Drame/Un scénario malin, une réalisation maîtrisée, une très bonne surprise
Réalisé par Antonin Baudry
Avec François Civil, Omar Sy, Reda Kateb, Mathieu Kassovitz, Paula Beer, Etienne Guillou-Kervern, Nicolas Van Beveren, Arthur Choisnet...
Long-métrage Français
Durée : 01h55mn
Année de production : 2018
Distributeur : Pathé
Date de sortie sur nos écrans : 20 février 2019
Résumé : Un jeune homme a le don rare de reconnaître chaque son qu’il entend. A bord d’un sous-marin nucléaire français, tout repose sur lui, l’Oreille d’Or.
Réputé infaillible, il commet pourtant une erreur qui met l’équipage en danger de mort. Il veut retrouver la confiance de ses camarades mais sa quête les entraîne dans une situation encore plus dramatique.
Dans le monde de la dissuasion nucléaire et de la désinformation, ils se retrouvent tous pris au piège d’un engrenage incontrôlable.
Bande annonce (VOSTFR)
Ce que j'en ai pensé : pour son premier film, le réalisateur Antonin Baudry n’a pas cherché la facilité. LE CHANT DU LOUP est ambitieux par son contexte, celui des sous-marins. Le réalisateur parvient fort bien à nous faire ressentir l'enfermement et l'étroitesse des cabines de commandement. Il filme de façon fluide et nous accompagne habilement au travers des procédures qui nous sont inconnues et qui sont codifiées, donc difficiles à comprendre par la parole uniquement. Il rend tout cela clair. Il est juste dommage que certaines répliques ne soient pas très audibles, car on voudrait tout comprendre tant on est pris dans l’action.
Le scénario, dont il est l’auteur, est très bien travaillé et malin sur toute la partie intrigue stratégique qui s'intègre parfaitement dans l’environnement choisi. Il pose le contexte, fait monter la tension au fur et à mesure et inclus un peu d'humour, toujours bienvenu sans jamais être maladroit. Il sait également nous familiariser rapidement avec les éléments qui tournent autour du repérage acoustique. Il est très appréciable que les protagonistes ne soient pas des héros à qui tout réussi, imbattables, sans failles. Au contraire, ils font des erreurs, ont des doutes et savent utiliser leur courage et des ressources inopinées pour se sortir de situations compliquées. De ce fait, ils sont très attachants.
En ce qui concerne l'oreille d'or (Officier marinier [sous-officier] chargé d'écouter les bruits provenant de l'extérieur du bâtiment grâce au sonar et de les identifier. Ces bruits peuvent être d'origine biologique, sismique ou humaine [bateaux de commerce ou de guerre, sous-marins, exploitations pétrolières...]. Source de cette définition Wikipedia) qui est le lien entre les scènes, les hasards font parfois un peu trop bien les choses pour que l'enchaînement de ce qui lui arrive soit tout le temps crédible. Néanmoins, cela n'empêche absolument pas de s'attacher au personnage de Chanteraide interprété par le charmant François Civil. En effet, plusieurs scènes mettent adroitement en valeur ce métier surprenant, rendant ce protagoniste intéressant à suivre.
Ce qui est sûr, c’est qu’on tremble face aux rebondissements inattendus qui jalonnent cette histoire. Les acteurs sont tous impeccables, il faut dire que le casting est enthousiasmant, puisqu’en plus de François Civil, il se compose d’Omar Sy qui interprète l’officier D'Orsi, Reda Kateb qui interprète le commandant Grandchamp, Mathieu Kassovitz qui interprète l’amiral Alfost et Paula Beer qui interprète la touchante Diane.
LE CHANT DU LOUP est une très bonne surprise, car son réalisateur assure à son film une atmosphère maîtrisée visuellement, une histoire prenante et des acteurs qui nous font vivre cette aventure de l’intérieur avec conviction.
Le scénario, dont il est l’auteur, est très bien travaillé et malin sur toute la partie intrigue stratégique qui s'intègre parfaitement dans l’environnement choisi. Il pose le contexte, fait monter la tension au fur et à mesure et inclus un peu d'humour, toujours bienvenu sans jamais être maladroit. Il sait également nous familiariser rapidement avec les éléments qui tournent autour du repérage acoustique. Il est très appréciable que les protagonistes ne soient pas des héros à qui tout réussi, imbattables, sans failles. Au contraire, ils font des erreurs, ont des doutes et savent utiliser leur courage et des ressources inopinées pour se sortir de situations compliquées. De ce fait, ils sont très attachants.
En ce qui concerne l'oreille d'or (Officier marinier [sous-officier] chargé d'écouter les bruits provenant de l'extérieur du bâtiment grâce au sonar et de les identifier. Ces bruits peuvent être d'origine biologique, sismique ou humaine [bateaux de commerce ou de guerre, sous-marins, exploitations pétrolières...]. Source de cette définition Wikipedia) qui est le lien entre les scènes, les hasards font parfois un peu trop bien les choses pour que l'enchaînement de ce qui lui arrive soit tout le temps crédible. Néanmoins, cela n'empêche absolument pas de s'attacher au personnage de Chanteraide interprété par le charmant François Civil. En effet, plusieurs scènes mettent adroitement en valeur ce métier surprenant, rendant ce protagoniste intéressant à suivre.
Ce qui est sûr, c’est qu’on tremble face aux rebondissements inattendus qui jalonnent cette histoire. Les acteurs sont tous impeccables, il faut dire que le casting est enthousiasmant, puisqu’en plus de François Civil, il se compose d’Omar Sy qui interprète l’officier D'Orsi, Reda Kateb qui interprète le commandant Grandchamp, Mathieu Kassovitz qui interprète l’amiral Alfost et Paula Beer qui interprète la touchante Diane.
LE CHANT DU LOUP est une très bonne surprise, car son réalisateur assure à son film une atmosphère maîtrisée visuellement, une histoire prenante et des acteurs qui nous font vivre cette aventure de l’intérieur avec conviction.
Copyright photos © Julien Panié
NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire/regarder qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
Suite à la projection de ce film dans le cadre du Club Allociné le lundi 4 février 2019 au Forum des Images à Paris, le réalisateur Antonin Baudry ainsi que les acteurs François Civil et Reda Kateb ont eu la gentillesse de venir à notre rencontre pour une session de questions / réponses que vous pouvez découvrir dans les vidéos ci-dessous :
Notes de production
ENTRETIEN ANTONIN BAUDRY
Une des surprises
réservées par LE CHANT DU LOUP, c’est qu’il ne ressemble pas vraiment à un film français à gros budget avec des
acteurs connus. Par exemple, ce n’est ni un polar, ni une comédie. Vous avez conscience de cette
différence ?
