mercredi 6 janvier 2016

ARRÊTEZ-MOI LA


Drame/De bons acteurs mais un peu fade dans l'ensemble 

Réalisé par Gilles Bannier
Avec Reda Kateb, Léa Drucker, Gilles Cohen, Erika Sainte, Thémis Pauwels, Stéphanie Murat, Luc-Antoine Diqueiro, Quentin Baillot...

Long-métrage Français
Durée : 01h34mn
Année de production : 2014
Distributeur : EuropaCorp Distribution

Date de sortie sur nos écrans : 6 janvier 2016


Résumé : Chauffeur de taxi à Nice, Samson Cazalet, la trentaine, charge une cliente ravissante à l’aéroport. Un charme réciproque opère. Le soir même, la fille de cette femme disparaît et des preuves accablent Samson. Comment convaincre de son innocence lorsqu’on est le coupable idéal ?

Bande annonce (VF)



Extrait "La rencontre" (VF)


Extrait "L'interrogatoire" (VF)



Extrait "Visite en prison" (VF)



Ce que j'en ai pensé : ARRÊTEZ-MOI LÀ est une adaptation du roman américain THE CAB DRIVER de Iain Levison (dont le titre en français est le même que celui du film). 

Avec ARRÊTEZ-MOI LÀ, Gilles Bannier, le réalisateur adopte un point de vue réaliste, proche du documentaire sur l'histoire de cet homme qui doit affronter la machine judiciaire sans préparation, sans appui et sans expérience. En tant que spectateurs, nous n'accédons qu'à la vision du personnage principal, Samson. Pourquoi pas ? 

Cependant, bien que le film se suive facilement et qu'il y ait de jolies scènes comme la rencontre des deux personnages principaux par exemple, j'ai trouvé l'ensemble un peu fade. Autant, j'approuve que le réalisateur ait décidé de s'éloigner des conventions du genre, autant le manque d'émotions affichées m'a gêné. L'étincelle qui nous emporterait dans l'histoire et dans les sentiments traversés par les protagonistes fait ici défaut.

Le personnage de l'avocat commis d'office, Maître Portal, interprété par Gilles Cohen, m'a décontenancé car il change totalement le ton du film pour l'emmener vers la comédie, alors que pour moi, c'est un véritable drame qui se joue pour Samson. Je pense que Gilles Bannier a subtilement évité le mélo dans l'ensemble de son film, ce qui est très positif pour ce genre d'histoire, et qu'il n'avait donc pas forcément autant besoin de forcer le trait sur ce personnage-là.


J'ai apprécié l'interprétation de Reda Kateb dans le rôle de Samson Cazalet. Il lui apporte une fragilité touchante. J'aurais juste souhaité que ce protagoniste ait un peu plus de relief. 




Léa Drucker, qui interprète Louise Lablache, joue également très bien, mais j'ai le même reproche que pour Samson vis-à-vis de son personnage.




ARRÊTEZ-MOI LÀ a un style particulier, apporté par la vision de son réalisateur. Bien que ce style ne m'ait pas spécialement convaincu, je trouve le thème intéressant et le plaisir de voir jouer les acteurs intact. Si vous aimez les approches réalistes, ce film a les atouts pour vous plaire.


NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter de vous le faire spoiler à 100% !)

Après la projection, le réalisateur, Gilles Bannier ainsi que les acteurs Léa Drucker et Reda Kateb ont eu la gentillesse de venir répondre à nos questions. Je partage les vidéos dans les notes de production car elles contiennent beaucoup de spoilers.





ENTRETIEN AVEC GILLES BANNIER

Pourquoi avoir souhaité adapter ce livre de Iain Levison ? 

Iain Levison est l’un de mes auteurs favoris. L’humour avec lequel il traite ses sujets, pour la plupart dramatiques, me ravit, et je guettais depuis des années l’occasion d’adapter une de ses œuvres. J’ai dévoré ARRÊTEZ-MOI LÀ le jour de sa publication en pensant qu’il y avait là la matière d’un film fort et simple. 

Le roman, tiré d’un fait divers qui s’est déroulé aux Etats–Unis, suit le héros jusque dans les couloirs de la mort. N’avez-vous pas eu peur de le transposer dans un pays qui a aboli la peine de mort depuis plus de trente ans ? 

Garder le suc et la force de ce sujet en l’adaptant au droit français, très différent du droit nord-américain, était tout l’enjeu de cette adaptation. Avec Nathalie Hertzberg, ma coscénariste, nous avons rencontré plusieurs avocats pénalistes pour étudier les pistes qui nous permettraient de relever ce challenge. Et avons écrit les premières versions du scénario sous le regard de l’un d’entre eux : le film devait s’inscrire dans un cadre juridique irréprochable. Au final, le fait que Samson Cazalet soit condamné à perpétuité avec une peine incompressible de 22 ans, c’est-à-dire sa vie entière d’adulte, me paraît finalement être un atout pour le film : il y a quelque chose de monstrueux dans la perspective de se faire voler chaque jour de sa vie pour un homme innocent des crimes dont on l’accuse… 

Dans le film – comme dans le roman – la police, puis la justice font preuve d’une incroyable légèreté, acculant le pauvre Samson à porter la responsabilité de cet enlèvement. 

