jeudi 24 janvier 2019

SORRY TO BOTHER YOU


Comédie/Fantastique/Science fiction/Un ovni barré qui envoie des messages bien sentis

Réalisé par Boots Riley
Avec Lakeith Stanfield, Tessa Thompson, Armie Hammer, Omari Hardwick, Steven Yeun, Jermaine Fowler, Danny Glover, Tom Woodruff Jr., Forest Whitaker...

Long-métrage Américain
Durée : 01h45mn
Année de production : 2018
Distributeur : Universal Pictures International France 

Interdit aux moins de 12 ans

Date de sortie sur les écrans américains : 13 juillet 2018
Date de sortie sur nos écrans : 30 janvier 2019


Résumé : Après avoir décroché un boulot de vendeur en télémarketing, Cassius Green bascule dans un univers macabre en découvrant une méthode magique pour gagner beaucoup d'argent. Tandis que sa carrière décolle, ses amis et collègues se mobilisent contre l'exploitation dont ils s'estiment victimes au sein de l'entreprise. Mais Cassius se laisse fasciner par son patron cocaïnomane qui lui propose un salaire au-delà de ses espérances les plus folles…

Bande annonce (VOSTFR)


Ce que j'en ai pensé : SORRY TO BOTHER YOU est un ovni bien décidé à envoyer des messages socio-politiques avec ironie. Il fait une critique acerbe des entreprises qui utilisent une main d'œuvre bon marché pour faire des boulots pas sympas, avec des rémunérations insuffisantes, sans redistribuer les profits, tout en en voulant toujours plus. On ne peut pas dire que cela ne parlera qu'au public américain.

Le réalisateur Boots Riley n'hésite pas à insuffler des éléments étranges à son film, nous laissant en permanence nous demander si ce que l'on regarde est bien réel ou le fruit de l'imagination du héros. Nous n'aurons pas de réponse sur ce décalage qui finalement rejoint une certaine réalité ou bien se joue des habitudes pour les revisiter. Cela peut décontenancer, mais c'est plutôt original. Il tire sans cesse notre curiosité vers le moment suivant parce qu'on se demande jusqu'où cela va aller et dans quelle direction. Le rythme souffre cependant un peu parfois des ellipses et des changements de ton.

Le réalisateur de SORRY TO BOTHER YOU, Boots Riley
Les acteurs sont très sympas. Lakeith Stanfield interprète Cassius Green. L'acteur ballade sa silhouette de grand maigrichon aux épaules rentrées, offrant à son personnage un air toujours un peu surpris de réussir et surtout pris dans l'étau de sa morale qui a du mal à suivre un compas intérieur qui se laisse berner par l'appel de la réussite au mépris des autres.



Tessa Thompson interprète Detroit, une artiste engagée aux boucles d'oreilles qui en disent long, sans vous en dévoiler plus.



On a le grand plaisir de retrouver Danny Glover dans le rôle de Langston, un travailleur énigmatique qui met Cassius sur la piste du succès.


Armie Hammer est convaincant dans le rôle de Steve Lift, un patron barré et sans scrupules qui se complet dans sa logique démagogique et arrive à s'auto-convaincre que sa bêtise est une vérité absolue.

Copyright photos @ Universal Pictures International France

SORRY TO BOTHER YOU n'est pas dénué de petites imperfections, mais il est aussi spécial dans le bon sens du terme et il a le mérite de démonter l'entrepreneuriat dénué de valeur sociale à coups de métaphores. C'est un film curieux qui s'adresse à ceux qui aime être embarqué dans des aventures inattendues sur fond de vérité actuelle. C'est une découverte qui ne s'excuse en fait pas de vous déranger et c'est tant mieux.

NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

L’auteur et réalisateur Boots Riley signe une comédie grinçante sur le monde du travail qui raconte l’histoire d’un jeune salarié d’Oakland avide de réussite. Alors qu’il gravit les échelons d’une entreprise de télémarketing, il découvre qu’une de ses filiales fomente un sinistre complot qui menace la survie de l’humanité tout entière.

SORRY TO BOTHER YOU a reçu un accueil très favorable à Sundance en 2018 et compte parmi les oeuvres les plus remarquées au festival South by Southwest 2018. Le film était aussi le plus attendu du Festival du film de San Francisco (avec des avant-premières programmées au Castro Theatre de San Francisco et au Grand Lake Theatre d’Oakland) et du Festival international du film de Seattle. C’était également le film d’ouverture du BAMcinemaFest 2018, le festival organisé par la Brooklyn Acamedy of Music qui fête ses dix ans cette année.

Dans le film, Cassius Green (Lakeith Stanfield) s’engage dans un périple d’accomplissement personnel et de découverte de soi. Un parcours qui le mène de la minuscule chambre qu’il loue dans le garage de son oncle à Oakland aux bureaux élégants de l’imposante entreprise où il devient vendeur et excelle à vendre des produits et des services en contradiction totale avec ses propres valeurs. Chemin faisant, il est amené à s’interroger sur sa place dans l’organigramme de l’entreprise et, plus généralement, dans le monde.

“J’ai mis ma vision du capitalisme dans ce film”, affirme Boots Riley. “J’y donne mon point de vue sur le système et ses conséquences sur les êtres humains. Je m’attache à montrer comment, en tant qu’individus, nous sommes contraints à être toujours plus efficaces”.

Avec un souffle militant qui reflète un air du temps résolument révolutionnaire, SORRY TO BOTHER YOU procure au spectateur une explosion d’énergie tout droit venue des rues d’Oakland, la ville d’origine de Boots Riley, dont il tire également sa palette artistique. On y découvre un groupe éclectique de personnages issus de différents milieux socioprofessionnels, des décors et des costumes inoubliables réalisés respectivement par Jason Kisvarday et Deirdra Govan, ainsi qu’une bande originale mêlant des chansons de The Coup à des compositions originales de Merrill Garbus et Nate Brenner de Tune-Yards.