Oui j’en ai
totalement conscience. Et je remercie vraiment mes producteurs, Jérôme bien
sûr, mais aussi Alain Attal et Hugo Sélignac, de m’avoir fait confiance pour
cette aventure risquée. Je remercie aussi tout autant ceux qui ont donné sans compter, pendant des
mois et certains des années, pour ce film – je pense à toute mon équipe. Ce n’était pas
évident de faire confiance à quelqu’un qui n’a encore jamais fait de film, chacun d’entre eux avait le
choix entre ce projet et d’autres, et ils m’ont suivi. Stéphane Riga (producteur exécutif et
artistique) est le premier nom qui me vient à l’esprit. Je ne remercierai jamais assez ceux qui m’ont
fait confiance. C’est une chance. L’originalité du projet a plu. C’est ça qui nous a donné
l’énergie.
D’où vient cette
histoire de sous-marin ? Le genre est plutôt traditionnellement américain. Ça réactive également des souvenirs
de la guerre froide…
J’aime les mondes
inconnus, invisibles, le mystère. Quand j’ai pu m’immerger dans un sous-marin pendant plusieurs jours, j’ai été
saisi. On a l’impression d’être dans le ventre d’une baleine. Les machines sont
semi-organiques. Les équipages se connaissent intimement. C’est un microcosme de la société dans
lequel ce qui sépare les gens à la surface – la religion, la politique, les origines –
n’existe pas. Seuls comptent la solidarité, le courage, le fait de pouvoir réagir ensemble. Et en même temps
le monde des sous-marins nucléaires est un univers dur, qui met en jeu la dissuasion
nucléaire, l’auto-annihilation de l’espèce. J’ai voulu essayer de comprendre ce paradoxe : ils
s’entrainent à la guerre pour qu’elle n’ait pas lieu : c’est le principe de la dissuasion, qui
structure la doctrine française de défense. Autour de cette idée, bien réelle, de l’ordre
irréversible. C’est très particulier.
Votre expérience
antérieure dans la diplomatie, vos connaissances en géopolitique vous ont-elles servi pour l’écriture du scénario
du CHANT DU LOUP ?
Il y a une dimension
géopolitique dans le film. Bien sûr, mes connaissances en la matière m’ont servi. Les relations
internationales, sous les apparences, ça reste le domaine de la guerre de tous contre tous, le Leviathan.
Les adversaires vous piègent, les amis vous trahissent. Des engrenages fatals peuvent se
déclencher très vite. Je connais ces rouages. Les événements que je décris
pourraient vraiment avoir lieu un jour, hélas – sans que nous n’en sachions rien. Dans ce film,
tout est montré du point de vue des sous-mariniers : ils ne savent pas tout et n’assistent
pas aux discussions des décideurs politiques. Ils assument, pour le meilleur et pour le pire, les
décisions.
Parfois, il faut le
courage exceptionnel de quelques hommes pour sortir d’un engrenage fatal. Nous n’en savons rien, ici, à la
surface, et nous n’en saurons jamais rien... tant que le pire est évité.
Est-ce que c’est un
film qui fait l’éloge d’un héroïsme discret ?
Il est difficile de
ne pas être sensible à l’héroïsme de personnes invisibles, qui font des choses dont personne ne saura jamais
rien et qui risquent leur vie pour cela. Cet héroïsme qui ne vise aucune reconnaissance me touche
profondément.
Est-ce que la
construction scénaristique du CHANT DU LOUP, avec ce prologue qui nous propulse
tout de suite de plain-pied au cœur de la tension, s’est imposée tout de suite
?
J’aime entrer in
medias res dans une histoire, sans préambule. Pour moi, la meilleure façon de présenter des personnages, c’est
de les voir dans l’action. Ensuite, on peut se demander qui ils sont. Un commandant de sous-marin
qui rentre après sept semaines d’action intense sous les mers, quand il rentre chez lui,
c’est qui ? C’est un type comme tout le monde, qui marche seul dans la rue avec son baluchon sur
le dos. A quoi pense-t-il ? Comment vit-il, tout d’un coup, la solitude, après des semaines
passées à devoir prendre une décision à chaque minute ?
Comment s’est passé
le tournage ? Il faut rappeler que c’est votre premier long-métrage…
Il y avait sur le
plateau de tournage la même énergie que j’ai trouvée dans un sous-marin en mission. Intense et extrême, en
immersion. C’était magique.
Avez-vous tourné les
scènes de sous-marin dans un véritable sous-marin ou avez-vous tout reconstitué en studio ?
On a tourné avec des
vrais sous-marins pendant leurs temps d’exercice ! Pour les intérieurs, on a recréé les salles de
commandes des deux sous-marins en studio. Benoît Barouh, le chef décorateur du film, a fait
un travail extraordinaire. En dernier ressort, pour les plans littéralement infilmables sous
l’eau, j’ai eu recours aux technologies numériques.
A ce propos, quelle
est la part des effets spéciaux dans ce film ? Est-ce que ça allonge beaucoup
le temps de la post-production ?
C’est à la fois un
pouvoir supplémentaire et une difficulté supplémentaire. On peut montrer des choses qu’on ne pourrait pas
montrer sans. Mais il faut avoir une ligne claire, s’y tenir tout en étant capable de tout
changer, et beaucoup s’investir en termes de temps. Pour chaque plan numérique, il y a mille
étapes. Quand on vous propose un plan, il faut en général dire non, refaire. C’est quand on travaille
un plan numérique qu’on comprend, par contraste, ce qu’est le réel : une série d’accidents
imprévisibles.
Votre film donne un
sentiment de réalisme, de précision dans la connaissance des procédures, des rituels à l’œuvre dans un sous-marin.
Cette précision vient-elle de votre imagination de scénariste ou des informations que vous avez
recueillies lors de vos séjours en sous-marin ?
J’ai passé en tout
plusieurs semaines en immersion sous l’eau, à bord des deux types de sous-marins français (les Sous-marins
Nucléaires d’Attaque, SNA, et les Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engin, SNLE). J’ai
beaucoup observé tout ce qui se passait, de la chaufferie nucléaire à la salle des
commandes. Toutes les procédures que je montre dans le film sont basées sur une observation
précise, de la plus simple (détecter un bateau inconnu) à la plus complexe (vérifier l’authenticité
d’un ordre du président de la république). J’ai décidé de conserver la façon
d’être et le langage des sous-mariniers tel qu’il était, sans rien édulcorer. J’ai fait le pari
qu’avec les images le spectateur comprendrait tout ce qui se passe – comme je l’ai moi-même fait quand
j’ai été à bord.
