dimanche 6 octobre 2019

LA FAMEUSE INVASION DES OURS EN SICILE


Animation/Un petit joyau

Réalisé par Lorenzo Mattotti
d’après le roman « La fameuse invasion de la Sicile par les ours » de Dino Buzzati
Avec les voix de Leila Bekhti, Thomas Bidegain, Jean-Claude Carrière, Beppe Chierichi, Arthur Dupont, Thierry Hancisse de la Comédie-Française, Pascal Demolon, Jacky Nercessian et Boris Rehlinger

Long-métrage Italien/Français
Titre original : La Famosa Invasione Degli Orsi In Sicilia 
Durée : 01h22mn
Année de production : 2018
Distributeur : Pathé  

Date de sortie sur nos écrans : 9 octobre 2019


Résumé : Tout commence en Sicile, le jour où Tonio, le fils de Léonce, roi des ours, est enlevé par des chasseurs... Profitant de la rigueur d’un hiver qui menace son peuple de famine, le roi Léonce décide de partir à la recherche de Tonio et d’envahir la plaine où habitent les hommes. Avec l’aide de son armée et d’un magicien, il finit par retrouver Tonio et prend la tête du pays. Mais il comprendra vite que le peuple des ours n’est peut-être pas fait pour vivre au pays des hommes...

Bande annonce (VF)



Ce que j'en ai pensé : ce film d'animation s'inspire du roman pour la jeunesse de l'écrivain italien Dino Buzzati intitulé La Fameuse Invasion de la Sicile par les ours (La Famosa invasione degli orsi in Sicilia). Le réalisateur Lorenzo Mattotti nous propose un moment de cinéma d'une grande beauté visuelle et qui a le goût de l'enfance, de celle qui oscille entre peur et émerveillement. 

Le réalisateur du film Lorenzo Mattotti
Copyright photo © Caterina Sansone

À l'origine de la création graphique de ce film, il nous offre une magnifique histoire faite de grandes scènes à l'organisation géométrique et colorée ainsi que de moments plus intimes qui font avancer l'intrigue. C'est bel et bien un conte qu'il nous dévoile au gré de magnifiques images dont l'originalité est fort agréable. 




Cependant, il ne se contente pas de faire du très joli. Il nous raconte vraiment une aventure basée sur un scénario qu'il a co-écrit avec Thomas Bidegain et Jean-Luc Fromental. Celui-ci met en scène des personnages bons ou méchants, avec des personnalités marquées, ainsi que des ballets poétiques de protagonistes inattendus, avec toujours en point de mire l'envie d'effleurer des émotions fortes tout en restant en surface comme pour nous apaiser et renforcer encore la douceur au long court qui se dégage de son film. 



Copyright photos © 2019 Prima Linea Productions – Pathé Films – France 3 Cinéma – Indigo Film

Les dialogues riment souvent, ce qui est un plaisir pour l'oreille, tout en conservant un but qui sert la narration. La musique originale du compositeur René Aubry complète à merveille le style particulier créé à bon escient par le réalisateur.

On est ravi, touché, charmé par LA FAMEUSE INVASION DES OURS EN SICILE. C'est un petit joyau qui plaira aux enfants et aux adultes puisqu'il vient titiller avec délice l'imagination et nous rappeler que les contes ont un message à passer au-delà du bonheur simple du divertissement.

NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

ENTRETIEN LORENZO MATTOTTI

Au départ, il y a un conte de Buzzati paru en 1945. Vous l’avez lu jeune, j’imagine. Est-ce un livre qu’on lit beaucoup, en Italie ?

Pendant plusieurs générations oui. Maintenant, moins. Mais Dino Buzzati, ça reste un classique. C’est moins connu chez les enfants. Moi, je ne l’ai pas lu quand j’étais tout jeune. Je crois que j’ai lu Dino Buzzati parce que je le connaissais déjà depuis longtemps pour d’autres romans. Mais après, j’ai commencé à lire tout ce qu’il avait fait. Puis, il a fait une bande dessinée qui s’appelait «Orfi aux enfers». Ils l’ont republiée, à Actes Sud. Ça m’a beaucoup marqué. C’était en 1970 et un grand écrivain connu pour d’autres choses nous faisait une bande dessinée. À cette époque, c’était très original.