L’injustice est une chose qui me touche personnellement, c’est comme un très mauvais numéro que vous tirez à la loterie de la vie et ce numéro vous change pour toujours. Au bout de dix ans passés à décrypter la machine judiciaire de façon quasi documentaire pour les besoins des séries policières et des thrillers que j’ai réalisés pour la télévision – la saison 2 d’ ENGRENAGES, notamment – j’avais envie de tirer quelques réflexions simples autour d’elle. Le destin de cet homme qui va tout perdre, alors qu’il n’a strictement rien fait, m’en donnait l’occasion. Samson est incapable de se défendre correctement : il ne connaît rien aux rouages de la justice et n’a pas conscience de la nécessité d’avoir un bon avocat - il pense que son innocence est suffisante. Plus tard, il pourrait faire appel à des associations, par le biais des médias, mais ne possède pas non plus cette culture du recours à l’aide juridique qu’ont beaucoup d’Anglo-Saxons. Et, élément très important, il vit seul, en province et sans soutien familial. Ne nous voilons pas la face : tout comme dans le domaine de la santé, il existe une justice à deux vitesses en France. C’est contraire à l’éthique du service public, mais c’est une réalité. Chauffeur de taxi, Samson n’a ni argent, ni réseau.

Son ignorance et sa condition sociale n’excusent ni les bévues des policiers ni celles des juges. 

La justice française, dont le mécanisme date de la Révolution française, n’est pas toujours juste en dépit de ses efforts pour respecter la démocratie ; elle a des failles. Dans cette histoire, c’est vrai, la police commence par « saloper » le travail et, pourtant, quelles que soient les erreurs commises par les policiers enquêtant sur l’affaire, je ne les déteste pas. Ils sont un peu ridicules – j’aime assez les gens un peu ridicules. Ils évoluent dans l’arrièrepays niçois où la criminalité est faible et, contrairement à leurs collègues niçois, ont peu d’expérience en la matière. Lorsqu’une affaire de cette importance leur tombe dessus, forcément, ils font du zèle et cèdent à la pression très forte des élus locaux, des journalistes et de la population à laquelle un officier plus expérimenté résisterait sans doute mieux. Et puis, ils sont quand même en face de faits troublants : Samson a omis de dire qu’il est entré dans la maison de cette petite fille qui a été enlevée et omis aussi de parler de cette course effectuée gratuitement à la Cité Universitaire avec les deux jeunes filles. À leurs yeux, ces deux mensonges sont terribles. Ils sont fiers d’avoir trouvé le prétendu coupable de cette affaire mais sans doute vivront-ils toute leur vie avec le poids de cette responsabilité quand ils comprendront leur erreur – c’est compliqué pour un flic d’envoyer un innocent en prison, mais c’est une autre histoire, un autre film. 

Ils ne tiennent absolument pas compte des éléments à décharge que leur fournit Samson… 

Non, ils n’écoutent rien.
« SAMSON EST VICTIME DE CETTE LOTERIE INSENSÉE QU’EST LA VIE. »
…Et n’hésitent pas à fabriquer de faux témoignages contre Samson. 

Ce marché passé avec des témoins dont on monnaye la mise en liberté est-il le fait des policiers ? Du parquet ? Il y a nécessairement quelqu’un dans la chaîne qui a voulu faire rentrer l’histoire dans le moule en faisant passer ces témoignages en force. C’est insupportable, totalement contraire à la philosophie de la justice française et le responsable paiera sûrement son geste. Encore une fois, Samson est victime de cette loterie insensée qu’est la vie. Il y a, autour de lui, une accumulation de coïncidences : il tombe sur les mauvaises personnes au mauvais moment. Cela arrive tout le temps. 

Il y a tout de même une sorte d’aveuglement général autour de Samson : comment expliquer que même sa petite amie se mette à douter de son innocence ? 

J’ai lu beaucoup de témoignages de personnes victimes d’erreurs judiciaires. Toutes ont en commun le désir de redevenir anonymes une fois blanchies, et toutes parlent de la façon dont le regard de leur entourage a changé à partir du moment où elles ont mis le doigt dans la machine judiciaire. Dès la garde à vue, la présomption d’innocence, qui est pourtant un pilier du droit français, vole en éclats. La présomption de culpabilité prend le relais. Tout cela est d’une violence extrême. 

La juge en charge de l’instruction du dossier n’éprouve, elle non plus, pas le moindre doute sur son implication dans l’enlèvement. 

Elle est jeune et sort probablement tout juste de l’École Nationale de la Magistrature. Elle est un peu comme le juge Burgaud dans l’affaire d’Outreau : elle veut s’affirmer.

Et, comble d’infortune pour Samson, l’avocat commis d’office chargé de le défendre est totalement incompétent. 

J’ai un immense respect pour les juges d’instruction et j’adore les avocats. Mais, pour avoir assisté à beaucoup de procès d’assises et passé du temps dans les tribunaux correctionnels, j’ai pu constater qu’il en existait de très mauvais. On n’imagine pas à quel point le sort d’un justiciable peut changer en fonction de la personne qui le défend. Nous sommes tous impressionnés par les réparties des grands ténors, le brio et la vitesse de réflexion d’un Éric Dupond-Moretti, ou d’un Henri Leclerc quand nous les découvrons à la télévision : ces hommes-là sont capables de retourner une cour d’assises. Mais à côté d’eux, combien de médiocres… Soit parce qu’ils sont débutants, soit parce qu’ils n’ont tout simplement pas les atouts d’un acteur : la voix, le verbe, le coffre. 