Je crois que la façon de parler, le langage étrange des sous-mariniers
constitue un élément dramatique important pour le film, c’est pourquoi les termes techniques
ont été maintenus dans leur réalisme et leur vérité humaine. De la même manière, tous mes
décors sont construits à l’échelle 1, c’est-à-dire qu’on n’a pas triché les espaces pour avoir
plus de place pour la caméra. Les acteurs ont dû jouer et bouger dans un espace très confiné, et
on a fait des prouesses techniques pour pouvoir les filmer malgré l’exiguïté des décors.
C’était important de faire cet effort. Je voulais que le plateau devienne un lieu de vérité, et
que les comédiens agissent dans des situations réelles.
La vie dans un
sous-marin, ce sont des rituels et des accidents. Les rituels permettent
d’effectuer en groupe des opérations complexes, où il faut à la fois gérer une chaufferie
nucléaire, naviguer à l’aveugle sous des centaines de mètres d’eau, détecter et identifier tout
ce qui bouge autour, et surtout se maintenir indétectable, y compris par d’autres bateaux alliés
et même français. Alors chacun déroule des rituels, des litanies de chiffres, de codes, qui
servent à vérifier que la situation est « cohérente », à corroborer.
C’est un ballet, une
chorégraphie où chacun sait ce qu’il a à faire, assume son rôle. Mais il y a aussi une autre dimension :
chaque sous-marinier respire sur une longueur d’onde qui lui est propre, et qui s’accorde avec
celle des autres. Il faut sentir cela, profondément, et le transcrire – le montrer avec des images, des
visages, des figures, des raccords, des notes, des sons...
Au centre du film, il
y a le personnage de l’Oreille d’or…
Dans un sous-marin
qui n’a ni porte ni fenêtre, tout ce que vous percevez du monde extérieur, c’est uniquement les sons.
L’Oreille d’or d’un sous-marin, c’est celui qui sait reconnaitre, identifier et analyser les sons. Il
y a en France une poignée d’Oreilles d’or, et une école pour les former, dont le nom est magique :
le Centre d’Interprétation et de Reconnaissance Acoustique (CIRA). C’est une école très peu
connue, dont toutes les activités sont top secrètes. Les Oreilles d’or doivent pouvoir
échanger entre eux sur les sons qu’ils entendent. C’est pourquoi ils développent un
langage, des mots pour qualifier chaque son. Ils appellent cela des « critères psycho-acoustiques
», mais en réalité c’est vraiment un langage : un son en « froissement d’étoffe », type «
galop de cheval », une « cavitation sèche », un « bruit mouillé avec impression de masse », etc.
Quand j’ai découvert cela, ça m’a beaucoup plu. Il y a une dimension poétique forte dans
l’univers du sous-marin.
D’autre part, une
Oreille d’or, c’est forcément quelqu’un d’hyper-sensible. Quand vous avez des antennes qui vous rendent
plus sensibles, vous êtes plus fort, mais aussi plus fragile. Vous percevez, dans la vie
quotidienne, des choses que personne autour de vous ne perçoivent, qui n’existent pas pour les autres.
C’est à la fois un grand pouvoir et une chose qui vous isole. A bord du sous-marin, la tâche de
l’Oreille d’or est exactement celle du poète : nommer les phénomènes, dire le vrai, décrire
le monde qui les entoure. C’est Orphée – et la trajectoire de Chanteraide, l’Oreille d’or et le
héros du film, est orphéique. Il descend aux enfers, puis en remonte – mais pas indemne.
C’est aussi une sorte
de marginal, quelqu’un d’un peu inadapté à l’institution, qui a souvent des soucis avec la hiérarchie parce
qu’il n’est pas complètement dans le moule…
Ce qui m’a tout de
suite beaucoup frappé, c’est que dans les sous-marins le meilleur outil de détection des sons soit, encore
aujourd’hui, non pas une machine mais une oreille humaine. Il y a, dans l’identification
d’un son, toute une dimension interprétative, intuitive même. Un commandant qui prend une décision
dans son sous-marin aime voir l’Oreille d’or lui dire les yeux dans les yeux que la
situation est claire et que le son bizarre qu’on entend dans le Nord n’est pas une menace, mais un
biologique. Dans le monde d’aujourd’hui, c’est une situation peu banale.
Chanteraide est
quelqu’un qui est en butte avec le système, justement parce qu’il a cette hyper sensibilité. Cette sensibilité au
son le met en danger. Dès que vous avez des antennes que les autres n’ont pas, vous êtes par nature
en conflit avec le système. Et c’est ça aussi que j’ai voulu raconter.
J’ai l’impression que
vous éprouvez une certaine fascination pour la discipline, la rigueur, cette communication très codée entre
les hommes…
Non, ce qui me
fascine c’est l’inverse. Nous vivons tous dans des systèmes dans lesquels il y
a des codes et des normes. Et ce qui me fascine c’est comment les individus
se débrouillent avec ce système et, à un moment donné de leur vie, doivent choisir.
Les sous-mariniers
sont des gens qui embarquent sous l’eau pendant 70 jours d’affilée, sans voir la surface et en étant tout
le temps les uns avec les autres. Pendant une grande partie de leur existence, leur vie privée
se résume à la famille des sous-mariniers. C’est dans cet univers que j’ai voulu montrer les
conflits intérieurs auxquels est confronté chaque personnage. C’est un film sur les décisions
intérieures. Chaque personnage a son dilemme, son moment de doute profond. Pour moi, ce sont les
temps forts du film.
Le huis-clos donne
aussi au film un poids, une densité…
Le huis-clos donne
évidemment une force et une énergie particulières, surtout s’il agit par contraste avec le monde
extérieur, le monde de la surface. Cet ancrage dans des lieux qui sont, à la fois, très réalistes et très
serrés, crée une grande intensité humaine. Ce dispositif est très cinématographique, car il permet
de déployer des moments d’intériorité à plusieurs. C’est une situation unique qui prend
parfois la tournure d’un moment de grâce.
Parlons des
comédiens. Tout d’abord, avez-vous eu la possibilité de choisir vos acteurs ?
Ce qui est intéressant dans ce casting, c’est qu’il est juste et, en même temps, légèrement
décalé ou inattendu, comme dans le cas d’Omar Sy, peu familier de ce genre de rôles
mais très crédible.
