vendredi 15 février 2019

LE CHANT DU LOUP


Drame/Un scénario malin, une réalisation maîtrisée, une très bonne surprise

Réalisé par Antonin Baudry
Avec François Civil, Omar Sy, Reda Kateb, Mathieu Kassovitz, Paula Beer, Etienne Guillou-Kervern, Nicolas Van Beveren, Arthur Choisnet...

Long-métrage Français
Durée : 01h55mn
Année de production : 2018
Distributeur : Pathé 

Date de sortie sur nos écrans : 20 février 2019


Résumé : Un jeune homme a le don rare de reconnaître chaque son qu’il entend. A bord d’un sous-marin nucléaire français, tout repose sur lui, l’Oreille d’Or.

Réputé infaillible, il commet pourtant une erreur qui met l’équipage en danger de mort. Il veut retrouver la confiance de ses camarades mais sa quête les entraîne dans une situation encore plus dramatique.

Dans le monde de la dissuasion nucléaire et de la désinformation, ils se retrouvent tous pris au piège d’un engrenage incontrôlable.

Bande annonce (VOSTFR)


Ce que j'en ai pensé pour son premier film, le réalisateur Antonin Baudry n’a pas cherché la facilité. LE CHANT DU LOUP est ambitieux par son contexte, celui des sous-marins. Le réalisateur parvient fort bien à nous faire ressentir l'enfermement et l'étroitesse des cabines de commandement. Il filme de façon fluide et nous accompagne habilement au travers des procédures qui nous sont inconnues et qui sont codifiées, donc difficiles à comprendre par la parole uniquement. Il rend tout cela clair. Il est juste dommage que certaines répliques ne soient pas très audibles, car on voudrait tout comprendre tant on est pris dans l’action. 

Le scénario, dont il est l’auteur, est très bien travaillé et malin sur toute la partie intrigue stratégique qui s'intègre parfaitement dans l’environnement choisi. Il pose le contexte, fait monter la tension au fur et à mesure et inclus un peu d'humour, toujours bienvenu sans jamais être maladroit. Il sait également nous familiariser rapidement avec les éléments qui tournent autour du repérage acoustique. Il est très appréciable que les protagonistes ne soient pas des héros à qui tout réussi, imbattables, sans failles. Au contraire, ils font des erreurs, ont des doutes et savent utiliser leur courage et des ressources inopinées pour se sortir de situations compliquées. De ce fait, ils sont très attachants. 

En ce qui concerne l'oreille d'or (Officier marinier [sous-officier] chargé d'écouter les bruits provenant de l'extérieur du bâtiment grâce au sonar et de les identifier. Ces bruits peuvent être d'origine biologique, sismique ou humaine [bateaux de commerce ou de guerre, sous-marins, exploitations pétrolières...]. Source de cette définition Wikipedia) qui est le lien entre les scènes, les hasards font parfois un peu trop bien les choses pour que l'enchaînement de ce qui lui arrive soit tout le temps crédible. Néanmoins, cela n'empêche absolument pas de s'attacher au personnage de Chanteraide interprété par le charmant François Civil. En effet, plusieurs scènes mettent adroitement en valeur ce métier surprenant, rendant ce protagoniste intéressant à suivre. 




Ce qui est sûr, c’est qu’on tremble face aux rebondissements inattendus qui jalonnent cette histoire. Les acteurs sont tous impeccables, il faut dire que le casting est enthousiasmant, puisqu’en plus de François Civil, il se compose d’Omar Sy qui interprète l’officier D'Orsi, Reda Kateb qui interprète le commandant Grandchamp, Mathieu Kassovitz qui interprète l’amiral Alfost et Paula Beer qui interprète la touchante Diane.





LE CHANT DU LOUP est une très bonne surprise, car son réalisateur assure à son film une atmosphère maîtrisée visuellement, une histoire prenante et des acteurs qui nous font vivre cette aventure de l’intérieur avec conviction. 

Copyright photos © Julien Panié

NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire/regarder qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

Suite à la projection de ce film dans le cadre du Club Allociné le lundi 4 février 2019 au Forum des Images à Paris, le réalisateur Antonin Baudry ainsi que les acteurs François Civil et Reda Kateb ont eu la gentillesse de venir à notre rencontre pour une session de questions / réponses que vous pouvez découvrir dans les vidéos ci-dessous :




Notes de production

ENTRETIEN ANTONIN BAUDRY

Une des surprises réservées par LE CHANT DU LOUP, c’est qu’il ne ressemble pas vraiment à un film français à gros budget avec des acteurs connus. Par exemple, ce n’est ni un polar, ni une comédie. Vous avez conscience de cette différence ?

Oui j’en ai totalement conscience. Et je remercie vraiment mes producteurs, Jérôme bien sûr, mais aussi Alain Attal et Hugo Sélignac, de m’avoir fait confiance pour cette aventure risquée. Je remercie aussi tout autant ceux qui ont donné sans compter, pendant des mois et certains des années, pour ce film – je pense à toute mon équipe. Ce n’était pas évident de faire confiance à quelqu’un qui n’a encore jamais fait de film, chacun d’entre eux avait le choix entre ce projet et d’autres, et ils m’ont suivi. Stéphane Riga (producteur exécutif et artistique) est le premier nom qui me vient à l’esprit. Je ne remercierai jamais assez ceux qui m’ont fait confiance. C’est une chance. L’originalité du projet a plu. C’est ça qui nous a donné l’énergie.

D’où vient cette histoire de sous-marin ? Le genre est plutôt traditionnellement américain. Ça réactive également des souvenirs de la guerre froide…

J’aime les mondes inconnus, invisibles, le mystère. Quand j’ai pu m’immerger dans un sous-marin pendant plusieurs jours, j’ai été saisi. On a l’impression d’être dans le ventre d’une baleine. Les machines sont semi-organiques. Les équipages se connaissent intimement. C’est un microcosme de la société dans lequel ce qui sépare les gens à la surface – la religion, la politique, les origines – n’existe pas. Seuls comptent la solidarité, le courage, le fait de pouvoir réagir ensemble. Et en même temps le monde des sous-marins nucléaires est un univers dur, qui met en jeu la dissuasion nucléaire, l’auto-annihilation de l’espèce. J’ai voulu essayer de comprendre ce paradoxe : ils s’entrainent à la guerre pour qu’elle n’ait pas lieu : c’est le principe de la dissuasion, qui structure la doctrine française de défense. Autour de cette idée, bien réelle, de l’ordre irréversible. C’est très particulier.