Quel effet vous a fait ce livre ? Est-ce qu’il vous a marqué très tôt ? Ou est-ce que le désir d’adaptation est venu plus tard ?

Oui, plus tard. Buzzati m’a influencé dans tout mon travail, en général. Il a fait plusieurs livres, des peintures aussi. C’est l’atmosphère qui m’a beaucoup influencé, la façon de raconter, comme si c’était des légendes, des histoires anciennes. C’est toujours plein de magie, de mystère, avec une atmosphère sombre, parfois. Je me souviens d’autres livres qu’il a écrits et qui m’avaient beaucoup marqué. C’est venu après, avec Valérie Schermann, la productrice du film.

Qu’est-ce qui vous intéresse, chez lui ?

C’est sa façon de raconter, sa tonalité, si je puis dire. C’est sa manière de travailler avec les métaphores, avec les fables, avec la fantaisie et le mystère. C’est l’atmosphère d’attente, de tension.

Cette histoire est un conte pour les enfants, écrit en 1945. On sent bien que ça parle de la guerre, de la dictature.

Ça parle de beaucoup de choses. Lui, il l’a commencé pour «Corriere dei Piccoli ». Il sortait un chapitre à la fois, comme pour un feuilleton. À un moment, il a fait une ville qui a été censurée parce que ça ressemblait trop à Berlin. Ils lui ont demandé de la changer. Ça ne s’appelait même pas «La fameuse invasion de la Sicile par les ours», mais «La fameuse invasion». Après, c’est devenu «La fameuse invasion de la Maremme». C’est une région un peu comme la Camargue en France. Après qu’il ait arrêté de travailler au «Corriere dei Piccoli», il a commencé à dessiner pour sa nièce. Un ou deux ans après, il a décidé de faire un livre. Il a repris toute l’histoire, il l’a réécrite et il a ajouté toute la deuxième partie. Évidemment, il y a beaucoup de questions. Est-ce que les ours symbolisent les communistes ? Les Russes ? Je ne sais pas. Je crois qu’il ne faut pas trop s’attacher à ça. Quand j’ai lu l’histoire, je n’ai pas vu toutes ces références.

C’est évidemment un conte et quand on lit votre travail, on voit que c’est un genre qui vous intéresse. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce type de récits, dans les contes, les métaphores, les fables, les légendes ?

Ça me permet de beaucoup travailler avec le dessin, avec le mystère.

Ça vous permet d’imaginer ?

Oui, avec le dessin et ses possibilités. Il y a toujours quelque chose de mystérieux. C’est toujours du travail d’évoquer quelque chose qui existe. C’est la fable. C’est vraiment quelque chose de lié à l’image, comme la peinture. Il m’a évidemment aussi influencé dans les formes, des formes qu’il a utilisées, dans ses paysages métaphysiques. Il a fait une série d’ex-voto, des légendes autour d’une sainte inventée. C’est très lié à la tradition italienne, c’est la religion, c’est l’épopée, c’est l’épique d’un pays de contes, de mystères, de légendes. Ça m’a toujours plu parce que ça fait partie de la fable. Ça donne la possibilité de créer des contes universels, pas trop liés à l’actualité. On peut parler d’actualité, mais avec des métaphores pour que ça dure dans le temps et pour que plusieurs générations puissent comprendre. Le vrai réalisme ne m’a jamais vraiment intéressé. J’ai toujours aimé le symbolisme dans mon travail.

L’expressionnisme, aussi ?

Évidemment. Disons que ma nature est expressionniste, mais avec la culture, je suis devenu beaucoup plus symboliste, métaphysique. De toute façon, beaucoup d’œuvres d’art m’ont influencé.

On sent dans vos dessins une capacité à faire se développer chez le lecteur une imagination. Il invente, il cherche, il crée.

