jeudi 16 janvier 2020

ADORATION







Thriller/Drame/Un très beau film avec une sensibilité à fleur de peau

Réalisé par Fabrice Du Welz
Avec Thomas Gioria, Fantine Harduin, Benoît Poelvoorde, Laurent Lucas, Gwendolyn Gourvenec, Charlotte Vandermeersch, Peter Van den Begin, Martha Canga...

Long-métrage Belge/Français
Durée: 01h38mn
Année de production: 2019
Distributeur: Les Bookmakers / The Jokers

Date de sortie sur nos écrans : 22 janvier 2020


Résumé : Paul, un jeune garçon solitaire, rencontre Gloria, la nouvelle patiente de la clinique psychiatrique où travaille sa mère. Tombé amoureux fou de cette adolescente trouble et solaire, Paul va s’enfuir avec elle, loin du monde des adultes...

Bande annonce (VF)



Extrait (VF)



Ce que j'en ai pensé : film difficile émotionnellement, mais fascinant par sa réalisation ADORATION est une expérience à fleur de peau. Le réalisateur Fabrice Du Welz, qui également co-scénariste de cette œuvre, décrit avec sa caméra les caractères de ses personnages. Il utilise des plans rapprochés pour nous guider sur des gestes et des regards qui nous expliquent le ressenti intérieur des protagonistes. Les plans larges, magnifiques, placent les lieux et les atmosphères qui font partie de l'histoire au même titre que les dialogues. Ces derniers réfléchissent le désarroi, la panique, le mensonge, l'attachement qui assaillent tour à tour les deux jeunes héros.




Le réalisateur exprime une forme de liberté dans cette escapade. En dehors du temps et des règles des adultes, deux enfants prennent la vie comme elle vient en vivant l'instant présent, mais la folie, telle un monstre transparent et inarticulé vient jeter son ombre sur de premiers émois amoureux, aussi forts dans leur lien que fragiles dans leur devenir. Il ne faut pas s'attendre à des réponses ou des explications approfondies, Fabrice Du Welz nous laisse comprendre par bribes ce qu'a été la vie des personnages avant leur rencontre. Les spectateurs ont des indications, mais au-delà de la compréhension entière d'un passif, c'est cette tranche de vie qui repose sur une sensibilité extrême et des interactions dramatiques qui importe.

Les deux acteurs principaux sont superbes. Thomas Gioria est très impressionnant et hyper attachant dans le rôle de Paul, ce garçon gentil, doux, innocent, qui pourtant ressent la souffrance qu'il croise avec une intensité qui le broie.

Face à lui, Fantine Harduin réussit à mettre en relief la personnalité complexe de Gloria, permettant de comprendre la fascination emprunte de désir de Paul face à ses grands yeux bleus, et en même temps de nous faire tomber dans des abîmes inquiétants lorsque sa santé mentale s'étiole.



Des adultes naviguent autour d'eux notamment, Benoît Poelvoorde dans un rôle qui sert de phare dans l'horizon embrumé de Paul.


Copyright photos @ The Jokers

ADORATION nous propose une expérience cinématographique pétrie de sensibilité. C'est tout simplement un beau film.



NOTES DE PRODUCTION 
(À ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)






Entretien avec LE RÉALISATEUR

Comment présenter Adoration, votre sixième long-métrage ?

C’est un conte cruel qui raconte l’histoire d’un gamin un peu simple, un idiot, au sens dostoïevskien. Il est naïf et vit en harmonie avec les éléments, seul à l’écart du monde. Sa maman travaille dans une clinique privée où l’on soigne des gens mentalement malades. Ce gamin cherche de l’affection même s’il vit avec sa maman, qui est quelqu’un de particulier. Un jour, débarque une adolescente. Visiblement troublée et troublante, dont il va tomber fou amoureux. Il va tomber amoureux d’elle jusqu’à s’oublier lui-même. C’est un amour total, un amour absolu.

Quel était le postulat de départ ?

Réaliser un film très épuré. Une sorte de prière, de poème, de rite initiatique. En choisissant des adolescents, on a un regard qui n’est plus tout à fait celui d’un enfant mais pas non plus celui d’un adulte. Tomber amoureux à quatorze ans, c’est dévastateur. C’est un sentiment tellement fort, puissant, destructeur mais aussi constructeur et bouleversant. Ce gamin va au bout de cet amour total, il le vit comme un acte de foi. Je voulais éviter la mignonnerie, le côté moralisateur et plein de bons sentiments. J’avais envie d’un film qui soit à l’aune de la passion, du chamboulement de ce gamin. C’est comme Paul sur le chemin de Damas qui est envahi par l’Esprit Saint.