“C’est une histoire puissante dans laquelle chacun peut se reconnaître”, déclare Lakeith Stanfield. “Cassius Green représente tous ceux qui ont envie de progresser et de changer de vie pour eux-mêmes ou pour leur famille. Au départ, gagner de l’argent lui procure un sentiment de liberté, car ça lui donne la possibilité d’accomplir des choses qu’il n’a jamais faites auparavant. Mais comme bien souvent, il est bientôt aveuglé par l’appât du gain et l’ambition et il perd de vue ce qui compte le plus pour lui”.

Comme le précise Tessa Thompson, qui campe Detroit, la petite amie de Cassius, une artiste militante qui enchaîne les petits boulots pour joindre les deux bouts : “C’est une histoire unique en son genre, menée par un ensemble de personnages jeunes et fauchés qui tentent de survivre et restent persuadés qu’un avenir meilleur les attend au bout du chemin. Certains d’entre eux se fédèrent, en se disant qu’ils peuvent conserver les qualités qui les rendent uniques, sans avoir à se vendre. Ils découvrent qu’en se mobilisant collectivement, ils peuvent surmonter toute pression extérieure ou multinationale. C’est particulièrement exaltant à une époque où on voit la jeunesse américaine s’opposer aux grandes entreprises et au gouvernement”.

APPELER POUR PALPER

SORRY TO BOTHER YOU est une comédie délirante et déjantée qui raconte le combat d’un homme noir pour grimper dans la hiérarchie et atteindre le sommet de son entreprise. Devenu un super-démarcheur téléphonique et un employé modèle, il se rend compte qu’aucun succès ne peut contrebalancer le choc lié à la découverte d’une corruption rampante dans les hautes sphères du pouvoir.

Dans le film, Cassius Green est un Monsieur tout-le-monde qui rêve d’une vie meilleure. Bien qu’il soit très proche de sa petite amie Detroit, une agitatrice au grand cœur et de son copain Sal (Jermaine Fowler), c’est l’argent et la reconnaissance sociale que Cassius recherche quand il accepte un job de vendeur à RegalView, une entreprise véreuse de télémarketing. Après un entretien concluant en dépit de ses compétences limitées, Cassius décroche sans attendre son téléphone, bien décidé à réussir dans ses nouvelles fonctions. “Cassius est un homme qui a peu de moyens et essaye de s’en sortir à Oakland en raclant les fonds de tiroir”, résume Lakeith Stanfield, que les spectateurs connaissent pour ses prestations dans GET OUT, STATES OF GRACE et la série ATLANTA. “Il a des ambitions mais il ignore comment les réaliser. Une fois qu’il réussit dans son boulot de démarcheur téléphonique, il met en doute son intégrité et ses ambitions”.

Après des débuts difficiles, Langston (Danny Glover), collègue de Cassius, lui apprend que pour briller au téléphone, il devra utiliser sa "voix d’homme blanc". Cassius parvient à maîtriser cette technique – grâce à un ingénieux système de doublage réalisé par David Cross, qui soutient le projet depuis le début – et devient un super-démarcheur téléphonique grâce aux dizaines de contrats juteux qu’il décroche et qui le propulsent au sommet quasiment du jour au lendemain. Lorsqu’il se voit remettre les clés de l’ascenseur réservé aux cadres menant aux bureaux douillets de l’étage supérieur, Cassius adopte le comportement des vendeurs plus flambeurs. “Beaucoup de gens n’ont pas à se soucier d’adopter une "voix de blanc", mais SORRY TO BOTHER YOU part de ce postulat et l’utilise avec beaucoup d’humour”, remarque Lakeith Stanfield. “Grâce à sa voix de blanc, Cassius atteint le plus haut échelon auquel peut prétendre un employé de RegalView : il a accès à un nouvel espace équipé de bureaux chics et d’immenses baies vitrées. Le super-démarcheur téléphonique gagne davantage et avec un peu de chance, il peut même rencontrer le PDG, Steve Lift”.

Tandis que Cassius rencontre un succès dont il n’aurait jamais osé rêver, sa vie privée et familiale commence à en pâtir. Sa petite amie Detroit, qui lui témoigne un soutien sans faille, s’efforce de monter une exposition dans une galerie et travaille au noir comme jongleur de panneaux, tout en menant en secret des campagnes de rue pour le collectif de militants anticapitalistes Left Eye. Elle ne s’en sort que grâce à son amour pour Cassius. Mais tandis que ce dernier monte en grade au sein de Regal View, l’image idyllique qu’elle a de lui est ébranlée.

“Detroit est une artiste de performance qui s’intéresse au militantisme”, explique Tessa Thompson, récemment vue à l’écran dans THOR : RAGNAROK, CREED : L’HÉRITAGE DE ROCKY BALBOA, WESTWORLD et DEAR WHITE PEOPLE. “Elle est amoureuse de Cassius, mais elle a l’impression de le perdre quand elle constate qu’il est prêt à renoncer à ses convictions dans l’espoir d’acquérir un statut social et de l’argent. C’est une situation qu’elle juge inacceptable”.

“Cassius est intimidé par Detroit”, ajoute Boots Riley. “Elle, c’est une intellectuelle et une artiste, elle a sa propre façon de voir le monde qu’il a l’impression de ne pas comprendre. Il l’admire à plus d’un titre, mais il doute de sa propre valeur”. Lakeith Stanfield poursuit : “D’une certaine façon, Detroit représente ce que Cassius n’arrive pas à être, car elle est libre et insouciante. Elle le soutient et l’aide à prendre confiance en lui et il devient dépendant d’elle. De son côté, elle sait au plus profond d’elle-même que Cassius a un potentiel qu’il n’a pas encore exploité”.