Comment expliquer que Maître Portal (Gilles Cohen) fasse preuve d’autant de négligence vis-à-vis des pistes susceptibles d’innocenter son client ?

Il ne l’écoute pas et, surtout, il ne travaille pas assez. Arriver à faire acquitter un innocent est un travail colossal que ce pauvre commis d’office est incapable d’accomplir, faute de connaissances suffisantes et de persévérance. Lorsqu’on lit BÊTE NOIRE, le livre d’Éric Dupond-Moretti, on comprend que cet homme est avant tout une bête de travail. Portal se réveille un peu au moment du procès : il réussit à faire comparaître la petite amie de Samson ainsi que l’ancien flic de Perpignan qui pense connaître le vrai coupable. Il n’a pas l’habitude des assises. Tout d’un coup, il a un petit déclic : c’est comme s’il se retrouvait dans la peau d’un figurant de l’Opéra de Perpignan auquel on demanderait d’interpréter un rôle sur la scène de la Comédie-Française : c’est la chance de sa vie, on voit qu’il est porté par la puissance de cette institution – il a une espèce d’envolée et ses arguments ne sont pas si mauvais – mais c’est pour mieux s’écrouler ensuite : il faut être très bon pour tenir des jours entiers dans ce théâtre que sont les assises. J’adorais l’idée que sa plaidoirie fasse un flop. Le cinéma montre rarement cela. 

Le réquisitoire de l’avocat général est à peine plus brillant mais lui, emporte l’adhésion des jurés. 

Son discours est structuré, il a choisi ses mots, la façon de les dire et fait des effets de manche. Même si ceux-ci sont dignes d’un acteur de vaudeville, cela impressionne les jurés, le décorum les impressionne – on n’imagine pas la puissance de la représentation des assises.
« JE VOULAIS RACONTER L’HISTOIRE D’UN HOMME À LA PREMIÈRE PERSONNE. »
Dans l’affaire dont s’inspire Iain Levison, Richard Ricci, la vraie victime de ce fait divers, meurt d’une hémorragie en prison quelques heures avant que la fillette ne soit retrouvée. 

Et c’est une des difficultés scénaristiques que j’ai eue à résoudre. Le premier traitement de l’adaptation était très long – plus de 200 pages – et le problème s’est très vite posé de raconter ou non la prison. J’avais écrit des scènes très longues et très proches du roman où l’on suivait la transformation du personnage, notamment au contact d’un serial killer qui devenait son confident. J’adorais cet aspect du roman et la façon dont cet esprit dérangé infusait l’esprit de Samson, mais je sentais que je partais sur un autre film – un film de prison – et je n’en avais pas envie. Je voulais raconter l’histoire d’un homme à la première personne.
J’ai finalement trouvé plus intéressant de montrer les souffrances endurées par Samson à travers les scènes au Grand Hôtel où l’installe sa nouvelle avocate : ce n’est plus un lieu de villégiature, juste une nouvelle cellule un peu plus dorée. On mesure bien comment son incarcération l’a abîmé. 

Il y a malgré tout cet épisode où Samson doit être hospitalisé. 

Je ne m’appesantis pas, mais c’était important de montrer la capacité de somatisation générée par la prison : on meurt en prison, et pas seulement par suicide. Beaucoup de détenus sont atteints de cancer ou victimes d’hémorragie, comme Richard Ricci. La somatisation est d’autant plus forte lorsqu’on est incarcéré en étant innocent. 

Et ces scènes superbes au début de sa détention ? 

Elles ont été tournées au centre pénitentiaire de La Farlède à Toulon, une prison ultramoderne où nous avons eu la chance d’être accueillis pendant une journée. J’avais une volonté très forte de tourner dans une vraie prison, quitte à traverser la France pour cela. Je tenais à ce que Reda Kateb s’imprègne de la vérité des lieux. Autour de lui, les détenus sont de vrais détenus et les surveillants de vrais surveillants. 

Parlez-nous de cette scène surréaliste au tribunal où Samson est maintenu en prison alors que l’on vient de retrouver la petite Mélanie et son ravisseur. 

C’est la vérité de la justice ! À partir du moment où Samson s’est vu lire sa condamnation par le Président du tribunal, et même s’il est avéré qu’il n’a pas enlevé cette petite fille, il est obligé de repasser par la case prison pendant au moins trois jours. Et ne peut être innocenté totalement qu’après la révision de son procès. C’est une réalité française d’autant plus aberrante que la révision d’un procès prend énormément de temps. L’ironie de l’histoire est que si cette fillette avait été retrouvée ne serait-ce que quelques heures auparavant, Samson aurait été libéré sur-le-champ. 

En mettant le personnage entre les mains d’un grand groupe d’avocats, vous n’êtes pas très tendre avec cette profession incarnée par Maître Laferrière (Stéphanie Murat). 

Je trouve que cette femme a une certaine humanité. Elle éprouve un peu de compassion pour son client, elle le regarde enfiler sa vieille veste, elle est assez touchée par lui. Mais, évidemment, elle est là pour le business. Il y a bien longtemps que les pénalistes américains se sont engouffrés dans le filon des erreurs judicaires. Cela commence à se développer en France et j’ai d’ailleurs légèrement anticipé sur les indemnités que cette avocate compte obtenir : 1 million d’euros, c’est ce que reçoivent aujourd’hui des gens qui ont passé entre 5 et 7 ans en prison. Mais on atteindra cette somme pour une seule année d’emprisonnement dans les années qui viennent. 

