samedi 28 décembre 2019

LES FILLES DU DOCTEUR MARCH


Romance/Drame/Une nouvelle adaptation soignée et touchante

Réalisé par Greta Gerwig
Avec Saoirse Ronan, Emma Watson, Florence Pugh, Eliza Scanlen, Laura Dern, Timothée Chalamet, Tracy Letts, Bob Odenkirk, Chris Cooper, Meryl Streep, James Norton, Louis Garrel

Long-métrage Américain
Titre original : Little Women
Durée: 02h15mn
Année de production: 2019
Distributeur: Sony Pictures Releasing France

Date de sortie sur les écrans américains : 25 décembre 2019
Date de sortie sur nos écrans : 1 janvier 2020 


RésuméGreta Gerwig (LADY BIRD) signe une nouvelle adaptation des "Quatre filles du Docteur Marc" qui s’inspire à la fois du grand classique de la littérature et des écrits de Louisa May Alcott. Relecture personnelle du livre, LES FILLES DU DOCTEUR MARCH est un film à la fois atemporel et actuel où Jo March, alter ego fictif de l’auteur, repense à sa vie. Saoirse Ronan, Emma Watson, Florence Pugh et Eliza Scanlen campent les soeurs March, quatre jeunes filles bien décidées à vivre comme bon leur semble. Timothée Chalamet incarne leur voisin, Laurie, Laura Dern interprète Marmee et Meryl Streep, Tante March.

Bande annonce (VOSTFR)


Ce que j'en ai penséGreta Gerwig réalise cette nouvelle adaptation du roman Louisa May Alcott, Les Quatre Filles du docteur March, paru en 1868. Elle en a également écrit le scénario d'après cette œuvre pour la transposer à l'écran. Elle nous propose à la fois une réflexion féministe, une histoire romantique et une belle pièce d'époque. 

Elle met en place une narration qui navigue entre souvenirs, présent et confidences épistolaires transmise oralement par l'émetteur face à la caméra. Alors qu'on peut a priori penser qu'on va peut-être se perdre dans ses allers-retours, dans les faits, on se laisse prendre aisément dans sa trame narrative. Parce qu'elle identifie toujours les moments par des éléments de décors, d'habillement, de coiffure ou de lumière, le spectateur comprend dans la seconde où et quand la réalisatrice choisit de l'envoyer. Elle est donc très habile dans sa façon de raconter son histoire d'autant qu'elle conserve sans cesse une cohérence de ton qu’elle aille vers l’humour, le décalage ou l’émotion. 

Greta Gerwig prend un grand soin à faire vibrer l'époque de son film - les années 1860 - à l'écran. Tout nous transporte dans cette période depuis les costumes en passant par les attitudes, les décors ou encore les relations sociales. La délicate musique composée et dirigée par Alexandre Desplat vient adroitement compléter l’atmosphère de cet ouvrage et met en valeur certains instants du développement. 


La réalisatrice insuffle une forme de légèreté, un optimisme de la jeunesse, dont la vague vient régulièrement se briser sur des moments dramatiques. On voit ainsi les protagonistes évoluer et prendre en maturité alors que la vie se déroule avec son lot de joies, de difficultés et d’expériences terribles. 


Le contexte de la situation de la famille March est clair dès le début. Il joue un rôle très différent sur la construction des personnalités des quatre filles qui sont tout à fait distinctes. Le superbe casting participe à rendre cette aventure énergique et sensible.
Saoirse Ronan interprète Jo March. Cette magnifique actrice nous fait croire à l’intelligence de Jo ainsi qu’à son attitude de garçon manqué avec une facilité déconcertante.




Emma Watson interprète la sensible Meg, Florence Pugh prête ses traits à la difficile Amy et Eliza Scanlen interprète pour sa part la sensible Beth March.





Des seconds rôles solides viennent compléter ce groupe d’actrices impeccables. Laura Dern interprète la douce et bonne conseillère Marmee. Timothée Chalamet apporte sa fraîcheur et sa folie douce à son protagoniste Laurie Laurence. Meryl Streep est parfaite dans le rôle d’Aunt March, une femme à la langue de vipère, furieusement indépendante et très généreuse à sa façon. Chris Cooper interprète le voisin Mr. Laurence dont l’air sévère n’empêche pas sa gentillesse de s’exprimer. Et Louis Garrel interprète le calme et posé Friedrich Bhaer. 






LES FILLES DU DOCTEUR MARCH est une nouvelle adaptation d’un classique qui touche les spectateurs droit au cœur en les entraînant sur les sentiers de la vie de quatre sœurs. Ce long-métrage est très agréable à suivre et on est même un peu triste de le quitter à la fin, tant il serait sympathique de continuer un bout de chemin avec cette attachante famille March.

Photos de Wilson Webb
Copyright photos © 2019 Columbia Pictures Industries, Inc. All Rights Reserved. 
& Sony Pictures Releasing France

NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

Depuis sa parution, le roman de Louisa May Alcott a donné lieu à d'innombrables interprétations à travers le monde. Avec une lucidité implacable, il montre à quel point la société est impitoyable envers les jeunes femmes ambitieuses, mais il offre en même temps un peu d'espoir car cette ambition, qui prend la forme d’une vie intérieure d'une grande richesse, capable d’abolir les frontières, est en soi gratifiante.

Il s'agit d'un livre qu’on découvre souvent pendant l’enfance, quand le champ des possibles semble infini et que rien ne peut brider nos désirs. On y revient à la fin de l’adolescence, lorsque les contraintes de la vie d’adulte et de la société ont commencé à façonner notre identité. Quand on le redécouvre bien plus tard, on se souvient avec une nostalgie teintée d’amertume de sa jeunesse et de son audace – et on a en même temps plaisir à voir une nouvelle génération se frotter à son tour à l'insolence du livre.

Le livre est particulièrement puissant car il nous invite à affronter par nous-même les tentations nombreuses et contradictoires de la vie : la famille, l’art, l’argent, l’amour, la liberté et l’espoir de rester qui nous sommes et de raconter une histoire unique, la nôtre.

            C’est cette lecture profondément personnelle et résolument vivante des "Quatre filles du docteur March" que Greta Gerwig a voulu porter à l’écran. La cinéaste est partie du roman avec la ferme intention de restituer l'ampleur du grand classique de Louisa May Alcott, mais également sa sincérité et la dimension intime et émouvante de l’histoire qui prête vie aux personnages. Tout comme chaque lecteur apporte sa propre interprétation et donne un sens nouveau à l’histoire, Greta Gerwig souhaitait, elle aussi, se l'approprier.

            À l’origine, le roman a été publié en deux parties : la première racontait l’enfance heureuse des sœurs March et la deuxième les vicissitudes de l’âge adulte. Greta Gerwig rompt cette linéarité et met en place des allers-retours entre les deux périodes avec pour fil rouge l’histoire de Jo, empreinte de détermination et de courage. Grâce à cette construction plus souple, le film plonge le spectateur dans les souvenirs, les anecdotes, les incidents et les décisions des sœurs March : Jo, la romancière indépendante aux doigts tachés d’encre, Meg, la comédienne en herbe qui prend soin des siens et croit en ses principes, Beth, la musicienne fragile et sensible, et Amy, l’apprentie peintre qui brille par son intelligence. Au fil de ces péripéties, elles deviennent des femmes adultes dans toute leur complexité et leur richesse, aussi différentes qu’unies par un lien familial à toute épreuve.

            On voit émerger l’image de quatre femmes qui regardent avec tendresse le chemin qu’elles ont parcouru pour devenir qui elles sont. C’est un univers dans lequel le quotidien de ces femmes – leurs découvertes, leurs sacrifices, leur colère, leurs problèmes financiers, artistiques et personnels – revêt une véritable importance. Comment prendre sa vie en main quand les événements – une fissure dans la glace, l’arrivée inopportune d’une lettre – nous échappent ? Et qu’en pensent ces quatre sœurs aux rêves si différents ?

Voilà les questions que pose Greta Gerwig dans un film visuellement éblouissant, s’inspirant des artistes visionnaires qui ont bouleversé la vision du monde des contemporains de Louisa May Alcott. Ces questions semblent actuelles, mais c’est bien Louisa May Alcott qui a cerné ces oppositions qui nous interrogent encore aujourd’hui : art ou argent ? Amour ou satisfaction personnelle ? Idéal ou réalité ? S’occuper de sa famille ou se réaliser soi-même ?

Avant même que Greta Gerwig n’affirme sa puissante vision cinématographique dans LADY BIRD, elle a confié à la productrice Amy Pascal qu’elle pensait être la bonne personne pour adapter "Les quatre filles du docteur March". “Je me suis lancée dans ce projet de toutes mes forces”, raconte Greta Gerwig. “J’avais une idée très précise du sujet du film : ça parle de femmes artistes et ça parle des femmes et de l’argent. Le texte ne parle que de ça, mais c’est un aspect de l’histoire qui n’a pas encore été particulièrement exploré. Ces questions me touchent beaucoup et je dirais qu’en un sens ce film est le travail le plus autobiographique que j’aie jamais réalisé”.

