Romance/Comédie dramatique/Un film original, touchant avec de très belles interprétations
Réalisé par Nicolas Bedos
Avec Daniel Auteuil, Guillaume Canet, Doria Tillier, Fanny Ardant, Michaël Cohen, Jeanne Arènes, Bertrand Poncet, Bruno Raffaelli, Lizzie Brocheré, Thomas Scimeca, Pierre Arditi, Denis Podalydès...
Long-métrage Français
Durée: 01h55mn
Année de production: 2019
Distributeur: Pathé Films / Orange Studio
Date de sortie sur nos écrans : 6 novembre 2019
Résumé : Victor, un sexagénaire désabusé, voit sa vie bouleversée le jour où Antoine, un brillant entrepreneur, lui propose une attraction d’un genre nouveau : mélangeant artifices théâtraux et reconstitution historique, cette entreprise propose à ses clients de replonger dans l’époque de leur choix. Victor choisit alors de revivre la semaine la plus marquante de sa vie : celle où, 40 ans plus tôt, il rencontra le grand amour...
Bande annonce (VF)
Ce que j'en ai pensé : LA BELLE ÉPOQUE est une bonne surprise parce que le film traite de thématiques courantes dans le cinéma, mais d’une façon inattendue. Le réalisateur Nicolas Bedos réussit à renouveler l’histoire d’amour dans un contexte auquel il n’était pas très facile, a priori, d’octroyer de la lisibilité. Et pourtant, grâce à sa mise en scène dynamique et à un montage astucieux, il nous entraîne dans cette histoire qui prend différents chemins sans nous perdre à aucun moment.
Nicolas Bedos, le réalisateur du film LA BELLE ÉPOQUE
Il nous emmène exactement là où il le souhaite, vers une exposition d'émotions qui ne sont jamais simples et qui se construisent autant dans un rapport au passé que dans une situation présente. Bien que le fond soit dramatique, l’humour est étonnamment présent dans des situations ou des répliques bien envoyées. Il y a de la cruauté dans les relations humaines dépeintes, mais elle finit toujours par s’effacer pour laisser place à de beaux sentiments.
Dans son scénario, Nicolas Bedos s’amuse avec les notions de mise en scène et de mise en condition. C’est presque un tournage dans le tournage qu’il nous propose, mais avec une plus grande finesse dans l’idée. Il apporte un soin important et bien pensé aux décors, aux vêtements, à la musique et aux détails qui font de cette expérience faussée une porte ouverte qu’on a envie d’emprunter pour aller à la rencontre des personnages.
Ces derniers sont interprétés par des acteurs impeccables. Daniel Auteuil est très touchant dans le rôle de Victor, un homme qui se sent dépassé par les aspects technico-modernes de notre société et à cause desquels il a des difficultés à établir des connexions avec son entourage. Il sait nous guider au travers de la palette de ressentis qui traversent son personnage avec une grande précision.
Fanny Ardant offre à Marianne son charisme, sa beauté, sa présence et son talent. Elle nous permet de comprendre le regard que Victor porte sur ce personnage et la souffrance qui en découle.
Michaël Cohen est attachant dans le rôle de Maxime, un fils qui cherche à réunir ses parents.
Guillaume Canet, dans le rôle d’Antoine, et Doria Tillier, dans le rôle de Margot, apportent une belle énergie à leurs échanges et, bien que les rapports entre leurs protagonistes soient complexes, ils les rendent vivants.
Une autre bonne idée du scénario est d’avoir apporté une attention particulière aux petits rôles qui apportent un vrai plus à l’orchestration de l’ensemble. On a ainsi beaucoup de plaisir à découvrir, entre autres, les personnages d’Amélie, interprétée par Jeanne Arènes, d’Adrien, interprété par Bertrand Poncet, de Pierre, interprété par Pierre Arditi ou encore de François interprété par Denis Podalydès.
Copyright photos : © 2019 - LES FILMS DU KIOSQUE - PATHÉ FILMS - ORANGE STUDIO
Un charme et une sensibilité particuliers se dégagent de ce long-métrage. Une étincelle prend dans un regard qui nous émeut, dans des expériences de vie qui sont compréhensibles et qui sont guidées par l’amour. LA BELLE ÉPOQUE nous renvoie l'image d'un cinéma français original et intelligent comme on l’aime, qui met de magnifiques acteurs à l’honneur et nous ravit par sa narration solide.
NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire/regarder qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
Le mardi 8 octobre 2019, suite à la projection de LA BELLE ÉPOQUE en avant-première, une rencontre interactive était organisée en présence de l'équipe du film dont le réalisateur Nicolas Bedos et les acteurs Daniel Auteuil, Guillaume Canet, Doria Tillier, Fanny Ardant et Michaël Cohen. Elle a permis aux spectateurs de poser leurs questions en direct. Retrouvez ces échanges dans les vidéos ci-dessous :
Copyright photos et vidéos @ Epixod
NOTES DE PRODUCTION
ENTRETIEN NICOLAS BEDOS
Comment est née l’idée de La
Belle Époque ?
D’une
image, ou plutôt d’une situation qui m’a paru à la fois pathétique et comique :
je voyais un type vieillissant, chez lui, en train de se disputer avec sa femme,
elle lui reprochait sa misanthropie, son côté dépassé par l’époque, la
technologie, Macron, ses enfants, bref, le type sort de la cuisine, traverse un
couloir et rentre dans une petite pièce où tout le ramène dans les années 70,
de la déco aux disques en passant par les vieilles cassettes VHS. Une sorte de
bulle de protection régressive qu’il se serait lui-même fabriqué. Je le voyais
allumer une gauloise, mater une speakerine dans un vieux téléviseur en bois et
pousser un soupir de soulagement. Voilà : un homme qui se noie dans le présent
et qui fuit dans une époque dont les codes le rassureraient, le protégeraient.
Je voulais filmer ce vertige que je ressens parfois autour de moi, cette
défaite psychologique, et cette solution à la fois grotesque et assez
bouleversante. Je me suis dit que cette image contenait quelques promesses de
cinéma, de satire. D’autant que cet homme m’est venu comme l’écho de quelques
proches, de mon père un peu et, par certains aspects, de moi-même. J’avais donc
de quoi jouer. Car le reste fut un vrai jeu scénaristique.
Et
psychanalytique !
Il y a donc une large part autobiographique dans ce scénario ?
Oui et non, comme pour
mon film précédent : les histoires que je raconte sont inventées de toutes pièces.
C’est mon travail et mon plaisir. J’ai beaucoup donné dans l’autofiction par le
passé, à travers des chroniques et quelques livres, jusqu’à provoquer une
certaine confusion dont je me suis un peu lassé. Le film est une fiction. En
revanche, j’ai besoin que les personnages, leur caractère, leurs émotions, tout
me parle très intimement. Depuis quelques mois, je notais des idées d’intrigues
mais j’attendais fébrilement celle qui me permettrait d’aborder un maximum de
sujets personnels. Pour une raison toute simple : ça donne du sens et de la
matière à ces longs mois de travail que représente un film !
Quel doit être, selon vous, l’équilibre entre fiction et réalité ?
J’aurais
grande peine à le définir. Si une scène n’aborde rien qui me concerne
personnellement, j’aurai tendance à m’en détacher. Si elle n’est que la
reproduction d’un épisode vécu, elle ne m’excite pas davantage. La mise en
abîme est particulièrement flagrante concernant les personnages joués par Doria
et Guillaume.
J’ai
écrit ces scènes comme une lettre d’excuse après mes sautes d’humeur sur le
plateau d’Adelman !
Mais
à côté de cet aspect très anecdotique, l’histoire de ce couple m’offrait
surtout la possibilité d’aborder le thème du transfert narcissique chez certains
metteurs en scène qui, de tout temps, ont pu confondre leur fiction et la
réalité, au point de ne plus aimer l’actrice (ou l’acteur) qu’à travers leur
caméra. Je pense en particulier à quelques grands noms de la Nouvelle Vague !
Guillaume et Doria constituent aussi le miroir moins cérébral, plus charnel,
plus névrotique, du couple formé par Daniel et Fanny.
Vous semblez développer une réflexion sur le temps qui passe, la
valeur des souvenirs, déjà présente dans Monsieur & Madame Adelman…
Sans
me prendre pour Marcel Proust, depuis tout petit je développe surtout une peur
pathologique de l’érosion des sentiments, l’effacement des souvenirs, tout ça.
Il y a une trouille du désamour qui se balade dans mes trois pièces et mes deux
films. Je cherche – en vain – des solutions à travers la fiction qui
permettraient de recouvrer l’intensité du souvenir. Des astuces susceptibles de
réconcilier ces fragments de vie dont nous sommes tous constitués.
Dans La Belle Époque,
vous traitez une forme de nostalgie sociétale
qui était absente de Monsieur &
Madame Adelman. Qu’est-ce qui vous a poussé à la développer
cette fois-ci ?
Parce
que je l’observe autour de moi, y compris chez de fervents progressistes, dont
certains ne savent plus trop où ils habitent ! La disparition progressive du
manichéisme politique, entérinée par l’arrivée de Macron, l’emballement de la
révolution technologique, la raréfaction des grands rendez-vous télévisuels
donc d’un certain partage collectif en matière de culture, tout ça bouscule un
peu et provoque des réflexes, sinon réactionnaires, du moins nostalgiques !