Comment avez-vous construit le personnage de ce chauffeur de taxi, finalement pas si éloigné de son modèle littéraire texan ? 

En l’écrivant, ma préoccupation était qu’en France, les taxis souffrent d’une image désastreuse. C’est soit le vieux chauffeur râleur, français de souche, soit le nouveau, généralement issu de l’immigration, infiniment plus gentil d’ailleurs ; tous sont parisiens. L’image du taxi en province n’existe pas : sa représentation cinématographique est littéralement écrasée par l’image du chauffeur de taxi américain et notamment par le TAXI DRIVER, de Scorsese. Comment ne pas tomber dans les clichés ? J’ai imaginé que Samson passait ses journées avec son chat, qu’il avait une passion pour la musique et j’aimais l’idée qu’il ait son propre espace de liberté en conduisant dans ce pays magnifique qu’est la Côte d’Azur. Je ne voulais donner aucune explication à son sujet : il est libre, solitaire, c’est la vie qu’il s’est choisie. 

Il est très généreux. Lorsque son amie vient s’excuser, on sent qu’il est prêt à renouer avec elle. Il lui pardonne. 

Samson sait écouter - peu de gens ont cette capacité. Quelqu’un qui sait écouter sait comprendre et pardonner. C’est une espèce d’évidence, mais qu’il me semblait bon de rappeler à travers son comportement. Après le froid de leurs retrouvailles, il pense un moment qu’ils pourraient revivre une histoire ensemble, mais c’est impossible. Beaucoup de personnes victimes d’erreurs judicaires racontent qu’elles ne peuvent plus vivre comme avant. Samson n’arrive plus à désirer cette femme et il la laisse partir en sachant que c’est la dernière fois qu’il la voit. 

À la fin du film, lorsqu’il se rend chez la mère de la petite fille avec un lapin, il est vraiment dans la résilience. 

Il a besoin de retrouver sa vie perdue il y a un an et de reprendre l’histoire là où il en était avant que ce drame ne lui tombe dessus. Il est prêt à prendre tous les risques pour entendre cette petite fille lui dire qu’elle ne l’a jamais vu. En le faisant, elle l’innocente pour de bon. 

Le dernier plan du film dans le taxi est très étrange. 

Je voulais qu’un espoir naisse autour de Samson et de la mère de la petite fille. Leur première rencontre était pleine de séduction et ce sont désormais deux personnes détruites qui pourraient mêler leurs destins, qui pourraient s’épauler l’un l’autre. Cette femme, qu’il vient de déposer à l’aéroport, arrive comme dans un rêve dans son taxi. Mais on sait qu’elle va revenir : ils vont se revoir, il l’a dit à la petite fille à travers ce lapin qu’il lui a donné. Elle a beaucoup à se faire pardonner puisqu’elle a participé à l’accusation de Samson mais, même si elle a retrouvé son enfant, elle et sa fille ont vécu un véritable traumatisme. 

Un traumatisme que vous rendez palpable durant le procès, littéralement filmé à travers son regard. 

Je voulais que le procès dure assez longtemps et plutôt que de faire les traditionnels plans sur le public, j’ai choisi de donner la possibilité au spectateur d’étudier les réactions de la mère, au fur et à mesure de l’évolution des débats : on lit sur son visage tous les sentiments qui l’animent - la peur, la culpabilité, la détresse, le doute, l’espoir… Son regard est comme un catalyseur des événements. 

Reda Kateb est exceptionnel dans le film. Comment l’avez-vous choisi ? 

Tant que le scénario n’était pas terminé, je m’étais interdit d’envisager un acteur pour le rôle. Mais plus j’écrivais, plus Reda assaillait mes pensées - son exigence, ses valeurs, sa profondeur… À un moment, j’ai capitulé et je lui en ai parlé. Il a lu les premières versions que je lui ai soumises, il était partant. Reda a fait ses premiers pas devant une caméra avec moi à l’occasion de la saison 2 d’ ENGRENAGES. Nous sommes restés proches. L’écriture du film achevée, il n’était pas encore si connu et les financiers auxquels les productrices parlaient de lui nous conseillaient des noms plus prestigieux. Je me suis obstiné : il n’était pas question pour moi de tourner sans Reda. Je l’avais choisi, il n’y avait plus d’alternative possible : un film est d’abord le désir d’un metteur en scène pour son acteur. En imposant son rythme au personnage, Reda Kateb a, d’une certaine façon, induit la mise en scène d’ ARRÊTEZ-MOI LÀ. Je suis peut-être arrivé sur le plateau avec quelques idées, des envies d’effets, mais en voyant son travail sur le plateau, je les ai remisées. Le film devait se construire autour de la simplicité et de la force de son interprétation. Il ne devait pas y avoir de filtres trop voyants susceptibles d’empêcher le spectateur d’être en phase avec lui. Son jeu m’a dicté de longs plans simples, une force documentaire. 

Léa Drucker s’est-elle imposée avec la même évidence ?

J’avais d’abord pensé à elle pour le rôle de Maître Laferrière qui était beaucoup plus développé dans les premières versions et elle s’était montrée enthousiaste. Un an plus tard, je lui ai fait lire une nouvelle version, et Léa m’a confié son désir d’interpréter le personnage de la mère. J’étais ravi de le lui donner. Léa est une actrice extraordinaire, totalement sous-employée en France. Ses regards valent de longs discours. 