Leur relation est mise à l’épreuve quand Squeeze (Steven Yeun), un employé de RegalView, fédère ses collègues pour exiger une augmentation de salaire et de meilleures conditions de travail. Tandis que les employés se mettent en grève, Cassius est obligé de franchir le piquet de grève pour poursuivre sa rapide ascension de vendeur d’exception. Detroit, Sal et Squeeze perdent progressivement confiance en leur ami qui, de son côté, tombe sous le charme de Steve Lift (Armie Hammer), le PDG de RegalView et de son infâme filiale WorryFree.

“Steve Lift est un homme étrange qu’on adore détester. Il a une façon bien à lui de voir le monde et l’avenir du monde”, déclare Armie Hammer, dernièrement à l’affiche du drame romantique de Luca Guadagnino CALL ME BY YOUR NAME. “Le monde qu’il conçoit n’est pas simplement un monde plus productif. C’est un monde à l’image de Steve Lift de tous points de vue”.

Au cours d’une fête démentielle dans la splendide demeure à flanc de colline de Steve Lift, Cassius se voit proposer un revenu annuel de plusieurs millions et découvre par hasard la vérité qui se cache au coeur de l’empire WorryFree. Il s’interroge alors sérieusement sur son parcours personnel et professionnel et décide d’agir avant qu’il ne soit trop tard.

LES DÉBUTS DU PROJET

Raymond “Boots” Riley est né à Chicago, dans une famille de syndicalistes progressistes qui s’est installée à Oakland quand le futur réalisateur avait six ans. La famille s’est très vite intégrée au milieu socio-politique de la région de East Bay, marqué par une forte solidarité. Son père était un avocat de renom qui a défendu les Blacks Panthers. Sa grandmère dirigeait le Oakland Ensemble Theatre et son oncle se produisait dans des one-man-shows. Boots Riley rejoint luimême le Black Repertory Theater de Berkeley alors qu’il est lycéen. Dès ses quatorze ans, il est syndiqué et milite au sein du Parti travailliste progressiste et du Comité International contre le Racisme.

Tout comme Cassius Green, Boots Riley multiplie les petits boulots dans sa jeunesse (démarcheur téléphonique, prof de lycée, organisateur de soirées…) avant de devenir un rappeur connu dans le monde entier. En 1991, il monte le groupe The Coup, un collectif de hip-hop très politisé, connu pour son rap provocateur et plein d’humour, abordant des sujets aussi divers que le capitalisme, la politique, les violences policières, les relations interraciales et la lutte des classes. Les rues d’Oakland, qui sont la référence culturelle exclusive de Boots Riley, sont toujours en arrière-plan et font de lui le chantre de sa ville d’adoption.

“On a tendance à qualifier ma musique de politique, mais en réalité elle est avant tout personnelle”, insiste Boots Riley. “Je parle des détails de la vie quotidienne, comme par exemple le fait d’essayer de se rendre quelque part avec une voiture en panne. C’est quand on vit là où on a grandi qu’on déniche ce genre d’histoires. Mais je ne m’intéresse pas seulement aux grandes idées autour d’un sujet donné. Ce qui me fascine le plus, ce sont les rapports entre les gens et les relations qu’ils entretiennent. C’est comme ça qu’émergent mes idées sur la société dans son ensemble. Ma vision du monde a été façonnée par mon enfance à Oakland”.

Pendant que Boots Riley suit ses études de cinéma à la San Francisco State University, The Coup se voit proposer un contrat d’enregistrement par la major Wild Pitch Records/EMI. Persuadé qu’il n’arrivera pas à financer ses projets de films, Boots Riley se concentre sur la musique et enregistre en 1993 le premier album du groupe “Kill My Landlord”.

Au cours des années 1990, le groupe sort une série d’albums, dont “Genocide & Juice” (1994) et “Steal This Album” (1998). On y trouve des morceaux narratifs, comme “Me & Jesus the Pimp in a ’79 Grenada Last Night”, évoquant en huit minutes le parcours du fils d’une prostituée menant l’assassin de sa mère dans un endroit reculé pour le tuer, ou “5 Million Ways to Kill a CEO” (5 millions de façons de tuer un PDG), au titre évocateur. Le morceau “Ass-Breath Killers” parle quant à lui de pilules magiques pour arrêter de faire de la lèche à son patron.

“The Coup est connu pour son rap narratif, mais au bout d’un moment je n’avais plus vraiment envie de faire de la musique. Je voulais m’atteler à un processus créatif totalement personnel”, avoue Boots Riley. “Comme ça fait vingt ans que je produis de la musique, j’ai une certaine vision des choses. Je savais que j’avais envie de faire des films”.

En septembre 2001, The Coup sort l’album “Party Music”, présentant une illustration controversée de l’explosion des Twin Towers qui a dû être modifiée par la suite. Boots Riley imagine alors une chanson sur un démarcheur téléphonique qui se retrouve à vendre des esclaves pour le compte d’une entreprise détestable. Dix ans plus tard, il transpose ce postulat en film dans SORRY TO BOTHER YOU. Il a peu d’expérience en tant que réalisateur, à l’exception de quelques clips et courts métrages documentaires, mais il sait créer des story-boards et rédiger des présentations de clips musicaux, ce qui lui permet de se lancer dans l’écriture d’un scénario.

Boots Riley dévore tous les manuels d’écriture scénaristique pour bien en comprendre les règles – dans le but de les enfreindre –, puis écrit un script qu’il a l’intention de mettre sur Internet, ou peut-être de faire figurer sur la jaquette d’un futur album de The Coup, afin que le grand public puisse en prendre connaissance. Dès l’origine du projet, il a envie d’écrire une comédie sur le monde du travail, où se mêlent ses idées personnelles et des détails concrets de sa vie à Oakland. “Au bout de quelques pages, j’ai compris que je devais mener ce projet comme j’ai toujours aimé mener mes productions artistiques : sans aucune barrière”, affirme Boots Riley.