            Greta Gerwig a si souvent lu le roman quand elle était petite, qu’elle ne se souvient plus de sa première lecture. Comme de nombreux auteurs et artistes, elle se sentait très proche de Jo March, une jeune fille originale et garçon manqué qui rêve de devenir écrivain et se bat avec les convenances pour assumer sa singularité. Pour elle, Jo n’est pas tant un personnage de roman qu’un mentor. C’est une fille qui sait ce qu’elle veut : être plus libre, écrire, faire ce qui est interdit tout en se consacrant entièrement à ceux qu’elle aime. C’est pourquoi Greta Gerwig a souhaité plonger les spectateurs au plus près de l’univers de Jo, son énergie, ses doutes.

            “'Les quatre filles du docteur March' a toujours fait partie de ma vie, aussi loin que je me souvienne”, déclare Greta Gerwig. “Je ne me rappelle pas avoir appris qui était Jo March : elle a toujours été mon héroïne, celle que je voulais devenir et que j’espérais déjà être”.

Greta Gerwig reste fidèle à l’esprit de Louisa May Alcott mais elle se réapproprie le roman d’une façon intrinsèquement cinématographique : elle s’éloigne de la temporalité linéaire et transforme les épisodes les plus marquants de la vie des March en souvenirs qui nourrissent la création. Les spectateurs sont invités à changer de regard sur les sœurs March et à les considérer comme des adultes qui se tournent vers leur passé et comme la source d’inspiration des écrits de Jo.

À chaque fois que je lis le livre, je découvre quelque chose de nouveau”, remarque Greta Gerwig. “Je l’ai lu la première fois dans le confort de l’enfance, puis en grandissant, de nouveaux aspects du roman m’ont sauté aux yeux. Quand j’ai écrit le scénario, ce qui m’a frappé, c’est à quel point la vie des sœurs devenues adultes est émouvante et fascinante car elles essaient de rester fidèles à l'état d'esprit de leur jeunesse intrépide”.

Greta Gerwig a approfondi ses recherches en lisant les lettres et les archives de Louisa May Alcott pour s’inspirer de sa vie et empreindre le film de sa voix puissante et moderne. Par exemple, la romancière a écrit : “J’ai eu beaucoup de problèmes si bien que j’écris de belles histoires”. Dans le film, Marmee déclare : “Je suis en colère presque tous les jours de ma vie”.

Greta Gerwig n’est pas la seule à avoir trouvé en Louisa May Alcott une source d’inspiration dès le plus jeune âge. Ursula K. Le Guin, brillante auteur de science-fiction, disait que la romancière était “comme une sœur pour elle”. Erica Jong raconte que grâce aux "Quatre filles du docteur March", elle a pris conscience que “les femmes pouvaient devenir des écrivains, des intellectuelles tout en ayant des vies personnelles riches”. Les héroïnes du chef-d’œuvre d’Elena Ferrante, "L’ami formidable", font connaissance autour d’un exemplaire abimé du roman de Louisa May Alcott et se promettent d’en écrire un à leur tour. Le poète Gail Mazur a remercié Louisa May Alcott d’avoir permis aux auteurs “d’accepter le conflit entre le besoin de solitude et de concentration de l’écrivain et l’envie d’amour et de chaleur, en sachant que nous ne sommes pas seuls”. Enfin J.K. Rowling, l’auteur de la saga "Harry Potter", note à propos de Jo March : “C’est difficile de décrire l’importance qu’elle a eue sur une autre petite fille toute simple appelée Jo, avec un tempérament colérique et une folle envie de devenir écrivain”.

Pour une femme, s'engager dans une voie personnelle, et en particulier une vie d’artiste, a toujours été difficile, quelle que soit l’époque. C’est pour cette raison que Jo a eu un tel impact sur Greta Gerwig. “Jo est un esprit rebelle, et l’espoir de mener une vie qui n’est pas confinée aux carcans de notre sexe est toujours aussi exaltant aujourd’hui”, affirme Greta Gerwig. “C’est une fille avec un nom de garçon qui a envie d’écrire : elle est ambitieuse, elle est en colère, elle incarne des sentiments auxquels on peut s’identifier. C’est comme si elle nous avait offert sa liberté”.

Greta Gerwig tenait aussi à rendre hommage au succès financier méconnu de Louisa May Alcott. Elle voulait montrer à quel point l’époque de l’auteur, bien que ravagée par la guerre et les inégalités, fourmillait d’idées nouvelles, de libres penseurs et d’une volonté de changement. Au sein de cet environnement, Louisa May Alcott a explosé les barrières sociales, elle a tracé son propre chemin vers l’indépendance, elle a repris en main ses droits d’auteur telle une J.K. Rowling du XIXe siècle et elle s’est fait un nom en dehors du mariage ou de la famille, comme jamais personne avant elle.

Ce sont des questions qui se posent encore aujourd’hui”, souligne Greta Gerwig. “On voit par exemple Taylor Swift ré-enregistrer ses albums pour en récupérer les droits”.

Selon Greta Gerwig, Louisa May Alcott a choisi de faire de l’absence d’argent et de liberté l’élément incontournable au cœur de la vie des sœurs March. Dans le même temps, elle voulait mettre en avant le caractère intime assumé de l’histoire de ces quatre sœurs et de leur mère dévouée qui transforment leur foyer en un univers totalement inoubliable. “J’ai lu une analyse très pertinente sur 'Les quatre filles du docteur March' qui raconte que c’est l'un des rares livres sur l’enfance qui ne parle pas de fugue. Il y est question de courage mais l’aventure des héroïnes se déroule dans l’enceinte du foyer”, note Greta Gerwig.

Cette ambition a attiré un groupe de femmes extraordinaires qui ont porté le film à l’écran : outre Greta Gerwig, bien sûr, citons les productrices Amy Pascal, Denise Di Novi et Robin Swicord et les actrices Saoirse Ronan, Emma Watson, Eliza Scanlen, Florence Pugh, Laura Dern et Meryl Streep.

Chez ces comédiennes, l'intérêt pour ce projet dépasse leur propre engouement pour le livre. Le facteur principal est plutôt le caractère résolument actuel de la lecture proposée par Greta Gerwig.

Aujourd’hui, cette histoire est plus actuelle que jamais”, affirme Saoirse Ronan qui incarne Jo. “Il y est question de jeunes femmes qui trouvent le courage de tracer leur propre chemin. C’est une histoire qu’on peut lire à différents stades de la vie : on peut être une Amy pendant quelques années, puis tout à coup devenir une Jo, puis une Meg, et on peut un jour être une Marmee avant de redevenir une Beth. On peut se retrouver dans chacune d’elles”.

C’est une histoire qui parle d’identité et il n’y a rien de plus moderne”, renchérit Laura Dern qui joue Marmee. “De nos jours, on a toujours du mal à se demander ‘Qui suis-je et comment puis-je rester fidèle à ce que je suis tout au long de ma vie, malgré les opinions des uns et des autres ?’ C’est pourtant ce que Louisa May Alcott a écrit il y a environ 150 ans. Ce qui est beau dans son écriture, c’est qu’elle a montré qu’on pouvait trouver la force dans l'insoumission, l’art, l’ambition mais également le mariage et la maternité. Greta pousse le public à accepter toutes ces possibilités”.

Eliza Scanlen, qui campe Beth, explique différemment le succès intemporel du roman : “Il affirme que les émotions qu’on ressent pendant l’enfance sont tout aussi complexes et importantes que celles qu’on éprouve plus tard dans la vie, et c’est un point de vue qu’on entend rarement”.

Greta Gerwig a choisi de raconter fidèlement l’histoire, en s’inspirant autant que possible du texte, mais avec une lecture postmoderne. Elle déstructure le récit et le raconte en deux temporalités distinctes, si bien que la vie des personnages à l’âge adulte se déroule parallèlement à leur enfance. “Dans le film, l'histoire commence quand les personnages sont adultes, et on pénètre dans le monde de l’enfance comme on le fait nous-mêmes, par le biais d’un souvenir, comme une envie, une clé pour comprendre qui on est et où on va”, explique Greta Gerwig. “On avance dans la vie avec la projection de notre enfance en tête. Je voulais qu'on sente une tension : est-ce que c’est ce qui s’est passé ou est-ce que c’est le souvenir que j’en ai ? Est-ce que c’est ce qui s’est passé ou est-ce ce que j’ai écrit ?

Ce qui a aussi beaucoup plu aux femmes qui participent au projet, c’est que cette version des FILLES DU DOCTEUR MARCH accorde une place aux personnages masculins. Ils sont tour à tour séduisants ou exaspérants aux yeux des sœurs, mais ils ne sont jamais le centre du monde. “Ce qui est merveilleux dans l’œuvre de Louisa May Alcott, c’est que ces filles ne sont pas là pour servir l’histoire de quelqu’un d’autre que la leur. Cette idée est très présente dans le scénario de Greta Gerwig”, note la productrice Amy Pascal.

Ce film tombe à point nommé car on parle plus que jamais de choix, d’identité, d’argent, de pouvoir ou des relations entre hommes et femmes”, poursuit Amy Pascal. “Greta replace ces questions au cœur du film tout en restant fidèle à Louisa May Alcott. Elle nous a dit : ‘Je veux faire un film qui ne ressemble à aucun autre. Je veux que cette adaptation nous amène à relire le livre et à se rendre compte qu’il est plus controversé, drôle et sombre que ce qu’on pensait, et je veux faire un film réaliste’”.