Parlez-nous du choix de Nice et sa région. 

Dès le début, j’avais deux endroits en tête : Perpignan, dont je suis originaire et que je connais donc bien, et Nice. J’adore l’idée de la vitrine que représente la Promenade des Anglais – la mer turquoise, les palaces – et de l’arrière-pays, avec ses histoires peu reluisantes. Le rapport Nice-Grasse me séduisait aussi. 

Vous venez de la télévision. ARRÊTEZ- MOI LÀ est votre premier long-métrage pour le cinéma. 

Durant la préparation et les premiers jours de tournage, je n’avais pas le sentiment de réaliser un premier film. Ayant réalisé beaucoup d’épisodes pour le petit écran, je faisais confiance à mon expérience. J’ai été très surpris de constater que certaines de mes certitudes volaient en éclats. On ne tourne pas pour le cinéma comme on tourne pour la télévision : j’ai pris davantage de risques et Alain Marcoen, le chef opérateur, qui est aussi celui des frères Dardenne, m’a poussé dans cette direction. Même si j’ai le sentiment de m’être toujours battu pour ne pas être atteint par l’autocensure générée par le travail à la télévision, j’ai découvert une forme de liberté supplémentaire. C’était excitant, vertigineux, comme une sorte de renaissance à la mise en scène. 

Aviez-vous des films en tête en tournant ? 

Les documentaires que Raymond Depardon a consacrés à l’appareil judiciaire étaient une référence absolue pour moi ainsi que la trilogie de François Chilowicz – HORS LA LOI – je les ai d’ailleurs montrés à Reda Kateb. J’ai pensé aussi à toute la période américaine de Fritz Lang et aux films de Sidney Lumet qui confrontent des hommes normaux à l’appareil judiciaire. Ce sont des cinéastes qui font confiance à leur histoire et à leurs personnages et dont la mise en scène est invisible, ce qui représente pour moi toute la grandeur du cinéma. Ma plus grande préoccupation était de sortir des clichés qui entourent la justice et de mettre un peu d’humour dans tout ce drame. Dans la vie, l’humour est inséparable du drame. 

Un mot sur la musique ? 

Je n’en voulais quasiment pas : l’influence du cinéma de Raymond Depardon, toujours. Je trouvais plus intéressant de donner une force documentaire au film. Après le premier montage, j’ai quand même demandé à Hervé Salters, le leader de General Elektriks, qui a fait la musique des BEAUX MECS (série TV diffusée sur France 2 en 2011) et de PARIS, de travailler sur des moments du film bien précis. Puis j’ai fait appel à un second compositeur et ai mélangé les deux partitions – l’une, composée à partir de cordes, très présente dans la première partie, et l’autre, plus moderne, que l’on retrouve plutôt à la fin du film. 

Un mot sur le chat, Gershwin ? 

J’adore les chats. J’ai souvent tourné avec eux et c’est très compliqué. J’ai contacté le dresseur qui m’avait permis de tourner une scène qu’on voit dans PARIS (série TV diffusée sur Arte en 2015). Il est arrivé avec trois chats – deux jumeaux gris, avec lesquels j’avais tourné cette fameuse scène et un rouquin. Le roux est monté sur la table, m’a regardé droit dans les yeux et a lapé intégralement le verre d’eau que j’avais devant moi : c’était lui. J’ai organisé une rencontre avec Reda, exactement comme on fait se rencontrer deux acteurs qui vont tourner ensemble. Et ça a été un bonheur de tourner avec lui.

ENTRETIEN AVEC REDA KATEB 

Vous retrouvez le réalisateur Gilles Bannier avec lequel vous aviez fait vos débuts à l’écran, il y a huit ans, dans la saison 2 d’ ENGRENAGES. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ? 

C’était un scénario très particulier, très personnel dans lequel j’ai senti que Gilles avait mis toute son âme. Je n’étais pas complètement surpris qu’il ait pensé à moi durant l’écriture : Samson et moi avons beaucoup en commun. 

Par exemple ? 

Il appartient à cette catégorie que j’appelle les artistes du quotidien et qui me touche énormément. Lorsque je prends l’autoroute, je pense souvent à la personne qui a passé sa journée à encaisser des tickets au péage. J’aime imaginer qu’en rentrant chez elle, elle va écouter du Chopin ou lire un roman très calé. Je me reconnais dans ces gens. J’ai toujours pensé que l’art n’était pas réservé aux élites et surtout pas aux artistes. La vie de Samson n’a rien de lumineux ni de spectaculaire, son métier de taxi est alimentaire et pourtant, il est nourri par la musique et le rapport étroit qu’il entretient avec la nature et les animaux. Sa solitude est peuplée d’une infinité de belles choses. 

Vous avez eu connaissance du film très en amont. Avez-vous participé à l’élaboration du scénario final ? 

Non, Gilles en est vraiment l’auteur avec Nathalie Hertzberg. Mais lui et moi avons beaucoup parlé ensemble. Je me souviens, par exemple, avoir débattu avec lui de l’opportunité d’en conserver ou non les nombreuses scènes de prison qui se trouvaient dans le livre. Gilles a assez vite pris le parti d’en supprimer la plupart et j’en étais heureux. Il me semblait important de trouver un autre angle pour raconter cette histoire : on ne devait pas se contenter de retracer le calvaire d’un homme broyé par la machine judiciaire. Il fallait nourrir le personnage, l’affiner. Samson s’est beaucoup enrichi au fil de l’écriture. 