C’est ce qui m’intéresse. Je ne veux pas tout dire au lecteur, pas tout lui expliquer, mais lui laisser la possibilité d’évoquer et d’enrichir son propre imaginaire, sa propre vision personnelle. J’ai grandi comme ça. Tous les auteurs qui m’ont plu sont ceux qui m’ont laissé rêver et imaginer à ma façon, qui m’ont enrichi par l’imaginaire.

Pour revenir au film, quand Valérie Schermann et Christophe Jankovic, les producteurs, vous proposent un long métrage, pourquoi est-ce que vous pensez à ce conte ?

Ça a été très naturel. Je ne sais pas pourquoi, c’est une sorte de boîte magique, ce livre. Il y a de l’amour pour raconter aux enfants, le jeu du narrateur qui joue et qui parle toujours. Il y a plein d’idées à droite, à gauche. On a dû beaucoup simplifier. En plus, il est étrange, il invente des personnages et il les laisse. On a eu beaucoup de mal à trouver la cohérence.

C’est pourquoi vous avez fait appel au scénario à Jean-Luc Fromental et Thomas Bidegain, qui viennent du cinéma.

Thomas, je ne le connaissais pas. C’est Valérie Schermann qui me l’a présenté. Je pense que c’était un trio magnifique. De temps en temps, il y avait aussi mon copain Jerry Kramsky, qui est en Italie, qui m’a dit des choses qui m’ont aidé. Il a assuré la traduction italienne. C’était un bon équilibre. Je voulais être très fidèle au livre. Jean-Luc Fromental est très littéraire, il était donc très attentif aux mots et à la logique. Thomas Bidegain, c’est une bête de cinéma.

Est-ce que le scénario a été long à écrire ?

Le traitement a été un peu compliqué, parce qu’il n’y avait pas de fille, pas de personnage féminin. On a dû trouver toute une logique. Il y avait trop de personnages qui arrivaient et qui partaient. On voulait quelqu’un qui racontait. On avait besoin d’un fil conducteur. Gedeone et la petite, c’est nous qui les avons inventés. Le vieil ours, c’est nous aussi.

Pour quelle raison ? Pensiez-vous que c’était un vecteur plus facile pour le public ? Est-ce quelqu’un qui l’a amené ?

D’abord, on a trouvé l’idée de la petite fille, qui devient grande. J’aimais beaucoup l’idée de «cantastorie» siciliens. Ça nous permettait de résumer des choses et de faire des sauts dans la narration, de pouvoir entrer et sortir tout le temps. J’aimais beaucoup l’idée de la voix off dans la narration, parce que c’est un classique de Buzzati. Avec lui, on voit toujours la voix off.

Et c’est le principe du conte: « Je vais te raconter une histoire. »

C’est le narrateur qui va de place en place, comme un «cantastoria» sicilien qui raconte des choses. Buzzati a travaillé avec des poèmes, des livres. Il est plein de petits poèmes, de petites poésies. Je voulais garder, vraiment, cette dimension-là. Après, il y a eu l’idée du vieil ours. C’est une très bonne idée qui nous a permis des ellipses.

Jean-Luc Fromental et Thomas Bidegain ont-ils travaillé tout du long avec vous ?

Oui, on parlaient toujours ensemble, puis ils écrivaient.

De votre côté, vous commenciez à travailler ?

J’ai tout de suite voulu faire un petit storyboard, un préstoryboard très rapide pour voir. J’avais besoin de voir s’il y avait assez de séquences. Je ne me suis pas posé la question de la longueur, mais je voulais voir si les séquences ressortaient, si ressortait un rythme de narration avec les images. Je ne peux pas penser avec les mots, je dois penser avec les images. Tout mon problème, c’était de pouvoir voir le film tout le temps. Réécrire une phrase, un autre dialogue, c’est facile. Recréer une image c’est plus compliqué.

Est-ce que vous avez beaucoup cherché ? Pour ceux qui connaissent, on reconnaît votre trait dans les décors, dans les personnages, les angles, les lignes.

J’ai eu très rapidement les images-clés du film. Beaucoup d’idées graphiques. Les dessins de Buzzati m’ont beaucoup aidé. Le fait de pouvoir me baser sur ses dessins, m’a donné une sorte de sécurité. Je ne pouvais pas tout inventer depuis le début. Ce n’est pas mon histoire.