Toutes les jérémiades d’Auteuil dans le film, je me suis surpris à les dire ou
à les entendre autour de moi ! Non pas que le film prenne le parti du « c’était
mieux avant », il s’en amuse plutôt, d’autant que le personnage d’Auteuil
évoluera jusqu’à la fin, mais je ne peux que constater ce vertige, cette
anxiété dont on parlait. D’autre part, au-delà de la nostalgie d’une société
révolue, c’est d’abord de sa propre jeunesse que Victor souhaite se rapprocher.
Une époque qui le gratifiait davantage.
Il
découvrait sa vocation, l’amour, la fête. Il se trouvait plus séduisant ! Il y
a du narcissisme dans son rejet du présent. D’ailleurs, c’est en allant
récupérer un peu de considération et de désir dans le passé qu’il trouve la
force d’adhérer au présent. Il finit même par se réconcilier avec des supports techniques
qu’il abhorrait deux semaines avant ! On assiste à une transformation physique
et vestimentaire tout au long du film. C’est là que Daniel fut incroyable.
J’avais envie de filmer la renaissance aussi bien psychique que physique d’un
homme fatigué, désorienté, condamné, amer. Lui redonner le sourire et le
charme, par tous les moyens dont je dispose et dont dispose le personnage de
Canet.
Comment parler justement de cette opposition entre ce monde d’hier
et celui d’aujourd’hui sans verser dans le discours convenu du « c’était mieux avant
» ?
En
soulignant, comme le fait Fanny Ardant à la toute fin du film, toutes les
lacunes sociales et intellectuelles des années 70 ! Quand elle lui rappelle qu’on
n’était pas si libres, qu’on écoutait aussi de la merde dans des émissions
lourdingues, que les femmes pouvaient se faire violer en toute impunité mais
qu’elles n’avaient pas le droit d’avorter, elle a objectivement raison. Le film
se contente de décrire la nostalgie d’un homme fragile, sa nostalgie d’une époque
où l’amoureux du papier qu’il est (Victor est dessinateur) voyait davantage de
gens tourner les pages d’un journal, d’une BD ou d’un livre, converser et
débattre que textoter des Gifs. Et puis je dois confesser que l’attrait
purement cinématographique des années 70 n’était pas pour me déplaire. En tant
que spectateur, j’ai de plus en plus faim d’un cinéma romanesque et visuel. Je
fais des films que j’irai sans doute voir et dans lesquels je me sens bien. Un
certain « ailleurs » visuel et narratif.
Et cet ailleurs est ici permis par cette société créée par Antoine
qui offre à chacun de ses clients une plongée dans une époque du passé qu’il
veut vivre ou revivre…
Oui l’idée m’est venue
de ma propre saturation face à l’inflation de séries, comme si la fiction «
classique », c’est à dire des images dans un écran, n’impactait plus assez le
spectateur. J’ai imaginé cette boîte de reconstitution théâtrale qui
immergerait physiquement le spectateur dans l’histoire. Rien à voir avec un
dispositif sophistiqué du type Black
Mirror ou autre. Là,
l’innovation d’Antoine repose sur de simples éléments de décor, une
documentation, des comédiens. Je voulais montrer des coulisses, comme celles
dans lesquelles j’évolue depuis que je suis né. Ça nous a permis, à moi et mon
équipe, de mettre en valeur l’aspect artisanal du cinéma et du théâtre !
Habilleurs, décorateurs, machinos, assistants, comédiens : le film montre une
équipe au travail ! C’était particulièrement grisant d’inclure dans certains
plans des membres de l’équipe.
J’ai
vu mes collaborateurs prendre plaisir à faire ce film. Au point que nous avions
du mal à nous quitter le vendredi soir : on faisait la fête dans les décors que
nous avions conçus !
La Belle Époque s’ouvre
d’ailleurs par un dîner du XIXe siècle qui donne le ton du film. Celui du jeu permanent
avec le spectateur qui va suivre.
J’essaie
de faire des films que j’aimerais aller voir ! Or l’idée d’un début qui
n’aurait rien à voir – ni dans le ton, ni dans l’époque, ni dans le genre –
avec ce que le spectateur s’imagine être venu voir m’amusait comme un gosse.