Votre expérience antérieure dans la diplomatie, vos connaissances en géopolitique vous ont-elles servi pour l’écriture du scénario du CHANT DU LOUP ?

Il y a une dimension géopolitique dans le film. Bien sûr, mes connaissances en la matière m’ont servi. Les relations internationales, sous les apparences, ça reste le domaine de la guerre de tous contre tous, le Leviathan. Les adversaires vous piègent, les amis vous trahissent. Des engrenages fatals peuvent se déclencher très vite. Je connais ces rouages. Les événements que je décris pourraient vraiment avoir lieu un jour, hélas – sans que nous n’en sachions rien. Dans ce film, tout est montré du point de vue des sous-mariniers : ils ne savent pas tout et n’assistent pas aux discussions des décideurs politiques. Ils assument, pour le meilleur et pour le pire, les décisions.

Parfois, il faut le courage exceptionnel de quelques hommes pour sortir d’un engrenage fatal. Nous n’en savons rien, ici, à la surface, et nous n’en saurons jamais rien... tant que le pire est évité.

Est-ce que c’est un film qui fait l’éloge d’un héroïsme discret ?

Il est difficile de ne pas être sensible à l’héroïsme de personnes invisibles, qui font des choses dont personne ne saura jamais rien et qui risquent leur vie pour cela. Cet héroïsme qui ne vise aucune reconnaissance me touche profondément.

Est-ce que la construction scénaristique du CHANT DU LOUP, avec ce prologue qui nous propulse tout de suite de plain-pied au cœur de la tension, s’est imposée tout de suite ?

J’aime entrer in medias res dans une histoire, sans préambule. Pour moi, la meilleure façon de présenter des personnages, c’est de les voir dans l’action. Ensuite, on peut se demander qui ils sont. Un commandant de sous-marin qui rentre après sept semaines d’action intense sous les mers, quand il rentre chez lui, c’est qui ? C’est un type comme tout le monde, qui marche seul dans la rue avec son baluchon sur le dos. A quoi pense-t-il ? Comment vit-il, tout d’un coup, la solitude, après des semaines passées à devoir prendre une décision à chaque minute ?

Comment s’est passé le tournage ? Il faut rappeler que c’est votre premier long-métrage…

Il y avait sur le plateau de tournage la même énergie que j’ai trouvée dans un sous-marin en mission. Intense et extrême, en immersion. C’était magique.

Avez-vous tourné les scènes de sous-marin dans un véritable sous-marin ou avez-vous tout reconstitué en studio ?

On a tourné avec des vrais sous-marins pendant leurs temps d’exercice ! Pour les intérieurs, on a recréé les salles de commandes des deux sous-marins en studio. Benoît Barouh, le chef décorateur du film, a fait un travail extraordinaire. En dernier ressort, pour les plans littéralement infilmables sous l’eau, j’ai eu recours aux technologies numériques.

A ce propos, quelle est la part des effets spéciaux dans ce film ? Est-ce que ça allonge beaucoup le temps de la post-production ?

C’est à la fois un pouvoir supplémentaire et une difficulté supplémentaire. On peut montrer des choses qu’on ne pourrait pas montrer sans. Mais il faut avoir une ligne claire, s’y tenir tout en étant capable de tout changer, et beaucoup s’investir en termes de temps. Pour chaque plan numérique, il y a mille étapes. Quand on vous propose un plan, il faut en général dire non, refaire. C’est quand on travaille un plan numérique qu’on comprend, par contraste, ce qu’est le réel : une série d’accidents imprévisibles.

Votre film donne un sentiment de réalisme, de précision dans la connaissance des procédures, des rituels à l’œuvre dans un sous-marin. Cette précision vient-elle de votre imagination de scénariste ou des informations que vous avez recueillies lors de vos séjours en sous-marin ?

J’ai passé en tout plusieurs semaines en immersion sous l’eau, à bord des deux types de sous-marins français (les Sous-marins Nucléaires d’Attaque, SNA, et les Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engin, SNLE). J’ai beaucoup observé tout ce qui se passait, de la chaufferie nucléaire à la salle des commandes. Toutes les procédures que je montre dans le film sont basées sur une observation précise, de la plus simple (détecter un bateau inconnu) à la plus complexe (vérifier l’authenticité d’un ordre du président de la république). J’ai décidé de conserver la façon d’être et le langage des sous-mariniers tel qu’il était, sans rien édulcorer. J’ai fait le pari qu’avec les images le spectateur comprendrait tout ce qui se passe – comme je l’ai moi-même fait quand j’ai été à bord. 

Je crois que la façon de parler, le langage étrange des sous-mariniers constitue un élément dramatique important pour le film, c’est pourquoi les termes techniques ont été maintenus dans leur réalisme et leur vérité humaine. De la même manière, tous mes décors sont construits à l’échelle 1, c’est-à-dire qu’on n’a pas triché les espaces pour avoir plus de place pour la caméra. Les acteurs ont dû jouer et bouger dans un espace très confiné, et on a fait des prouesses techniques pour pouvoir les filmer malgré l’exiguïté des décors. C’était important de faire cet effort. Je voulais que le plateau devienne un lieu de vérité, et que les comédiens agissent dans des situations réelles.

La vie dans un sous-marin, ce sont des rituels et des accidents. Les rituels permettent d’effectuer en groupe des opérations complexes, où il faut à la fois gérer une chaufferie nucléaire, naviguer à l’aveugle sous des centaines de mètres d’eau, détecter et identifier tout ce qui bouge autour, et surtout se maintenir indétectable, y compris par d’autres bateaux alliés et même français. Alors chacun déroule des rituels, des litanies de chiffres, de codes, qui servent à vérifier que la situation est « cohérente », à corroborer.