                        ADAPTER LOUISA MAY ALCOTT

            Il faut savoir que Louisa May Alcott a bien failli ne pas écrire "Les Quatre filles du docteur March". Elle ne s’est jamais considérée comme une auteur d’“histoires de femmes”, qu’on considérait à l’époque comme insignifiantes et pas du tout rentables. Pourtant, quand son éditeur lui a proposé ce projet, elle n’a pas résisté à l’envie de rivaliser avec les récits d’aventure pour garçons qui étaient souvent des best-sellers et avaient une influence considérable sur les jeunes lecteurs.

            Louisa May Alcott s’est rendu compte qu’elle connaissait peu de femmes en dehors de ses trois sœurs et de sa mère. Sa famille s’est finalement révélée être une source d’inspiration extraordinaire. En transformant sa vie de famille en fiction, Louisa May Alcott a exprimé son point de vue sur la vie d'une jeune fille dont les perspectives sont limitées et les aspirations grandissantes, et elle l’a fait dans un récit clair auquel on peut s’identifier, comme personne avant elle.

            Comme la famille March, les Alcott étaient très soudés. Ses parents, le professeur Bronson Alcott et la militante et assistante sociale Abigail Alcott étaient des idéalistes et des adeptes du transcendantalisme. Ce mouvement, qui a émergé au XIXème siècle, est précurseur de la contre-culture des années 1960. On y retrouve des préceptes comme l'insoumission, l’appel à la désobéissance civile et à développer une relation forte avec les arts, un respect pour la nature et l'acceptation de son identité comme fondement d’une vie heureuse. Les Alcott croyaient fermement dans l’égalité et l’apprentissage et ils ont poussé Louisa et ses sœurs à s'orienter vers les vocations qui les intéressaient.

Pour Louisa, l’écriture a toujours été prioritaire. Elle a grandi dans un environnement stimulant intellectuellement, même si l’argent manquait souvent (Henry David Thoreau était son enseignant et Ralph Waldo Emerson son voisin), et elle a commencé à écrire dès son plus jeune âge. Pour des raisons économiques, elle a aussi dû accepter des emplois d’enseignante, de couturière et de gouvernante, alors même qu’elle écrivait son premier livre "Flower Fables" qui a été publié quand elle avait tout juste 17 ans. Elle a continué à écrire pour The Atlantic Monthly, elle a publié des mémoires sur ses années d’infirmière pendant la guerre de Sécession ("Hospital Sketches"), et des aventures d’espionnage sous le pseudonyme A. M. Bernard (qu’elle vendait 50 dollars par exemplaire, l’équivalent d’un an de salaire de couturière).

            À la parution des “Quatre Filles du docteur March”, une idée répandue à l’époque était que seuls les hommes pouvaient écrire des chefs-d’œuvre littéraires. À quelques exceptions près, les livres écrits par des femmes ou sur des femmes n’étaient que des divertissements futiles – c’était du moins ce qui se disait. Mais dès sa publication, “Les Quatre Filles du docteur March” a connu un succès retentissant et le roman s’est retrouvé en rupture de stock en quelques jours. Il est apparu que les femmes et les jeunes filles attendaient avec impatience une histoire authentique, sincère et émouvante sur leur vie quotidienne. Les 23 premiers chapitres ont eu un tel succès que l’éditeur de Louisa May Alcott l’a suppliée d’en écrire d’autres, pour atteindre les 47 chapitres du grand classique aimé de tous. Depuis sa création, le roman n’a jamais cessé d’être réédité et il a été traduit en une cinquantaine langues. Il a été adapté au théâtre, à la télévision, au cinéma, et il existe même un opéra et un dessin animé qui s'en inspirent.

            Greta Gerwig n’a pas prêté beaucoup d’attention aux précédentes adaptations, préférant revenir à ce qu’elle considérait comme l’âme du livre. En relisant le roman à l’âge adulte, elle a été interpellée par la façon à la fois moderne et habile avec laquelle Louisa May Alcott a transcrit la langue informelle et libre parlée au sein de la famille.

            “Le langage était tellement frais et plaisant que je n’y ai presque pas touché. J’ai essayé d’intégrer au scénario autant de passages du texte que possible”, précise-t-elle.

Elle entendait les répliques s’enchaîner dans sa tête, ce qui a influencé ses choix de réalisation : “Je voulais que les acteurs s'expriment à la même vitesse que dans la vie. Je voulais qu’ils prononcent les dialogues de façon rapide et cinglante parce que c’est comme ça que je les entendais”, explique la cinéaste.

Elle poursuit : “C’est pour ça que j’ai eu l’idée de commencer le film quand les sœurs sont adultes, puis de faire en sorte que leur enfance reste présente dans leur esprit, pas sous forme de flash-backs mais comme une temporalité parallèle. En effet, dans la vie, quand on marche dans la rue, on avance toujours en restant marqué par la personne qu'on était dans sa jeunesse. On est toujours autant marqué par la personne qu’on pensait devenir que par celle qu’on est devenue. Je voulais que la vie, sous toutes ses formes, imprègne la narration”.

            Le récit évoque bien entendu les relations amoureuses, qui jouent un rôle important dans le succès des “Quatre Filles du docteur March”. Cependant, Greta Gerwig suggère cette fois que chacune des sœurs ne cherche pas seulement l’amour, mais qu’elle poursuit sa propre conception d'une relation amoureuse égalitaire. Les lecteurs ont longuement débattu sur l’homme que Jo choisit pour époux, se demandant même si c’était une bonne chose pour elle d’avoir choisi un époux. Cette question est d’autant plus complexe que Louisa May Alcott, semblable à Jo à plusieurs égards, a emprunté une voie différente de son personnage en choisissant ne pas se marier, même après être devenue célèbre. Greta Gerwig a adopté un parti-pris assez inhabituel sur cette question essentielle dans les FILLES DU DOCTEUR MARCH.

Si Jo est l’héroïne de mon enfance, Louisa May Alcott est l’héroïne de ma vie d’adulte. Du coup, c’était important pour moi qu’elle n’ait pas choisi de marier Jo mais qu’elle l’ait fait parce que son éditeur l’y a obligée. Elle déclare dans une lettre : ‘J’ai choisi un drôle de mari à Jo par dépit’. J’ai donc voulu lui offrir une fin qui lui aurait plu, et c’est peut-être la fin qu’elle aurait voulu. Je voulais qu’on retrouve la scène finale romantique que Louisa May Alcott nous a offerte. Mais en même temps, je voulais poser certaines questions : ‘Pourquoi est-ce qu’on a envie de ça ? Pourquoi faut-il que Jo passe par là ?’

Les dialogues naturalistes de Greta Gerwig, avec leurs répliques qui se chevauchent, ont particulièrement plu aux acteurs. “Greta permet aux sœurs de se couper la parole et de se répondre pour qu’on ait vraiment l’impression qu’il y a quatre ou cinq personnes dans la pièce”, explique Saoirse Ronan. “On a dû beaucoup travailler pour caler parfaitement les dialogues dans ces scènes. Mais je n’ai jamais collaboré avec un réalisateur comme Greta. Elle sait tout de suite à l’oreille ce qui fonctionne. C'est le rythme des scènes qui donne à ses films leur singularité. On a l’impression que Greta nous convie dans le monde secret de la famille March”.

            Greta Gerwig explique : “Je ne voulais pas que ces répliques qui se chevauchent suscitent une cacophonie : je voulais qu’elle se chevauchent de façon précise, et c’était presque comme diriger un orchestre. On a répété pendant plusieurs semaines et c’était indispensable car le scénario est très précis. Je voulais qu’on ait l’impression qu’elles sont submergées par l'enthousiasme et la joie, je voulais qu’on entende vraiment des sœurs qui se parlent. Je ne voulais pas que chacune attende son tour pour prendre la parole parce que, d'après moi, ce n’est pas comme ça que des sœurs se comportent quand elles sont ensemble. Comme j’avais d’excellentes actrices qui rendent le texte encore plus vivant et profond, je pouvais leur faire entièrement confiance”.

Pour Greta Gerwig, il était essentiel de restituer l'ampleur des relations entre les sœurs, à la fois belles et fortes mais aussi traversée par des tensions. “J’ai considéré chaque sœur comme une artiste et j’ai voulu prendre leurs ambitions artistiques au sérieux parce que c’est comme ça qu’elles les voient. Elles s’aiment et sont très proches mais elles sont aussi en rivalité et peuvent se taper sur les nerfs. Elles sont parfois dures et sournoises, parfois douces et tendres, et je voulais que tout cela se retrouve dans le film car selon moi c’est ce qui fait que leur histoire est aussi forte. Ce sont de vraies personnes avec des relations chaotiques”.

Le scénario a offert un nouveau point de vue sur le livre à Amy Pascal, une autre femme à la carrière exemplaire qui entretient depuis toujours un rapport particulier avec le roman, dont elle tire même son prénom, Amy Beth. “C’est un film qui évoque le regard qu'on porte sur son enfance, qui parle du temps qui passe et de la vie d’artiste”, décrit-elle. “C’est aussi un film qui parle de la farouche envie d’indépendance à tout prix”.


LES SŒURS
Jo/Saoirse Ronan

Jo March est considérée comme la création majeure de Louisa May Alcott. C’est un des rares personnages de fiction à être devenu une véritable héroïne qui a inspiré des générations de jeunes femmes en quête d’une vie faite d’aventures et d’expression artistique. L’ombre de Louisa May Alcott s’est toujours profilée derrière le personnage. Tout comme Jo, elle a été libérée en grande partie par l'ampleur de son imagination et par sa puissance de travail. Grâce à l’écriture, elle a en effet atteint une indépendance financière rare pour une femme seule et elle a immortalisé son enfance dans un milieu progressiste qui lui a donné la force de surmonter les obstacles.

