Drame/Comédie/Un film agréable à regarder avec une très belle actrice principale
Réalisé par Manele Labidi
Avec Golshifteh Farahani, Majd Mastoura, Hichem Yacoubi, Ramla Ayari...
Long-métrage Tunisien/Français
Durée: 01h28mn
Année de production: 2018
Distributeur: Diaphana Distribution
Date de sortie sur nos écrans : 12 février 2020
Résumé : Selma Derwish, 35 ans qui, après avoir exercé en France, ouvre son cabinet de psychanalyse dans une banlieue populaire de Tunis. Les débuts sont épiques, entre ceux qui prennent Freud et sa barbe pour un frère musulman et ceux qui confondent séance tarifée avec "prestations tarifées". Mais au lendemain de la Révolution, la demande s'avère importante dans ce pays schizophrène. Alors que Selma commence à trouver ses marques, elle découvre qu'il lui manque une autorisation de pratique indispensable pour continuer d'exercer…
Bande-annonce (VF)
Ce que j'en ai pensé : UN DIVAN À TUNIS, de la réalisatrice Manele Labidi, est une comédie bien agréable à regarder.
Copyright photo ©Viviana Morizet
Une femme tunisienne, ayant grandi et construit sa vie en France, reviens dans son pays d'origine pour ouvrir un cabinet de psychologie sous le beau soleil de Tunis et cela va faire grincer quelques dents parmi ses connaissances locales. La réalisatrice fait très bien ressortir le comique de situation avec sa caméra. Elle trouve des lieux qui offrent un écrin cohérent, auquel le spectateur peut immédiatement s'identifier, à sa narration. Sa mise en scène accompagne les idées développées dans les dialogues qui mettent en exergue des a priori de tous bords. Le scénario, écrit par Manele Labidi, inclut des éléments culturels forts, mais traite en même temps de sujets universaux. Le film réussit à faire mouche avec l'humour. Les écarts vers les moments dramatiques fonctionnent un peu moins bien. En effet, le drame est là, sous-jacent, mais le choix de la réalisatrice de ne jamais l'explorer jusqu'au bout et d'atténuer les tensions, fait qu'il ne trouve pas autant de souffle qu'on le souhaiterait face au potentiel proposé.
Il n'empêche qu'on comprend la souffrance exprimée et que la galerie de personnages hauts en couleur, que l'héroïne croise pendant son voyage vers son équilibre intérieur, sont attachants. Golshifteh Farahani interprète Selma, cette psychanalyste décidée à s'imposer dans un cadre qui ne semble pas vouloir d'elle. L'actrice est touchante par son calme en surface et par sa façon d'exprimer le besoin de sa protagoniste d'aider les autres et de les accepter comme ils sont. On suit Selma avec un plaisir certain dans ses aventures qui mettent à l'épreuve sa résilience et sa patience.
Copyright photos ©Carole_Bethuel
UN DIVAN À TUNIS aborde sans en avoir l'air de nombreuses thématiques en prenant l'option de faire rire les spectateurs pour mieux faire passer des messages. On passe un bon moment avec cette parenthèse qui nous fait voyager au soleil avec des traits d'esprit qui mettent de bonne humeur.
NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
ENTRETIEN AVEC MANELE LABIDI
Comment est né le projet ?
La Tunisie a toujours été pour moi une matière
cinématographique puissante, de par ses paysages, sa lumière et la complexité
de ses habitants au carrefour entre culture arabo-musulmane et méditerranéenne.
Je savais que mon premier film se passerait à Tunis mais c’est la révolution
tunisienne qui a été le véritable déclencheur. La révolution a rendu le pays
tout d’un coup « bavard » après des décennies de dictature et c’est
cette effusion de parole intime et collective que j’avais envie de traiter.
J’ai aussi compris que la révolution avait eu impact sur le psychisme de la
population : la chute brutale de la dictature avait plongé le pays dans un
chaos et une incertitude provoquant chez certains des troubles anxieux et
dépressifs liés aux interrogations sur l’avenir politique du pays, la crise
économique, le spectre islamiste, le terrorisme.
Les mois qui suivirent la révolution m’ont fait penser aux
mois qui suivent les débuts d’une analyse. Tout est à reconstruire, on remet
tout en question et puis progressivement chaque chose retrouve une place. De
là, est née cette figure de psychanalyste franco-tunisienne, oreille à la fois
extérieure, distancée mais mue par une volonté de venir contribuer à la
reconstruction de son pays d’origine et de donner un sens à vie.