Je pense que j’ai voulu me mettre en danger avec ce film. Je sais que ça fait cliché mais j’ai voulu sortir de ma zone de confort. Je veux aller autre part et autrement. Être déstabilisé. Aller au plus profond de moi-même. J’ai des barrières comme tout le monde, ne fusse que par mon éducation, mais je veux les détruire et aller à l’intime. Adoration me permet d’aller vers l’intime. En tout cas, c’est la direction que ça prend. Je voulais me faire danser sur un volcan. C’est tout ce que je cherche comme cinéaste.

De très jeunes acteurs sont au centre du film : Thomas Gioria (Jusqu'à la garde de Xavier Legrand) et la plus expérimentée Fantine Harduin (Happy End de Michael Haneke) dans les rôles de Paul et Gloria.
Avez-vous trouvé facilement votre “couple” vedette ?

J’ai d’abord rencontré Fantine la veille de son départ à Cannes pour Happy End ; donc ça remonte à mai 2017. Finalement, nous avons tourné à l’été 2018, Fantine a grandi et a encore accumulé de l’expérience et de la maturité. Pour le personnage de Paul, j’ai vraiment cherché partout. J’ai vu quelque chose comme trois cents gamins. Lorsque j’ai rencontré Thomas, j’ai su immédiatement que c’était lui, Paul. Un coup de foudre.

En fait, Eric Lavallée, d’Ioncinéma, m’envoie un message en me suggérant de voir Jusqu’à la garde. Je rencontre ensuite Thomas - j’avais au préalable envoyé le scénario à sa maman - et lorsque je lui demande comment il se sent par rapport à son personnage, il me répond simplement : “Je vais écouter”. Il avait compris qu’il devait se mettre en disponibilité et à l’écoute. Et Thomas, c’est une pureté de l’instant. Il ne sait pas tricher. Quand une situation lui résistait, c’est que la scène était mal écrite.

Chaque fois que ça ne fonctionnait pas, c’était uniquement parce que la scène n’était pas bien écrite. Fantine a, de fait, plus d’expérience. Malgré son jeune âge, elle est déjà une actrice, elle se gère ellemême, elle est plus réservée et elle a acquis - probablement avec Haneke - une technique assez impressionnante.

Au fur et à mesure du tournage, Fantine s'est abandonnée à ma vision et nous nous sommes de plus en plus amusés.

Ça veut dire que sur le tournage, vous gardez une espèce de souplesse dans le scénario ?

Oui, parce que je me suis mis au service de Thomas sans altérer l’histoire. Je l’ai responsabilisé parce que le film, c’est son point de vue. La caméra ne le lâche jamais. Son personnage est le regard du film, son âme et sa bonté. Je n’avais pas d’autre choix que de me mettre à son niveau et traverser le film comme lui.

Adoration clôture ce que vous appelez votre Trilogie des Ardennes, centrée sur le thème de l’amour fou, de l’amour monstre et qui dissèque différentes formes de pathologie. Calvaire, Alléluia et Adoration sont aussi trois titres aux références christiques. Une réminiscence de votre éducation chez les Jésuites ?

Oui, sans doute. Je n’ai pas de réponse à cela. J’aime cette espèce d’unité entre les trois films. L’hiver avec Calvaire, une sorte d’automne avec Alléluia et aujourd’hui, l’été avec Adoration. Il manque peut-être le printemps. Je vois bien que ce qui m’anime dans mon cinéma, c’est l’état amoureux, la toxicité de l’amour, la dépendance, la folie, la jalousie, la manipulation, la sexualité même si on est dans l’éveil avec Adoration.

En parlant d’éveil des sentiments, il y a une très jolie scène dans Adoration où Gloria déshabille Paul dans la rivière. Était-ce une scène particulièrement difficile à tourner ?

C’était drôle parce que je parle beaucoup sur un tournage. Je donne des indications pendant les prises, je m’emballe et je finis par péter un câble. Du coup, on a ri énormément. Fantine et Thomas étaient de bonne humeur. En tout cas, c’était un tournage très joyeux.

Lors de leur fuite, Paul et Gloria atterrissent chez un homme fatigué par la vie interprété par Benoît Poelvoorde.

Le film est un voyage au cœur des ténèbres, le long d’un fleuve tantôt réel, tantôt rêvé. L’espace révèle les personnages et leurs aliénations. Les personnages traversent les décors comme différents états mentaux dans lesquels ils finissent par se perdre.
Pour Paul, la réalité du début se transforme lentement au contact de la maladie de Gloria, comme par contamination. Dans ce sens, le dernier décor, le camping de Hinkel est comme l’aboutissement de la quête de Paul. Un monde étrange dans lequel Paul rejoint la folie du vieil homme que joue Benoît Poelvoorde, en qui il se reconnaît.

