Animation/Un petit joyau
Réalisé par Lorenzo Mattotti
d’après le roman « La fameuse invasion de la Sicile par les ours » de Dino Buzzati
Avec les voix de Leila Bekhti, Thomas Bidegain, Jean-Claude Carrière, Beppe Chierichi, Arthur Dupont, Thierry Hancisse de la Comédie-Française, Pascal Demolon, Jacky Nercessian et Boris Rehlinger
Long-métrage Italien/Français
Titre original : La Famosa Invasione Degli Orsi In Sicilia
Durée : 01h22mn
Année de production : 2018
Distributeur : Pathé
Date de sortie sur nos écrans : 9 octobre 2019
Long-métrage Italien/Français
Titre original : La Famosa Invasione Degli Orsi In Sicilia
Durée : 01h22mn
Année de production : 2018
Distributeur : Pathé
Date de sortie sur nos écrans : 9 octobre 2019
Résumé : Tout commence en Sicile, le jour où Tonio, le fils de Léonce, roi des ours, est enlevé par des chasseurs... Profitant de la rigueur d’un hiver qui menace son peuple de famine, le roi Léonce décide de partir à la recherche de Tonio et d’envahir la plaine où habitent les hommes. Avec l’aide de son armée et d’un magicien, il finit par retrouver Tonio et prend la tête du pays. Mais il comprendra vite que le peuple des ours n’est peut-être pas fait pour vivre au pays des hommes...
Bande annonce (VF)
Ce que j'en ai pensé : ce film d'animation s'inspire du roman pour la jeunesse de l'écrivain italien Dino Buzzati intitulé La Fameuse Invasion de la Sicile par les ours (La Famosa invasione degli orsi in Sicilia). Le réalisateur Lorenzo Mattotti nous propose un moment de cinéma d'une grande beauté visuelle et qui a le goût de l'enfance, de celle qui oscille entre peur et émerveillement.
Le réalisateur du film Lorenzo Mattotti
Copyright photo © Caterina Sansone
À l'origine de la création graphique de ce film, il nous offre une magnifique histoire faite de grandes scènes à l'organisation géométrique et colorée ainsi que de moments plus intimes qui font avancer l'intrigue. C'est bel et bien un conte qu'il nous dévoile au gré de magnifiques images dont l'originalité est fort agréable.
Cependant, il ne se contente pas de faire du très joli. Il nous raconte vraiment une aventure basée sur un scénario qu'il a co-écrit avec Thomas Bidegain et Jean-Luc Fromental. Celui-ci met en scène des personnages bons ou méchants, avec des personnalités marquées, ainsi que des ballets poétiques de protagonistes inattendus, avec toujours en point de mire l'envie d'effleurer des émotions fortes tout en restant en surface comme pour nous apaiser et renforcer encore la douceur au long court qui se dégage de son film.
Copyright photos © 2019 Prima Linea Productions – Pathé Films – France 3 Cinéma – Indigo Film
Les dialogues riment souvent, ce qui est un plaisir pour l'oreille, tout en conservant un but qui sert la narration. La musique originale du compositeur René Aubry complète à merveille le style particulier créé à bon escient par le réalisateur.
On est ravi, touché, charmé par LA FAMEUSE INVASION DES OURS EN SICILE. C'est un petit joyau qui plaira aux enfants et aux adultes puisqu'il vient titiller avec délice l'imagination et nous rappeler que les contes ont un message à passer au-delà du bonheur simple du divertissement.
NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
ENTRETIEN LORENZO MATTOTTI
Au départ, il y a un conte de Buzzati
paru en 1945. Vous l’avez lu jeune, j’imagine. Est-ce un livre
qu’on lit beaucoup, en Italie ?
Pendant plusieurs générations oui.
Maintenant, moins. Mais Dino Buzzati, ça reste un classique. C’est
moins connu chez les enfants. Moi, je ne l’ai pas lu quand j’étais
tout jeune. Je crois que j’ai lu Dino Buzzati parce que je le
connaissais déjà depuis longtemps pour d’autres romans. Mais
après, j’ai commencé à lire tout ce qu’il avait fait. Puis, il
a fait une bande dessinée qui s’appelait «Orfi aux enfers». Ils
l’ont republiée, à Actes Sud. Ça m’a beaucoup marqué. C’était
en 1970 et un grand écrivain connu pour d’autres choses nous
faisait une bande dessinée. À cette époque, c’était très
original.