Vous ne jouez pas sur le clash orient/occident dans le film,
pourquoi ce parti pris ?
La psychothérapie et la psychanalyse sont encore des
pratiques marginales et difficiles d’accès en Tunisie mais je ne crois pas que
cela relève uniquement de blocages profonds liés à la religion ou à la culture.
Cette dimension existe bien-sûr mais je me méfie des théories essentialistes
sur le monde arabo-musulman. Les résistances face à ces disciplines existent un
peu partout en occident encore aujourd’hui. Je n’avais aucune envie de surfer
sur le crédo facile du « corps étranger occidental qui vient prêcher la
bonne parole auprès d’une population naïve et inculte ». Ce n’est pas la réalité.
La demande pour les consultations psychothérapeutiques a crû auprès de la
classe moyenne depuis la révolution et alimenter le cliché de la psy
occidentalisée seule contre une population arriérée aurait été grossier et
injuste. Je voulais placer l’enjeu ailleurs, autour du projet fou d’une jeune
femme venant installer un cabinet dans un pays en ébullition, en pleine
reconstruction sociale, politique, économique et administrative.
Ce sont des sujets qui sont habituellement traités de façon
dramatique. Est-ce que choisir la comédie vous a permis de les aborder plus
frontalement ?
L’actualité des dernières décennies a réduit le monde
arabo-musulman au terrorisme, à l’islamisme, à la question du voile, aux
figures masculines répressives et à des figures féminines bafouées. J’avais
envie d’utiliser les outils de la comédie pour sortir de ce schéma et offrir un
regard différent. La comédie, ses codes, ses outils cinématographiques
permettent de traiter de ces sujets complexes de manière élégante et distancée,
ce qui m’a offert une très grande liberté. Par ailleurs, l’humour fait partie
intégrante de la culture tunisienne et l’évacuer de ce film aurait trahi
l’énergie du pays.
Est-ce-que la comédie est un genre qui vous attire
particulièrement ? Certains films ont-ils influencé UN DIVAN A
TUNIS ?
La comédie est un genre que j’affectionne particulièrement.
C’est un genre exigeant, tant au niveau de l’écriture, que du rythme qui
s’apparente à une partition de musique et de la mise en scène que j’ai voulue
sobre afin de laisser les situations et le jeu des comédiens s’épanouir. La
comédie italienne des années 60/70 a été une référence importante, car elle
traite de sujets sociaux et politiques en les passant au crible de l’humour et
de la satire. Il y a dans ces comédie une vitalité et une outrance toujours
teintées de poésie et d’humanité qui ont résonné très fortement chez moi et ont
fait le pont avec ma culture arabo-méditerranéenne. Le choix de la musique et
notamment la chanteuse Mina qui ouvre et referme le film n’est évidemment pas
anodin.
Le personnage de Selma est assez atypique, elle est en
décalage avec son pays et sa famille, ne se conforme pas à ce qui est attendu
d’elle. Est-ce inspiré par votre expérience, votre entourage ?
Le personnage de Selma est atypique même si l’on sort du
cadre purement tunisien. Je tenais à créer un personnage de
« cow-boy », taiseux, solitaire, mystérieux, virile qui ne cherche
pas son salut dans une vie de famille ou une relation amoureuse. Je ne voulais
pas non plus en faire un symbole de la liberté des femmes arabes. Elle assume
ses choix, sa cigarette vissée au bec sans discours ni revendications. Ce sont
ses actes, ses choix de vie et son ouverture à l’altérité qui traduisent sa liberté
et sa force. Par ailleurs, alors que le film traite de la psychanalyse, j’ai
fait en sorte de ne pas « psychologiser » le personnage de Selma.
Quelques éléments sont glissés ici et là concernant son passé, les raisons
profondes de sa venue en Tunisie, son rapport aux hommes et à la famille mais
il n’y jamais de révélations explicatives. Je veux laisser le spectateur
projeter ce qu’il veut sur cette femme comme des patients qui projettent des
choses sur leur analyste. Enfin, à travers le personnage de Selma, je
souhaitais traiter de mon rapport ambigu avec ce pays que je crois connaitre,
dont je maîtrise la langue, les usages, mais dont, parfois, je me sens très
éloignée, voire en décalage. Mes choix professionnels et personnels, en dehors
du cadre traditionnel, ont confirmé l’image que je traîne dans ma famille
tunisienne depuis toujours, à savoir celle d’une femme étrange, atypique voire
folle pour certains. Je voulais raconter cette histoire vue de l’intérieur,
avec un regard biculturel franco-tunisien.
