à la scène, mais je me suis alors souvenu que je venais de recevoir ce magnifique morceau d'Hildur que j'avais écouté la veille au soir. Je le lui ai fait écouter, il l'a adoré, et il s'est mis à danser lentement : tout à coup, Arthur dégage une vraie grâce qui vient d'on ne sait où, comme si elle surgissait de son ombre. On a commencé à le filmer et c'est comme ça qu'il a entamé sa métamorphose".

L'acteur confirme : "Todd m'a fait écouter ce morceau de violoncelle et c'était très efficace. Je lui ai dit qu'elle m'inspirait un mouvement et il m'a répondu que c'était à moi de voir. On a mis au point une sorte de chorégraphie pendant les répétitions et cette musique a fait surgir un moment-charnière pour le personnage, mais aussi pour Todd et moi dans notre compréhension d'Arthur".  

Source et copyright des textes des notes de production @ Warner Bros. France

  
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