C’est un ballet, une chorégraphie où chacun sait ce qu’il a à faire, assume son rôle. Mais il y a aussi une autre dimension : chaque sous-marinier respire sur une longueur d’onde qui lui est propre, et qui s’accorde avec celle des autres. Il faut sentir cela, profondément, et le transcrire – le montrer avec des images, des visages, des figures, des raccords, des notes, des sons...

Au centre du film, il y a le personnage de l’Oreille d’or…

Dans un sous-marin qui n’a ni porte ni fenêtre, tout ce que vous percevez du monde extérieur, c’est uniquement les sons. L’Oreille d’or d’un sous-marin, c’est celui qui sait reconnaitre, identifier et analyser les sons. Il y a en France une poignée d’Oreilles d’or, et une école pour les former, dont le nom est magique : le Centre d’Interprétation et de Reconnaissance Acoustique (CIRA). C’est une école très peu connue, dont toutes les activités sont top secrètes. Les Oreilles d’or doivent pouvoir échanger entre eux sur les sons qu’ils entendent. C’est pourquoi ils développent un langage, des mots pour qualifier chaque son. Ils appellent cela des « critères psycho-acoustiques », mais en réalité c’est vraiment un langage : un son en « froissement d’étoffe », type « galop de cheval », une « cavitation sèche », un « bruit mouillé avec impression de masse », etc. Quand j’ai découvert cela, ça m’a beaucoup plu. Il y a une dimension poétique forte dans l’univers du sous-marin.

D’autre part, une Oreille d’or, c’est forcément quelqu’un d’hyper-sensible. Quand vous avez des antennes qui vous rendent plus sensibles, vous êtes plus fort, mais aussi plus fragile. Vous percevez, dans la vie quotidienne, des choses que personne autour de vous ne perçoivent, qui n’existent pas pour les autres. C’est à la fois un grand pouvoir et une chose qui vous isole. A bord du sous-marin, la tâche de l’Oreille d’or est exactement celle du poète : nommer les phénomènes, dire le vrai, décrire le monde qui les entoure. C’est Orphée – et la trajectoire de Chanteraide, l’Oreille d’or et le héros du film, est orphéique. Il descend aux enfers, puis en remonte – mais pas indemne.

C’est aussi une sorte de marginal, quelqu’un d’un peu inadapté à l’institution, qui a souvent des soucis avec la hiérarchie parce qu’il n’est pas complètement dans le moule…

Ce qui m’a tout de suite beaucoup frappé, c’est que dans les sous-marins le meilleur outil de détection des sons soit, encore aujourd’hui, non pas une machine mais une oreille humaine. Il y a, dans l’identification d’un son, toute une dimension interprétative, intuitive même. Un commandant qui prend une décision dans son sous-marin aime voir l’Oreille d’or lui dire les yeux dans les yeux que la situation est claire et que le son bizarre qu’on entend dans le Nord n’est pas une menace, mais un biologique. Dans le monde d’aujourd’hui, c’est une situation peu banale.

Chanteraide est quelqu’un qui est en butte avec le système, justement parce qu’il a cette hyper sensibilité. Cette sensibilité au son le met en danger. Dès que vous avez des antennes que les autres n’ont pas, vous êtes par nature en conflit avec le système. Et c’est ça aussi que j’ai voulu raconter.

J’ai l’impression que vous éprouvez une certaine fascination pour la discipline, la rigueur, cette communication très codée entre les hommes…

Non, ce qui me fascine c’est l’inverse. Nous vivons tous dans des systèmes dans lesquels il y a des codes et des normes. Et ce qui me fascine c’est comment les individus se débrouillent avec ce système et, à un moment donné de leur vie, doivent choisir.

Les sous-mariniers sont des gens qui embarquent sous l’eau pendant 70 jours d’affilée, sans voir la surface et en étant tout le temps les uns avec les autres. Pendant une grande partie de leur existence, leur vie privée se résume à la famille des sous-mariniers. C’est dans cet univers que j’ai voulu montrer les conflits intérieurs auxquels est confronté chaque personnage. C’est un film sur les décisions intérieures. Chaque personnage a son dilemme, son moment de doute profond. Pour moi, ce sont les temps forts du film.

Le huis-clos donne aussi au film un poids, une densité…

Le huis-clos donne évidemment une force et une énergie particulières, surtout s’il agit par contraste avec le monde extérieur, le monde de la surface. Cet ancrage dans des lieux qui sont, à la fois, très réalistes et très serrés, crée une grande intensité humaine. Ce dispositif est très cinématographique, car il permet de déployer des moments d’intériorité à plusieurs. C’est une situation unique qui prend parfois la tournure d’un moment de grâce.

Parlons des comédiens. Tout d’abord, avez-vous eu la possibilité de choisir vos acteurs ? Ce qui est intéressant dans ce casting, c’est qu’il est juste et, en même temps, légèrement décalé ou inattendu, comme dans le cas d’Omar Sy, peu familier de ce genre de rôles mais très crédible.

Oui : il fallait non seulement trouver le bon acteur pour le bon personnage (évidemment !), mais aussi qu’ils forment une famille à la fois unie et profondément diverse. Je voulais des types d’hommes très différents, un microcosme de la France. Avec des personnalités différentes, des plastiques différentes, des beautés différentes. J’ai la chance d’avoir pu recruter les acteurs dont je rêvais. Confier un personnage à un acteur, c’est un transfert très particulier. On sait qu’il va en faire quelque chose d’inattendu et, en même temps, c’est précisément ça qu’on espère. J’essaie de créer l’espace pour que les comédiens aient cette liberté.

Vous leur avez fait faire des stages en immersion ?

François, Omar, Mathieu et Réda ont vécu chacun une journée complète en immersion, à la profondeur maximale qu’un sous-marin peut atteindre – profondeur confidentielle, impossible à révéler ! Ils se sont imprégnés du langage et des gestes des sous-mariniers. C’était très important. Et puis nous avons passé du temps tous ensemble, avec tous les acteurs du film, pour former un équipage, trouver notre chorégraphie. Sur le plateau, il y avait des vrais sous-mariniers qui avaient candidaté pour des rôles de figurants, et je les ai intégrés à l’équipe avec plaisir. Cela a beaucoup contribué au réalisme du film.