Oui : il fallait non
seulement trouver le bon acteur pour le bon personnage (évidemment !), mais aussi qu’ils forment une
famille à la fois unie et profondément diverse. Je voulais des types d’hommes très différents, un
microcosme de la France. Avec des personnalités différentes, des plastiques différentes, des
beautés différentes. J’ai la chance d’avoir pu recruter les acteurs dont je rêvais. Confier un
personnage à un acteur, c’est un transfert très particulier. On sait qu’il va en faire quelque chose
d’inattendu et, en même temps, c’est précisément ça qu’on espère. J’essaie de créer
l’espace pour que les comédiens aient cette liberté.
Vous leur avez fait
faire des stages en immersion ?
François, Omar,
Mathieu et Réda ont vécu chacun une journée complète en immersion, à la profondeur maximale qu’un
sous-marin peut atteindre – profondeur confidentielle, impossible à révéler ! Ils se sont imprégnés
du langage et des gestes des sous-mariniers. C’était très important. Et puis nous avons
passé du temps tous ensemble, avec tous les acteurs du film, pour former un équipage, trouver
notre chorégraphie. Sur le plateau, il y avait des vrais sous-mariniers qui avaient candidaté pour des
rôles de figurants, et je les ai intégrés à l’équipe avec plaisir. Cela a beaucoup
contribué au réalisme du film.
Au bout de quelques
jours de tournage, tous les acteurs parlaient couramment le langage des sous-mariniers et connaissaient
les procédures à suivre, comme s’ils étaient dans un vrai sous-marin. A plusieurs reprises, j’ai
demandé aux acteurs d’improviser leur réaction à tel ou tel événement. Ils l’ont fait avec
aisance et brio. C’était bluffant. J’ai gardé ces plans au montage.
En quoi consiste,
pour vous, la direction d’acteur ? Quel genre de choses dites-vous aux
comédiens ?
Pour moi c’est un
chemin. Il est unique pour chaque acteur. L’enjeu, c’est l’incarnation. C’est très difficile, pour tout le
monde. On n’est jamais sûr d’y arriver. Rien n’est jamais acquis. Et puis, il y a un moment où,
tout d’un coup, l’incarnation a lieu. Les comédiens offrent un moment de réel, un moment de
grâce. La caméra enregistre cela. Tout le reste est anecdotique.
Dans le film, il y a
une femme, qui a comme un statut à part.
Le personnage de
Diane incarne le monde extérieur au sous-marin : alors que tous les personnages du film sont des
hommes et des sous-mariniers français, elle est une femme, elle n’a rien à voir avec les
sous-marins et elle n’est pas française. Elle représente le monde de la surface – elle nous représente
tous.
Le lien très fort qui
se crée immédiatement avec l’Oreille d’or fonctionne comme un aimant. C’est à travers elle qu’il
découvre la clé de l’énigme qu’il cherche. De par cette rencontre, l’avenir de Chanteraide se
transforme, et, à plus grande échelle, celui du monde change aussi. C’est souvent vrai dans la vie :
vous faites une rencontre et, sans savoir pourquoi, cela va modifier la trajectoire de votre
existence. Sans qu’il y ait réellement une cause et un effet, il y a une connexion qui se fait.
Cette connexion a des conséquences imprévisibles.
Pour en revenir aux
films de sous-marins, il est clair que Le Chant du Loup va au-delà des codes de
ce genre, et qu’il a un caractère hors-norme. Mais y-a-t-il des films qui vous
ont particulièrement inspiré ?
Oui, je suis
conscient que c’est un film atypique. En tout cas si l’on cherche à le faire
rentrer dans le « genre » du « film de sous-marin ». C’est à ma connaissance le
premier réalisé en France – en tout cas depuis plusieurs décennies. Peut-être parce que j’ai
voulu m’inspirer du réel, davantage qu’adopter les codes d’un genre pré-établi. Je ne me suis
donc pas inspiré d’autres films de sous-marins. Presque tous sont américains. Or, en France,
nous sommes aussi confrontés à la question du nucléaire, de la dissuasion, nous avons aussi
cette armada de sous-marins et, ce que j’ai pu y observer ne correspond pas à ce qu’on voit dans les
films américains.
Donc, j’ai décidé de
m’inspirer uniquement de ce que je voyais ou de ce que je ressentais. Même s’il y a des films de sous-marins
que j’adore comme DAS BOOT (LE BATEAU) qui est un film sublime, ou À LA POURSUITE
D’OCTOBRE ROUGE.
Dans la mesure où le
film se déroule dans un milieu militaire très sensible, avez-vous dû donner des gages à l’armée française ?
La seule contrainte
était de ne pas révéler des choses qui mettraient en danger les sous-mariniers français. Or, ces secrets
reposent principalement sur des chiffres. Ce ne sont pas des choses qui m’intéressaient pour
le film. Par conséquent, il n’y a eu aucun souci.
ENTRETIEN FRANCOIS CIVIL
Comment avez-vous
envisagé la question du son et de l’écoute, sachant que votre personnage est surnommé « L’Oreille d’Or » ?
C’était central.
Chanteraide est doué d’une ouïe exceptionnelle, qui change complètement sa perception du monde. J’ai
rencontré des Oreilles d’Or qui m’ont beaucoup parlé de leur métier de manière pragmatique, mais en
creusant un peu, j’ai appris comment ce dernier impactait leur vie quotidienne. Ils sont
sujet à des déformations professionnelles sans arrêt ! Il était donc évident que
Chanteraide appréhenderai le monde de manière singulière. Je me suis imaginé qu’il était
synesthète. C’est une particularité rare qu’ont certains individus de mélanger plusieurs sens. Les sons
qu’il entend lui évoquent des images. Ça collait parfaitement avec le fait que ses oreilles
sont les yeux du sous-marin.
Dans LE CHANT DU
LOUP, vous faites équipe avec des comédiens plus chevronnés que vous. Est-ce que c’est un atout ? Est-ce que
ça vous a stimulé, aidé ? Ou bien, au contraire, est-ce que ça vous a fait peur ?
J’appréhendais
forcément un peu à l’idée de rencontrer des acteurs dont j’admire le travail. Mais on s’est tout de
suite bien entendu. On est devenu un équipage et on prenait tous un plaisir dingue à faire exister
ce sentiment de famille, à se tirer les uns les autres vers le haut. Les sous-mariniers, une
fois à bord de leur submersible, ont pour coutume d’enlever leurs grades de leurs tenues. Ça permet
de mettre tout le monde sur un pied d’égalité et de souligner l’importance de chaque homme,
quel que soit son rôle.