Pour jouer ce rôle, il fallait une actrice d’une grande sensibilité et la réalisatrice savait déjà qui réunirait les qualités requises. Greta Gerwig, qui a vu Saoirse Ronan incarner le tourbillon d’émotions adolescentes qui traverse LADY BIRD, était convaincue qu’elle saurait faire partager au spectateur les humeurs de Jo, son esprit, ses réflexions ainsi que son “vortex créatif” comme Louisa May Alcott surnommait les séances d’écriture quotidiennes de Jo.
Je ne peux pas dire grand-chose de Saoirse parce qu'elle tout simplement géniale”, reconnaît Greta Gerwig. Je ne sais pas comment elle fait, mais je m’estime très chanceuse qu’elle ait déjà travaillé deux fois avec moi”.

Amy Pascal ajoute : “Saoirse est exceptionnelle. Quand on la regarde jouer, on est sidéré en permanence. C’est une actrice très naturelle, intelligente et nuancée”.

Saoirse Ronan explique qu'endosser un personnage si aimé était exaltant et représentait en même temps un énorme défi. Le plus difficile consistait à aller au-delà d’une banale interprétation du caractère fougueux bien connu de Jo, et d’incarner plutôt un être humain en proie au doute et un peu perdu, mais aussi talentueux, insoumis et animé par un désir de changement. Il a ainsi fallu envisager Jo comme un personnage contemporain – une femme moderne intéressée par les questions d’identité avant que quiconque ne comprenne à quel point elles allaient devenir prégnantes au siècle suivant.

Je pense que Jo ressemble aux jeunes filles d'aujourd’hui”, estime Saoirse Ronan. “Greta souhaitait qu’elle soit plus moderne que toutes les autres filles qu’on voit dans le film, en particulier dans sa gestuelle et son élocution. J’ai besoin de trouver la façon de s'exprimer d’un personnage pour saisir vraiment qui il est, et pour la voix de Jo, j’ai adopté un ton détendu assez moderne”.

Jo reste néanmoins fidèle aux traditions dans son inébranlable dévouement à sa famille. Ce qui déclenche sa créativité, c’est son désir d’aider sa famille à alléger ses problèmes financiers en publiant des nouvelles. “Jo est entièrement dévouée à sa famille. Ses sœurs et sa mère sont tout ce qui existe pour elle. Elles se sont créé une sorte de nid dans leur maison et c’est là tout leur univers”, précise Saoirse Ronan. “Quand elles sont réunies, elle est rassurée, sociable et créative. Quand elle est avec des gens qu’elle connaît moins bien, elle est plus réservée. Il y a deux choses qui l’animent : ses sœurs et l’écriture”.

Saoirse Ronan s’est confrontée avec plaisir à la complexité de jouer une romancière qui puise ses plus grandes joies, déceptions et découvertes au plus profond d'elle-même. “En dehors de ses relations familiales, l’écriture est la seule façon pour Jo de comprendre le monde”, observe Saoirse Ronan. “Elle ressent le besoin d’écrire nuit et jour. Et même si elle ne le considère pas forcément comme une carrière potentielle (ce n’était pas une voie envisageable pour une fille comme elle), l'écriture fait partie intégrante de son identité. C’est dans l’écriture que Jo puise sa confiance en elle-même”.

            Saoirse Ronan a également été très inspirée par les scènes où elle et ses partenaires contribuent à créer l’atmosphère du foyer : “J’adore le fait que les March mènent une vie de bohème, où on les encourage à créer, à s’exprimer à travers leurs œuvres et à être transparentes les unes avec les autres. Elles se parlent en toute liberté”, remarque-t-elle.

La période où les quatre sœurs vivent seules avec Marmee devient un moment de beauté et d’unité inégalé. En grandissant, Jo se rend compte que cette époque est irremplaçable. Saoirse Ronan s’est également penchée sur les choix amoureux de Jo, qui hésite entre Laurie, le voisin qui l’aime éperdument et qui a été son ami le plus proche, et le professeur Friedrich Bhaer, plus froid et cérébral.

Jo a un rapport très complexe avec l’amour”, remarque-t-elle. “Avec Laurie, elle voudrait rester pour toujours dans cette relation platonique et pure qu’ils ont nouée pendant l’enfance. Friedrich représente autre chose pour elle : une nouvelle vie et la possibilité d’accéder au milieu intellectuel. Mais je pense que Jo n’envisage pas une seconde qu’elle puisse avoir des sentiments pour Friedrich jusqu’à ce qu’elle retourne au chevet de Beth qui est tombée malade. Jo s’est toujours promis de ne pas se marier, de ne pas faire la moindre concession. De nos jours, on peut assumer ce choix beaucoup plus facilement qu’à son époque”.

Saoirse Ronan conclut : “Je pense tout de même que la plus belle histoire d’amour de Jo est celle qu’elle partage avec sa mère et ses sœurs. Le cœur de l’histoire est le cheminement de ces jeunes femmes qui trouvent leur place dans le monde en essayant de créer du lien, comme nous tous en tant qu’humains”.

Meg/Emma Watson

            Meg, l’aînée des sœurs March, est souvent représentée comme la plus maternelle du quatuor, mais c’est aussi une perfectionniste entêtée qui sait exactement qui elle est et ce qu’elle veut. C’est cet aspect du rôle qui a plu à Emma Watson. L’actrice britannique a connu le succès dans le rôle d’Hermione dans la saga HARRY POTTER et s'est illustrée plus récemment dans LA BELLE ET LA BÊTE.

Ce que je trouve important chez Meg, c’est que son désir d’être une mère et une épouse est un choix féministe”, déclare Emma Watson. “On pense souvent que pour être féministe, il faut rejeter le mariage. Mais ce dont Meg a envie avant tout, c’est de trouver un partenaire. Comme elle le dit à Jo le jour de son mariage : 'ce n’est pas parce que mes rêves sont différents des tiens qu’ils sont moins importants'”.

Greta Gerwig ajoute : “Meg veut se marier et avoir des enfants, mais pour autant elle pourrait regretter de ne pas avoir épousé quelqu’un de riche. En relisant le livre, j’ai été frappée par les efforts de Meg pour réussir à concilier ses choix de vie”.

Emma Watson était intéressée par la possibilité d’aller au-delà des joies du mariage entre Meg et John Brooke, l'enseignant qui ne ménage pas sa peine : “En général, on voit les femmes se marier et l’histoire s’arrête là. Du coup, c’était intéressant de voir Meg endosser son rôle d’épouse et de mère, et tenter de faire vivre sa relation malgré les tensions ambiantes”, remarque Emma Watson. “La réalité pousse Meg dans ses retranchements. Cela l’oblige à se demander : ‘Est-ce que toutes mes convictions étaient justes ? Existe-t-il des fins heureuses ? L’amour peut-il durer toute la vie ?' On la voit se battre pour défendre ses rêves, car il faut mériter les bonnes choses qui nous arrivent dans la vie”.

Emma Watson estime que, même si Meg est très rationnelle, elle est aussi attirée par des aspects plus insaisissables de la personnalité de John, comme sa générosité et sa compassion : “John intervient toujours quand il y a une crise, il accomplit les tâches les moins valorisantes et c’est comme ça qu’il gagne le respect de Meg. Elle choisit un homme capable d’assumer ses responsabilités”.

James Norton, qui joue John Brooke, se souvient de sa rencontre avec Emma Watson : “Greta voulait explorer davantage notre couple”, dit-il. “On a donc décidé ensemble que ce serait un bon exercice de rédiger nos vœux de mariage. On s’est vraiment mis à nu et ça nous a beaucoup servis”.

Emma Watson poursuit : “Meg a envie d’épouser John parce qu’il a pris soin de son père quand il était blessé et qu’il s’occupe de sa mère et de ses sœurs comme si c’était sa propre famille. C’est ça qui lui importe le plus. Si Jo voit en John quelqu’un d’ennuyeux, Meg accorde une importance capitale au fait qu’il soit présent au quotidien aux côtés de sa famille”.

Beth/Eliza Scanlen

            Beth March est sans doute la plus introvertie et la plus fragile des sœurs March. C’est une musicienne passionnée dont la vie va être bouleversée à jamais par un épisode de scarlatine et elle laisse un souvenir impérissable à tous les lecteurs du roman. C’est Eliza Scanlen qui donne un nouvel élan au rôle. La jeune Australienne a été révélée récemment dans SHARP OBJECTS sous les traits d'Amma Crellin.

            Greta Gerwig déclare : “Beth n’a pas une vie facile, mais elle est aussi ambitieuse que ses sœurs. Et pourquoi pas ? C’est une March après tout. Elle a aussi des ambitions et je voulais qu’on le ressente. Pour moi, Beth a toujours été une figure à la Emily Dickinson, quelqu’un qui accède à une compréhension profonde du monde, sans jamais quitter son foyer”.

Beth est un personnage complexe”, affirme Eliza Scanlen. “À côté de ses sœurs, elle a l’air timide mais elle possède une énergie et une puissance discrètes auxquelles je peux tout à fait m’identifier. Je pense qu’on est tous, dans une certaine mesure, à la fois introvertis et extravertis, et j’espère que grâce à ce film, les gens comprendront que les introvertis ont aussi des choses à dire. Aujourd’hui, on vit dans un monde très extraverti où on plébiscite ceux qui s'expriment plus fort que les autres, qui vivent en groupe et débordent d’énergie. Je trouvais ça intéressant de trouver de la force dans la douceur, la bienveillance et la réflexion”.