Au bout de quelques jours de tournage, tous les acteurs parlaient couramment le langage des sous-mariniers et connaissaient les procédures à suivre, comme s’ils étaient dans un vrai sous-marin. A plusieurs reprises, j’ai demandé aux acteurs d’improviser leur réaction à tel ou tel événement. Ils l’ont fait avec aisance et brio. C’était bluffant. J’ai gardé ces plans au montage.

En quoi consiste, pour vous, la direction d’acteur ? Quel genre de choses dites-vous aux comédiens ?

Pour moi c’est un chemin. Il est unique pour chaque acteur. L’enjeu, c’est l’incarnation. C’est très difficile, pour tout le monde. On n’est jamais sûr d’y arriver. Rien n’est jamais acquis. Et puis, il y a un moment où, tout d’un coup, l’incarnation a lieu. Les comédiens offrent un moment de réel, un moment de grâce. La caméra enregistre cela. Tout le reste est anecdotique.

Dans le film, il y a une femme, qui a comme un statut à part.

Le personnage de Diane incarne le monde extérieur au sous-marin : alors que tous les personnages du film sont des hommes et des sous-mariniers français, elle est une femme, elle n’a rien à voir avec les sous-marins et elle n’est pas française. Elle représente le monde de la surface – elle nous représente tous.

Le lien très fort qui se crée immédiatement avec l’Oreille d’or fonctionne comme un aimant. C’est à travers elle qu’il découvre la clé de l’énigme qu’il cherche. De par cette rencontre, l’avenir de Chanteraide se transforme, et, à plus grande échelle, celui du monde change aussi. C’est souvent vrai dans la vie : vous faites une rencontre et, sans savoir pourquoi, cela va modifier la trajectoire de votre existence. Sans qu’il y ait réellement une cause et un effet, il y a une connexion qui se fait. Cette connexion a des conséquences imprévisibles.

Pour en revenir aux films de sous-marins, il est clair que Le Chant du Loup va au-delà des codes de ce genre, et qu’il a un caractère hors-norme. Mais y-a-t-il des films qui vous ont particulièrement inspiré ?

Oui, je suis conscient que c’est un film atypique. En tout cas si l’on cherche à le faire rentrer dans le « genre » du « film de sous-marin ». C’est à ma connaissance le premier réalisé en France – en tout cas depuis plusieurs décennies. Peut-être parce que j’ai voulu m’inspirer du réel, davantage qu’adopter les codes d’un genre pré-établi. Je ne me suis donc pas inspiré d’autres films de sous-marins. Presque tous sont américains. Or, en France, nous sommes aussi confrontés à la question du nucléaire, de la dissuasion, nous avons aussi cette armada de sous-marins et, ce que j’ai pu y observer ne correspond pas à ce qu’on voit dans les films américains.

Donc, j’ai décidé de m’inspirer uniquement de ce que je voyais ou de ce que je ressentais. Même s’il y a des films de sous-marins que j’adore comme DAS BOOT (LE BATEAU) qui est un film sublime, ou À LA POURSUITE D’OCTOBRE ROUGE.

Dans la mesure où le film se déroule dans un milieu militaire très sensible, avez-vous dû donner des gages à l’armée française ?

La seule contrainte était de ne pas révéler des choses qui mettraient en danger les sous-mariniers français. Or, ces secrets reposent principalement sur des chiffres. Ce ne sont pas des choses qui m’intéressaient pour le film. Par conséquent, il n’y a eu aucun souci.

ENTRETIEN FRANCOIS CIVIL

Comment avez-vous envisagé la question du son et de l’écoute, sachant que votre personnage est surnommé « L’Oreille d’Or » ?

C’était central. Chanteraide est doué d’une ouïe exceptionnelle, qui change complètement sa perception du monde. J’ai rencontré des Oreilles d’Or qui m’ont beaucoup parlé de leur métier de manière pragmatique, mais en creusant un peu, j’ai appris comment ce dernier impactait leur vie quotidienne. Ils sont sujet à des déformations professionnelles sans arrêt ! Il était donc évident que Chanteraide appréhenderai le monde de manière singulière. Je me suis imaginé qu’il était synesthète. C’est une particularité rare qu’ont certains individus de mélanger plusieurs sens. Les sons qu’il entend lui évoquent des images. Ça collait parfaitement avec le fait que ses oreilles sont les yeux du sous-marin.

Dans LE CHANT DU LOUP, vous faites équipe avec des comédiens plus chevronnés que vous. Est-ce que c’est un atout ? Est-ce que ça vous a stimulé, aidé ? Ou bien, au contraire, est-ce que ça vous a fait peur ?

J’appréhendais forcément un peu à l’idée de rencontrer des acteurs dont j’admire le travail. Mais on s’est tout de suite bien entendu. On est devenu un équipage et on prenait tous un plaisir dingue à faire exister ce sentiment de famille, à se tirer les uns les autres vers le haut. Les sous-mariniers, une fois à bord de leur submersible, ont pour coutume d’enlever leurs grades de leurs tenues. Ça permet de mettre tout le monde sur un pied d’égalité et de souligner l’importance de chaque homme, quel que soit son rôle.

J’ai senti tout de suite que c’est ce qui s’est passé aussi entre les comédiens. Tout le monde était au service de la mission : faire le meilleur film possible.

LE CHANT DU LOUP est le premier long-métrage d’Antonin Baudry. Quel genre de rapports avez-vous entretenu avec votre réalisateur ? Était-il très dirigiste ? Quels genres d’indications vous a -t-il donné ?

Quand on discute un peu avec Antonin, on a vite l’impression qu’il a vécu douze vies ! C’est impressionnant. C’est quelqu’un de passionné et de passionnant. Son intelligence est à la hauteur de sa sensibilité. Son implication tant dans la forme que dans le fond, son souci du détail et son engagement sur le tournage ont été total. Nos conversations avant et pendant le tournage n’ont jamais cessé de m’enthousiasmer et de m’inspirer. Il m’a donné beaucoup de matière sur laquelle m’appuyer, des pistes de réflexions, des lectures…

Il a une force de travail, une poésie, une ambition, une gentillesse qui font qu’on a envie de tout lui donner.