J’ai senti tout de
suite que c’est ce qui s’est passé aussi entre les comédiens. Tout le monde était au service de la mission :
faire le meilleur film possible.
LE CHANT DU LOUP est
le premier long-métrage d’Antonin Baudry. Quel genre de rapports avez-vous entretenu avec votre réalisateur
? Était-il très dirigiste ? Quels genres d’indications vous a -t-il donné ?
Quand on discute un
peu avec Antonin, on a vite l’impression qu’il a vécu douze vies ! C’est impressionnant. C’est quelqu’un
de passionné et de passionnant. Son intelligence est à la hauteur de sa sensibilité. Son
implication tant dans la forme que dans le fond, son souci du détail et son engagement sur le
tournage ont été total. Nos conversations avant et pendant le tournage n’ont jamais cessé de
m’enthousiasmer et de m’inspirer. Il m’a donné beaucoup de matière sur laquelle m’appuyer, des
pistes de réflexions, des lectures…
Il a une force de
travail, une poésie, une ambition, une gentillesse qui font qu’on a envie de tout lui donner.
Ça a été un réel
bonheur de le rencontrer et de partager tout ça avec lui.
Quel a été votre
degré d’intérêt pour l’univers très particulier des sous-marins nucléaires ?
Avezvous découvert un monde que vous ignoriez ? Avez-vous été passionné par cet
univers aux règles très strictes et aux limites très précises ?
J’ai été fasciné par
ce monde dont j’ignorais tout. Fasciné par cette machine qui contient plus de technologie qu’une fusée et
qui finit pourtant par s’en remettre à l’homme, à ses sens, à son instinct.
Fasciné par le
fonctionnement codifié de cette micro société coupée du reste du monde pendant plusieurs mois, dans un espace si
exigu. Fasciné par ces hommes et leur abnégation, leur solidarité, leur engagement. Des
hommes qui s’entrainent à la guerre pour l’éviter. Tout tournage a son lot de
découvertes, mais je dois avouer que celui-ci était d’une richesse sans égale.
Comment
définiriez-vous les relations de votre personnage avec les autres et avec le
monde extérieur ?
Chanteraide a un don,
une hyper sensibilité qui lui donne des pouvoirs que les autres n’ont pas. Ça fait de lui le meilleur dans
son domaine, mais fatalement ça l’isole aussi des autres. Cette sensibilité lui confère une forte
intériorité, une certaine fragilité qui le distingue du reste des protagonistes. Ce degré de
solitude et cet aspect rêveur sont des choses qu’il m’a fallu trouver, composer. Malgré sa différence,
Chanteraide considère l’équipage comme des membres de sa famille. Il voit en Grandchamp
une figure paternel qu’il admire par-dessus tout. C’est sur les bases de cet amour et cette
confiance qu’il croit perdue, qu’il s’obstine à essayer de réparer son erreur de la première mission,
qui a failli couter la vie à tout l’équipage. Cette obsession va le pousser à enfreindre les règles
d’un monde pourtant très strict et protocolaire...
Votre personnage est
le seul qui a une relation avec une femme. Comment avez-vous abordé les scènes avec Paula Beer qui
incarne une libraire complètement étrangère au monde très fermé des sous-marins ?
Leur rencontre est
une respiration au milieu du film et l’était aussi sur le tournage. Elle m’a permis d’explorer une autre
facette de Chanteraide. Cette rencontre qui bouleverse sa vie va aussi renforcer le dilemme
auquel il fait face à la fin du film. Jouer avec Paula a été un bonheur. Sa présence, son regard,
sa liberté dans nos scènes m’ont impressionné.
ENTRETIEN OMAR SY LE CHANT DU LOUP est le premier
long-métrage d’Antonin Baudry. Quel genre de directeur d’acteur est-il ? Est-il très directif ?
Ou au contraire s’appuie-t-il sur les initiatives des comédiens ?
Étant donné que
c’était son premier film, on aurait pu se dire qu’Antonin venait chercher des acteurs plutôt expérimentés parce
qu’il avait besoin d’être un peu aidé. Pas du tout. Ce que demandait Antonin était, à chaque
fois, d’une très grande précision. On a énormément discuté avant. Mais sur le plateau, il savait
exactement ce qu’il voulait. C’est intéressant de noter à quel point il était exigeant.
Quelquefois presque trop. Parfois, j’avais besoin de comprendre la nuance car il me demandait des
choses que j’avais l’impression de lui avoir donné. Il savait exactement ce qu’il attendait de
ses acteurs. En même temps, Antonin est quelqu’un qui se fie beaucoup à l’instinct, même
si, par ailleurs, il est très raisonné, très réfléchi, il prépare beaucoup. Mais une fois que son
cerveau a fait tout le boulot, il y a une part d’instinct qui se libère. Il se fiait aussi
beaucoup à l’instinct de ses acteurs. C’est aussi à ce niveau-là qu’on avait quelque chose à partager.
Dans la mesure où LE
CHANT DU LOUP est un film dans lequel les personnages entretiennent des rapports très forts, est-ce que
ça a produit quelque chose de particulier dans vos relations avec les autres comédiens ?
Oui mais, en fait, ça
s’est passé avec toute l’équipe. En studio, les dimensions du sous-marin étaient exactement conformes à la
réalité. On était dans une grande proximité, un peu les uns sur les autres. Il fallait donc
s’habituer, trouver une forme d’harmonie. Ça crée des liens, des habitudes. De ce point de vue,
c’était un tournage particulier. On a été en proximité pendant toute la durée du tournage. Mais,
comme après tous les tournages, chacun a repris le cours de sa vie. En même temps, entre
la fin du tournage et la sortie du film, ce n’est pas vraiment là qu’on peut savoir si des liens
vont durer. C’est après la sortie que la vérité des relations apparaîtra. Je connaissais
Mathieu Kassovitz. Je connaissais moins Reda Kateb avec qui ça a été une super rencontre. On a
vraiment bien accroché et c’était super de travailler avec lui. Et François Civil, c’était un peu
notre petit. On va le suivre comme notre petit frère. C’est le benjamin de la bande !
Est-ce que vous vous
retrouvez dans le personnage que vous interprétez ? Ou, au contraire, est-ce que c’est un personnage qui n’a
rien de commun avec vous ?
En apparence, il est
très éloigné de moi. Dans la façon d’exprimer les choses, on est très différent. Mais je trouve
qu’intérieurement, dans ce qui l’anime, dans ses valeurs, dans sa conception de la vie, on est
finalement assez proches. Il a des principes et des valeurs qui me parlent énormément. Après, il les
exprime d’une autre manière, d’autant plus qu’il évolue dans un milieu très différent, mais on
est assez proche dans le ressenti.