Est-ce que son dessin est proche du vôtre ?

Le sien est beaucoup plus naïf, mais il y a de très belles idées graphiques, dedans. Je les ai prises et je les ai utilisées pour le film. J’imaginais des ours non poilus, qui marchent comme des soldats, tous en ligne. C’est vraiment caractéristique de Buzzati. J’ai aussi beaucoup pris des silhouettes de personnages. Au départ, lui fait des petits dessins qui présentent tous ses personnages, un peu comme on a fait avec le vieil ours.. Lui l’a fait pour tous les personnages. Ça m’a beaucoup aidé à avoir une base qui venait de Buzzati. Ça m’a vraiment permis d’être plus tranquille. Après, l’image finale du film, ça a été très long.

C’est votre premier long métrage ?

On est vraiment partis avec enthousiasme. Au départ, ça aurait pu être un petit film, un film très simple, moins cinéma. Mais peu à peu, on s’est aperçus que l’histoire était forte. Il y avait plein de choses spectaculaires et on s’est insérés dans cette voie. L’image finale était très compliquée à trouver, avec cette richesse, avec cette spectacularité. On a fait par étape. Pendant un an, on a essayé de faire le film en 3D. On a fait faire deux teasers en 3D avec deux équipes différentes. Finalement, on s’est aperçus que c’était trop cher avec cette qualité-là et avec tous ces décors, toute cette richesse. On n’aurait pas eu le budget suffisant.

Mais la 2D est magnifique…

On a essayé de trouver des manières d’utiliser la 2D de façon différente, dans les décors, dans les atmosphères, en faisant ça de manière graphique et poétique. Je voulais aussi une très grande profondeur tout le temps. Je répétais tout le temps: «Plus de profondeur, plus de profondeur.» Je voulais jouer avec les possibilités du grand écran. Les mouvements de caméra sont compliqués à faire et chers. La mise en scène est presque classique. Si on veut donner de la force aux images, et surtout de l’animation, c’est presque un choix obligé.

C’est là qu’on sent l’influence du symbolisme, de l’expressionnisme : l’image en elle-même est déjà excessivement parlante, impressionnante. Après, c’est un film, il faut que ça bouge.

Dans l’image, il faut avoir le plaisir de voir des choses qui se passent, comme la lumière. De nature, je suis très contemplatif. J’ai fait un conte. Qu’est-ce qu’une histoire pour enfants ? Quel est le rythme de narration? Quelle est la lutte entre se perdre dans l’image tout en suivant le rythme? C’est vraiment la chose que j’ai apprise. On en a beaucoup discuté. Je me rends compte que ma structure de pensée de départ était très illustrative. Dans ce livre, il y a les personnages du roi Léonce et du fils. Il y a beaucoup de personnages, mais dans l’atmosphère générale du livre, ce sont des personnages qui bougent. Ce sont de grands paysages où bougent des personnages. On avait besoin d’être plus proches des personnages. On a fait le choix très fort du père et du fils. On a choisi d’amener cette relation entre père et fils jusqu’au bout, là où ça devient dramatique, dans la deuxième partie. Dans les livres, il n’y a pas vraiment ça. Le drame du livre, que l’on retrouve dans le film, c’est Léonce qui perd sa nature et sa capacité à voir que les ours deviennent peu à peu des hommes avec tous leurs vices.
On a vraiment travaillé le personnage de Tonio, on a également inventé le personnage d’Almerina afin de créer la relation avec les humains. Avec Thomas et Jean-Luc, on a fait vraiment un grand travail de réécriture. Mais, j’avais toujours l’angoisse de perdre le lien avec Buzzati, à présent je suis rassuré.

Une autre chose qui est fascinante dans votre travail, c’est les couleurs et la façon dont vous les travaillez, dont vous les arrangez, dont vous les mêlez, dont vous les mariez, dans vos albums et dans ce film. D’où vous vient ce génie des couleurs ? On se dit que ça ne va jamais à l’ensemble, et finalement, évidemment, ça va ensemble.