Ça a été un réel bonheur de le rencontrer et de partager tout ça avec lui.

Quel a été votre degré d’intérêt pour l’univers très particulier des sous-marins nucléaires ? Avezvous découvert un monde que vous ignoriez ? Avez-vous été passionné par cet univers aux règles très strictes et aux limites très précises ?

J’ai été fasciné par ce monde dont j’ignorais tout. Fasciné par cette machine qui contient plus de technologie qu’une fusée et qui finit pourtant par s’en remettre à l’homme, à ses sens, à son instinct.

Fasciné par le fonctionnement codifié de cette micro société coupée du reste du monde pendant plusieurs mois, dans un espace si exigu. Fasciné par ces hommes et leur abnégation, leur solidarité, leur engagement. Des hommes qui s’entrainent à la guerre pour l’éviter. Tout tournage a son lot de découvertes, mais je dois avouer que celui-ci était d’une richesse sans égale.

Comment définiriez-vous les relations de votre personnage avec les autres et avec le monde extérieur ?

Chanteraide a un don, une hyper sensibilité qui lui donne des pouvoirs que les autres n’ont pas. Ça fait de lui le meilleur dans son domaine, mais fatalement ça l’isole aussi des autres. Cette sensibilité lui confère une forte intériorité, une certaine fragilité qui le distingue du reste des protagonistes. Ce degré de solitude et cet aspect rêveur sont des choses qu’il m’a fallu trouver, composer. Malgré sa différence, Chanteraide considère l’équipage comme des membres de sa famille. Il voit en Grandchamp une figure paternel qu’il admire par-dessus tout. C’est sur les bases de cet amour et cette confiance qu’il croit perdue, qu’il s’obstine à essayer de réparer son erreur de la première mission, qui a failli couter la vie à tout l’équipage. Cette obsession va le pousser à enfreindre les règles d’un monde pourtant très strict et protocolaire...

Votre personnage est le seul qui a une relation avec une femme. Comment avez-vous abordé les scènes avec Paula Beer qui incarne une libraire complètement étrangère au monde très fermé des sous-marins ?

Leur rencontre est une respiration au milieu du film et l’était aussi sur le tournage. Elle m’a permis d’explorer une autre facette de Chanteraide. Cette rencontre qui bouleverse sa vie va aussi renforcer le dilemme auquel il fait face à la fin du film. Jouer avec Paula a été un bonheur. Sa présence, son regard, sa liberté dans nos scènes m’ont impressionné.

ENTRETIEN OMAR SY LE CHANT DU LOUP est le premier long-métrage d’Antonin Baudry. Quel genre de directeur d’acteur est-il ? Est-il très directif ? Ou au contraire s’appuie-t-il sur les initiatives des comédiens ?

Étant donné que c’était son premier film, on aurait pu se dire qu’Antonin venait chercher des acteurs plutôt expérimentés parce qu’il avait besoin d’être un peu aidé. Pas du tout. Ce que demandait Antonin était, à chaque fois, d’une très grande précision. On a énormément discuté avant. Mais sur le plateau, il savait exactement ce qu’il voulait. C’est intéressant de noter à quel point il était exigeant. Quelquefois presque trop. Parfois, j’avais besoin de comprendre la nuance car il me demandait des choses que j’avais l’impression de lui avoir donné. Il savait exactement ce qu’il attendait de ses acteurs. En même temps, Antonin est quelqu’un qui se fie beaucoup à l’instinct, même si, par ailleurs, il est très raisonné, très réfléchi, il prépare beaucoup. Mais une fois que son cerveau a fait tout le boulot, il y a une part d’instinct qui se libère. Il se fiait aussi beaucoup à l’instinct de ses acteurs. C’est aussi à ce niveau-là qu’on avait quelque chose à partager.

Dans la mesure où LE CHANT DU LOUP est un film dans lequel les personnages entretiennent des rapports très forts, est-ce que ça a produit quelque chose de particulier dans vos relations avec les autres comédiens ?

Oui mais, en fait, ça s’est passé avec toute l’équipe. En studio, les dimensions du sous-marin étaient exactement conformes à la réalité. On était dans une grande proximité, un peu les uns sur les autres. Il fallait donc s’habituer, trouver une forme d’harmonie. Ça crée des liens, des habitudes. De ce point de vue, c’était un tournage particulier. On a été en proximité pendant toute la durée du tournage. Mais, comme après tous les tournages, chacun a repris le cours de sa vie. En même temps, entre la fin du tournage et la sortie du film, ce n’est pas vraiment là qu’on peut savoir si des liens vont durer. C’est après la sortie que la vérité des relations apparaîtra. Je connaissais Mathieu Kassovitz. Je connaissais moins Reda Kateb avec qui ça a été une super rencontre. On a vraiment bien accroché et c’était super de travailler avec lui. Et François Civil, c’était un peu notre petit. On va le suivre comme notre petit frère. C’est le benjamin de la bande !

Est-ce que vous vous retrouvez dans le personnage que vous interprétez ? Ou, au contraire, est-ce que c’est un personnage qui n’a rien de commun avec vous ?

En apparence, il est très éloigné de moi. Dans la façon d’exprimer les choses, on est très différent. Mais je trouve qu’intérieurement, dans ce qui l’anime, dans ses valeurs, dans sa conception de la vie, on est finalement assez proches. Il a des principes et des valeurs qui me parlent énormément. Après, il les exprime d’une autre manière, d’autant plus qu’il évolue dans un milieu très différent, mais on est assez proche dans le ressenti.

Est-ce qu’en tant que spectateur c’est le genre de film que vous avez envie de voir ?

Complètement. J’adore ce genre de film. Je suis un peu un cliché : je suis un mec et ce genre de film ça me parle directement. D’ailleurs, ce que j’ai pu faire aux USA en tant qu’acteur ressemble beaucoup à ce genre de film. Quand on prend un film comme INFERNO, même si c’est moins spectaculaire, il y a le même genre de tension. Egalement, encore d’une autre façon, dans JURASSIC WORLD. C’est du cinéma spectacle. J’adore ça. J’étais donc hyper content et même fier de faire un film comme ça en France. Vraiment !