Pour ce prologue « napoléonien », nous avons d’ailleurs utilisé d’autres
objectifs et d’autres focales. Le découpage épouse le style un peu pompeux
d’une superproduction Netflix. L’idée c’était surtout que le spectateur
ressente lui-même l’inconfort mental de Victor et s’identifie à ce type qui ne
comprend plus très bien ce qu’il vient de voir dans sa tablette. Ce que produit
son fils le dépasse totalement. J’ai d’ailleurs pensé jouer le rôle du fils à
un moment (Rires) !
Sauf que contrairement à Monsieur
& Madame Adelman, vous ne
jouez pas et vous vous êtes concentré cette fois-ci uniquement sur la
réalisation. Était-ce une volonté de départ ?
J’ai
adoré jouer et réaliser en même temps car ça permet d’être totalement immergé
dans la scène : on peut l’orienter de l’intérieur, par le jeu, par le regard
que l’on donne à ses partenaires. Mais pour La
Belle Époque, j’avais envie de profiter davantage de mon
équipe technique. Jouer m’en éloigne un peu. Et puis le scénario aborde des
thèmes si personnels que je ne voulais pas y ajouter ma présence à l’écran,
c’eût été un pléonasme ! Avant le tournage, Guillaume a pu craindre que le fait
qu’il joue Antoine provoque chez moi une frustration, des tensions, du fait que
j’aurais pu le jouer. Mais dès que le tournage a commencé, on a pris énormément
de plaisir à fabriquer ce personnage tous les deux. Il y a mis beaucoup de
lui-même, ce qui enrichit le film, ne l’enferme pas dans l’autofictionnel.
Pourquoi avoir fait appel à lui ?
Parce
qu’il est très bon ! Le fait qu’il soit lui-même réalisateur a été aussi
décisif. Le quotidien d’Antoine, ses impatiences, tout ça lui est très familier
et il a su en jouer. Et puis il m’avait exprimé son envie de tourner avec moi.
Or, j’essaie de m’entourer de gens motivés, enthousiastes et bienveillants, aussi
bien devant que derrière la caméra. Car la pression financière, le manque de
temps rendent parfois difficiles et nerveuses les journées de tournage et le
fait de s’apprécier, de s’estimer, permet de gagner un temps très précieux.
L’enthousiasme est une notion qui compte beaucoup pour moi.
Continuons à parler de votre casting. Pourquoi avoir choisi Daniel
Auteuil pour camper Victor ?
C’était
une évidence. Il me fallait un acteur auquel le public s’identifierait très
facilement, dès les premières minutes. D’autre part, le scénario oscillait sans
cesse entre comédie et drame, parfois au sein d’une même scène, et rares sont
les comédiens à maîtriser ce mélange des tons. Daniel a tourné avec Claude
Sautet et André Téchiné, deux metteurs en scène que je place au sommet de mon panthéon
du cinéma français. Je savais donc son respect des répliques, des silences, des
rapports ambivalents entre les personnages. Je cherchais également un homme
dont l’âge « mûr » ne rendrait pas pour autant pathétique ou grotesque ce
retour à sa jeunesse, aux costumes cintrés des années 70 ! Un homme sans âge.
Qui nous ferait croire à son histoire d’amour avec une très jeune femme, sans que
cela ne paraisse jamais libidineux, prosaïque. Je dois dire que Daniel a
largement dépassé tous les espoirs que je mettais dans ce personnage. Nous avons
tous été chaque jour bouleversés par l’implication de ce grand comédien dans ce
tournage.
J’ai
eu le sentiment de le voir reprendre un peu plus goût à son métier. Daniel
aimait Victor, il en éprouvait chaque réplique. À tel point que nous avons partagé
ensemble des moments très puissants, des rires mais aussi quelques larmes.
Il était évident que vous retravailleriez avec Doria Tillier après
Monsieur & Madame Adelman ?
Il
ne fait aucun doute qu’elle m’a copieusement inspiré son propre personnage ! Il
eut été ingrat de le confier à une autre (Rires) ! Contrairement à Adelman qui présentait Sarah
sous un jour littéraire et cérébral, j’ai cette fois-ci mis l’accent sur la
sensualité de Doria. Margot est bien moins réfléchie, plus animale. Nos
rapports ont été très apaisés sur le plateau. On apprend à se connaître ! Doria
s’abandonne complètement car elle sait que nous partageons le même goût,
qu’elle ne regrettera pas le résultat.