Je trouve que les créateurs ont très peur des couleurs. Il n’y a pas beaucoup de gens qui utilisent les couleurs avec plaisir. Moi, j’ai toujours eu du plaisir à utiliser les couleurs. J’ai demandé à mon chef décorateur d’utiliser les couleurs d’une façon gaie, de ne pas avoir peur, et d’utiliser aussi les touches de lumière. Les couleurs, c’est la lumière. Il faut toujours découper les images avec une certaine lumière. Mais il ne faut pas avoir peur d’un rouge, d’un jaune. Les couleurs, c’est l’énergie. Ça nous transmet de l’énergie positive. Ce que je déteste dans certains films d’animation, c’est qu’ils ne savent pas quelles couleurs mettre, alors, c’est du marron jaune. Et la nuit, c’est gris, noir, bleu. Après, ils mettent des lumières blanches. Moi, je ne voulais pas de flou. Vous savez, les rayons de lumière qui font le brouillard, c’est classique de Disney. Quand tu ne sais pas quoi faire, tu fais un peu de brouillard, et alors, tu mélanges tout. Moi, je ne voulais pas ça du tout. L’image doit être claire. Si les gens voient une petite maison là, ils peuvent la voir. J’aime avoir le regard clair au cinéma. J’adore quand on te fait voir les choses. Ma culture de cinéma n’a rien à voir avec le film !

C’est quoi, d’ailleurs, votre culture de cinéma ?

J’ai adoré Herzog, Tarkovski, tous les films allemands des années 70, tous les films indépendants américains, et évidemment, Pasolini, tous les «Contes» de Pasolini. Fellini, pour nous, Italiens... Quand j’ai vu «Amarcord», c’est ma culture. Nous, on vient de la plaine. Ma famille vient de la plaine. Tout ce qui se passe dans «Amarcord», on l’a dans la peau. Tout le grand cinéma visionnaire, en fait. Mais aussi Coppola dans «Apocalypse Now». Pour moi, le tout dernier grand réalisateur, c’est Wong Kar-wai, que j’ai rencontré et avec qui j’ai eu la chance de travailler. «In The Mood For Love», ce type de film contemplatif, presque hypnotique, ça me plaît.

Vous dites que vous avez travaillé avec plein d’influences sur l’image et les couleurs. C’était quoi ? Des tableaux? Des peintures ?

Oui, des peintures de la Renaissance. Ce qui m’intéressait beaucoup, c’était la façon de styliser les choses: comment on stylise les montagnes, comment on stylise la grotte, comment on fait la stylisation de la ville, pour créer le code général du monde des ours. Ce n’est pas réaliste du tout. Alors, j’ai montré certains peintres américains, certaines couleurs, des dessins de Beato Angelico, la façon dont Giotto faisait les grottes. Évidemment, on avait mis sur les murs des agrandissements de Buzzati, et aussi ses autres dessins, toutes les peintures qu’il a faites. On avait une sorte d’alphabet qui nous permettait de dire: «Regarde, on peut faire comme ça pour faire les arbres, pour faire la nature.» La nature est créée par des formes. Il faut décider des formes à faire. En fait, un film d’animation, c’est incroyable parce que tu dois décider de tout. S’il y a un papillon qui passe, comment le faire? C’est comment, un papillon, dans ce monde-là? Alors, il faut faire très attention à ce qu’il ne soit pas trop réaliste, qu’il soit synthétique mais pas trop plat, faux. On a fait le choix de dessiner toutes les ombres. Je voulais que les personnages soient complètement mélangés au paysage. Je ne voulais pas qu’on ait la sensation d’avoir un paysage coloré avec des personnages plats par-dessus. Si on ne met pas les ombres sous les personnages, ils ne se mélangent pas. On a fait un énorme travail d’ombres pour tous les personnages, et aussi les ombres projetées sur les murs. Évidemment, je pense au cinéma expressionniste. J’adore Orson Welles et son travail sur les ombres: les ombres des silhouettes, les ombres sur les murs, la lumière, les jeux de lumière... J’adore. Après, j’ai dû faire très attention à ne pas être trop sombre dans le film.