Eliza Scanlen reconnaît que Greta Gerwig a permis aux actrices de plonger dans l'intimité des March : “Greta adore le théâtre et elle sait créer une atmosphère très familiale, avec ses disputes, ses cris et ses colères. Elle a un grand respect pour la façon dont l’enfance de ces filles a façonné leur vie. Elle n’a pas peur de montrer la méchanceté dont peuvent faire preuve les sœurs, même si elles s’admirent par ailleurs”.

Un des aspects les plus touchants de la courte vie de Beth, c’est qu’elle arrive à réunir de nouveau la famille à l’âge adulte. “C’est toujours un peu triste de grandir et on a du mal à voir les sœurs March partir chacune de leur côté”, estime Eliza Scanlen. “D’un autre côté, c’est beau de voir que les liens familiaux leur permettent de se retrouver. J’ai une sœur jumelle et mon amour pour elle est infini : je pense que c’est ce que ressentent les sœurs March”.

Amy/Florence Pugh

La cadette des sœurs March, Amy, a toujours divisé les lecteurs. Caractérielle et parfois malicieuse, elle impose souvent sa volonté aux autres sœurs, parfois même à Jo. Mais Amy Pascal remarque : “Le film offre un portrait d’Amy bien différent. Elle semble certaine de ses choix, elle espère devenir une grande artiste mais elle doit accepter que son talent de peintre ne soit que médiocre. Cette Amy est toujours très volontaire mais elle est également intelligente et admirable”.

Florence Pugh incarne cette nouvelle version d’Amy. Jeune actrice prometteuse, elle s’est faite remarquer dans des rôles très variés, de THE LITTLE DRUMMER GIRL de Park Chan Wook à OUTLAW KING : LE ROI HORS-LA-LOI de David Mackenzie et MIDSOMMAR d’Ari Aster. Florence Pugh a trouvé Amy intrigante et complexe sur le plan psychologique.

On voit souvent Amy comme la petite dernière gâtée parce qu’elle est impertinente et qu’elle rêve d’amour et de richesse”, reconnaît Florence Pugh. “Mais ce qui m’intéressait, c’est que cette Amy est une artiste animée avant tout par la volonté de se dépasser elle-même – et s'il faut se contenter d'être médiocre, pense-t-elle, alors autant ne rien faire du tout. Ce qui m’a tout de suite plu dans le scénario de Greta, c’est qu’elle donne à voir l’attirance d’Amy pour l’excellence, mais également ses failles bien humaines. Peut-être que nous ressemblons tous à Amy plutôt qu’à Jo”.

La relation entre Amy et Jo est empreinte de jalousie et de rivalité. Elle débouche sur un étrange triangle amoureux car Amy tombe amoureuse de Laurie, qui a toujours été épris de Jo. Florence Pugh souligne que les sentiments d’Amy pour Laurie sont entièrement sincères : “On connaît tous la douleur d’être amoureux de quelqu’un qui ne le sait pas, et c’est ce qui se passe entre Amy et Laurie. C’est compliqué et déroutant d’épouser l’homme qui était amoureux de sa sœur, mais c’est peut-être le mieux pour eux”.

C’est cet amour sincère et inconditionnel qui fait grandir Laurie. Son attirance pour Jo et sa demande en mariage sont le fruit d’un amour d’enfant. La relation qu’il noue plus tard avec Amy est l’amour d’un adulte qui a appris à s’aimer lui-même. Lorsqu’il rentre d’Europe, Laurie est devenu un homme bien différent du garçon qu’il était.

Tout comme ses partenaires, Florence Pugh a avant tout apprécié les liens qui perdurent entre les sœurs en dépit des conflits : “Ce lien est au cœur de l’histoire. Les sœurs sont capables de se soutenir ou de se détester mais tous ces sentiments semblent authentiques”, souligne Florence Pugh.

Saoirse Ronance explique que l’interprétation d’Amy par Florence Pugh a changé sa vision du personnage : “Florence a donné quelque chose à Amy que personne ne lui avait donné auparavant : du mordant. Ce n’est pas seulement une fille super féminine, elle a un feu en elle qui est incroyablement exaltant”.

Marmee/Laura Dern

            La matriarche de la famille March, surnommée affectueusement Marmee par ses enfants, est sans conteste l’un des personnages féminins les plus admirés de la littérature. C’est une mère qui, seule en pleine période de guerre, offre à ses enfants ce qui manque souvent dans l’éducation des jeunes filles : une confiance et un respect absolus. On a souvent vu en Marmee un emblème du sacrifice domestique. Cependant, Louisa May Alcott s’est inspirée de sa propre mère, Abby May, une militante notoire et une femme pleine d’esprit qui est loin d’avoir mené une vie calme et discrète. Abby était une suffragette passionnée, une abolitionniste, une réformiste et l’une des premières assistantes sociales des États-Unis. Cette infatigable rebelle est devenue pour Louisa May Alcott un mentor et une muse.

Abby a transmis à sa fille une curiosité intellectuelle, une confiance et un amour pour le monde. Abby ne supportait pas de voir des inégalités autour d’elle et elle ne tolérait pas les limites imposées aux femmes. Elle écrit dans son journal intime : “Une femme peut accomplir les tâches les plus désintéressées. Elle peut mourir un peu chaque jour au service de la vérité et de la justice. Pendant sa vie, on la néglige, et à sa mort, on l’oublie. Mais un homme qui n’a jamais accompli le moindre acte altruiste dans sa vie mais qui se trouve être un génie est acclamé par tous”.

Greta Gerwig voulait voir une telle flamme animer Marmee. Sa colère et son désir de changement frémissent sous la surface et contribuent à la grande liberté et à la soif de curiosité qu’elle inculque à ses filles. Elle a donc sollicité Laura Dern, dont le talent et la densité lui ont valu deux nominations aux Oscars, pour incarner Marmee et sa vie intérieure bouillonnante.

J’ai toujours pensé que si les March étaient une famille de génies, c’était grâce à Marmee”, précise Greta Gerwig. “Elle offre à ses filles un espace rassurant dans lequel elles peuvent donner libre cours à leur magnifique chaos. Mais je savais aussi que ce personnage irréprochable de Marmee était inspiré par Abby May, dont la vie a été un peu plus compliquée et difficile, et je voulais que Marmee ait cette dimension supplémentaire. On se dit souvent que Marmee accomplit des miracles avec ses filles, mais je voulais aussi montrer à quel prix les miracles se produisent”.

Laura Dern a fait connaissance avec le personnage pendant son enfance : “Je devais avoir 13 ans quand j’ai lu le livre”, se souvient-elle. “Je me souviens très bien du conseil que Marmee donne à Jo quand elle lui dit de ne pas réprimer sa colère : cela m’a beaucoup marquée. J'ai lu tellement d’histoires qui encouragent à censurer tout ce qui peut sembler affreux. Mais Louisa May Alcott nous pousse au contraire à accepter le désordre de la vie. Elle a créé un personnage de mère qui donne des conseils radicaux. Ça me semblait déjà radical dans les années 1980 ! Je pense que le roman livre un message que les lecteurs de toutes les générations ont besoin d’entendre : qu’on peut être soi-même, profondément et complètement et que personne ne peut nous enlever notre culot, notre colère, notre vulnérabilité, notre sensualité, notre humour, notre grâce. C’est ce qu’on est”.

Pour se rapprocher davantage de Marmee, Laura Dern s’est renseignée sur la vie hors du commun d’Abby May : “On pourrait facilement se dire que Marmee a une tendance toute victorienne à l’obéissance et à la sensibilité, mais on veut montrer que même si elle est de son temps, c’est aussi une insoumise”, note Laura Dern.

Après ses recherches, Laura Dern a eu encore plus d’admiration pour son parcours : “Quand j’ai lu la correspondance de Louisa et sa mère, je me suis dit : ‘Mon Dieu, encore aujourd’hui ce serait formidable pour une mère et sa fille de parler avec autant de liberté de ce que c’est que d’être une femme et de ses ambitions dans la vie’. C’était édifiant d’apprendre que cette franchise était au fondement de leur véritable relation”.

Laura Dern a travaillé étroitement avec Greta Gerwig et elle a beaucoup apprécié sa façon de pousser les acteurs dans leurs retranchements pour faire en sorte que chaque moment soit un peu plus vivant et dynamique : “Greta nous demandait d’être deux femmes qui discutent d’égale à égale. Marmee ne gronde jamais ses filles, même quand elles ont fait une erreur. C’est parce qu’elle a été élevée dans cette énergie que Louisa May Alcott a eu le courage de devenir l’écrivain qu’elle est devenue. Greta montre comment tout cela naît du respect de Marmee porte à ses filles”.

Saoirse Ronan a eu plaisir à se laisser surprendre par les innombrables nuances du jeu de Laura Dern : “Laura insuffle à Marmee quelque chose de très maternel et en même temps elle apparaît comme une femme forte. Parfois dans le film, Marmee semble sur le point de craquer et de s’effondrer mais elle se reprend et affiche un sourire devant ses filles. Laura est une actrice tellement talentueuse qu’elle arrive à exprimer tout un cheminement émotionnel en seulement quelques secondes à l’écran”.
  