Quand il rencontre un premier obstacle dans l’écriture du scénario, Boots Riley met au point une bande-son pour l’accompagner. Il en tire un album inspiré de l’histoire puis part en tournée pour faire rentrer un peu d’argent dans les caisses, toujours convaincu que le projet ne verra jamais le jour. À l’automne 2014, il croise par hasard Dave Eggers, romancier, scénariste et chroniqueur littéraire de la région de San Francisco (“Le Cercle”, “Un Hologramme pour le Roi”, le scénario de MAX ET LES MAXIMONSTRES), à qui il demande de lire son scénario. Une semaine plus tard, Dave Eggers rappelle Boots Riley et lui affirme que c’est un des meilleurs scénarios non produits qu’il ait jamais lu. Dave Eggers accepte de le publier dans sa revue littéraire McSweeney’s Quarterly Concern sous forme d’un livre de poche lu par 30 000 personnes.

Boots Riley se met également à envoyer le scénario à ses contacts dans le milieu du cinéma, notamment aux acteurs David Cross et Patton Oswalt qui affichent tous les deux leur soutien. À la même époque, grâce aux deux décennies passées avec The Coup et à la publication de son scénario dans la revue McSweeney’s, Boots Riley devient artiste en résidence à la San Francisco Film Society. Peu après, il rejoint le prestigieux Sundance Screenwriting Lab puis le Director’s Lab. Dix ans après que l’idée du film ait germé dans l’esprit de Riley, SORRY TO BOTHER YOU est projeté en compétition au Festival du Film de Sundance 2018.

“Dans la musique, le producteur est l’équivalent du réalisateur, si bien que mon expérience de producteur musical a été extrêmement précieuse dans ma façon d’appréhender la mise en scène”, explique Boots Riley. “Le Director’s Lab de Sundance, où j’étais entouré de conseillers extraordinaires, a aussi été une source inestimable de connaissances pratiques dont je me suis servi sur le plateau quand j’ai enfin commencé le tournage – sans même parler du fait que j’ai participé à des manifestations et des rassemblements où il faut prendre des décisions sur le tas, tout en étant la cible de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc”.

RENCONTRE AVEC LES PRODUCTEURS

Pendant sa formation dans les Labs de Sundance, Boots Riley fait la connaissance de ses futurs producteurs, Nina Yang Bongiovi de Significant Productions et Charles King de Macro, des financeurs aguerris disposant d’une solide expérience en matière de cinéma indépendant. Nina Yang Bongiovi et son associé Forest Whitaker sont connus pour travailler avec des réalisateurs débutants comme Ryan Coogler (FRUITVALE STATION) et Chloe Zhao (LES CHANSONS QUE MES FRÈRES M’ONT APPRISES) dont le deuxième long-métrage THE RIDER est un des films les plus plébiscités de cette année. Charles King (FENCES, L’AFFAIRE ROMAN J.) est le président-fondateur de Macro, une société de production pour tous supports qui s’attache à donner la parole aux Noirs. Il était en tournage de MUDBOUND sous la direction de Dee Rees quand Nina Yang Bongiovi lui a soumis SORRY TO BOTHER YOU.

Le scénario novateur de Boots Riley avait déjà attiré l’attention de Nina Yang Bongiovi, grâce au soutien de la San Francisco Film Society et du Sundance Institute. “En tant que productrice, je savais que ce serait un défi de faire ce film qui ne ressemble à aucun autre”, reconnaît Nina Yang Bongiovi. “Mais en même temps, il était à la fois dingue et brillant, au croisement entre le réalisme magique, la science-fiction et le théâtre de l’absurde”.

Charles King rencontre Boots Riley aux Labs de Sundance en 2015, alors qu’il est intervenant dans l’un des programmes. “J’étais intrigué non seulement par son scénario et sa façon de le défendre, mais aussi par Boots plus généralement”, explique Charles King. “Son parcours personnel qui l’a fait passer de musicien et rappeur à militant et réalisateur m’a donné très envie de travailler avec lui”.

Au fil des formations aux Sundance Labs (notamment au sein du Director’s Lab) et des progrès de Boots Riley et de son scénario, Charles King voit le réalisateur en herbe s’épanouir. Au cours d’un long week-end, Boots Riley tourne un passage de SORRY TO BOTHER YOU qui sidère l’influent financeur. “Il avait déjà une façon très affirmée de voir les choses et il comprenait parfaitement les rouages de la mise en scène”, remarque Charles King. “Mais quand on a vu ce que donnait cette vision à l’écran et ce qu’il était capable d’accomplir en si peu de temps, on a compris qu’il était prêt. L’expérience de toute une vie et les années passées à élaborer le scénario l’avaient préparé à faire ce film”.

Charles King et Nina Yang Bongiovi cherchaient depuis longtemps un projet sur lequel travailler ensemble et ils reconnaissent tous les deux que SORRY TO BOTHER YOU répondait parfaitement aux critères de leurs deux sociétés. Quand le scénario a été fin prêt et que Nina Yang Bongiovi a réuni d’autres producteurs autour de la table, elle s’est tournée vers Charles King pour la dernière levée de fonds. “Nina et les autres producteurs avaient réussi à monter un budget qui nous semblait cohérent”, raconte Charles King. “Nous avons lu la dernière version du scénario et nous avons tout de suite dit oui, au moment même où le projet en était à la phase du casting.”