Quel effet vous a fait ce livre ? Est-ce
qu’il vous a marqué très tôt ? Ou est-ce que le désir
d’adaptation est venu plus tard ?
Oui, plus tard. Buzzati m’a influencé
dans tout mon travail, en général. Il a fait plusieurs livres, des
peintures aussi. C’est l’atmosphère qui m’a beaucoup
influencé, la façon de raconter, comme si c’était des légendes,
des histoires anciennes. C’est toujours plein de magie, de mystère,
avec une atmosphère sombre, parfois. Je me souviens d’autres
livres qu’il a écrits et qui m’avaient beaucoup marqué. C’est
venu après, avec Valérie Schermann, la productrice du film.
Qu’est-ce qui vous intéresse, chez
lui ?
C’est sa façon de raconter, sa
tonalité, si je puis dire. C’est sa manière de travailler avec
les métaphores, avec les fables, avec la fantaisie et le mystère.
C’est l’atmosphère d’attente, de tension.
Cette histoire est un conte pour les
enfants, écrit en 1945. On sent bien que ça parle de la guerre, de
la dictature.
Ça parle de beaucoup de choses. Lui,
il l’a commencé pour «Corriere dei Piccoli ». Il sortait un
chapitre à la fois, comme pour un feuilleton. À un moment, il a
fait une ville qui a été censurée parce que ça ressemblait trop à
Berlin. Ils lui ont demandé de la changer. Ça ne s’appelait même
pas «La fameuse invasion de la Sicile par les ours», mais «La
fameuse invasion». Après, c’est devenu «La fameuse invasion de
la Maremme». C’est une région un peu comme la Camargue en France.
Après qu’il ait arrêté de travailler au «Corriere dei Piccoli»,
il a commencé à dessiner pour sa nièce. Un ou deux ans après, il
a décidé de faire un livre. Il a repris toute l’histoire, il l’a
réécrite et il a ajouté toute la deuxième partie. Évidemment, il
y a beaucoup de questions. Est-ce que les ours symbolisent les
communistes ? Les Russes ? Je ne sais pas. Je crois qu’il ne faut
pas trop s’attacher à ça. Quand j’ai lu l’histoire, je n’ai
pas vu toutes ces références.
C’est évidemment un conte et quand
on lit votre travail, on voit que c’est un genre qui vous
intéresse. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce type de récits, dans
les contes, les métaphores, les fables, les légendes ?
Ça me permet de beaucoup travailler
avec le dessin, avec le mystère.
Ça vous permet d’imaginer ?
Oui, avec le dessin et ses
possibilités. Il y a toujours quelque chose de mystérieux. C’est
toujours du travail d’évoquer quelque chose qui existe. C’est la
fable. C’est vraiment quelque chose de lié à l’image, comme la
peinture. Il m’a évidemment aussi influencé dans les formes, des
formes qu’il a utilisées, dans ses paysages métaphysiques. Il a
fait une série d’ex-voto, des légendes autour d’une sainte
inventée. C’est très lié à la tradition italienne, c’est la
religion, c’est l’épopée, c’est l’épique d’un pays de
contes, de mystères, de légendes. Ça m’a toujours plu parce que
ça fait partie de la fable. Ça donne la possibilité de créer des
contes universels, pas trop liés à l’actualité. On peut parler
d’actualité, mais avec des métaphores pour que ça dure dans le
temps et pour que plusieurs générations puissent comprendre. Le
vrai réalisme ne m’a jamais vraiment intéressé. J’ai toujours
aimé le symbolisme dans mon travail.
L’expressionnisme, aussi ?
Évidemment. Disons que ma nature est
expressionniste, mais avec la culture, je suis devenu beaucoup plus
symboliste, métaphysique. De toute façon, beaucoup d’œuvres
d’art m’ont influencé.
On sent dans vos dessins une capacité
à faire se développer chez le lecteur une imagination. Il invente,
il cherche, il crée.