Parlons du dernièr membre du quatuor principal de La Belle Époque,
Fanny Ardant…
C’était
l’une des seules données préalables du scénario que je voulais écrire : qu’il
comporte un rôle assez riche pour Fanny, que j’ai la grande chance de fréquenter
depuis quelques années. Je suis fou de cette femme, dont la poésie, la folie,
l’humour et la fragilité m’enthousiasment. Sur le tournage, Fanny n’entretenait
pas toujours des rapports pacifiés avec son personnage : elle redoutait la
gratuité de sa méchanceté et il m’a fallu sans cesse lui rappeler à quel point
la dureté apparente de Marianne prend sa source dans la peur de sombrer, de
mourir. Marianne reproche à Victor son refus de l’avenir et de la faire crever
à petit feu. La perfidie dont elle fait preuve au début du film est une
révolte, un cri de survie. L’avantage du regard inquiet que Fanny posait sur
Marianne au début, c’est qu’elle a redoublé d’émotion et de talent pour l’aimer
à la fin !
Le film tient sur un équilibre constant entre une mélancolie
bouleversante et un ton volontiers sarcastique. Cela a-t-il été compliqué à
tenir sur la durée du récit ?
Non,
car ce ton c’est spontanément le mien, dans la vie. Un baiser, une vanne. À
tort ou à raison, une certaine pudeur me pousse à contrebalancer le sincère
élan de lyrisme auquel je venais de m’abandonner quelques secondes plus tôt.
Doria est un peu comme ça. La plupart de mes proches. Rien ne me fait plus fuir
que le sarcasme constant, à table ou sur l’écran. A contrario, quand l’émotion
parvient à survivre à une réplique d’ironie défensive, un sursaut de facétie,
il me semble qu’elle en sort renforcée. Le spectateur comprend qu’on ne l’a pas
pris pour un con, qu’on ne lui a pas tordu le bras pour qu’il chiale. De même,
je demande souvent aux comédiens d’exprimer avec leurs yeux une tendresse ou
une émotion que leur texte contredit.
Comment avez-vous construit l’atmosphère visuelle de La Belle Époque avec
Nicolas Bolduc, votre directeur de la photo depuis Monsieur & Madame Adelman ?
Nicolas
a dû gérer plusieurs styles de lumière et de cadrage car il a très vite été
assez pertinent que les scènes qui se situent dans le présent seraient tournées
à l’épaule, afin de traduire l’anxiété de Victor face au progrès, et que toute
la partie studio serait constituée de mouvements amples, doux, car il retrouve
ses repères. Nicolas et Patrick, le chef électro, ont mis au point un système
qui permettait de passer du jour à la nuit, du joyeux au triste en quelques
secondes. Ce qui était formidable avec le fait que Victor sait que tout est
factice, c’est qu’on a pu fabriquer des nuits et des « soleils » très
poétiques, à la limite de l’irréaliste, en y glissant plein de couleurs. En
revanche, le personnage joué par Guillaume a un tel souci du détail et de
l’authenticité que les scènes d’époque, notamment celles du château, ont été
éclairées entièrement à la bougie, sans aucun artifice, tous les costumes
étaient d’époque, ce qui a ravi mes producteurs (Rires).
Tout ça suit un
processus assez évident. Le fait que j’écrive en dictant à haute-voix le
scénario dans un dictaphone me permet de rester totalement concentré sur les
images mentales qui, par bonheur, me parviennent souvent de façon assez
précise. Le travail qui consiste à les traduire en découpage me prend ensuite
quelques semaines durant lesquelles je confronte mon point de vue avec celui de
la scripte, du 1er assistant et du chef opérateur. Je note parfois nos divergences
mais globalement j’ai tourné le film tel que je l’avais imaginé bien avant le
tournage. Je viens de l’écriture solitaire et je partage difficilement la
paternité d’un mouvement ou d’un cadre. C’est également pour cette raison que je
compose en partie la musique : à mes risques et périls, j’ai décidé d’être
responsable de ce que je propose au public. S’il déteste une scène, il ne pourra
accuser personne d’autre (Rires) !
Comment avez-vous composé la musique ?
J’avais
demandé à ce qu’on installe un piano dans le café du film, comme un élément de
décor, et je jouais souvent dessus pendant l’installation technique ou les
pauses. C’est là que sont nés plusieurs thèmes qu’on retrouve dans le film.
D’autres thèmes ont été composés par Anne-Sophie Versnaeyen, une violoniste à
qui je devais déjà l’orchestration de la BO d’Adelman. Notre difficulté consiste à se maintenir en permanence entre
émotion et ironie pour respecter le ton du film. Même chose pour les chansons
qui passent dans le bar. Quel niveau de lyrisme peut-on s’autoriser ? C’est
pour cela que Billie Holiday, par exemple, m’a semblé idéale. Son The man I love charrie
une émotion subtile, jamais racoleuse.
Vous vous êtes senti plus à l’aise sur ce plateau que sur celui de
votre premier film ?