UNE DISTRIBUTION DE CHOIX

Fin 2016, Boots Riley se penche sur le casting avec Eyde Belasco (TRANSPARENT, 500 JOURS ENSEMBLE). Alors qu’il cherche un acteur pour jouer Cassius Green, il tombe sur Lakeith Stanfield dont la préoccupation principale est, selon lui, d’“incarner le personnage et de rentrer dans l’histoire. Ce qu’il fait à l’écran, c’est tout l’opposé d’un jeu d’acteur, dans le bon sens du terme. Il n’en fait pas des tonnes, il est juste là avec son regard magnétique qui laisse transparaître tout ce qu’il ressent. Son jeu est très réaliste et fortement imprégné de la façon dont les gens parlent et se comportent dans la vraie vie. Le film en lui-même est complètement fou et l’interprétation de Cassius par Lakeith apporte vraiment une cohérence à l’ensemble. Il a réussi à composer un véritable univers autour du personnage, qu’on a ensuite pu faire exploser”.

Au moment d’initier Lakeith Stanfield aux ficelles du télémarketing, Boots Riley lui a donné ses meilleurs tuyaux, tirés de sa propre expérience dans le métier. Cependant, si Lakeith Stanfield fait ses débuts en tant qu’acteur, il n’est pas un vendeur novice, lui qui a fait du porte-à-porte dans le sud de la Californie pour faire signer des contrats de télécommunication chez AT&T. “Je n’avais pas les moyens de vivre à Los Angeles et j’ai donc dû chercher d’autres façons de m’en sortir et de faire ma place”, raconte Lakeith Stanfield. “J’ai appris de nombreuses techniques de vente et même si je n’avais aucune raison de penser que ce que je vendais avait la moindre utilité, je savais qu’il fallait que je vende”.

Tessa Thompson, qui s’impose auprès du public depuis quelques années, a obtenu le rôle de Detroit grâce à son énergie communicative, sa présence et sa connaissance d’Oakland et de sa région, aspect essentiel du personnage et du récit. “Tessa est une professionnelle accomplie qui insuffle une énergie détonante à SORRY TO BOTHER YOU. Elle s’est attachée à composer un personnage subtil et complexe, comme elle l’a déjà fait pour tant d’autres personnages”, déclare Boots Riley. “Elle maîtrise parfaitement son art et elle n’a pas été avare de temps et d’attention pour faire de Detroit une personnalité plus vraie que nature. Dès l’instant où elle apparaît à l’écran, elle donne une incroyable force au film”. 

Tessa Thompson était impatiente d’endosser le rôle après avoir lu ce scénario qu’elle a trouvé complètement différent de ce qu’elle a l’habitude de lire. “Il est inclassable, il est porteur d’un point de vue social extrêmement fort et propose une rencontre inédite entre l’oeuvre d’art, le conte de fées et le militantisme social”, s’enthousiasme Tessa Thompson. “Je l’ai trouvé tout simplement sensationnel et absolument unique”. Lakeith Stanfield et Tessa Thompson se sont d’abord rencontrés sur le tournage de SELMA d’Ava DuVernay, drame autour du mouvement des droits civiques, bien qu’ils n’y aient pas de scènes en commun. Pendant la prépa de SORRY TO BOTHER YOU, les deux acteurs qui travaillaient tous deux sur d’autres projets se sont entretenus avec Boots Riley via Skype, construisant une connivence palpable y compris par écrans interposés.

“Le jeu de Tessa et celui de Lakeith sont différents à plus d’un titre”, observe Boots Riley. “À force d’échanger des idées, ils ont tous les deux révélé le meilleur d’eux-mêmes et fait ressortir chez l’autre des qualités jusqu’alors insoupçonnées”. Tessa Thompson était aussi séduite par le sens de la mode exceptionnel et révolutionnaire de Detroit. Elle se réjouissait à l’idée de travailler avec la costumière Deirdra Govan, qui donne une profondeur supplémentaire au personnage par le biais de ses tenues et de ses bijoux, en particulier ses inoubliables boucles d’oreilles qu’on voit tout au long du film et qui arborent des paroles de chanson de The Coup, comme “Dis au ministère de l’Intérieur / Que la bombe c’est nous”. “Detroit montre qu’elle est là pour accomplir quelque chose et faire changer le monde” explique Boots Riley. “Je voulais que le film soit truffé de petits détails de ce genre”. 

Armie Hammer s’est vu confier le rôle de Steve Lift, le super-méchant non dénué d’un potentiel comique, grâce à sa propension à incarner un type populaire, qui croit dur comme fer aux produits et services absurdes qu’il tente d’imposer à une population sans défense.

“Armie avait l’étoffe pour jouer ce personnage parce que c’est un garçon populaire. Les gens l’aiment comme ils aiment Steve Jobs, ou l’image qu’ils se font de Steve Jobs” analyse Boots Riley. “Armie a été parfait car j’avais besoin qu’il croie en ce que fait Steve Lift et qu’il croie qu’il le fait pour le bien de l’humanité. Ce personnage est emballé par ce qu’il pense apporter au monde. C’est un fervent partisan du capitalisme et de tous ceux qu’on voit beaucoup dans le débat public en ce moment”. Au cours de la dernière décennie, Armie Hammer a travaillé avec les meilleurs réalisateurs, dont Tom Ford, David Fincher, Clint Eastwood et Luca Guadagnino. Mais quand il a rencontré Boots Riley pour discuter du rôle, il s’est dit stupéfait par la créativité de ce réalisateur en devenir. Armie Hammer était déjà fan de The Coup et se délectait de l’esprit des chansons du groupe quand le réalisateur lui a exposé sa vision artistique pour SORRY TO BOTHER YOU. “Il a vraiment beaucoup réfléchi à ce projet qui m’a semblé être l’opportunité rêvée de travailler avec un réalisateur débutant sur le point de s’engager dans une expérience radicalement différente – quelque chose que je n’avais jamais vu”, se souvient Armie Hammer.