Est-ce qu’en tant que
spectateur c’est le genre de film que vous avez envie de voir ?
Complètement. J’adore
ce genre de film. Je suis un peu un cliché : je suis un mec et ce genre de film ça me parle directement.
D’ailleurs, ce que j’ai pu faire aux USA en tant qu’acteur ressemble beaucoup à ce genre de
film. Quand on prend un film comme INFERNO, même si c’est moins spectaculaire, il
y a le même genre de tension. Egalement, encore d’une autre façon, dans JURASSIC WORLD. C’est
du cinéma spectacle. J’adore ça. J’étais donc hyper content et même fier de faire un
film comme ça en France. Vraiment !
Est-ce que l’absence
de femme, en dehors du personnage de Paula Beer que vous ne rencontrez jamais, était pesante ?
Je vais me faire un
peu engueuler mais c’était assez récréatif. (Rires) On est dans un sous-marin, il n’y a pas de femme. C’est une
ambiance fraternelle, entre potes. Au départ dans le scénario, on avait chacun notre
vie mais ça n’a finalement pas pu être gardé. C’est intéressant de voir que ces mecs ont
finalement deux vies. Ils ont leur famille avec femme et enfants et leur famille avec leurs potes. Il
y a tout de même un côté un peu adolescent. Mais on a tous plus ou moins la nostalgie de ça.
Quelle a été votre
réaction quand vous avez découvert LE CHANT DU LOUP ?
Je ne l’ai vu qu’une
fois mais le film m’a paru vraiment à la hauteur de son ambition initiale. Antonin a réussi son pari de
faire un film spectaculaire et intelligent. Il a réussi à mettre une tension de la première à la
dernière minute. Il a fait un grand film dans lequel on sauve le monde. C’était ça le pari ! Je
suis très content du film et je suis fier d’Antonin. En le suivant, je savais de quoi il pouvait être
capable, mais, j’avoue qu’il m’a bluffé. Le scénario était tellement bon que c’était compliqué de
rater le film. Mais Antonin a réussi à faire un film qui est encore meilleur que le scénario que
j’avais lu. Il y a beaucoup de paramètres qui font que le film est assez bluffant : un premier film,
un film d’un genre pratiquement inédit en France, un budget important… C’est quand même très
ambitieux. Et pour moi, Antonin coche toutes les cases.
Est-ce que votre
participation à ce film vous a amené à porter un regard différent sur la
géopolitique internationale et les tensions qu’elles génèrent ?
Oui. Après cette
expérience, après avoir échangé avec les sous-mariniers, je me suis vraiment interrogé sur la paix.
Finalement, c’est quoi la paix ? Quand on voit le film mais aussi quand on a accès à des informations sur
le travail de ces hommes dans un sous-marin nucléaire, on peut se poser plein de questions.
Je ne peux plus passer au-dessus de la mer sans avoir une pensée pour ces hommes qui vivent
dans les sous-marins. Je n’ai plus le même rapport à la mer.
ENTRETIEN MATHIEU KASSOVITZ
On peut dire que LE
CHANT DU LOUP est un film de genre. Est-ce que vous avez une attirance particulière pour le film de
sous-marins ?
C’est un genre à part. Déjà, à la mise en scène, c’est très compliqué à
gérer parce qu’on passe son temps dans des endroits confinés, très petits. Il y a toute une
dramaturgie qui naît de la vie entre les hommes. Pour tout réalisateur, c’est un sujet passionnant,
notamment en raison de cet espace clos. Qu’est-ce qu’on peut faire avec une caméra dans un
endroit qui ressemble à un tube en longueur où les gens n’ont pas la place pour marcher ? Le film
en huis-clos est également un genre à part entière. C’est très jouissif à regarder au
cinéma. Parce qu’on fait appel à l’essence même du cinéma.
Est-ce que ça vous a
surpris qu’un cinéaste français s’attaque à ce genre, alors qu’en général les films de sous-marins sont d’abord
américains ?
Non. Il n’y a pas de
films de genre. LE CHANT DU LOUP est un thriller qui mélange politique et action. Tous les films sont
des films de genre. Deux personnes qui sont dans une cuisine, c’est un film intimiste,
c’est-à-dire un genre. Et tous les genres sont intéressants quand les films sont bons. Pour LE CHANT DU
LOUP, le scénario était bon. Et c’est particulièrement important pour un film de
sous-marins. Il faut tenir le suspense. Si on a affaire à des sous-marins, on a généralement affaire
également à des hommes qui doivent prendre des décisions très importantes pour leur
survie. La barre est haute. Mais là, de toute façon, le scénario était très bon. Ce qui m’a surpris
c’est qu’on ait confié autant d’argent à quelqu’un qui n’avait jamais fait de film. Mais quand on
n’a jamais fait de film et qu’on écrit un scénario comme celui-là, un producteur comprend
que la personne maîtrise son sujet et que, par conséquent, le tournage devrait bien se passer.
Justement, parlons
d’Antonin Baudry. Comment était-il sur le plateau ? Était-il très dirigiste ?
Il connaissait son
sujet, son histoire. Il connaissait la fonction de chaque personnage. Quand on fait un film comme ça avec des
militaires, au-delà des problèmes psychologiques des personnages, il y a toujours un
moment où on se raccroche au protocole qu’ils doivent suivre. Et ça a beaucoup aidé Antonin à
tenir les acteurs et à aller au bout de ce qu’il voulait faire.
Malgré tout, il
s’agissait d’un cinéaste qui n’avait jamais dirigé des acteurs. Comment ça
s’est passé ? Est-ce que vous lui avez fait confiance ? Est-ce que vous avez
cherché à imposer votre vision du personnage ?
On en a parlé avant.
On n’était pas dans l’histoire d’un père qui va enlever sa fille, qui est au bord du suicide… En fait, il n’y
avait pas grand-chose à discuter. On peut parler de la coiffure du personnage, de son
habillement, de la manière dont il salue et bien sûr de sa mentalité. Mais, à partir du moment où l’on
voit que c’est une mentalité de militaire qui obéit forcément au protocole, le personnage
apparaît très vite. Pour un personnage de militaire, il n’y a pas beaucoup de couches. En tout cas,
dans ce genre de film.
Quels étaient vos
rapports avec les autres comédiens ?