Justement, parfois, du point de vue de l’animation, des couleurs, du cadre, du style, du trait, ça m’a donné l’impression d’un mélange entre la ligne claire belge et Eisenstein. C’était un mélange à la fois très constructiviste et très simplifié.

Je voulais une dimension très nette. Je voulais que les personnages soient vraiment des personnages, que les maisons soient des maisons. Je voulais que l’air passe à travers. J’ai tout de suite dit que je ne voulais pas de pastel. On peut travailler un peu avec du pastel parce qu’on a travaillé sur les matières. Mais je ne voulais pas ma matière. Pour ce film-là, je voulais de l’air. Je n’aime pas cette sensation de claustrophobie que peuvent laisser certains films d’animation, magnifiques, très artistiques, très beaux. C’est-à-dire qu’on sent le papier, on sent les couleurs, mais c’est difficile d’en sortir.

C’est pour ça que je parle de la ligne claire. Il n’y a rien d’inutile dans votre dessin. Parfois, on aurait presque dit «Tintin». Je ne sais pas si c’est un défaut de dire ça.

Non, moi, j’adore. Par contre, les images s’ouvrent sur l’espace. Je voulais toujours avoir le contrôle de l’espace, l’organisation de l’espace. Et quand vous parlez d’Eisenstein, oui, évidemment, je crois qu’Eisenstein est dedans. Je me souviens que pour faire deux ou trois ombres, je suis allé voir «Ivan le Terrible». On raconte avec les silhouettes. Là aussi, chez Eisenstein, il y a d’énormes espaces.
J’ai tout de suite dit que je ne voulais pas avoir la matière du crayon. Et ça, ça a déjà donné une direction précise. D’un autre côté, je voulais arriver à avoir du volume. C’est pour ça qu’à la fin, l’expérience de la 3D nous a aidés à construire les ours. Moi, je voulais une idée tridimensionnelle des personnages, même en 2D. La 3D permet d’avoir de la profondeur, de grands espaces, une organisation architecturale de toutes les images. Je crois qu’au départ, j’aurais voulu, d’une façon un peu ingénue, travailler encore plus avec la distorsion des perspectives, jouer encore plus avec l’irréalisme total, avec la possibilité d’avoir des personnages qui deviennent tout petits tout de suite. Ça, c’est très compliqué à gérer dans un film d’animation. Mais ça aurait peutêtre donné une sensation un peu plus cartoon. Une autre chose qui m’a intéressé et que j’avais beaucoup utilisée dans le court métrage «Peur(s) du noir», c’est la métamorphose. On l’a utilisée pour l’ogre. On a beaucoup joué dans les cirques. Mais bon. Déjà, la narration, c’était très compliqué. On a vraiment choisi d’être le plus populaire possible, de ne pas faire un travail énorme sur le métalangage.

À un moment donné, il faut que les gens regardent et comprennent tout ce qui se passe. En bande dessinée, parfois, on peut revenir sur une case, on peut s’arrêter. Dans le cinéma, il y a une fluidité qui s’impose...

L’énorme travail que l’on a fait, ça a été de trouver cette fluidité dans la narration. Il y a eu des moments très durs, parce qu’on avait l’impression que c’était très lent. On avait beaucoup de dialogues. Moi, j’avais l’angoisse des dialogues. D’un autre côté, c’était aussi la beauté de trouver un rythme entre la contemplation et l’histoire, la narration. On a vraiment fait un énorme travail là-dessus. Au final, on n’a pas vraiment coupé grand-chose. La structure était presque similaire à celle du départ. On a simplifié. On a fait beaucoup de coupes générales, des petits trucs par-ci par-là, pour donner de la fluidité, du rythme entre les scènes. Cette grande préparation... À la fin, tout ce travail qui a été très long... Quand la production a vraiment commencé, avec les animateurs, l’équipe des décorateurs... Les décors étaient déjà commencés avant. Une fois qu’on a trouvé les choses, on avait bien avancé les décors. Mais il n’y a pas eu vraiment de moments de crise dans la production du film. On n’a jamais revu une séquence. On n’a pas dit: «Ça ne marche pas, on refait.» On n’a jamais dû refaire des choses.