Pas
particulièrement. Ce que j’avais gagné en confiance, j’ai l’impression de
l’avoir très vite perdu face à l’ambition du projet, les problématiques de décors,
et tous ces comédiens, dont certains m’intimidaient. Et puis je ne pouvais pas
me servir de mes intonations d’acteur pour orienter les autres acteurs.
D’autre
part, l’équipe était convaincue que ne pas jouer me ferait gagner du temps sur
le plateau mais ce n’est pas toujours vrai car le fait d’être à ce point
concentré sur les détails de chaque prise peut déclencher des crises de
perfectionnisme dont il faut se méfier !
En
tout cas, je reste un besogneux, comme je l’étais dans la préparation de mes
chroniques. L’inquiétude contraint au travail.
Il y a par contre un domaine où vous ne tergiversez pas : celui du
respect des dialogues…
Oui
! Car j’ose espérer que j’ai suffisamment travaillé les dialogues en amont - y
compris en terme de naturel de jeu – au moment de l’écriture pour que l’improvisation
soit moins bonne !
Mais
je n’ai rien contre les méthodes de tournage plus spontanées et je les
appliquerais peut-être un jour sur un projet qui s’y prêtera.
Dans
La Belle Époque, il n’y a qu’une seule scène agrémentée d’improvisation : celle où
Antoine hurle sur Margot et se montre particulièrement odieux avec elle.
Guillaume a pris un plaisir étonnant à la jouer (Rires) !
La Belle Époque s’est
beaucoup réécrit au montage ?
Assez
peu. Le scénario indiquait déjà l’alternance des séquences, les ellipses etc.
Ce qui rendait d’ailleurs sa lecture assez fastidieuse. Le fait d’avoir
travaillé la structure du récit en amont nous a permis, au montage, de nous
concentrer sur le choix des prises, un regard, un silence, une accélération :
ce que j’appelle le « sensible ». Ma monteuse et moi pouvons faire 15 versions
d’une scène de simples champs/contre-champs en variant le rythme ou le choix
des regards de façon presque imperceptible. Ensuite nous avons essayé de couper
au maximum.
À vrai dire, on aurait
pu poursuivre le travail de montage pendant 20 ans car il y a toujours une chanson
qui marche mieux sur telle réplique ou une ellipse à tester. Mais la fin du
travail est indiquée par une sorte d’épuisement intellectuel : Quand tu commences
à radoter et à couper une scène que tu remets le lendemain, c’est qu’il faut se
dire au revoir.
ENTRETIEN DANIEL AUTEUIL
Qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer dans La Belle Époque ?
Il
y avait tout d’abord l’envie de rencontrer un jeune metteur en scène qui avait
prouvé avec son premier film Monsieur
& Madame Adelman, qu’il avait quelque
chose d’original à raconter. Et surtout qu’il s’y employait avec souffle et
beaucoup d’envergure. Puis quand j’ai lu son scénario de La Belle Époque, j’ai
tout de suite aimé la manière dont il parlait de nostalgie et jouait avec ce
sentiment par le prisme de la quête de mon personnage pour retrouver les seuls
sentiments réellement éternels : les sentiments amoureux. Avec ce film, Nicolas
raconte brillamment comment malgré les années qui passent, profondément, on ne
change pas. Ce dont je suis intimement persuadé. La force de sa Belle Époque tient dans
le regard que pose un jeune homme comme lui sur une époque qu’il n’a pas connue
mais dont il a pourtant la nostalgie. C’est un film éminemment personnel,
émouvant mais jamais larmoyant et qui arrive à parler à tout le monde. Et qui,
en plus, m’offrait le plaisir de retrouver Fanny (Ardant). J’ai donc accepté sa
proposition avec enthousiasme.
Comment nous présenteriez-vous Victor que vous interprétez ?
C’est
un homme qui ne comprend plus rien à son époque et a, d’une certaine façon,
envie que tout cela s’arrête. Car il a vécu des choses si fortes tant dans sa
vie professionnelle de dessinateur qu’en termes de passion amoureuse qu’il
croit que rien ne sera plus jamais aussi intense. Victor a le sentiment d’être
laissé sur le bas-côté. Mais, en choisissant de revivre un moment essentiel de
sa vie grâce à ce possible voyage dans le temps, il se rend compte que la seule
chose qui ait vraiment compté dans tout son parcours reste cette rencontre avec
cette femme qu’il a aimée. Pour interpréter Victor, j’ai donc travaillé sur ce
double sentiment de désenchantement et d’espoir qui renaît quand tout semble perdu.