On n’était pas
beaucoup ensemble. J’ai eu seulement une ou deux scènes avec Omar Sy ou avec Reda Kateb. J’ai eu
davantage de scènes avec François Civil. Ça s’est super bien passé. On était heureux. On était tous
conscients que le scénario tenait le coup, qu’on participait à un film assez particulier dans le
cinéma français, que le réalisateur était un type brillant. C’est toujours agréable de travailler
avec quelqu’un qui connaît son sujet et qui dirige les acteurs dans la direction où il veut
aller. Donc, on était plutôt décontractés. En plus, c’était un plaisir de travailler avec les marins
eux-mêmes – tous les gens qui faisaient de la figuration étaient des sous-mariniers. Sur une équipe de
20 comédiens, il y avait 5 vrais comédiens et le reste c’était des sous-mariniers. C’était
obligatoire de prendre des sous-mariniers comme figurants pour donner de la crédibilité aux situations
d’attaque dans le sous-marin. Ça aurait été impossible de faire la même chose avec des figurants
classiques. Les sous-mariniers savent comment ça fonctionne.
Après avoir tourné le
film, portez-vous un autre regard sur la géopolitique contemporaine ?
J’y avais déjà accès
grâce au Bureau des Légendes. Il faut beaucoup d’expérience pour comprendre la géopolitique. La
géopolitique ce n’est pas les news, c’est ce qu’il y a derrière les news. Il faut arriver à interpréter
ce que tu vois dans les news avec ta propre connaissance du sujet et ta façon de recouper les
informations. Si tu te contentes de regarder la même chaîne d’info tous les soirs, tu n’auras
pas accès à la géopolitique, tu auras juste l’impression de la géopolitique. LE CHANT DU LOUP et
Le Bureau des Légendes peuvent être complémentaires, l’action qui se passe dans LE
CHANT DU LOUP peut se dérouler au même moment que certaines situations du Bureau
des Légendes. En fait, une histoire comme celle du CHANT DU LOUP ça peut exister tous les
jours et personne ne peut vous garantir qu’elle n’a pas existé. Pour comprendre la géopolitique,
il faut énormément de recul. C’est plutôt ma curiosité pour la géopolitique qui me permet
d’aborder Le Bureau des Légendes ou LE CHANT DU LOUP avec encore plus d’intérêt.
J’aime bien faire partie de ce genre d’aventures qui sont proches de la vraie réalité. Les gens ont
besoin d’en savoir un peu plus que ce qu’ils lisent sur Twitter. LE CHANT DU LOUP est un film
vraiment intéressant parce que ce n’est pas juste un thriller avec du suspense mais aussi un
film qui permet d’avoir accès à un monde inconnu du grand public. Même si, au final, la
réalité dépasse toujours la fiction.
ENTRETIEN REDA KATEB
LE CHANT DU LOUP
donne un sentiment de grande précision. Est-ce que ça s’est répercuté sur la façon dont Antonin Baudry
travaillait sur le plateau avec vous ?
Oui. La précision
était là. Je parlerai d’une exigence totale, de chaque moment. Mais, surtout, Antonin a un point de vue qui
s’exprime toujours, même quand il s’agit de séquences avec une grosse équipe et beaucoup
d’effets spéciaux. Ce qui m’a vraiment frappé chez Antonin, ce qui m’a rendu admiratif, c’est
qu’en tant que réalisateur, il ne s’est pas transformé en faiseur, c’est-à-dire en quelqu’un qui
essaie juste de mettre ses plans en boîte. Le pilotage d’un film comme celui-là c’est très lourd
et beaucoup de réalisateurs qui, au début, ont une ambition artistique finissent souvent par
juste essayer de faire que chaque journée se passe bien, que le nombre de plans prévu soit
tourné. Antonin, lui, ne lâchait rien. On faisait beaucoup d’heures mais j’avais confiance en lui car
je savais que, jamais, il n’allait lâcher un plan, une scène qui aurait été inaboutie. La
précision, elle est aussi dans la langue. Sans parler de l’aspect sonore qui était très important. Dès
qu’on a commencé à évoquer le film, Antonin m’a parlé d’une forme de chorégraphie sonore liée
à la situation du sous-marin, un bâtiment dans lequel on ne voit que par ses oreilles.
Dans la préparation, il était aussi question des intonations, de la manière dont se parlent les
membres de l’équipage à l’intérieur d’un sous-marin. C’est quelque chose de militaire, sec mais qui
comporte également une grande humanité. Ça m’a aussi permis d’envisager mon personnage,
Grandchamp, comme une figure paternelle pour le personnage de Chanteraide et pour tout son
équipage. Il ne s’agissait pas de jouer au commandant comme on joue à la guerre mais
d’incarner un homme qui prend soin de son équipage, sur qui pèse une grande responsabilité, qui
est porteur d’une mission. C’est quelqu’un qui a fait le choix, en total libre arbitre, d’aller
au bout de sa mission. Le film montre aussi que rien ne remplace l’intuition, l’humanité.
Vous êtes-vous
identifié à votre personnage ? Vous êtes-vous retrouvé dans sa manière d’être ? Y’a-t-il des qualités morales qui
vous touchent chez lui ?
Je joue des
personnages mais j’essaie toujours de trouver des connexions physiques, psychologiques, morales entre les
rôles que j’interprète et moi. Mais, la plupart du temps, je me refuse à nommer directement
ces rapprochements. Je me dis que, si on m’a choisi, c’est parce que je suis moi. Et,
ensuite, j’ai un personnage à créer. En fait, je suis extrêmement loin de Grandchamp. Mais là où je
peux tout de même m’identifier à lui, c’est dans le soin et l’attention qu’il donne aux
autres. Très souvent, sur un plateau de tournage, je sais juste à l’oreille si la scripte a un
rhume. J’envisage l’équipe de tournage, un peu comme un équipage de bateau ou de sous-marin mais
je n’en suis pas le commandant. J’en suis un des agissants.
Dans le film, il y a
une dimension fraternelle et, en même temps, une tension très forte parce que la situation s’y prête. Comment
est-ce que ça s’est répercuté dans vos relations avec les autres comédiens ?
Ça s’est traduit par
une bonne camaraderie, une forme de fraternité. On passait énormément de temps ensemble, donc c’était
beaucoup de rires. Surtout avec Omar. D’autant plus que les choses qu’on avait à jouer
ensemble étaient tellement en tension, en crescendo… Toute la scène du prologue, on l’a tournée comme
un plan séquence. C’était vraiment comme au théâtre. On vivait une continuité de 15-20
minutes. Et à chaque fois, les nerfs étaient tellement tendus à l’intérieur de la prise que
c’était un peu comme une équipe de rugby qui, entre les phases de jeu, se marre et déconne. On a
pris du plaisir à jouer ensemble. Tous les acteurs sont un peu régressifs quand ils arrivent sur
un tournage. On est un peu comme des enfants qui se déguisent.