Steve Lift est un méchant inoubliable et un authentique PDG diabolique. Il est aussi hilarant qu’atroce et tranche totalement avec le personnage humain et attachant de Cassius Green. “Les qualités humaines constituent un fil rouge entre la plupart des personnages du film, qui font passer la communauté avant leurs intérêts propres”, note Armie Hammer. “Cassius se perd au cours de son ascension professionnelle, mais il se rend finalement compte que ce qu’il a de plus précieux, ce sont ses rapports avec ceux qui l’entourent. Les gens qui ne sont pas soutenus par une communauté forte sont à la merci des caprices d’un Steve Lift”. 

Pour se préparer au rôle, Armie Hammer s’est documenté sur les PDG psychotiques, découvrant par la même occasion que les cas de psychopathie sont très élevés chez les dirigeants d’entreprise et les entrepreneurs, par comparaison avec la population dans son ensemble. “Ce n’est pas un hasard : en tant que PDG, il faut être prêt à tout pour parvenir à ses fins”, poursuit Armie Hammer. “Il faut avoir à l’esprit la finalité de ses actions plutôt que sa propre humanité. Les grandes entreprises sont le terreau des psychopathes”. La galerie des personnages secondaires de SORRY TO BOTHER YOU est complétée par Steven Yeun (THE WALKING DEAD, OKJA) dans le rôle de Squeeze, vendeur et syndicaliste radical et Jermaine Fowler (SUPERIOR DONUTS, CRASHING) dans le rôle de Sal, le meilleur ami de Cassius tiraillé entre sa loyauté envers ce dernier et son désir d’instaurer des changements sociaux pour le bien commun.

Omari Hardwick (KICK-ASS, POWER) incarne le concierge énigmatique qui accompagne Cassius dans sa nouvelle vie de super-démarcheur téléphonique aux étages supérieurs de RegalView. Terry Crews (BROOKLYN NINE-NINE, EXPENDABLES : UNITÉ SPÉCIALE) fait une apparition remarquée sous les traits de l’oncle et propriétaire fauché de Cassius, en passe de perdre sa propre maison. Curieusement, les premiers acteurs à s’engager dans le projet ont été les doubleurs David Cross (la voix de blanc de Cassius) et Patton Oswalt (la voix de blanc de Mr._), deux soutiens de la première heure et fervents admirateurs du scénario.

OAKLAND DANS SON PROPRE RÔLE

Une des stars principales du film n’est autre que la ville d’Oakland, métropole de l’East Bay qui entretient depuis toujours une relation de méfiance et d’hostilité avec San Francisco, sa rivale plus séduisante et cosmopolite de l’autre côté de la baie. “J’ai vécu de nombreuses vies dans cette ville et j’ai habité différents quartiers de l’East Bay”, raconte Boots Riley. “Il y règne un puissant esprit créatif et, à l’inverse de villes comme Los Angeles ou New York, il n’y a pas de hiérarchie : les gens créent simplement des choses. Parfois, ils doivent avoir un autre boulot à côté de leur activité artistique, mais cette veine créative est surtout synonyme de joie à Oakland”.

Tessa Thompson entretient une relation de longue date avec la ville et a travaillé avec d’autres réalisateurs de la région comme Ryan Coogler (BLACK PANTHER, CREED, FRUITVALE STATION). Son père est un musicien et artiste qui se produit sur de nombreuses scènes des environs d’Oakland et une grande partie de sa famille vit dans la région. “La Bay Area et Oakland en particulier occupent une place à part dans mon coeur”, reconnaît Tessa Thompson.

Boots Riley ajoute : “La ville d’Oakland est présente dans tout ce que je fais, si bien qu’il était évident qu’il fallait y tourner le film. Partout où je vais dans la ville, j’ai l’impression de connaître une personne sur deux. On nous a prêté de nombreux lieux de tournage de SORRY TO BOTHER YOU et plusieurs personnes ont rejoint l’équipe par mon intermédiaire”.

Acteurs et techniciens ont passé beaucoup de temps ensemble à Oakland pendant le tournage. Ils ont établi leur QG au bar du Ruby Room, un ancien repaire de proxénètes près du lac Merritt. “L’équipe passait des soirées assez déjantées en dehors des périodes de tournage”, s’amuse Tessa Thompson. “Boots, c’est un peu le maire non-officiel de la ville et quand on se balade avec lui, tout le monde le connaît. Le tournage a été accueilli avec beaucoup de bienveillance. Où qu’on aille, les gens étaient contents qu’on soit là”.
Selon la productrice Nina Yang Bongiovi, qui est restée sur place pendant toute la durée du tournage et avait aussi collaboré à FRUITVALE STATION filmé dans la région, Oakland reflète les bouleversements affectant le pays dans son ensemble, notamment concernant la question des sans-abri et la gentrification. “Oakland en tant que personnage tient une place primordiale dans le film. La situation a beaucoup changé en cinq ans, depuis le précédent film que j’y ai tourné”, explique Nina Yang Bongiovi. 

“Je pense qu’il est essentiel de présenter la ville comme un personnage à part entière. C’est une prise de position sur ce qui se passe dans de nombreuses villes et plusieurs quartiers aux États-Unis, où les habitants doivent déménager en raison du coût trop élevé de la vie”. Nina Yang Bongiovi est également ravie de participer à un nouveau tournage dans cette ville qui revendique un esprit créatif et militant très marqué. “Oakland produit tellement de talents !”, s’enthousiasme-t-elle. “Ses habitants respirent la gaîté et l’amour. Produire un film dans cette ville, c’est le rêve pour moi”.