Tante March/Meryl Streep

En grandissant, les sœurs March découvrent ce que la richesse peut apporter à une femme, grâce à leur Tante March, une veuve dont la fortune lui a permis de ne pas se remarier et surtout de dire ce qu’elle pense en permanence et sans retenue.

Greta Gerwig explique : “Marmee essaie de créer une sorte d’utopie pour sa famille, mais à l’inverse, Tante March vit dans le monde réel. Ce n'est pas une rêveuse comme Marmee. C’est elle qui dit aux sœurs : ‘Vous feriez mieux de comprendre comment affronter le monde parce que c’est difficile et que personne ne se souciera de vous’. Tante March a raison de dire que le monde ne répond pas toujours à nos attentes et qu’il faut savoir s'en sortir, mais Marmee a aussi raison de dire qu’on peut essayer de le changer”.

Meryl Streep reprend ce rôle qui mêle pouvoir et humour. “J’adore Meryl Streep, c’est vraiment la meilleure, et c’était sensationnel pour moi de la voir transmettre toutes ces idées dans le film”, confie Greta Gerwig. “Elle a tout de suite compris que Tante March est le pilier de la famille. Le personnage a pris beaucoup plus d’épaisseur que je ne l’imaginais quand j’ai écrit le scénario. Meryl Streep m’a démontré à quel point le point de vue de Tante March est recevable”.

Tout comme Tante March, Meryl Streep a eu un impact considérable sur les plus jeunes actrices : “C’était génial de pouvoir travailler avec Meryl et cela a compté énormément de l’avoir parmi nous”, déclare Saoirse Ronan. “J’ai une scène seule avec elle et c’était totalement surréaliste pour moi. Je voulais en profiter à fond et surtout ne pas gâcher ce moment pour nous deux”.

Meryl est hilarante dans le rôle de Tante March”, affirme Emma Watson. “C’est une prestation comique extraordinaire. Elle n’a absolument aucun filtre, c’en est tordant, et Meryl joue cela à la perfection”.

Hannah/Jayne Houdyshell 

            La fidèle Hannah est autant une amie pour les sœurs March qu'une gouvernante. Plusieurs fois citée au Tony Award, Jayne Houdyshell campe le rôle. Elle était, elle aussi, très attachée au roman qu'elle a lu pour la première fois à l'âge de 10 ans : "J'ai grandi dans une famille de quatre filles, si bien que c'était exaltant de découvrir cette famille extraordinaire avec ces quatre sœurs", dit-elle. "J'ai par ailleurs perdu une sœur quand j'avais 12 ans et la souffrance suscitée par un tel drame est dépeinte de manière bouleversante dans le livre".

            La comédienne se sentait également très proche d'Hannah : "Elle travaille pour les March depuis la naissance de ces quatre merveilleuses petites filles et les a accompagnées à chaque épreuve de leur vie", souligne-t-elle. "Elle leur permet d'avoir un regard différent des autres sur la vie".

            "On parle rarement de l'héroïsme des nourrices et des nounous", note Laura Dern. "Marmee et Hannah n'ont pas de relation d'employeur à employée. Ce sont deux femmes qui élèvent les filles. C'était formidable que Greta ait engagé Jayne qui dégage une sincérité, une fraîcheur et un humour incroyables. Le personnage qu'elle campe possède un toupet, une grâce et une franchise qui permettent de garder la famille soudée dans les moments les plus durs".

LES HOMMES DU FILM

            Louisa May Alcott a écrit sur le parcours de jeunes Américaines comme très peu d'auteurs l'avaient fait avant elle. Mais elle a également entouré ses héroïnes d'hommes – pères, époux, voisins, enseignants et amis – qui sont aussi extraordinaires que les femmes qu'ils aiment et soutiennent. C'est un autre paramètre central de l'adaptation de Greta Gerwig : "S'il y a bien un formidable aspect du livre que Greta a transposé dans son film, c'est le fait que les hommes respectent les femmes en tant qu'êtres humains. Ses personnages masculins sont les partenaires des femmes et, même aujourd'hui, on a encore du chemin à faire", déclare Amy Pascal.

            Pour les interprètes des principaux personnages féminins, c'était épatant de voir ces hommes camper les seconds rôles. Comme le signale Eliza Scanlen, "Greta évoque les hommes comme des témoins de la proximité magnifique entre les sœurs et montre qu'ils aimeraient partager cette proximité. Ce sont des rapports passionnants qu'on voit rarement au cinéma".

            "Ce qui est formidable dans LES FILLES DU DOCTEUR MARCH, c'est que les hommes sont secondaires", ajoute Bob Odenkirk qui campe le père de la famille March. "Ils ne sont pas insignifiants, mais seulement secondaires, car le film est axé sur les trajectoires des femmes".

Laurie/Timothée Chalamet

Quand les sœurs March se rendent compte qu'elles ont un jeune voisin qui a de l'allure – Theodore "Laurie" Laurence –, celui-ci devient un intime de la famille en même temps qu'un élément perturbateur qui finira par s'éprendre de deux des sœurs. Remarqué dans CALL ME BY YOUR NAME, qui lui a valu une citation à l'Oscar, et LADY BIRD de Greta Gerwig, Timothée Chalamet campe Laurie.

Pour Greta Gerwig, Laurie et Jo sont deux doubles inversés : "Jo est une fille avec un nom masculin", dit-elle, "et Laurie est un garçon avec un nom féminin. Il est comme le double inversé de Jo. La manière dont Timothée s'est approprié le personnage était féerique. En tant que spectatrices, nous nous sommes toutes imaginées en garçons car il y a énormément de protagonistes masculins et qu'on s'identifie à leur trajectoire. Mais Timothée, lui, est un garçon qui se projette dans un monde féminin. C'est donc franchement exceptionnel".

La complicité entre Chalamet et Saoirse Ronan a été totale. "Timothée rivalise d'élégance, de talent et d'émotion avec Saoirse – et c'était une nécessité absolue car Jo et Laurie sont deux âmes sœurs", note Amy Pascal.

Pour l'acteur, Laurie ne prend confiance en lui que lorsqu'il fait la connaissance des sœurs March. "Laurie n'a pas franchement eu une enfance idyllique", explique-t-il. "Il dispose d'une grande fortune, certes, mais il n'a jamais eu d'amis car il était scolarisé à domicile et qu'il passait le plus clair de son temps avec son tuteur, M. Brooke. Du coup, quand il découvre ces filles séduisantes qui lui donnent le sentiment d'avoir des racines, il mûrit".

Tout en gagnant en maturité, il a le cœur brisé par Jo. Si elle a toujours semblé être son âme sœur incontestée, leur amitié était hors normes – et Jo est bien consciente que leur relation serait bouleversée s'ils se mariaient. Chalamet estime qu'ils auraient pu être heureux dans un monde plus clément envers les femmes. "On peut penser que leur amitié aurait pu aboutir à une formidable vie de couple", dit-il. "Mais il est tout aussi possible que ces deux êtres si semblables aient pu se déchirer".

Cependant, les conventions sociales influent sur les rapports entre Laurie et Joe, puis entre Laurie et Amy. En devenant adultes, Laurie et Amy acceptent la plupart des contraintes imposées par la société, même si, au fond, ils s'aiment sincèrement. D'où cette conclusion : alors que l'amour de Laurie pour Jo était intense mais fugace, celui qu'il éprouve pour Amy est durable et profond.

Saoirse Ronan a été très heureuse de refaire équipe avec Chalamet dans un tout autre contexte que celui de LADY BIRD. "Comme on avait appris à se connaître sur LADY BIRD, on n'a eu aucun mal à retrouver une relation fraternelle", indique-t-elle. "Quand on tourne plusieurs fois avec le même partenaire, on se sent pleinement rassurés. Il est très courageux et prêt à prendre tous les risques, ce qui faisait de lui l'interprète idéal pour Laurie".

Friedrich/Louis Garrel

Quand Jo quitte sa famille pour enseigner à New York, elle rencontre un homme qu'elle considère – ou aimerait considérer – comme un collègue : le professeur Friedrich Bhaer qui l'impressionne par ses vastes connaissances littéraires et la déconcerte lorsqu'il critique ses écrits. Louis Garrel, connu à l'international pour avoir tenu le rôle principal d'INNOCENTS – THE DREAMERS de Bertolucci, campe Friedrich.

Pour le comédien français, Jo ne commet pas d'erreur en jetant son dévolu sur Friedrich, souvent diabolisé dans les précédentes adaptations du roman. Au contraire, il vit dans un milieu grisant dans lequel la jeune fille aimerait évoluer, si bien qu'il a une influence non négligeable sur ses émotions. "Il incarne le monde auquel elle désire appartenir et dont elle rêve : celui de la littérature et des intellectuels. Par ailleurs, quand deux êtres se rencontrent et qu'il se passe quelque chose entre eux, il arrive parfois qu'il n'y ait pas d'explication", dit-il.

Saoirse Ronan a particulièrement aimé la scène où Jo prend la critique de Friderich comme un coup de poing dans le ventre. À ses yeux, ce dernier cherche surtout à la préparer aux jugements subjectifs et aux rejets que tout jeune auteur doit affronter. "La séquence où Jo quitte la pièce comme une furie était jubilatoire", indique la comédienne. "J'ai adoré la tourner avec Louis. Il insuffle une véritable humilité à son personnage. Il a su donner une vraie sincérité à des dialogues très cinglants. On ne peut s'empêcher d'être séduit par son honnêteté – une forme d'honnêteté à laquelle Jo n'a jamais été habituée. Personne ne lui a jamais dit ses quatre vérités jusque-là et je crois qu'elle est profondément marquée par ce qu'il lui dit".