Aviez-vous lu le livre de Iain Levison ? 

Je ne l’ai lu qu’après avoir découvert le premier jet du scénario. Je trouve le film à la fois très fidèle au propos du roman et très libre dans sa forme : il répond parfaitement aux exigences de ce type d’exercice : comment raconter cette histoire au cinéma en 2015 à un public français. 

Au début du film, on sent que Samson est à mille lieues de deviner ce qui lui arrive. 

On sonne à sa porte, des policiers lui demandent s’ils peuvent rentrer puis s’il peut les suivre. C’est un bon citoyen, un honnête homme, il n’imagine pas une seconde ce qui va suivre ; il n’a aucune méfiance. 

Au point de paraître presque naïf ? 

C’est une naïveté dont peut faire preuve tout bon citoyen croyant en la justice. Samson n’a rien à se reprocher : pourquoi échafauderait-il des stratégies pour se défendre et refuserait-il de donner ses empreintes comme le lui demandent les policiers ? Il a tort, bien sûr : face à l’appareil judiciaire, on sait qu’il vaut mieux se méfier. Lors d’un tournage assez récent, j’ai eu l’occasion de discuter avec un voyou qui avait effectué pas mal d’années de prison et venait de purger une dernière peine pour une affaire dans laquelle il n’était en réalité pas impliqué. Il m’a expliqué qu’il était bien plus difficile de se défendre lorsqu’on est innocent que lorsqu’on est coupable. Plus que de la naïveté, je dirais que Samson a ses zones d’ombre : ce n’est pas seulement un personnage vertueux, confiant et aimable. Il est habité par autre chose. C’était important qu’il ne soit pas d’une seule couleur. 
« J’AIME ALLER CHERCHER DE LA RICHESSE DANS DES VIES DONT ON S’IMAGINE SOUVENT À TORT QU’ELLES N’EN POSSÈDENT PAS. » 
Comment l’avez-vous construit ? 

J’aime aller chercher de la richesse dans des vies dont on s’imagine souvent à tort qu’elles n’en possèdent pas. Pour préparer Samson, j’ai conduit ma voiture en écoutant des musiques que Gilles m’avait gravées sur un CD, j’ai pris pas mal de taxis et discuté avec les chauffeurs. Et j’ai eu la chance de pouvoir faire des lectures avec les autres acteurs. C’était finalement une préparation assez courte, l’essentiel était vraiment de vivre cette histoire à l’instant T du tournage. 

Samson est à la fois très doux, très lumineux et il est également très secret. Comment rend-on compte de cette double dimension ? 

Tout est déjà dans le scénario. À partir du moment où sa copine lui demande pourquoi il refuse de vivre avec elle et tient tant à rester seul, la lumière qui émane de lui s’assombrit. C’est un garçon qui a sans doute du mal à grandir. Il est très à l’aise dans la bulle de confort un peu enfantine qu’il s’est construite avec son taxi, son chat et sa musique et redoute d’en sortir. Confronté au réel après l’intrusion des policiers dans sa vie, il est obligé d’avancer. Il fait du chemin. Quand j’ai la chance de tenir un film du début à la fin, comme c’est le cas ici, j’ai toujours le souci de voir mon personnage évoluer. 

Son avocat ne l’écoute pas et ne croit pas en son innocence, les policiers, puis la juge, ne tiennent pas davantage compte des arguments qu’il avance. Sa situation est parfaitement absurde. 

Et Gilles joue beaucoup sur cette dimension. C’est parfois tellement gros qu’on n’ose pas y croire et pourtant, oui, ça arrive. Au Festival du Film Francophone d’Angoulême, où le film était projeté pour la première fois, j’entendais les mouvements des spectateurs dans la salle qui s’exclamaient : «Oh ! », ou, « Non, ce n’est pas possible ! ». J’adore quand un fil se tisse ainsi avec le public. Le film est traité sur le ton de la tragédie, mais on pourrait tout aussi bien imaginer une comédie sur le même thème avec le même personnage qui se retrouve face à une machine sur laquelle il n’a aucune prise et qui regarde hébété ce qui est en train de lui arriver. 
« ON DOIT RESSENTIR L’ÉNERGIE INTÉRIEURE DU PERSONNAGE ET SON IMPUISSANCE À REGARDER SE DÉLITER CE QUI COMPOSAIT SA VIE JUSQUE-LÀ.» 
Comme le lui reproche le procureur au moment du procès, Samson se comporte presque comme le spectateur de sa propre histoire. 

Il est à la fois l’acteur et le témoin de ce qui l’entoure puisque tout se joue sans lui et avant lui. C’est intéressant à jouer : on doit ressentir l’énergie intérieure du personnage et son impuissance à regarder se déliter ce qui composait sa vie jusque-là. 

La réaction de son amie est terrible. 

Elle lui tourne tout simplement le dos. Il faut un courage extraordinaire pour aller tendre la main à un homme qui se retrouve au banc des accusés. Ceux qui n’ont pas cette force ne sont pas pour autant des parias et le film n’est là ni pour les juger ni pour les sauver. J’aime beaucoup la bienveillance avec laquelle chacun des personnages est filmé. 

Samson est lui-même empli de cette bienveillance : malgré l’incompétence de son avocat, il est capable de faire preuve de gentillesse à son égard quand, par miracle, celui-ci fait son travail. 