Comment Golshifteh Farahani a-t-elle été attachée au
film ? Comment a été votre collaboration ?
Le mot d’ordre du casting de ce film a été
« relief », c’est à dire aller vers une large variété de
« gueules de cinéma » capables de crever l’écran par leur présence. Outre
la subtilité de son jeu, j’avais un désir fort de travailler avec Golshifteh.
Elle a une puissance cinématographique hors du commun, à l’écran quelque chose
d’étrange s’opère qui est difficile à expliquer mais qui relève selon moi de la
magie. Le caractère taiseux de Selma exigeait cette cinégénie et ce charisme.
L’autre élément qui a fait de Golshifteh une évidence pour ce rôle, c’est son
parcours de vie qui à certains endroits raisonne avec celui de mon personnage.
Elle a d’ailleurs appréhendé ce rôle de manière quasi instinctive et
émotionnelle. Pour mon premier film, travailler avec une telle actrice a été un
véritable cadeau. Elle a une intelligence du jeu, des situations, de ses
partenaires et de la caméra qui a fait d’elle mon alliée sur le plateau.
Le film offre une galerie de personnages haut en couleur.
Comment les avez-vous créés ?
J’avais envie de filmer la Tunisie et principalement sa
classe moyenne, celle qui vit le plus grand tiraillement entre modernité et
tradition, écrasées par l’endettement par l’hypocrisie liée à la question de la
sexualité et de la religion. D’ailleurs, la question de la religion est traitée
en creux. C’est un élément qui structure la vie de mes personnages, mais n’est
pas au centre du récit. Le film est une fiction, pas un documentaire. Je pars
évidemment d’une base réaliste et les personnages du film sont des hybrides
entre réalité et fiction. J’ai voulu éviter à tous prix de tomber dans la
sociologie primaire : le père macho et autoritaire ou la pauvre femme opprimée.
J’ai voulu secouer les représentations avec un imam jeune et ouvert, une mère
de famille gardienne du temple, un père obsédé par la réussite scolaire de sa
fille, un personnage de flic incorruptible, le personnage de Raouf confus dans
son genre malgré une virilité méditerranéenne exacerbée en apparence. Le film
n’est pas dogmatique, je ne défends aucune thèse en particulier. J’ai essayé de
mettre en scène des personnages aux conflits « banals et quotidiens »
: élever des enfants, lutter contre une addiction, questionner son identité
sexuelle, vouloir quitter sa famille pour vivre l’aventure, la crise du
couple…Ce qui m’intéresse, ce sont leurs contradictions, leurs petites
lâchetés, leurs raisons, leur courage, leur morale. Les personnages de mon film
sont tous, à leur manière, traversés par une forme de mélancolie et ce sont les
ruptures de ton comiques qui les rendent complexes, humains et donc universels.
Le film se conclut sur une note d’espoir et d’optimisme,
autant pour Selma que pour son entourage. Est-ce-que c’est révélateur de votre
regard sur l’évolution du pays ?
Le film offre une fin ouverte penchant en effet vers
l’espoir et l’optimisme. Pour autant, les histoires des uns et des autres ne
sont pas closes et offrent une infinité d’issues, positives ou négatives.
Depuis la révolution, le pays continue sa transformation. Il y a des choses qui
ont avancé dans le bon sens, d’autres moins évidemment mais les tunisiens sont
un peuple intelligent, jaloux de sa liberté et de sa singularité dans le monde
arabe et je ne peux qu’imaginer le meilleur pour l’avenir.
BIOFILMOGRAPHIE DE MANELE LABIDI
Manele Labidi est une auteure-réalisatrice
franco-tunisienne. Après des études en sciences politiques, elle a travaillé en
finance pendant quelques années avant d’écrire pour le théâtre, la radio et la
télévision. Son premier court-métrage, Une chambre à moi (2018), est une
variation tragicomique autour de l’essai de Virginia Wolf. En 2016, elle a fait
partie du programme d’écriture de La Fémis. Un divan à Tunis est son premier
film.
FILMOGRAPHIE
2019 UN DIVAN À TUNIS
2018 UNE CHAMBRE À MOI (Court-métrage)
Source et copyright des textes des notes de production @ Diaphana Distribution



#UnDivanÀTunis

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