Vous qui êtes plutôt un solitaire par définition, est-ce que le travail en équipe vous plaît ? Est-ce que ça vous pousse à sortir de votre grotte ?

Le travail avec l’équipe de production, avec les animateurs m’a beaucoup plu. Ça m’a un peu frustré parce que tout le monde travaille avec des tablettes et des ordinateurs. J’avais décidé d’être toujours avec l’équipe, de voir tous ces talents, de les faire travailler sur un projet commun. En fait, je prenais tout le talent des autres pour faire cette cathédrale, une cathédrale qui appartient à tout le monde.

On vous reconnaît, quand même.

Ça, c’est très bien. Oui, évidemment, j’ai mis beaucoup de choses. La structure des images, elle est en moi. Mais la richesse de certaines lumières, de certaines couleurs des décors, certaines idées de mouvements des personnages, tout cela est arrivé grâce aux animateurs. Moi, je donnais des idées. Je disais par exemple que c’était très important que les mains bougent. Mais après, le rythme, ce sont les animateurs qui l’ont donné. J’ai l’impression que la plupart d’entre eux se sont amusés. Ils ont fait ce travail avec plaisir. Et je crois que ça transparaît dans le film. Enfin je l’espère.

Pourquoi avoir choisi Jean-Claude Carrière pour raconter ?

C’est un mec extraordinaire. En plus, il a travaillé avec les plus grands. Et tout de suite, il m’a fait confiance. Il a fait un travail magnifique, avec sa voix profonde. Et en italien, on a réussi à trouver Camilleri. 

Camilleri le romancier ?

Oui, il a une voix incroyable. C’est vraiment un vieux conteur italien. Jean-Claude Carrière était au studio pour un autre projet, on a entendu sa voix et on lui a demandé s’il voulait jouer un vieil ours, tout simplement. D’un côté, Jean-Claude Carrière, et de l’autre, Camilleri. Qu’est-ce que tu veux de plus ? En plus, ils font un vieil ours. Ils ont le plaisir de raconter. C’est aussi symbolique. C’est une continuité. Ça me plaît toujours.

Le film est présenté à Un Certain Regard. Être à Cannes, ça représente quoi pour vous ?

J’avais fait l’affiche de Cannes en 2000. Je suis allé une fois à Cannes monter les marches. C’était un grand plaisir. Je n’avais aucun problème de stress. Je me souviens qu’il n’y avait pas de films italiens en compétition. J’étais le seul Italien à Cannes. Tout le monde me demandait des choses. C’était très agréable. Je suis déjà ravi qu’on soit à Cannes.

PRIMA LINEA PRODUCTIONS

LA FAMEUSE INVASION DES OURS EN SICILE a été réalisé en France entre Paris et Angoulême par 3.0 studio avec ses fidèles et talentueuses équipes françaises et européennes. Ce studio d’animation, issu de Prima Linea, agence d’auteurs graphiques, fabrique les films de Prima Linea Productions (U, PEUR(S) DU NOIR, ZARAFA, LOULOU-L’INCROYABLE SECRET, LA TORTUE ROUGE…), mais travaille également en production exécutive et en prestation sur des projets de haute exigence portés par des producteurs tiers. Il est spécialisé en 2D pour le cinéma (longs et courts-métrages) et s’ouvre depuis peu à la série TV. Il a également vocation en R&D à combiner, mixer, explorer différentes techniques d’animation en vue d’innover par croisement et complémentarité. Son siège est à Angoulême dans un grand espace paisible en centre-ville et à Paris, son implantation située dans le XIVe est associée à celle de Prima Linea Productions. Ce studio pérenne permet l’accompagnement des auteurs de film en film comme le déploiement et le perfectionnement des talents fidèles au studio et au service d’une animation de haute qualité.

Source et copyright des textes des notes de production
© 2019 Prima Linea Productions - Pathé Films - France 3 Cinéma - Indigo Film

  
#LaFameuseInvasionDesOurs


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