Il y a un petit côté éloge de la gentillesse dans ARRÊTEZ-MOI LÀ qui n’est pas étranger à la personnalité de Gilles Bannier, l’une des personnes les plus douces et les plus bienveillantes que je connaisse et chez qui la gentillesse n’est surtout pas un signe de faiblesse. Mais Samson n’est pas uniquement « gentil » par nature, ce n’est pas le benêt du village : aussi mauvais soit cet avocat, il en a besoin et essaie d’en tirer le meilleur parti. Samson soigne la seule chance qui lui reste d’être défendu. 

À la fin du film, il est animé d’une faculté de résilience tout de même assez extraordinaire. 

J’ai longtemps animé des ateliers de théâtre en prison, j’y suis aussi allé présenter des films - dont celui-ci, très récemment - et j’ai toujours été frappé de réaliser à quel point les gens que j’y croisais, qu’on pouvait penser broyés au point d’avoir perdu toute confiance en l’autre, ressortaient au contraire de ces périodes d’incarcération avec un cœur encore plus ouvert. Je les admire. Ni les uns ni les autres, et moi le premier, ne savons comment nous réagirions dans une telle situation. Agirais-je comme Samson ? Je ne le crois pas. Je serais sans doute plus révolté, j’aurais moins de distance par rapport à ce qui lui arrive et ne serais probablement pas dans le pardon. 

ENTRETIEN AVEC IAIN LEVISON 

ARRÊTEZ-MOI LÀ s’inspire d’une histoire vraie. Parlez-nous du fait divers qui en est à l’origine. 

Il concerne l’enlèvement d’une jeune fille de quatorze ans, Elizabeth Smart, à Salt Lake City, dans l’Utah. Lorsque l’évènement s’est produit en 2002, j’avais été très frappé par l’attitude de la presse qui s’est littéralement déchaînée autour de l’affaire durant des mois. Ce n’était ni le premier kidnapping dans la région ni le premier crime de ce genre à s’être produit cette année-là, mais le fait qu’Elizabeth Smart soit blanche, riche et jolie galvanisait les médias. La campagne de presse a été d’une telle violence qu’elle a en quelque sorte contraint la police à procéder à une arrestation : impossible pour les flics de rester plus longtemps passifs en se contentant de dire qu’ils ne comprenaient pas ce qui s’était passé. Les flics ont donc arrêté un type qui travaillait chez les Smart, Richard Ricci, leur homme de maison et il m’est rapidement apparu que la raison pour laquelle ce gars avait été placé sous les verrous était qu’il n’avait pas d’argent pour se payer un avocat : il n’y avait aucune preuve réelle contre lui. 
« LORSQUE L’ÉVÈNEMENT S’EST PRODUIT EN 2002, J’AVAIS ÉTÉ TRÈS FRAPPÉ PAR L’ATTITUDE DE LA PRESSE QUI S’EST LITTÉRALEMENT DÉCHAÎNÉE AUTOUR DE L’AFFAIRE DURANT DES MOIS. » 
Dix mois plus tard, la jeune fille a été retrouvée. La presse s’est à nouveau emballée et je me souviens avoir été très choqué à nouveau du fait qu’aucun journaliste ne parlait de cet homme qui avait été arrêté à tort et qui, entre-temps, était mort en prison dans des circonstances extrêmement suspectes. J’ai moi-même cherché à enquêter sur les circonstances exactes de sa disparition. J’ai appelé le service de police de Salt Lake City et le bureau du coroner. Personne n’a voulu me parler. Je n’ai jamais réussi à obtenir le nom des prisonniers qui avaient côtoyé Ricci dans les couloirs de la mort. Sa femme a refusé de me rencontrer. Je sais qu’elle a obtenu un dédommagement substantiel de la justice. Le corps de Richard Ricci a été incinéré. La justice a vraiment pris soin d’entretenir le secret autour de sa mort. 
« AUCUN JOURNALISTE NE PARLAIT DE CET HOMME QUI AVAIT ÉTÉ ARRÊTÉ À TORT ET QUI, ENTRE-TEMPS, ÉTAIT MORT EN PRISON DANS DES CIRCONSTANCES EXTRÊMEMENT SUSPECTES. » 
C’est la première fois qu’un de vos romans est adapté au cinéma. Quelle a été votre réaction en découvrant le film de Gilles Bannier ? 

C’était une expérience étonnante. L’écriture est un exercice solitaire : vous avez passé des mois et des mois dans votre salon, seul avec vos pensées et votre rame de papier et, tout à coup, tout ce que vous avez imaginé se trouve matérialisé en images ; des dizaines de personnes se sont mis en quatre pour mettre votre propos en lumière et l’illustrer de manière sonore. Il y a quelque chose d’assez magique dans ce processus. 

Avez-vous été surpris que ce soit un réalisateur français qui s’attelle à cette tâche ? 

Non. Je viens régulièrement en France promouvoir mes livres et constate depuis longtemps que les Français partagent les mêmes préoccupations que les Américains vis-à-vis du pouvoir et de la justice. J’étais simplement curieux de voir comment Gilles Bannier réussirait à contourner certains obstacles juridiques, la législation n’étant pas la même dans les deux pays. 

En France, la peine de mort est abolie depuis trente-quatre ans et les couloirs de la mort dans lesquels séjourne Jeff, votre héros dans le livre, n’existent pas. 