GRAFFITI BRIDGE
Lorsque le chef décorateur Jason Kisvarday (SWISS ARMY MAN) est arrivé en amont du tournage, Riley s’est transformé en guide touristique et l’a amené dans tous les recoins d’Oakland afin de faire un repérage de lieux et de lui montrer ses lieux préférés, comme les restaurants et les quartiers sympas, en ponctuant le tout d’anecdotes mémorables.
“C’était comme s’il m’avait invité à un camp d’entraînement pour visiter Oakland : il a essayé de m’en montrer le maximum en un temps très limité”, raconte Kisvarday. “Boots a réalisé ce film avec tout son cœur et ça se voit beaucoup à la façon dont le film représente et met en scène Oakland”.

Ce qui a d’abord marqué Kisvarday, c’est le nombre impressionnant de graffitis recouvrant la ville : son équipe a essayé d’évoquer cette atmosphère dans de nombreuses scènes en extérieurs. “Que ce soit d’un point de vue quantitatif ou qualitatif, je n’avais jamais vu autant de graffitis ailleurs qu’à Oakland ; il y en a vraiment partout”, explique Kisvarday. “Que la surface bouge ou soit fixe, il y a des graffitis : des voitures jusqu’aux murs et aux bâtiments. On a même fait appel à des artistes graffeurs pour qu’ils taguent quelques éléments de décor, comme par exemple des boîtes aux lettres, des journaux ou des distributeurs automatiques et on s’est amusé à faire apparaître ces objets dans le champ pendant certaines prises”.

Les décors du film accompagnent visuellement l’ascension sociale de Cassius Green. “On a traduit cette idée parfois avec des couleurs et parfois avec des objets concrets”, explique Kisvarday.

“On a utilisé une palette de tons chauds pour donner au garage reconverti en appartement pour Cassius un aspect chaleureux et familier, dans des tonalités très organiques, avec du jaune moutarde et du vert tendre. Au mur, on découvre des souvenirs qui rappellent tous les objets qu’il a rassemblés au cours de sa vie. À mesure qu’il avance, il perd peu à peu toutes ces choses et la palette de couleurs se fait plus froide. On voulait traduire à travers le décor ce que Cassius pouvait ressentir en perdant son âme qu’il vend à RegalView et WorryFree”.

L’humble demeure de Cassius, qui cède la place à une luxueuse résidence en plein coeur du centre-ville suite à son ascension professionnelle fulgurante, tranche avec la propriété de Steve Lift, que Kisvarday et son équipe ont conçue comme le lieu le plus m’as-tu-vu du film. C’est dans cette demeure que cet odieux magnat organise vers la fin du récit une somptueuse orgie dans l’espoir que cette fête convaincra Cassius d’accepter un salaire colossal. Pour ces scènes, l’équipe a déniché Spring Mansion, manoir centenaire du quartier de Berkeley Hills. Mais cet impressionnant amoncellement de pierres aux intérieurs boisés donnait davantage au lieu l’air d’une chambre forte ou d’un mausolée. “C’est un vaste manoir, assez criard et tape-à-l’oeil qui est un parfait reflet de la vie de Steve : tout est dans l’excès”, décrit Kisvarday. “Ces scènes visent à montrer le décalage incroyable entre la vie des gens normaux, comme Cassius ou Detroit et celle de Steve Lift, dont la richesse est assurée par les classes inférieures qu’il emploie. Cassius a un bref aperçu du monde de Steve et trouve ça très attirant ; mais il se rend vite compte qu’il doit vendre son âme pour atteindre ce style de vie”.

Pour les scènes qui se déroulent dans la sphère professionnelle, y compris au sein de RegalView et ses postes de travail à perte de vue, Kisvarday et son équipe ont misé autant que possible sur un décor d’une neutralité quasi-clinique. Ainsi, quand le bureau de Cassius passe à travers le plancher alors qu’il transfère un appel de vente, il se retrouve directement propulsé dans la vie de ses clients : entre sa destination et sa provenance, il y a suffisamment d’effets de contraste pour que la séquence soit des plus amusantes.

“Il n’était pas question de se lancer dans des décors à la CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE, explique Kisvarday. “L’idée, c’était de garder un aspect assez neutre, si bien que quand l’ascenseur privé qui mène aux étages supérieurs s’ouvre et que Cassius s’engage dans sa nouvelle vie professionnelle, tout a l’air incroyablement magique et unique”. Riley ajoute : “Pour SORRY TO BOTHER YOU, Jason a créé un monde qui oscille constamment entre fiction et réalité. Il a emmené le film beaucoup plus loin que la plupart des productions.”

BIEN LE PORTER

La chef-costumière Deirdra Govan a été engagée par la productrice Nina Yang Bongiovi qui l’avait embauchée comme assistante costumière sur ROXANNE ROXANNE (2017). Selon Deirdra Govan, SORRY TO BOTHER YOU est l’un des scénarios les plus riches visuellement qu’elle ait eu la chance de lire. “Il y a une approche assez naturaliste de l’Afrocentrisme et du psychédélisme, mais qui va beaucoup plus loin et qui est étayée par un véritable message”, explique-t-elle.

“Malgré sa dimension satirique et ironique, le film traite de la communauté, qui est un thème qui m’est très cher. Ce film m’a fait l’effet d’une claque artistique vraiment salvatrice !” Forte de ses vingt ans de carrière dans l’univers du costume aux côtés de génies comme Julie Weiss ou Ann Roth, Deirdra Govan a abordé le projet en tâchant de distinguer rapidement quelle serait la toile de fond du film, aussi bien en matière de décors que de palettes de couleurs. En amont du tournage, Deirdra Govan a étroitement collaboré avec Riley et Kisvarday et finalement conçu une stratégie vestimentaire aussi colorée et éclectique que l’histoire elle-même.