Et, en plus, on avait
plein de jouets autour de nous. Il y avait une belle bande de gamins qui faisait bien la différence entre
la vie et ce qu’il y avait à jouer. La plus grande tension, elle existe surtout entre deux
espaces, entre un sous-marin et la terre ou entre deux sous-marins. Mais, à l’intérieur de chaque
lieu clos, on a affaire à des gens qui sont ensemble. De temps en temps, il y a l’éclosion d’un
conflit mais qui doit tout de suite disparaître. Le plus important, c’est ce qui dépasse les
personnages. Les enjeux sont beaucoup plus importants qu’eux.
Est-ce que ce film,
compte tenu de son sujet, vous a amené à porter un autre regard sur la géopolitique internationale ?
Le film, je l’ai lu,
je l’ai vécu, je l’ai tourné. Mais, en le découvrant, j’ai d’abord été un
spectateur devant un film. Mais pas un spectateur du sens, plutôt un spectateur de la
forme. C’est-à-dire comment ce film avait été réussi dans sa fabrication, dans sa facture. Pour
ce qui est du contexte contemporain, je vois LE CHANT DU LOUP comme une métaphore. LE
CHANT DU LOUP c’est ce qu’on entend quand un sous-marin a été repéré par un sonar
actif. Donc, c’est le bruit qu’on entend au moment où on va se prendre une torpille. Et moi,
j’entends LE CHANT DU LOUP comme une sorte d’avertissement. C’est-à-dire qu’on se rend compte
que cette situation de tension ce n’est pas de l’anticipation. Ça peut être demain,
après-demain, dans un mois. La situation géopolitique d’aujourd’hui est tellement tendue que
le principe même de la dissuasion peut être mis en danger. Si la ligne est franchie par une
grande puissance nucléaire, il n’y a plus de dissuasion. La dissuasion n’existe que jusqu’à
ce que l’arme nucléaire soit utilisée. C’est un danger qui menace notre monde. En plus, on a tourné
pile au moment où Trump et Kim Jong-un étaient en pleine escalade de tweets et de
provocations. On ne peut qu’observer tout ça avec beaucoup d’inquiétude.
En quoi diriez-vous
que ce film a été une expérience nouvelle pour vous ?
La note nouvelle,
pour moi, c’était l’opacité. On joue souvent pour exprimer des sentiments. Et là, au contraire, l’idée était de
mettre les sentiments au second plan, tout en faisant en sorte qu’ils soient tout de même là. Il
y a tout un travail d’intériorité dont je ne saurais vraiment expliquer le processus mais où,
en tout cas, on ne cherche pas à exprimer mais plutôt à faire sentir les choses. Quitte à les
faire rentrer dans le réel de cette situation où l’on parle presque une langue étrangère. Par
exemple, à certains moments, lorsque je dis, par exemple, « Cap au 1-7-2 », à l’intérieur je pense
que j’ai peur pour mon ami. Mais ce qui sort c’est « Cap au 1-7-2 ». Lorsque je regarde un
écran, je pense peut-être à ma femme qui est resté à terre et que, peut-être, déjà, il n’y a
plus personne à Brest. Mais quand je regarde cet écran, je suis concentré sur la trace et sur ce
qu’elle veut dire. C’est avant tout la situation qui nous dicte ce qu’on a à jouer. Et la situation
me dictait en général beaucoup d’opacité pour mon personnage.
Comment voyez-vous le
dilemme moral dans lequel se débat votre personnage, dans la seconde moitié du film ?
Pour comprendre ça,
il faut justement passer du temps avec les sous-mariniers, avec des commandants de sous-marin, parler
avec eux, se rendre compte qu’on a affaire à des gens qui sont très différents des
militaires et de l’image traditionnelle qu’ils peuvent renvoyer. Dans les sous-marins, j’ai rencontré
des gens cinéphiles, des intellectuels, des gens brillants dans énormément de domaines et avec
une mise en perspective des choses vraiment intéressantes.
Eux me disaient
qu’ils auraient appuyé sur le bouton. C’est pour ça qu’ils sont là. Le doute ne se pose pas. Sinon, ils
n’auraient pas choisi d’être à ce niveau-là. Mais je n’ai pas rencontré des gens belliqueux, des chiens de
guerre. Au contraire, j’ai rencontré des gens qui sont dans le soin, dans la bienveillance et qui sont
investis d’une mission qui les dépasse mais qu’ils ont choisie. C’est un peu comme quelqu’un qui
a décidé de rentrer dans les Ordres. La vocation d’une personne qui a de telles
responsabilités sur les épaules, c’est assez mystérieux. Elle n’est pas dans un raisonnement ou dans une
explication. C’est un peu comme croire en Dieu. Pour eux, la doctrine de la dissuasion,
avec l’idée que la paix du monde repose là-dessus, c’est presque du domaine de la croyance en
Dieu.
Au final, LE CHANT DU
LOUP frappe par son réalisme…
Ça me paraît être
dans la continuité de ce qu’on a tourné et, plus encore, de ce qu’on s’est raconté avec Antonin. Avant de
faire un film, c’est très important, pour un acteur, de savoir dans quelle esthétique, dans quel
point de vue, dans quelle optique on va donner vie à un personnage. Avec Antonin, on a
passé beaucoup de temps à parler. C’est une chose qui lui tenait vraiment à cœur. Le grand
film de sous-marin qui fait référence chez les sous-mariniers, et qui était une référence
commune à Antonin, c’est DAS BOOT (LE BATEAU). Et c’est effectivement le film de ce genre
le plus réaliste. C’est le film dans lequel les sous-mariniers se reconnaissent le plus. C’est leur
film culte. Ce n’est ni USS ALABAMA, ni À LA POURSUITE D’OCTOBRE ROUGE, même si, comme
moi, ils adorent. Ils attendaient qu’un film de sous-marin français rende hommage à leur
travail si secret, si peu vu, aussi pour leur famille. De manière à ce que les gens voient
un peu plus ce qu’ils font pour nous. Car ils ont le sentiment de vivre dans une dévotion totale
pour qu’on puisse continuer à boire des cafés sur une terrasse. Ce film c’est LE CHANT DU LOUP.
Source et copyright des textes des notes de production @ Pathé
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