C’est ce qui m’intéresse. Je ne
veux pas tout dire au lecteur, pas tout lui expliquer, mais lui
laisser la possibilité d’évoquer et d’enrichir son propre
imaginaire, sa propre vision personnelle. J’ai grandi comme ça.
Tous les auteurs qui m’ont plu sont ceux qui m’ont laissé rêver
et imaginer à ma façon, qui m’ont enrichi par l’imaginaire.
Pour revenir au film, quand Valérie
Schermann et Christophe Jankovic, les producteurs, vous proposent un
long métrage, pourquoi est-ce que vous pensez à ce conte ?
Ça a été très naturel. Je ne sais
pas pourquoi, c’est une sorte de boîte magique, ce livre. Il y a
de l’amour pour raconter aux enfants, le jeu du narrateur qui joue
et qui parle toujours. Il y a plein d’idées à droite, à gauche.
On a dû beaucoup simplifier. En plus, il est étrange, il invente
des personnages et il les laisse. On a eu beaucoup de mal à trouver
la cohérence.
C’est pourquoi vous avez fait appel
au scénario à Jean-Luc Fromental et Thomas Bidegain, qui viennent
du cinéma.
Thomas, je ne le connaissais pas. C’est
Valérie Schermann qui me l’a présenté. Je pense que c’était
un trio magnifique. De temps en temps, il y avait aussi mon copain
Jerry Kramsky, qui est en Italie, qui m’a dit des choses qui m’ont
aidé. Il a assuré la traduction italienne. C’était un bon
équilibre. Je voulais être très fidèle au livre. Jean-Luc
Fromental est très littéraire, il était donc très attentif aux
mots et à la logique. Thomas Bidegain, c’est une bête de cinéma.
Est-ce que le scénario a été long à
écrire ?
Le traitement a été un peu compliqué,
parce qu’il n’y avait pas de fille, pas de personnage féminin.
On a dû trouver toute une logique. Il y avait trop de personnages
qui arrivaient et qui partaient. On voulait quelqu’un qui
racontait. On avait besoin d’un fil conducteur. Gedeone et la
petite, c’est nous qui les avons inventés. Le vieil ours, c’est
nous aussi.
Pour quelle raison ? Pensiez-vous que
c’était un vecteur plus facile pour le public ? Est-ce quelqu’un
qui l’a amené ?
D’abord, on a trouvé l’idée de la
petite fille, qui devient grande. J’aimais beaucoup l’idée de
«cantastorie» siciliens. Ça nous permettait de résumer des choses
et de faire des sauts dans la narration, de pouvoir entrer et sortir
tout le temps. J’aimais beaucoup l’idée de la voix off dans la
narration, parce que c’est un classique de Buzzati. Avec lui, on
voit toujours la voix off.
Et c’est le principe du conte: « Je
vais te raconter une histoire. »
C’est le narrateur qui va de place en
place, comme un «cantastoria» sicilien qui raconte des choses.
Buzzati a travaillé avec des poèmes, des livres. Il est plein de
petits poèmes, de petites poésies. Je voulais garder, vraiment,
cette dimension-là. Après, il y a eu l’idée du vieil ours. C’est
une très bonne idée qui nous a permis des ellipses.
Jean-Luc Fromental et Thomas Bidegain
ont-ils travaillé tout du long avec vous ?
Oui, on parlaient toujours ensemble,
puis ils écrivaient.
De votre côté, vous commenciez à
travailler ?
J’ai tout de suite voulu faire un
petit storyboard, un préstoryboard très rapide pour voir. J’avais
besoin de voir s’il y avait assez de séquences. Je ne me suis pas
posé la question de la longueur, mais je voulais voir si les
séquences ressortaient, si ressortait un rythme de narration avec
les images. Je ne peux pas penser avec les mots, je dois penser avec
les images. Tout mon problème, c’était de pouvoir voir le film
tout le temps. Réécrire une phrase, un autre dialogue, c’est
facile. Recréer une image c’est plus compliqué.
Est-ce que vous avez beaucoup cherché ?
Pour ceux qui connaissent, on reconnaît votre trait dans les décors,
dans les personnages, les angles, les lignes.
J’ai eu très rapidement les
images-clés du film. Beaucoup d’idées graphiques. Les dessins de
Buzzati m’ont beaucoup aidé. Le fait de pouvoir me baser sur ses
dessins, m’a donné une sorte de sécurité. Je ne pouvais pas tout
inventer depuis le début. Ce n’est pas mon histoire.