Pour la plupart des productions indépendantes, en raison des contraintes budgétaires, les personnages ne portent qu’une poignée de tenues tout au long du film. Mais dans SORRY TO BOTHER YOU, où les graffitis occupent une place visuelle importante, les personnages principaux comme Cassius Green affichent pas moins de huit à dix tenues, voire plus. Detroit arbore une nouvelle tenue à chaque nouvelle scène, ce qui fait plus de soixante-dix tenues pour Stanfield et Thomson réunis. À mesure que le film prenait forme, Deirdra Govan sillonnait les rues en quête des vêtements adaptés à chaque personnage.

Pour Cassius, des vêtements à la fois fantaisistes et faciles à porter au quotidien étaient de rigueur, dans la lignée du style hipster de la région d’Oakland. Ces tenues laissent ensuite la place à une garde-robe professionnelle bas de gamme lorsqu’il intègre RegalView. Quand Cassius touche le gros lot en devenant l’un des employés stars de la société, il adopte le style d’un « dandy d’entreprise » et fait l’acquisition de costumes de marque. Pour Detroit, le mot d’ordre a été l’éclectisme : le mélange entre différentes couleurs et tissus représente le fort caractère de cette femme, qui navigue d’un emploi et d’un milieu social à l’autre, comme en témoigne sa double vie, qui la fait passer de femme-sandwich à militante incognito. “Dès que j’ai été engagée, Deirdra et moi avons commencé à discuter par textos, par email et via Pinterest, où l’on a créé des panneaux d’inspiration très élaborés pour Detroit”, explique Tessa Thompson. “Comme elle est militante, Detroit utilise son corps comme une toile vierge, ce qui donne une grande liberté et des possibilités infinies pour jouer avec son look. Rien n’était trop excentrique pour quelqu’un comme Detroit”.

Tessa Thompson a beaucoup insisté sur le style qu’elle souhaitait donner à Detroit à l’écran à travers ses tenues – elle ne voulait pas qu’elle ait l’air d’un personnage superficiel ou juste d’une bombe sexuelle. “Tessa a été très claire quant à l’identité du personnage et elle tenait à ce que la caméra le montre sans contraintes”, explique Deirdra Govan. “Il fallait que je pense au moindre détail pour donner corps à ces personnages visuellement, tout particulièrement Detroit”.

Deirdra Govan a également participé à la création des boucles d’oreilles iconiques que Detroit porte tout au long du film, qui arborent des slogans politiques ou des phrases tirées des chansons de Boots Riley dans son groupe The Coup. Si le style des colliers et des boucles d’oreilles s’inspire des années 1980, le concept a été retravaillé, notamment lorsque Riley a fait appel au designer J. Otto Seibold, qui a créé le graphisme coloré et dynamique des titres des différentes séquences, pour que la même police soit employée pour les boucles d’oreilles de Detroit. Deirdra Govan a gravé au laser les slogans et a créé les boucles d’oreilles avec l’aide d’un joaillier. Le résultat final est une franche affirmation stylistique pour les modes à venir, à la fois provocante et malicieuse, véritable symbole de la nature radicale et éclectique de Detroit.

THE COUP VERSUS TUNE-YARDS

Pour un film qui est né d’une bande-son avant même d’être scénarisé, Riley a insufflé une créativité musicale foisonnante à la BO du film, en utilisant des chansons de son propre groupe, The Coup, mêlées à une partition composée par le duo de musique indépendante lo-fi Tune-Yards, mené par Merrill Garbus et Nate Brenner. Le tandem étant originaire de la côte Est, le studio de Tune-Yards à Oakland est situé dans le même pâté d’immeubles que plusieurs artistes avec lesquels Riley entretient des relations musicales et créatives : ainsi, il connaît bien l’univers du groupe. Connus pour leur utilisation de pédales loop, de ukulélés, de choeurs, de percussions douces et de basse électrique, les deux musiciens produisent des mélodies complexes, mêlant des rythmes afro-caribéens aux sonorités du R&B, du funk, de l’Afro-pop ou encore du rock.

À travers plusieurs de leurs albums, parmi lesquels leur premier EP “Bird-Brains” sorti en 2008 et le suivant, “WhoKill”, sorti en 2011 et plébiscité par la critique, Tune-Yards explore certains thèmes sensibles, en abordant les questions d’appartenance ethnique, de privilèges, de genre, d’inégalités sociales et des violences policières. Cette dimension politique rapproche Merrill Garbus et Brenner de l’esprit de Riley et de The Coup.

Après être retourné à Oakland après le Sundance Screenwriting Lab (Laboratoire de création scénaristique du festival Sundance), Riley a contacté Merrill Garbus et a invité le groupe à rejoindre le film. Après avoir lu le scénario et écouté la bande-son, Tune-Yards a intégré l’équipe du film avant que Riley ne rejoigne Director’s Lab (Atelier des réalisateurs) à Park City en 2015. “À partir de certaines scènes détaillées dans le script, nous avons évoqué des influences et des musiques de film que nous aimions bien”, raconte Riley. “Puis, Merrill s’est lancée dans plusieurs démos et nous avons fini par en utiliser un bon nombre dans le film”.

Dans SORRY TO BOTHER YOU, la partition de Tune-Yards constitue toute la musique extra-diégétique du film – la “patte sonore” du film, si l’on veut – tandis que les chansons que les personnages écoutent sont des titres de The Coup, issus de la bande-son préexistante au film. “Nous avons tourné beaucoup de scènes en ayant la musique de Merrill en tête ou bien celle qu’elle avait déjà composée pour cette scène en particulier”, raconte Riley. “On a composé davantage de musique après le tournage, pour accompagner certaines scènes ou marquer l’évolution de certains phénomènes. Elle ne s’est pas contentée de déterminer les différentes textures sonores du film – elle les vivait. Ce n’est pas comme si j’étais avec elle en studio, à regarder par-dessus son épaule. La plupart du temps, elle savait déjà parfaitement ce qu’il fallait”.

Source et copyright des textes des notes de production 
@ Universal Pictures International France

  
#SorryToBotherYou

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