Car il suffisait d’une toute petite étincelle pour tout embraser à nouveau. Ce
qui me plaît chez lui, c’est qu’il va tomber sincèrement amoureux de cette
actrice qui joue son grand amour dans ce passé reconstitué. Qu’il est resté
profondément le même, au fil du temps. Il y a une chanson de Johnny Hallyday
qui dit « Ça ne change pas un homme, un homme ça vieillit ». Je m’y retrouve
pleinement.
Comment se comporte Nicolas Bedos sur un plateau ?
Il
est tout à la fois précis et délicat. Sa direction d’acteurs n’est jamais
encombrante ou agaçante pour un vieil acteur comme moi… (Rires) Et puis c’est
quelqu’un de très intelligent qui a du goût et un regard pertinent. On sent
d’emblée qu’on a vraiment affaire à un metteur en scène. Et ce n’est finalement
pas si courant que cela… Avec La
Belle Époque, Nicolas réussit un film de cinéma au sens premier
du terme, un film de mise en scène mais aussi et surtout le film d’un mec qui
aime profondément ses acteurs. Et quand on est regardé avec cet enthousiasme et
cette passion-là, une confiance s’installe et le lâcher-prise se fait tout
naturellement.
Si, comme Victor, on vous offrait la possibilité de replonger dans
une journée ou époque particulière de votre passé, quelle serait-elle ?
Je
pense que je choisirais de tout recommencer.
Parce que c’était pas
mal… (Rires)
ENTRETIEN GUILLAUME CANET
Qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer dans La Belle Époque ?
Tout
d’abord, j’avais énormément aimé Monsieur
& Madame Adelman. Sa direction d’acteurs
mais aussi et surtout son écriture et sa réalisation m’avaient emballé et
révélaient un indéniable metteur en scène. Et quand Nicolas m’a proposé de
jouer dans La Belle Époque, j’ai d’abord été très touché car je connais son sens critique
développé. Savoir qu’il m’aimait bien et avait envie de travailler avec moi m’a
fait très plaisir. Mais si je dois être honnête, j’avais un peu peur qu’on ne
s’entende pas. Car connaissant son caractère et le mien, cela pouvait vite
faire des étincelles. Je lui en ai tout de suite parlé et il a su me rassurer
sur ce point. Mais surtout j’ai été emballé par la lecture de son scénario et
la manière dont Nicolas parle de nostalgie. Je suis moi-même quelqu’un de très
nostalgique. J’ai de grandes inquiétudes sur le mode de vie qu’on a adopté
aujourd’hui. Notre dépendance sans cesse grandissante à nos portables, à
Internet. Le fait, par exemple, que dès qu’on cherche quelque chose, on n’a
même plus recours à notre mémoire. Je ne suis pas contre le progrès mais j’ai
une nostalgie de cette époque dont Nicolas parle et que le personnage de Victor
veut revivre, où le rapport au temps était très différent. En fait, tout cela
me replonge dans mon enfance. Et c’est sans doute pour cela qu’outre sa qualité,
son scénario m’a touché autant.
Quel regard portez-vous justement sur la manière dont Nicolas
Bedos traite de cette nostalgie ?
Son
ironie, son cynisme assumé et son sens des répliques qui font mouche éloignent
son film de toute facilité lacrymale. Mais, surtout, il raconte cette nostalgie
à travers le prisme de magnifiques histoires d’amour. L’une – celle que vit mon
personnage – dans l’effervescence et la passion. L’autre, à l’inverse,
complètement éteinte. Et sa façon virtuose de mêler ces deux histoires rappelle
que tout autant que la nostalgie, il ne faut jamais perdre de vue ce qu’on vit
dans le présent. Que c’est à chacun de nous de s’y employer. Que rien ne nous
empêche aujourd’hui de ne pas céder aux diktats qu’on nous impose, de ralentir
ce rythme qui ne cesse de s’accélérer. La
Belle Époque ne se contente donc pas de regarder en
arrière en mode « c’était mieux avant », il s’inscrit aussi et surtout
pleinement dans notre époque. C’est ce qui le rend aussi passionnant et émouvant.
Pouvez-vous nous présenter votre personnage et nous expliquer quel
écho il a eu en vous ?
Il
fait évidemment partie lui aussi des raisons qui m’ont donné envie de faire
partie de cette aventure. Je le vois comme un mélange de Nicolas et de moi pour
son côté pointilleux et exigeant envers lui-même et les autres. Du coup, je
n’ai pas eu à chercher très loin pour le créer. Tout au long du tournage, je me
suis amusé à énormément observer Nicolas sur le plateau. Ça a énormément nourri
mon inspiration… (Rires)
Comment travaille justement Nicolas Bedos sur un plateau ? Quelles
sont ses qualités principales comme metteur en scène ?