On a rarement vu Benoît Poelvoorde aussi émouvant…

J’étais super heureux de faire ce film avec Benoît, j’en avais envie depuis des années. Il m’a fait confiance. Je pense qu’il a trouvé plus hyperkinétique que lui sur un plateau et que ça l’a déstabilisé. Je le poussais à jouer très bas, en lui mettant une pression physique très forte. Il est vraiment incroyable et très puissant.

Une autre très belle scène est celle où le personnage de Benoît Poelvoorde propose à Paul “Le jeu des trois œufs” où vous utilisez plusieurs caméras. Pour plus de liberté ?

C’est une idée de Romain Protat qui est toujours d’une grande efficacité dans les dialogues. Avec Vincent Tavier, on travaille la dramaturgie, l’histoire, et Romain est plus investi dans les dialogues. J’adore cette scène. Je n’avais jamais fait ça par le passé : tourner avec plusieurs caméras. Jouer avec plusieurs caméras capte au mieux la spontanéité d’une scène.

On retrouve aussi le fidèle Laurent Lucas, qui était déjà de l’aventure de Calvaire en 2004 et que vous retrouviez dans Alléluia dix ans plus tard…

Le mystère de Laurent me trouble. Je trouve que c’est un comédien qui a une duplicité, une errance, quelque chose de complètement mystérieux. Je ne comprends pas qu’un acteur de cette trempe ne tourne pas plus. Il est plein d’aspérités, il est trouble, magnétique, beau et laid, inquiétant.

Adoration n’est pas, comme ont pu l’être Calvaire ou Alléluia, sous influence américaine. Quelles influences revendiquez-vous ?

Je voulais renouer avec un certain réalisme poétique français des années cinquante. Celui de Cocteau, Melville, Georges Franju, Carné ou Duvivier. C’est pour cette raison qu’Adoration s’ouvre sur une citation de Boileau-Narcejac. Une citation qui provient du court-métrage de Franju, La première nuit. Je voulais ancrer le film dans un réalisme poétique avec une vraie filiation.

Comment décrire votre collaboration avec Vincent Cahay qui signe, une fois de plus, une bande originale de haute volée ?

On se connaît depuis l’adolescence et je travaille avec lui quoiqu’il arrive. Je suis le parrain de son fils, c’est la famille. C’est un musicien brillant. Il a quelque chose à part. Depuis Calvaire, il n’arrête pas de me surprendre. Idem sur Alléluia où il arrive toujours avec une foule de thèmes. Quand je suis parti aux Etats-Unis pour Message From The King, je voulais utiliser la musique de Vincent mais les Américains n’ont pas été commodes et je n’ai pas réussi à l’imposer complètement. Du coup, il a retravaillé le thème de Message From The King sur Adoration. Quand j’arrive au montage, j’ai énormément de choix. En fait, Vincent est à l’image de mon équipe.

Un vrai collaborateur. Je pense à Manu Demelemester, à la direction artistique et aux décors. Nous avons tous une obsession pour les textures. Il faut que ce soit totalement atmosphérique. Anne-Laure Guéguan, la monteuse, défend la dramaturgie des personnages. Elle est aussi très vigilante sur la musique. C’est un mouvement de toute l’équipe qui contribue au bon aboutissement du film et c’est très riche.

On en revient au corps d’Adoration, à sa chair. Qu’est-ce que vous souhaitiez aborder ?

L’innocence. La bonté. La réelle bonté. C’est presque un film rossellinien dans cette idée d’abandon de soi et d’empathie totale. C’est pour cela que L’Idiot de Dostoïevski était un référent très fort. Comme le Candide de Voltaire. L’idée du mysticisme m’interroge et me fascine. C’est ce basculement. Et puis l’amour, le don d’amour complet qui confine à une forme de folie. Il y a des films qui me bouleversent chez Rossellini comme Europe 51 ou Les Onze Fioretti de François d'Assise. Je voulais réaliser un film simple, presque un film pauvre.
C’est dans ce sens-là que je revendique l’influence de Rossellini.

Adoration est aussi un “teen movie”. Quelles sont vos références en la matière ?

Forcément La Nuit du Chasseur, qui est mon film préféré. C’est un conte. Un récit initiatique. C’est un film où on commence à appréhender le mal. Adoration n’est pas un film huilé, mais tumultueux, sensuel et violent. Il est d’une certaine manière fantomatique et éthéré.

Le choix de la pellicule est-il toujours une évidence pour vous ?

Je ne dis pas que je ne tournerais jamais en digital si un jour le sujet le justifie mais aujourd’hui, je suis trop amoureux de l’alchimie du cinéma. L’argentique me surprend. Le digital est moins mystérieux, moins poétique, plus confortable. Et je ne suis pas nostalgique mais tourner en argentique donne plus de panache. Je suis tellement attaché à l’aspect physique du cinéma, j’ai besoin de le traverser avec mon corps.




Source et copyright des textes des notes de production @ Les Bookmakers / The Jokers

  
#Adoration


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