Est-ce que l’absence de femme, en dehors du personnage de Paula Beer que vous ne rencontrez jamais, était pesante ?

Je vais me faire un peu engueuler mais c’était assez récréatif. (Rires) On est dans un sous-marin, il n’y a pas de femme. C’est une ambiance fraternelle, entre potes. Au départ dans le scénario, on avait chacun notre vie mais ça n’a finalement pas pu être gardé. C’est intéressant de voir que ces mecs ont finalement deux vies. Ils ont leur famille avec femme et enfants et leur famille avec leurs potes. Il y a tout de même un côté un peu adolescent. Mais on a tous plus ou moins la nostalgie de ça.

Quelle a été votre réaction quand vous avez découvert LE CHANT DU LOUP ?

Je ne l’ai vu qu’une fois mais le film m’a paru vraiment à la hauteur de son ambition initiale. Antonin a réussi son pari de faire un film spectaculaire et intelligent. Il a réussi à mettre une tension de la première à la dernière minute. Il a fait un grand film dans lequel on sauve le monde. C’était ça le pari ! Je suis très content du film et je suis fier d’Antonin. En le suivant, je savais de quoi il pouvait être capable, mais, j’avoue qu’il m’a bluffé. Le scénario était tellement bon que c’était compliqué de rater le film. Mais Antonin a réussi à faire un film qui est encore meilleur que le scénario que j’avais lu. Il y a beaucoup de paramètres qui font que le film est assez bluffant : un premier film, un film d’un genre pratiquement inédit en France, un budget important… C’est quand même très ambitieux. Et pour moi, Antonin coche toutes les cases.

Est-ce que votre participation à ce film vous a amené à porter un regard différent sur la géopolitique internationale et les tensions qu’elles génèrent ?

Oui. Après cette expérience, après avoir échangé avec les sous-mariniers, je me suis vraiment interrogé sur la paix. Finalement, c’est quoi la paix ? Quand on voit le film mais aussi quand on a accès à des informations sur le travail de ces hommes dans un sous-marin nucléaire, on peut se poser plein de questions. Je ne peux plus passer au-dessus de la mer sans avoir une pensée pour ces hommes qui vivent dans les sous-marins. Je n’ai plus le même rapport à la mer.

ENTRETIEN MATHIEU KASSOVITZ

On peut dire que LE CHANT DU LOUP est un film de genre. Est-ce que vous avez une attirance particulière pour le film de sous-marins ? 

C’est un genre à part. Déjà, à la mise en scène, c’est très compliqué à gérer parce qu’on passe son temps dans des endroits confinés, très petits. Il y a toute une dramaturgie qui naît de la vie entre les hommes. Pour tout réalisateur, c’est un sujet passionnant, notamment en raison de cet espace clos. Qu’est-ce qu’on peut faire avec une caméra dans un endroit qui ressemble à un tube en longueur où les gens n’ont pas la place pour marcher ? Le film en huis-clos est également un genre à part entière. C’est très jouissif à regarder au cinéma. Parce qu’on fait appel à l’essence même du cinéma.

Est-ce que ça vous a surpris qu’un cinéaste français s’attaque à ce genre, alors qu’en général les films de sous-marins sont d’abord américains ?

Non. Il n’y a pas de films de genre. LE CHANT DU LOUP est un thriller qui mélange politique et action. Tous les films sont des films de genre. Deux personnes qui sont dans une cuisine, c’est un film intimiste, c’est-à-dire un genre. Et tous les genres sont intéressants quand les films sont bons. Pour LE CHANT DU LOUP, le scénario était bon. Et c’est particulièrement important pour un film de sous-marins. Il faut tenir le suspense. Si on a affaire à des sous-marins, on a généralement affaire également à des hommes qui doivent prendre des décisions très importantes pour leur survie. La barre est haute. Mais là, de toute façon, le scénario était très bon. Ce qui m’a surpris c’est qu’on ait confié autant d’argent à quelqu’un qui n’avait jamais fait de film. Mais quand on n’a jamais fait de film et qu’on écrit un scénario comme celui-là, un producteur comprend que la personne maîtrise son sujet et que, par conséquent, le tournage devrait bien se passer.

Justement, parlons d’Antonin Baudry. Comment était-il sur le plateau ? Était-il très dirigiste ?

Il connaissait son sujet, son histoire. Il connaissait la fonction de chaque personnage. Quand on fait un film comme ça avec des militaires, au-delà des problèmes psychologiques des personnages, il y a toujours un moment où on se raccroche au protocole qu’ils doivent suivre. Et ça a beaucoup aidé Antonin à tenir les acteurs et à aller au bout de ce qu’il voulait faire.

Malgré tout, il s’agissait d’un cinéaste qui n’avait jamais dirigé des acteurs. Comment ça s’est passé ? Est-ce que vous lui avez fait confiance ? Est-ce que vous avez cherché à imposer votre vision du personnage ?

On en a parlé avant. On n’était pas dans l’histoire d’un père qui va enlever sa fille, qui est au bord du suicide… En fait, il n’y avait pas grand-chose à discuter. On peut parler de la coiffure du personnage, de son habillement, de la manière dont il salue et bien sûr de sa mentalité. Mais, à partir du moment où l’on voit que c’est une mentalité de militaire qui obéit forcément au protocole, le personnage apparaît très vite. Pour un personnage de militaire, il n’y a pas beaucoup de couches. En tout cas, dans ce genre de film.

Quels étaient vos rapports avec les autres comédiens ?

On n’était pas beaucoup ensemble. J’ai eu seulement une ou deux scènes avec Omar Sy ou avec Reda Kateb. J’ai eu davantage de scènes avec François Civil. Ça s’est super bien passé. On était heureux. On était tous conscients que le scénario tenait le coup, qu’on participait à un film assez particulier dans le cinéma français, que le réalisateur était un type brillant. C’est toujours agréable de travailler avec quelqu’un qui connaît son sujet et qui dirige les acteurs dans la direction où il veut aller. Donc, on était plutôt décontractés. En plus, c’était un plaisir de travailler avec les marins eux-mêmes – tous les gens qui faisaient de la figuration étaient des sous-mariniers. Sur une équipe de 20 comédiens, il y avait 5 vrais comédiens et le reste c’était des sous-mariniers. C’était obligatoire de prendre des sous-mariniers comme figurants pour donner de la crédibilité aux situations d’attaque dans le sous-marin. Ça aurait été impossible de faire la même chose avec des figurants classiques. Les sous-mariniers savent comment ça fonctionne.