Est-ce que son dessin est proche du
vôtre ?
Le sien est beaucoup plus naïf, mais
il y a de très belles idées graphiques, dedans. Je les ai prises et
je les ai utilisées pour le film. J’imaginais des ours non poilus,
qui marchent comme des soldats, tous en ligne. C’est vraiment
caractéristique de Buzzati. J’ai aussi beaucoup pris des
silhouettes de personnages. Au départ, lui fait des petits dessins
qui présentent tous ses personnages, un peu comme on a fait avec le
vieil ours.. Lui l’a fait pour tous les personnages. Ça m’a
beaucoup aidé à avoir une base qui venait de Buzzati. Ça m’a
vraiment permis d’être plus tranquille. Après, l’image finale
du film, ça a été très long.
C’est votre premier long métrage ?
On est vraiment partis avec
enthousiasme. Au départ, ça aurait pu être un petit film, un film
très simple, moins cinéma. Mais peu à peu, on s’est aperçus que
l’histoire était forte. Il y avait plein de choses spectaculaires
et on s’est insérés dans cette voie. L’image finale était très
compliquée à trouver, avec cette richesse, avec cette
spectacularité. On a fait par étape. Pendant un an, on a essayé de
faire le film en 3D. On a fait faire deux teasers en 3D avec deux
équipes différentes. Finalement, on s’est aperçus que c’était
trop cher avec cette qualité-là et avec tous ces décors, toute
cette richesse. On n’aurait pas eu le budget suffisant.
Mais la 2D est magnifique…
On a essayé de trouver des manières
d’utiliser la 2D de façon différente, dans les décors, dans les
atmosphères, en faisant ça de manière graphique et poétique. Je
voulais aussi une très grande profondeur tout le temps. Je répétais
tout le temps: «Plus de profondeur, plus de profondeur.» Je voulais
jouer avec les possibilités du grand écran. Les mouvements de
caméra sont compliqués à faire et chers. La mise en scène est
presque classique. Si on veut donner de la force aux images, et
surtout de l’animation, c’est presque un choix obligé.
C’est là qu’on sent l’influence
du symbolisme, de l’expressionnisme : l’image en elle-même est
déjà excessivement parlante, impressionnante. Après, c’est un
film, il faut que ça bouge.
Dans l’image, il faut avoir le
plaisir de voir des choses qui se passent, comme la lumière. De
nature, je suis très contemplatif. J’ai fait un conte. Qu’est-ce
qu’une histoire pour enfants ? Quel est le rythme de narration?
Quelle est la lutte entre se perdre dans l’image tout en suivant le
rythme? C’est vraiment la chose que j’ai apprise. On en a
beaucoup discuté. Je me rends compte que ma structure de pensée de
départ était très illustrative. Dans ce livre, il y a les
personnages du roi Léonce et du fils. Il y a beaucoup de
personnages, mais dans l’atmosphère générale du livre, ce sont
des personnages qui bougent. Ce sont de grands paysages où bougent
des personnages. On avait besoin d’être plus proches des
personnages. On a fait le choix très fort du père et du fils. On a
choisi d’amener cette relation entre père et fils jusqu’au bout,
là où ça devient dramatique, dans la deuxième partie. Dans les
livres, il n’y a pas vraiment ça. Le drame du livre, que l’on
retrouve dans le film, c’est Léonce qui perd sa nature et sa
capacité à voir que les ours deviennent peu à peu des hommes avec
tous leurs vices.
On a vraiment travaillé le personnage
de Tonio, on a également inventé le personnage d’Almerina afin de
créer la relation avec les humains. Avec Thomas et Jean-Luc, on a
fait vraiment un grand travail de réécriture. Mais, j’avais
toujours l’angoisse de perdre le lien avec Buzzati, à présent je
suis rassuré.
Une autre chose qui est fascinante dans
votre travail, c’est les couleurs et la façon dont vous les
travaillez, dont vous les arrangez, dont vous les mêlez, dont vous
les mariez, dans vos albums et dans ce film. D’où vous vient ce
génie des couleurs ? On se dit que ça ne va jamais à l’ensemble,
et finalement, évidemment, ça va ensemble.