M. Laurence/Chris Cooper

            Si l'énigmatique et fortuné voisin des March, M. Laurence, par ailleurs grand-père de Laurie, pourrait s'avérer intimidant aux yeux des jeunes filles, il se révèle sensible et humain, en particulier pour Beth. Chris Cooper, comédien oscarisé vu récemment dans UN AMI EXTRAORDINAIRE, campe le rôle.

            "C'était formidable d'avoir Chris comme partenaire", déclare Eliza Scanlen. "Il a une vraie douceur qui se retrouve chez son personnage. Beth et lui pourraient sembler aux antipodes l'un de l'autre, mais se rejoignent dans leur quiétude. Ce que j'ai appris en le regardant travailler, c'est à quel point on peut réussir à maîtriser son jeu et son environnement. En tant qu'être humain, Chris possède cette force tranquille qui m'a vraiment permis de rester calme et d'exacerber ma sensibilité. Il fait partie de ces gens, très rares, qui ne s'expriment que lorsqu'ils l'estiment nécessaire. Je me sens très flattée qu'il ait pu me guider à ce point".

            Jayne Houdyshell, qui s'est produite à Broadway dans "Maison de poupée, chapitre 2" aux côtés de Cooper, intervient : "Je ne crois pas avoir jamais vu Chris dans un rôle comme celui de M. Laurence. C'était génial de le découvrir sous les traits de cet homme élégant, assez guindé et fermé, révéler sa sensibilité au contact des sœurs March".

Robert March/Bob Odenkirk

            Quand le père des sœurs March revient de la guerre de Sécession, sa présence apporte une forme de sérénité dans un foyer enclin à l'effervescence. Pour autant, il ne se considère en rien le chef de famille. Bob Odenkirk, à l'affiche de BREAKING BAD, BETTER CALL SAUL et NEBRASKA, a apprécié de jouer ce rôle qui défie les conventions.

            L'acteur souligne que l'auteur du roman s'est largement inspiré de son propre père – ou, du moins, de ce qu'elle préférait chez lui. Si Bronson Alcott n'a pas participé aux combats, il était enseignant, philosophe transcendantaliste, abolitionniste, réformateur, ami de Ralph Wado Emerson, libre penseur et souvent engagé dans d'importants projets. Mais il était aussi adepte d'expériences radicales : il a ainsi entraîné toute sa famille dans une communauté utopiste végétarienne, appelée "Fruitlands", où il n'y avait presque rien à manger.

            Après s'être abondamment documenté sur Bronson, Odenkirk a nourri son personnage de ses connaissances. "Bronson était un type intéressant", dit-il. "Un homme éclairé qui se battait pour les droits des femmes et des minorités. Il était passionné par les idées progressistes, mais il pouvait aussi être totalement perdu".

            Certains universitaires estiment que Robert incarne une figure paternelle idéalisée aux yeux de Louisa May Alcott. "Robert réunit toutes les qualités de Bronson Alcott", reprend le comédien. "Il croit dans l'émancipation des femmes et considère qu'elles devraient être libres de leur choix de vie".

            Il ajoute que c'était particulièrement gratifiant de jouer le père de jeunes actrices aussi épatantes. "Mes filles, dans le film, sont interprétées par les actrices les plus douées de leur génération et c'était un bonheur de leur donner la réplique. Leur énergie et leur complicité m'ont galvanisé au quotidien", dit-il.

John Brooke/James Norton

S'il se présente d'abord comme le tuteur de Laurie, John Brooke devient un vrai soutien pour les jeunes sœurs March – et s'éprend de Meg, tout en étant conscient qu'elle doit consentir d'importants sacrifices pour s'engager à ses côtés.

"J'ai toujours considéré M. Brooke comme une sorte d'autodidacte absolu, un type issu d'un milieu très modeste, mais qui est suffisamment brillant pour se former, seul, même s'il n'a rien sur quoi se rabattre", précise Greta Gerwig.

 L'acteur anglais, primé pour son travail pour le petit écran, tient le rôle. Pour Norton, John est "un homme spirituel, sérieux et profondément romantique". Mais loin de l'aborder comme un homme érudit, rigide et réservé, Norton insiste sur le fait que Brooke est abasourdi par l'énergie des sœurs March. "John est décontenancé lorsque des femmes débarquent dans sa vie, comme beaucoup d'hommes à l'époque", reprend l'acteur. "C'est une réaction attendrissante avec laquelle j'ai aimé jouer".

Norton a apprécié de ne camper qu'un second rôle parmi toutes les comédiennes. "J'ai été impressionné par les femmes qui ont mené à bien ce projet et c'était un honneur d'être un des hommes sur le banc de touche", dit-il. "Je me souviens d'un jour où la caméra filmait les quatre sœurs pendant que Louis, Timmy et moi étions à l'écart, en train de faire ce qu'on avait à faire, et on a adoré être là pour faire progresser les trajectoires des personnages féminins".

LES SOEURS MARCH ET LE MONDE :  IMAGE ET DÉCORS

D'emblée, Greta Gerwig savait qu'elle souhaitait plonger le spectateur dans l'univers vivant des sœurs March, dans toute sa beauté chaotique. Il était essentiel à ses yeux que leur foyer déborde d'énergie. De même, tandis que Jo et Amy tentent leur chance à New York et Paris, elle souhaitait immerger le public dans une époque propices aux philosophies d'avant-garde, aux mouvements d'art moderne, à la photographie encore balbutiante, aux soubresauts bellicistes et aux bouleversements dans la mode et la vision de la société.

Pour le style visuel, la réalisatrice s'est inspirée de tableaux de l'époque, des impressionnistes européens au maître américain Winslow Homer, mais pour mieux s'en détacher et dépeindre une atmosphère quotidienne vibrante où les événements les plus imprévisibles peuvent se produire.

Greta Gerwig a ainsi réuni une équipe de collaborateurs chevronnés. "Greta s'est entourée de formidables chefs de poste comme le directeur de la photo Yorick Le Saux, qui a collaboré avec Luca Guadagnino, le chef-décorateur Jess Gonchor et la chef-costumière Jacqueline Durran", souligne Amy Pascal. "Elle voulait travailler avec des artistes capables de donner encore plus d'ampleur à sa vision du film et de la bousculer – puis, à son tour, elle les a tirés vers le haut et les a bousculés".

Sa collaboration avec Le Saux s'est révélée un vrai plaisir pour la cinéaste : "Je voulais que ce soit vivant, alerte et beau", note-t-elle. "Je souhaitais qu'on retrouve dans l'image l'énergie de la jeunesse et que la caméra soit très mobile. Je tenais à ce qu'on ait le sentiment que la mise en scène réagissait, pour ainsi dire, aux sœurs March en temps réel – et j'étais certaine que Yorick, dont je connais le travail, possédait cette énergie, d'autant plus qu'il est au cadre. D'où une image très personnelle".

Ils ont convenu de tourner en pellicule. "Je voulais qu'on retrouve cette proximité avec le support photochimique de 1861", détaille la réalisatrice. "Yorick a éclairé le film avec tendresse et l'a tourné avec un enthousiasme qui correspondait parfaitement à mes intentions. Cela m'évoquait un tableau, mais qu'on n'aurait pas considéré comme figé : il fallait que les personnages puissent le traverser en toute liberté".

Gonchor, réputé pour son sens du détail dans les films des frères Coen comme NO COUNTRY FOR OLD MEN, TRUE GRIT (qui lui a valu une citation à l'Oscar), INSIDE LLEWYN DAVIS et LA BALLADE DE BUSTER SCRUGGS, s'est laissé guider par la modernité des personnages. "Le parti-pris de Greta était actuel et contemporain et il me parlait", dit-il. "J'avais le sentiment qu'on aurait pu transposer ces personnages dans le contexte de 2019 et qu'ils auraient été tout aussi passionnants, mais il se trouve qu'ils vivent dans les années 1860".

La maison des March était son principal décor. "Il fallait qu'on se dise qu'elle est un peu délabrée de l'extérieur, mais que dès qu'on y pénètre, on a l'impression d'ouvrir une boîte à bijoux en velours", raconte Gonchor. "L'intérieur est chatoyant, chaleureux et dégage une ambiance agréable. On voulait que tous ceux qui quittent la projection aient envie de s'y attarder".

Louisa May Alcott ne précise pas la petite ville où habitent les sœurs March, mais il semble, en toute logique, qu'elle se soit inspirée de Concord, dans le Massachusetts, où elle vivait elle-même. Il s'agit d'une ville où le passé et l'avenir se rejoignent puisqu'elle abrite à la fois plusieurs sites de la guerre d'Indépendance américaine et que s'y déroule "Walden ou la vie dans les bois", roman libertaire de Thoreau. Gonchor a ainsi exploité Concord dans ses moindres recoins afin de donner au film un dynamisme qui dépasse largement le cadre de la maison.

"Avec Greta, on souhaitait que le film ait du souffle et qu'on ne s'y sente pas confiné", précise-t-il. "On a soulevé pas mal de questions : quelle est la topographie des lieux ? À quelle distance se trouvent les voisins des March ? Où se situe la gare ? C'étaient des détails importants pour nous. Très en amont, j'ai dessiné une carte qui est devenue notre référence principale".