Après avoir tourné le film, portez-vous un autre regard sur la géopolitique contemporaine ?

J’y avais déjà accès grâce au Bureau des Légendes. Il faut beaucoup d’expérience pour comprendre la géopolitique. La géopolitique ce n’est pas les news, c’est ce qu’il y a derrière les news. Il faut arriver à interpréter ce que tu vois dans les news avec ta propre connaissance du sujet et ta façon de recouper les informations. Si tu te contentes de regarder la même chaîne d’info tous les soirs, tu n’auras pas accès à la géopolitique, tu auras juste l’impression de la géopolitique. LE CHANT DU LOUP et Le Bureau des Légendes peuvent être complémentaires, l’action qui se passe dans LE CHANT DU LOUP peut se dérouler au même moment que certaines situations du Bureau des Légendes. En fait, une histoire comme celle du CHANT DU LOUP ça peut exister tous les jours et personne ne peut vous garantir qu’elle n’a pas existé. Pour comprendre la géopolitique, il faut énormément de recul. C’est plutôt ma curiosité pour la géopolitique qui me permet d’aborder Le Bureau des Légendes ou LE CHANT DU LOUP avec encore plus d’intérêt. J’aime bien faire partie de ce genre d’aventures qui sont proches de la vraie réalité. Les gens ont besoin d’en savoir un peu plus que ce qu’ils lisent sur Twitter. LE CHANT DU LOUP est un film vraiment intéressant parce que ce n’est pas juste un thriller avec du suspense mais aussi un film qui permet d’avoir accès à un monde inconnu du grand public. Même si, au final, la réalité dépasse toujours la fiction.

ENTRETIEN REDA KATEB

LE CHANT DU LOUP donne un sentiment de grande précision. Est-ce que ça s’est répercuté sur la façon dont Antonin Baudry travaillait sur le plateau avec vous ?

Oui. La précision était là. Je parlerai d’une exigence totale, de chaque moment. Mais, surtout, Antonin a un point de vue qui s’exprime toujours, même quand il s’agit de séquences avec une grosse équipe et beaucoup d’effets spéciaux. Ce qui m’a vraiment frappé chez Antonin, ce qui m’a rendu admiratif, c’est qu’en tant que réalisateur, il ne s’est pas transformé en faiseur, c’est-à-dire en quelqu’un qui essaie juste de mettre ses plans en boîte. Le pilotage d’un film comme celui-là c’est très lourd et beaucoup de réalisateurs qui, au début, ont une ambition artistique finissent souvent par juste essayer de faire que chaque journée se passe bien, que le nombre de plans prévu soit tourné. Antonin, lui, ne lâchait rien. On faisait beaucoup d’heures mais j’avais confiance en lui car je savais que, jamais, il n’allait lâcher un plan, une scène qui aurait été inaboutie. La précision, elle est aussi dans la langue. Sans parler de l’aspect sonore qui était très important. Dès qu’on a commencé à évoquer le film, Antonin m’a parlé d’une forme de chorégraphie sonore liée à la situation du sous-marin, un bâtiment dans lequel on ne voit que par ses oreilles. Dans la préparation, il était aussi question des intonations, de la manière dont se parlent les membres de l’équipage à l’intérieur d’un sous-marin. C’est quelque chose de militaire, sec mais qui comporte également une grande humanité. Ça m’a aussi permis d’envisager mon personnage, Grandchamp, comme une figure paternelle pour le personnage de Chanteraide et pour tout son équipage. Il ne s’agissait pas de jouer au commandant comme on joue à la guerre mais d’incarner un homme qui prend soin de son équipage, sur qui pèse une grande responsabilité, qui est porteur d’une mission. C’est quelqu’un qui a fait le choix, en total libre arbitre, d’aller au bout de sa mission. Le film montre aussi que rien ne remplace l’intuition, l’humanité.

Vous êtes-vous identifié à votre personnage ? Vous êtes-vous retrouvé dans sa manière d’être ? Y’a-t-il des qualités morales qui vous touchent chez lui ?

Je joue des personnages mais j’essaie toujours de trouver des connexions physiques, psychologiques, morales entre les rôles que j’interprète et moi. Mais, la plupart du temps, je me refuse à nommer directement ces rapprochements. Je me dis que, si on m’a choisi, c’est parce que je suis moi. Et, ensuite, j’ai un personnage à créer. En fait, je suis extrêmement loin de Grandchamp. Mais là où je peux tout de même m’identifier à lui, c’est dans le soin et l’attention qu’il donne aux autres. Très souvent, sur un plateau de tournage, je sais juste à l’oreille si la scripte a un rhume. J’envisage l’équipe de tournage, un peu comme un équipage de bateau ou de sous-marin mais je n’en suis pas le commandant. J’en suis un des agissants.

Dans le film, il y a une dimension fraternelle et, en même temps, une tension très forte parce que la situation s’y prête. Comment est-ce que ça s’est répercuté dans vos relations avec les autres comédiens ?

Ça s’est traduit par une bonne camaraderie, une forme de fraternité. On passait énormément de temps ensemble, donc c’était beaucoup de rires. Surtout avec Omar. D’autant plus que les choses qu’on avait à jouer ensemble étaient tellement en tension, en crescendo… Toute la scène du prologue, on l’a tournée comme un plan séquence. C’était vraiment comme au théâtre. On vivait une continuité de 15-20 minutes. Et à chaque fois, les nerfs étaient tellement tendus à l’intérieur de la prise que c’était un peu comme une équipe de rugby qui, entre les phases de jeu, se marre et déconne. On a pris du plaisir à jouer ensemble. Tous les acteurs sont un peu régressifs quand ils arrivent sur un tournage. On est un peu comme des enfants qui se déguisent.