Je trouve que les créateurs ont très
peur des couleurs. Il n’y a pas beaucoup de gens qui utilisent les
couleurs avec plaisir. Moi, j’ai toujours eu du plaisir à utiliser
les couleurs. J’ai demandé à mon chef décorateur d’utiliser
les couleurs d’une façon gaie, de ne pas avoir peur, et d’utiliser
aussi les touches de lumière. Les couleurs, c’est la lumière. Il
faut toujours découper les images avec une certaine lumière. Mais
il ne faut pas avoir peur d’un rouge, d’un jaune. Les couleurs,
c’est l’énergie. Ça nous transmet de l’énergie positive. Ce
que je déteste dans certains films d’animation, c’est qu’ils
ne savent pas quelles couleurs mettre, alors, c’est du marron
jaune. Et la nuit, c’est gris, noir, bleu. Après, ils mettent des
lumières blanches. Moi, je ne voulais pas de flou. Vous savez, les
rayons de lumière qui font le brouillard, c’est classique de
Disney. Quand tu ne sais pas quoi faire, tu fais un peu de
brouillard, et alors, tu mélanges tout. Moi, je ne voulais pas ça
du tout. L’image doit être claire. Si les gens voient une petite
maison là, ils peuvent la voir. J’aime avoir le regard clair au
cinéma. J’adore quand on te fait voir les choses. Ma culture de
cinéma n’a rien à voir avec le film !
C’est quoi, d’ailleurs, votre
culture de cinéma ?
J’ai adoré Herzog, Tarkovski, tous
les films allemands des années 70, tous les films indépendants
américains, et évidemment, Pasolini, tous les «Contes» de
Pasolini. Fellini, pour nous, Italiens... Quand j’ai vu «Amarcord»,
c’est ma culture. Nous, on vient de la plaine. Ma famille vient de
la plaine. Tout ce qui se passe dans «Amarcord», on l’a dans la
peau. Tout le grand cinéma visionnaire, en fait. Mais aussi Coppola
dans «Apocalypse Now». Pour moi, le tout dernier grand réalisateur,
c’est Wong Kar-wai, que j’ai rencontré et avec qui j’ai eu la
chance de travailler. «In The Mood For Love», ce type de film
contemplatif, presque hypnotique, ça me plaît.
Vous dites que vous avez travaillé
avec plein d’influences sur l’image et les couleurs. C’était
quoi ? Des tableaux? Des peintures ?
Oui, des peintures de la Renaissance.
Ce qui m’intéressait beaucoup, c’était la façon de styliser
les choses: comment on stylise les montagnes, comment on stylise la
grotte, comment on fait la stylisation de la ville, pour créer le
code général du monde des ours. Ce n’est pas réaliste du tout.
Alors, j’ai montré certains peintres américains, certaines
couleurs, des dessins de Beato Angelico, la façon dont Giotto
faisait les grottes. Évidemment, on avait mis sur les murs des
agrandissements de Buzzati, et aussi ses autres dessins, toutes les
peintures qu’il a faites. On avait une sorte d’alphabet qui nous
permettait de dire: «Regarde, on peut faire comme ça pour faire les
arbres, pour faire la nature.» La nature est créée par des formes.
Il faut décider des formes à faire. En fait, un film d’animation,
c’est incroyable parce que tu dois décider de tout. S’il y a un
papillon qui passe, comment le faire? C’est comment, un papillon,
dans ce monde-là? Alors, il faut faire très attention à ce qu’il
ne soit pas trop réaliste, qu’il soit synthétique mais pas trop
plat, faux. On a fait le choix de dessiner toutes les ombres. Je
voulais que les personnages soient complètement mélangés au
paysage. Je ne voulais pas qu’on ait la sensation d’avoir un
paysage coloré avec des personnages plats par-dessus. Si on ne met
pas les ombres sous les personnages, ils ne se mélangent pas. On a
fait un énorme travail d’ombres pour tous les personnages, et
aussi les ombres projetées sur les murs. Évidemment, je pense au
cinéma expressionniste. J’adore Orson Welles et son travail sur
les ombres: les ombres des silhouettes, les ombres sur les murs, la
lumière, les jeux de lumière... J’adore. Après, j’ai dû faire
très attention à ne pas être trop sombre dans le film.