Avant
de travailler avec lui, j’imaginais un metteur en scène aimant travailler dans
un rapport conflictuel. Or c’est tout le contraire qui s’est produit ! J’ai eu
face à moi un cinéaste à l’écoute et très concerné par ses acteurs, avec un
regard bienveillant sur le travail de chacun. Tu sens tout de suite qu’il n’a qu’une
envie : t’embellir, te porter vers le meilleur mais dans une atmosphère de
travail chaleureuse. Et puis, il a une autre qualité majeure à mes yeux. Nicolas
est quelqu’un de cash avec qui, donc, on ne perd pas de temps. Il dit tout de
suite si quelque chose ne lui convient pas. Il ne tergiverse pas. C’est quelqu’un
d’extrêmement précis, un vrai chef d’orchestre. Il ne vit que pour son film du
matin au soir. Et sa passion pour ce qu’il fait lui donne une énergie qui porte
et emporte tout le monde sur son plateau.
Si on vous offrait comme à Victor la possibilité de replonger dans
une journée ou une époque particulière du passé, quelle serait-elle ?
La période de la
naissance de ma fille. J’ai été extrêmement présent à celle de mon fils et dans
ses premières années. Beaucoup moins dans la première année de sa soeur où,
très concentré sur Nous
finirons ensemble, j’ai
donc été beaucoup absent. Et je le regrette forcément un peu car j’ai
l’impression d’avoir raté des choses. Mais il y a tellement d’autres périodes
comme celles-ci que je voudrais revivre pour les revivre mieux. C’est en cela
que cette idée de Nicolas est absolument géniale et nous touche finalement
tous.
ENTRETIEN DORIA TILLIER
Était-ce une évidence que Nicolas et vous retravaillerez ensemble
après Monsieur & Madame Adelman ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer dans La Belle Époque ?
Oui.
Pour moi en tout cas. Comme on se crée des amis dans la vie, on se crée des
complices dans sa vie artistique. Ce ne sont pas des hasards. Je crois qu’on a
senti l’un et l’autre qu’on avait des choses à partager et des « valeurs
artistiques » communes. J’aurais dit oui à Nicolas sans lire le scénario,
j’aime tout dans son cinéma. Et puis cette histoire me fait rêver ! Et les
dialogues aussi ! C’est comme un super bon plat, et y en a beaucoup, et y a
plein de sauces, plein de saveurs. (J’ignore pourquoi je fais une comparaison
culinaire mais ça m’est venu !)
Pouvez-vous nous présenter votre personnage et nous expliquer quel
écho il a eu en vous ?
Margot
est une actrice. C’est très excitant car j’ai plein d’apparences différentes,
plein de visages, de voix… Mais Margot, elle, n’a pas les rôles dont elle rêve.
Et puis elle est amoureuse. Mais d’un homme avec qui elle n’arrive pas à vivre.
Elle est très passionnée, parfois violente parce qu’à bout. J’adorais mon
personnage. C’est très dur de savoir ce qu’on a en commun avec un personnage. J’ai
toujours l’impression que je ne lui ressemble pas et puis au fur et à mesure du
tournage je me dis « Tiens, oui, ça quand même ça me ressemble… »
Qu’est-ce qui a le plus changé dans la manière de travailler de
Nicolas Bedos entre les deux films ? Et dans la vôtre ?
Nicolas
était plus tranquille. Il ne jouait pas dans son film donc il était entièrement
concentré sur sa réalisation. Il savait tout ce qu’il voulait, il était très détendu,
prenait plus de plaisir. Il était rassuré et donc rassurant. Pour moi aussi
c’était plus agréable. On se connaissait mieux dans le travail, on se
comprenait plus vite. J’avais pris – un peu – d’assurance. Je crois qu’on a
tous deux pris beaucoup de plaisir sur ce film.
Quel regard portez-vous sur la manière singulière dont Nicolas
Bedos traite ici de la nostalgie ?
C’est
un thème qui lui est cher. À moi aussi. Le regard qu’on porte sur son passé, la
façon dont on fantasme tout ce qu’on ne peut plus toucher. Son enfance, une
époque. Ça devient sacré et merveilleux. Je trouve l’idée du film géniale dans
ce qu’elle permet d’envisager. Un ersatz de passé suffit-il à « faire la blague
» ? Qu’est-ce qui nous manque le plus dans nos souvenirs ?
Si on vous offrait comme à Victor la possibilité de replonger dans
une journée ou une époque particulière du passé, quelle serait- elle et
pourquoi ?
Moi je sacralise
totalement tout ce qui est passé. J’aurais du mal ! Ma réponse change chaque
jour, chaque heure !
Source et copyright des textes des notes de production @ Pathé / Orange Studio
#LaBelleEpoque
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