Et, en plus, on avait plein de jouets autour de nous. Il y avait une belle bande de gamins qui faisait bien la différence entre la vie et ce qu’il y avait à jouer. La plus grande tension, elle existe surtout entre deux espaces, entre un sous-marin et la terre ou entre deux sous-marins. Mais, à l’intérieur de chaque lieu clos, on a affaire à des gens qui sont ensemble. De temps en temps, il y a l’éclosion d’un conflit mais qui doit tout de suite disparaître. Le plus important, c’est ce qui dépasse les personnages. Les enjeux sont beaucoup plus importants qu’eux.

Est-ce que ce film, compte tenu de son sujet, vous a amené à porter un autre regard sur la géopolitique internationale ?

Le film, je l’ai lu, je l’ai vécu, je l’ai tourné. Mais, en le découvrant, j’ai d’abord été un spectateur devant un film. Mais pas un spectateur du sens, plutôt un spectateur de la forme. C’est-à-dire comment ce film avait été réussi dans sa fabrication, dans sa facture. Pour ce qui est du contexte contemporain, je vois LE CHANT DU LOUP comme une métaphore. LE CHANT DU LOUP c’est ce qu’on entend quand un sous-marin a été repéré par un sonar actif. Donc, c’est le bruit qu’on entend au moment où on va se prendre une torpille. Et moi, j’entends LE CHANT DU LOUP comme une sorte d’avertissement. C’est-à-dire qu’on se rend compte que cette situation de tension ce n’est pas de l’anticipation. Ça peut être demain, après-demain, dans un mois. La situation géopolitique d’aujourd’hui est tellement tendue que le principe même de la dissuasion peut être mis en danger. Si la ligne est franchie par une grande puissance nucléaire, il n’y a plus de dissuasion. La dissuasion n’existe que jusqu’à ce que l’arme nucléaire soit utilisée. C’est un danger qui menace notre monde. En plus, on a tourné pile au moment où Trump et Kim Jong-un étaient en pleine escalade de tweets et de provocations. On ne peut qu’observer tout ça avec beaucoup d’inquiétude.

En quoi diriez-vous que ce film a été une expérience nouvelle pour vous ?

La note nouvelle, pour moi, c’était l’opacité. On joue souvent pour exprimer des sentiments. Et là, au contraire, l’idée était de mettre les sentiments au second plan, tout en faisant en sorte qu’ils soient tout de même là. Il y a tout un travail d’intériorité dont je ne saurais vraiment expliquer le processus mais où, en tout cas, on ne cherche pas à exprimer mais plutôt à faire sentir les choses. Quitte à les faire rentrer dans le réel de cette situation où l’on parle presque une langue étrangère. Par exemple, à certains moments, lorsque je dis, par exemple, « Cap au 1-7-2 », à l’intérieur je pense que j’ai peur pour mon ami. Mais ce qui sort c’est « Cap au 1-7-2 ». Lorsque je regarde un écran, je pense peut-être à ma femme qui est resté à terre et que, peut-être, déjà, il n’y a plus personne à Brest. Mais quand je regarde cet écran, je suis concentré sur la trace et sur ce qu’elle veut dire. C’est avant tout la situation qui nous dicte ce qu’on a à jouer. Et la situation me dictait en général beaucoup d’opacité pour mon personnage.

Comment voyez-vous le dilemme moral dans lequel se débat votre personnage, dans la seconde moitié du film ?

Pour comprendre ça, il faut justement passer du temps avec les sous-mariniers, avec des commandants de sous-marin, parler avec eux, se rendre compte qu’on a affaire à des gens qui sont très différents des militaires et de l’image traditionnelle qu’ils peuvent renvoyer. Dans les sous-marins, j’ai rencontré des gens cinéphiles, des intellectuels, des gens brillants dans énormément de domaines et avec une mise en perspective des choses vraiment intéressantes.

Eux me disaient qu’ils auraient appuyé sur le bouton. C’est pour ça qu’ils sont là. Le doute ne se pose pas. Sinon, ils n’auraient pas choisi d’être à ce niveau-là. Mais je n’ai pas rencontré des gens belliqueux, des chiens de guerre. Au contraire, j’ai rencontré des gens qui sont dans le soin, dans la bienveillance et qui sont investis d’une mission qui les dépasse mais qu’ils ont choisie. C’est un peu comme quelqu’un qui a décidé de rentrer dans les Ordres. La vocation d’une personne qui a de telles responsabilités sur les épaules, c’est assez mystérieux. Elle n’est pas dans un raisonnement ou dans une explication. C’est un peu comme croire en Dieu. Pour eux, la doctrine de la dissuasion, avec l’idée que la paix du monde repose là-dessus, c’est presque du domaine de la croyance en Dieu.

Au final, LE CHANT DU LOUP frappe par son réalisme…

Ça me paraît être dans la continuité de ce qu’on a tourné et, plus encore, de ce qu’on s’est raconté avec Antonin. Avant de faire un film, c’est très important, pour un acteur, de savoir dans quelle esthétique, dans quel point de vue, dans quelle optique on va donner vie à un personnage. Avec Antonin, on a passé beaucoup de temps à parler. C’est une chose qui lui tenait vraiment à cœur. Le grand film de sous-marin qui fait référence chez les sous-mariniers, et qui était une référence commune à Antonin, c’est DAS BOOT (LE BATEAU). Et c’est effectivement le film de ce genre le plus réaliste. C’est le film dans lequel les sous-mariniers se reconnaissent le plus. C’est leur film culte. Ce n’est ni USS ALABAMA, ni À LA POURSUITE D’OCTOBRE ROUGE, même si, comme moi, ils adorent. Ils attendaient qu’un film de sous-marin français rende hommage à leur travail si secret, si peu vu, aussi pour leur famille. De manière à ce que les gens voient un peu plus ce qu’ils font pour nous. Car ils ont le sentiment de vivre dans une dévotion totale pour qu’on puisse continuer à boire des cafés sur une terrasse. Ce film c’est LE CHANT DU LOUP.

Source et copyright des textes des notes de production @ Pathé

  
#LeChantDuLoup


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