Justement, parfois, du point de vue de
l’animation, des couleurs, du cadre, du style, du trait, ça m’a
donné l’impression d’un mélange entre la ligne claire belge et
Eisenstein. C’était un mélange à la fois très constructiviste
et très simplifié.
Je voulais une dimension très nette.
Je voulais que les personnages soient vraiment des personnages, que
les maisons soient des maisons. Je voulais que l’air passe à
travers. J’ai tout de suite dit que je ne voulais pas de pastel. On
peut travailler un peu avec du pastel parce qu’on a travaillé sur
les matières. Mais je ne voulais pas ma matière. Pour ce film-là,
je voulais de l’air. Je n’aime pas cette sensation de
claustrophobie que peuvent laisser certains films d’animation,
magnifiques, très artistiques, très beaux. C’est-à-dire qu’on
sent le papier, on sent les couleurs, mais c’est difficile d’en
sortir.
C’est pour ça que je parle de la
ligne claire. Il n’y a rien d’inutile dans votre dessin. Parfois,
on aurait presque dit «Tintin». Je ne sais pas si c’est un défaut
de dire ça.
Non, moi, j’adore. Par contre, les
images s’ouvrent sur l’espace. Je voulais toujours avoir le
contrôle de l’espace, l’organisation de l’espace. Et quand
vous parlez d’Eisenstein, oui, évidemment, je crois qu’Eisenstein
est dedans. Je me souviens que pour faire deux ou trois ombres, je
suis allé voir «Ivan le Terrible». On raconte avec les
silhouettes. Là aussi, chez Eisenstein, il y a d’énormes espaces.
J’ai tout de suite dit que je ne
voulais pas avoir la matière du crayon. Et ça, ça a déjà donné
une direction précise. D’un autre côté, je voulais arriver à
avoir du volume. C’est pour ça qu’à la fin, l’expérience de
la 3D nous a aidés à construire les ours. Moi, je voulais une idée
tridimensionnelle des personnages, même en 2D. La 3D permet d’avoir
de la profondeur, de grands espaces, une organisation architecturale
de toutes les images. Je crois qu’au départ, j’aurais voulu,
d’une façon un peu ingénue, travailler encore plus avec la
distorsion des perspectives, jouer encore plus avec l’irréalisme
total, avec la possibilité d’avoir des personnages qui deviennent
tout petits tout de suite. Ça, c’est très compliqué à gérer
dans un film d’animation. Mais ça aurait peutêtre donné une
sensation un peu plus cartoon. Une autre chose qui m’a intéressé
et que j’avais beaucoup utilisée dans le court métrage «Peur(s)
du noir», c’est la métamorphose. On l’a utilisée pour l’ogre.
On a beaucoup joué dans les cirques. Mais bon. Déjà, la narration,
c’était très compliqué. On a vraiment choisi d’être le plus
populaire possible, de ne pas faire un travail énorme sur le
métalangage.
À un moment donné, il faut que les
gens regardent et comprennent tout ce qui se passe. En bande
dessinée, parfois, on peut revenir sur une case, on peut s’arrêter.
Dans le cinéma, il y a une fluidité qui s’impose...
L’énorme travail que l’on a fait,
ça a été de trouver cette fluidité dans la narration. Il y a eu
des moments très durs, parce qu’on avait l’impression que
c’était très lent. On avait beaucoup de dialogues. Moi, j’avais
l’angoisse des dialogues. D’un autre côté, c’était aussi la
beauté de trouver un rythme entre la contemplation et l’histoire,
la narration. On a vraiment fait un énorme travail là-dessus. Au
final, on n’a pas vraiment coupé grand-chose. La structure était
presque similaire à celle du départ. On a simplifié. On a fait
beaucoup de coupes générales, des petits trucs par-ci par-là, pour
donner de la fluidité, du rythme entre les scènes. Cette grande
préparation... À la fin, tout ce travail qui a été très long...
Quand la production a vraiment commencé, avec les animateurs,
l’équipe des décorateurs... Les décors étaient déjà commencés
avant. Une fois qu’on a trouvé les choses, on avait bien avancé
les décors. Mais il n’y a pas eu vraiment de moments de crise dans
la production du film. On n’a jamais revu une séquence. On n’a
pas dit: «Ça ne marche pas, on refait.» On n’a jamais dû
refaire des choses.