La peine de mort reste un grave problème aux Etats-Unis, mais ce n’est pas l’aspect le plus important du roman, qui s’attache avant tout à dénoncer l’injustice et le racisme social, toutes choses que vous connaissez parfaitement en France. Ces différences juridiques ne constituaient finalement que des problèmes assez mineurs : fondamentalement, le film n’est pas très différent du livre. 
« LA PEINE DE MORT RESTE UN GRAVE PROBLÈME AUX ETATS-UNIS, MAIS CE N’EST PAS L’ASPECT LE PLUS IMPORTANT DU ROMAN, QUI S’ATTACHE AVANT TOUT À DÉNONCER L’INJUSTICE ET LE RACISME SOCIAL. » 
Avez-vous discuté avec Gilles Bannier de la direction qu’il souhaitait donner au projet ? 

Non. Cela n’aurait pas été bénéfique et je ne crois pas que lui-même l’aurait souhaité : le propre d’une bonne adaptation est de prendre certaines libertés vis-à-vis de l’œuvre. Tout ce que j’avais à faire, c’était de le laisser tranquille et d’attendre qu’il finisse son film. Gilles et moi ne nous sommes rencontrés qu’une fois celuici terminé. 

Quels traits physiques prêtiez-vous à votre héros lorsque vous écriviez ? 

Il devait incarner Monsieur Tout-le-monde, un type absolument ordinaire, sans rien qui dépasse. 

Que pensez-vous du choix de Reda Kateb pour l’interpréter ? 

Je l’avais vu, et aimé, dans ZERO DARK THIRTY , le film de Kathryn Bigelow - à l’époque, je pensais que c’était un acteur américain. Puis j’ai découvert UN PROPHÈTE de Jacques Audiard et j’ai compris qu’il était français. Cela a été une heureuse surprise de le retrouver dans ARRÊTEZ-MOI LÀ. Reda Kateb traverse le film d’une façon très douce, même si on ne retrouve pas forcément cette douceur dans le livre. Samson, son personnage, est plus positif et plus aimable que ne l’est Jeff : il est moins acide, peut-être un peu moins sauvage - il a une petite amie - mais il a la même humilité : c’est quelqu’un qui n’a pas vraiment réussi sa vie, il laisse venir les événements à lui, et Reda Kateb est parfait dans ce rôle. 

On est frappé de voir à quel point l’innocence de l’inculpé compte finalement peu dans cette affaire. 

Contrairement à ce que croient la plupart des gens, justice et moralité ne vont pas forcément de pair. Cela ne se passe pas comme ça, il n’est même pas écrit dans la loi qu’une personne doit être libérée si elle est innocente. La scène à la fin du procès est tout à fait exemplaire à ce titre : alors que la fillette est retrouvée et que l’innocence de Samson est donc prouvée, Samson n’est pas libéré pour autant. Cela n’a rien d’exceptionnel et c’est un sujet que j’avais à cœur d’explorer à travers ce personnage. 

Sa candeur finirait presque par en faire le coupable idéal. 

Il est naïf, c’est vrai, et croit vraiment que son innocence est suffisante, mais je dirais plutôt qu’aux Etats-Unis, et sans doute en France aussi, si vous n’avez pas d’argent et si vous vivez seul, que vous n’êtes pas marié, vous devenez une cible parfaite aux yeux du système judiciaire. On peut vous accuser de n’importe quoi. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas commis un crime que vous ne courez pas le risque d’être arrêté un jour. La seule protection, c’est d’être riche et d’avoir des relations. 
« LA SEULE PROTECTION, C’EST D’ÊTRE RICHE ET D’AVOIR DES RELATIONS.» 
Le héros commet des erreurs : il commence par mentir, au moins par omission. 

Personne n’est immédiatement honnête lors d’un interrogatoire de police. Et puis, il y a cette histoire de course gratuite. Il risque de perdre sa licence, c’est sérieux. 

Chauffeur de taxi, est-ce un des nombreux métiers que vous avez exercés parallèlement à votre activité d’écrivain ? 

Oui, en 1986, j’ai conduit un taxi durant six semaines à Philadelphie. Ce n’était pas très lucratif. La location du taxi me coûtait 50 dollars par nuit. Comme je débutais, on m’avait confié les créneaux du lundi, du mardi et du mercredi, des nuits où la clientèle était rare, et j’avais beaucoup de difficultés à ramener davantage que les 50 dollars de ma mise. C’est tout juste si au bout d’une semaine de travail de 36 heures, je parvenais à gagner 8 dollars. J’ai jeté l’éponge. Pour bien vivre dans ce métier, il faut s’accrocher. 

Pour revenir au film, diriez-vous de votre écriture qu’elle est cinématographique ? 

Je dirais qu’elle l’est presque à mon insu. Je suis un enfant du cinéma autant qu’un enfant de la littérature. Les idées me viennent de façon très visuelle, et j’ai conscience de découper les choses un peu comme le ferait un réalisateur. J’ai déjà un peu mâché le travail du cinéaste ! 

N’avez-vous jamais eu envie d’écrire un scénario, voire de passer à la mise en scène ? 

Je ne suis pas certain d’être la bonne personne pour cela : j’aime avoir le contrôle total sur ce que je fais. Il faudrait vraiment que je sois en mesure de prendre toutes les décisions sans que personne ne vienne m’apporter la contradiction. Je préfère rester écrivain.

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