Vous qui êtes plutôt un solitaire par
définition, est-ce que le travail en équipe vous plaît ? Est-ce
que ça vous pousse à sortir de votre grotte ?
Le travail avec l’équipe de
production, avec les animateurs m’a beaucoup plu. Ça m’a un peu
frustré parce que tout le monde travaille avec des tablettes et des
ordinateurs. J’avais décidé d’être toujours avec l’équipe,
de voir tous ces talents, de les faire travailler sur un projet
commun. En fait, je prenais tout le talent des autres pour faire
cette cathédrale, une cathédrale qui appartient à tout le monde.
On vous reconnaît, quand même.
Ça, c’est très bien. Oui,
évidemment, j’ai mis beaucoup de choses. La structure des images,
elle est en moi. Mais la richesse de certaines lumières, de
certaines couleurs des décors, certaines idées de mouvements des
personnages, tout cela est arrivé grâce aux animateurs. Moi, je
donnais des idées. Je disais par exemple que c’était très
important que les mains bougent. Mais après, le rythme, ce sont les
animateurs qui l’ont donné. J’ai l’impression que la plupart
d’entre eux se sont amusés. Ils ont fait ce travail avec plaisir.
Et je crois que ça transparaît dans le film. Enfin je l’espère.
Pourquoi avoir choisi Jean-Claude
Carrière pour raconter ?
C’est un mec extraordinaire. En plus,
il a travaillé avec les plus grands. Et tout de suite, il m’a fait
confiance. Il a fait un travail magnifique, avec sa voix profonde. Et
en italien, on a réussi à trouver Camilleri.
Camilleri le romancier ?
Oui, il a une voix incroyable. C’est
vraiment un vieux conteur italien. Jean-Claude Carrière était au
studio pour un autre projet, on a entendu sa voix et on lui a demandé
s’il voulait jouer un vieil ours, tout simplement. D’un côté,
Jean-Claude Carrière, et de l’autre, Camilleri. Qu’est-ce que tu
veux de plus ? En plus, ils font un vieil ours. Ils ont le plaisir de
raconter. C’est aussi symbolique. C’est une continuité. Ça me
plaît toujours.
Le film est présenté à Un Certain
Regard. Être à Cannes, ça représente quoi pour vous ?
J’avais fait l’affiche de Cannes en
2000. Je suis allé une fois à Cannes monter les marches. C’était
un grand plaisir. Je n’avais aucun problème de stress. Je me
souviens qu’il n’y avait pas de films italiens en compétition.
J’étais le seul Italien à Cannes. Tout le monde me demandait des
choses. C’était très agréable. Je suis déjà ravi qu’on soit
à Cannes.
PRIMA LINEA PRODUCTIONS
LA FAMEUSE INVASION DES OURS EN SICILE
a été réalisé en France entre Paris et Angoulême par 3.0 studio
avec ses fidèles et talentueuses équipes françaises et
européennes. Ce studio d’animation, issu de Prima Linea, agence
d’auteurs graphiques, fabrique les films de Prima Linea Productions
(U, PEUR(S) DU NOIR, ZARAFA, LOULOU-L’INCROYABLE SECRET, LA TORTUE
ROUGE…), mais travaille également en production exécutive et en
prestation sur des projets de haute exigence portés par des
producteurs tiers. Il est spécialisé en 2D pour le cinéma (longs
et courts-métrages) et s’ouvre depuis peu à la série TV. Il a
également vocation en R&D à combiner, mixer, explorer
différentes techniques d’animation en vue d’innover par
croisement et complémentarité. Son siège est à Angoulême dans un
grand espace paisible en centre-ville et à Paris, son implantation
située dans le XIVe est associée à celle de Prima Linea
Productions. Ce studio pérenne permet l’accompagnement des auteurs
de film en film comme le déploiement et le perfectionnement des
talents fidèles au studio et au service d’une animation de haute
qualité.
Source et copyright des textes des notes de production
© 2019 Prima Linea Productions - Pathé Films - France 3 Cinéma - Indigo Film
#LaFameuseInvasionDesOurs
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