Au bout du compte, l'équipe de Gonchor a construit les extérieurs des propriétés des March et de Laurence côte à côte sur le même terrain, à Concord. (On y trouvait même un étang pour la scène, très attendue, où Jo et Laurie font du patin à glace et où Amy, très jalouse, tombe à travers la couche de glace.) "Je crois que c'est la première adaptation où l'on voit la topographie des deux maisons à l'écran et la manière dont ces deux familles deviennent amies", reprend Gonchor.

Il aura fallu trois mois à l'équipe de Gonchor pour construire la propriété des March de manière artisanale, en s'inspirant d'Orchard House – maison de Louisa May Alcott, parfaitement préservée et reconvertie en musée. "On retrouve la maison de l'écrivain dans les revêtements, la peinture et la simplicité de la demeure des March", explique le chef-décorateur. "Je voulais qu'elle évoque un champignon qui pousse dans le sol, presque caché, pour ne pas attirer l'attention. Étant donné qu'on ne pouvait pas acheminer de machines encombrantes pour niveler le sol et ériger les murs, il fallait s'y prendre à l'ancienne, comme on aurait procédé autrefois. Par chance, pendant trois semaines avant le début du tournage, la maison a été battue par la pluie et les vents, ce qui a ajouté au réalisme ambiant. Le jardin était même envahi par les mauvaises herbes, donnant une dimension très vivante aux lieux".

Jan Turnquist, directeur de l'Orchard House, se souvient : "Jess a passé pas mal de temps à s'imprégner de la maison et à en découvrir les moindres recoins. J'ai été très impressionné par le souci d'authenticité du film. Je crois que lorsqu'on part de la réalité et qu'on se l'approprie par la suite, le résultat peut se révéler spectaculaire".

Les intérieurs de la propriété – le rez-de-chaussée chaleureux et convivial, les chambres des filles et le grenier qui stimule l'imagination des sœurs – ont été créés dans un entrepôt de Franklin, dans le Massachusetts. De leur côté, les vastes espaces de la propriété plus cossue, mais aussi redoutablement calme, de Laurence sont ceux d'une grande demeure de Lancaster, également dans le Massachusetts. "On a découvert un immense domaine d'une cinquantaine de pièces où ne vivaient que deux gardiens, et c'est exactement ce qu'on cherchait", se remémore Gonchor. "C'est comme ça que j'imaginais M. Laurence et Laurie, dans cet espace désert et s'étendant à perte de vue".

S'il était impossible de filmer dans l'Orchard House en raison de sa taille modeste, Greta Gerwig a malgré tout tourné sur place, transformant l'école de philosophie et de littérature conçue par Bronson Alcott (l'un des premiers dispositifs d'éducation pour adultes du pays) en salle de classe pour Amy.

Pour reconstituer le centre-ville de Concord, Gonchor s'est servi de quartiers d'Harvard, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de là. "Il y avait déjà une église et un magasin d'alimentation générale datant de la fin du XVIIIème siècle et on a construit quatre bâtiments supplémentaires", explique-t-il. "Et puis, on a acheminé soixante tonnes de neige pour la période de Noël".

Lawrence, dans le Massachusetts, ancienne ville textile où vivait le poète Robert Frost, campe le New York des années 1868. "C'était un sacré projet", affirme Gonchor. "À New York, à l'époque, il n'y avait pas de bâtiment de plus de onze étages, si bien qu'on a pu construire nos propres maisons dans cette petite ville industrielle pendant six semaines. C'était exaltant de la voir se transformer en New York des années 1860".

Les scènes de la pension new-yorkaise où Jo travaille comme gouvernante ont été filmées à l'intérieur et à l'extérieur du Gibson House Museum de Boston, maison mitoyenne des années 1860 parfaitement préservée. Toujours à Boston, la production a tourné à l'Emerson Colonial Theater, utilisé pour le théâtre où Jo observe Friedrich assister à une représentation de "La nuit des rois", le Park Plaza Castle de style roman, exploité pour le German Beer Hall où Jo suit Friedrich, et le Seinert Building de style Beaux-Arts à proximité du Boston Common qui campe la maison d'édition de M. Dashwood.

Pour le Paris du XIXème siècle, la production a tourné au Crane Estate à Ipswich, situé sur le littoral du Massachusetts. "On ne pouvait pas se rendre en Europe", indique Gonchor, "et on a donc trouvé ce château opulent dans le Massachusetts où les jardins sont luxuriants et en bordure de mer. L'atmosphère, les couleurs, l'architecture et l'espace y sont totalement différents de la région de Concord".

Pour le trajet en calèche de Tante March et d'Amy à travers Paris, la production a réussi – un exploit ! – à obtenir l'autorisation de tourner dans les jardins de l'Arnold Arboretum, où aucune caméra n'avait jamais pénétré. Conçu par Frederick Law Olmsted, et appartenant aujourd'hui à Harvard University, l'Arboretum est considéré comme l'un des plus beaux sites naturels de Boston.

"C'était un vrai défi de reconstituer le Paris des années 1860 à Boston", reconnaît le régisseur d'extérieurs Douglas Dresser. "Dès qu'on a repéré l'Arnold Arboretum, on a compris que c'était l'endroit qu'il nous fallait".

Mais ce n'était pas gagné d'avance. Au départ, la direction du site était réticente. Elle a d'ailleurs toujours refusé les demandes de tournage. Pour autant, l'importance du livre de Louisa May Alcott a fait bouger les lignes.

"Je me suis tout d'abord dit que ça risquait de perturber notre quiétude", souligne William Friedman, directeur de l'Arnold Arboretum. "Mais j'ai repensé aux 'Quatre filles du docteur March' et au fait qu'il appartient à l'histoire de la Nouvelle-Angleterre. J'ai eu le sentiment que le moment était venu de rendre hommage à un livre aussi emblématique de notre région et qui a touché tant de lecteurs. On a également considéré que cela pouvait sensibiliser les spectateurs à l'importance des espaces verts. Car notre institution est née en s'inspirant des vastes espaces publics européens".

Greta Gerwig tient à saluer le sens du détail de Gonchor qui est allé jusqu'à laisser des traces noires sur les murs des pièces éclairées à la bougie. "Jess a compris que je voulais imaginer un monde où l'on pourrait vivre car il est ancré dans la réalité", dit-elle. "Il a saisi que déposer de la poussière et de la crasse dans la maison permettrait au film de vibrer. Et il a aussi compris que la maison devait se transformer. Il y a cette chaleur propre à l'enfance qui, à l'âge adulte, cède le pas à un décor un peu plus froid, un peu plus sombre".

LA CRÉATION DES COSTUMES

            Rares sont les histoires dans lesquelles les costumes constituent un tel lien entre les personnages, leur personnalité et leur époque. Pour LES FILLES DU DOCTEUR MARCH, Greta Gerwig a donc fait appel à la costumière Jacqueline Durran, qui a travaillé sur des films d’époque sublimes comme ORGUEIL ET PRÉJUGÉ et ANNA KARÉNINE, qui lui a valu un Oscar, mais aussi sur les films plus intimes et actuels de Mike Leigh. C’est ce mélange que Greta Gerwig recherchait pour LES FILLES DU DOCTEUR MARCH.

Jacqueline a parfaitement compris que je recherchais quelque chose de très travaillé et d'authentique, qui ressemble à des vêtements de tous les jours et pas à des costumes. C’est ça qui donne cette impression de modernité”, affirme Greta Gerwig. “Je voulais que tous les éléments de costume aient fait l’objet de recherches et puissent être justifiés, mais je voulais aussi qu’ils donnent l’impression d'appartenir à l’univers des March”.

            Jacqueline Durran avait lu le livre quand elle était petite et l’avait adoré, mais elle n’avait jamais vu aucune adaptation. Elle a décidé de ne pas le faire : “J’ai pris pour point de départ la vision de Greta et son scénario”, explique-t-elle. “Elle avait déjà fait de nombreuses recherches pour cerner le monde des Alcott, ce foyer d’artistes, de libres penseurs et de progressistes. Cela constituait déjà une solide base de départ”.

            Jacqueline Durran a approfondi les recherches avec Greta Gerwig pour mener à bien un de ses projets les plus denses en matière de costumes. Elles ont compulsé ensemble de vastes collections de photographies victoriennes, notamment les travaux de Julia Margaret Cameron, une photographe du XIXème siècle qui s’est inspirée de sa passion pour la littérature pour réaliser des photos d’enfants et de familles et les montrer sous un jour nouveau. “Dans les années 1860, c’était le tout début de la photographie, et les artistes-photographes proposaient des choses très intéressantes”, souligne Jacqueline Durran.

La costumière s’est également plongée dans la peinture de l’époque : “Une des influences majeures du film est bien sûr l’impressionnisme, à la fois du côté européen et du côté américain un peu plus tard. Mais pour moi, c’est Winslow Homer qui a été une vraie révélation”, déclare Jacqueline Durran à propos de ce peintre américain connu pour ses paysages maritimes et champêtres qui illustrent la relation primitive entre l’homme et la nature. “J’ai senti que son œuvre était vraiment cohérente avec ce qu’on essayait de construire. D’ailleurs, le chapeau un peu informe que Jo porte pendant la scène à la plage est un hommage au tableau de Winslow Homer 'High Tide'".

Jacqueline Durran a commencé par définir deux univers distincts : d’un côté, il y a la maison des March, à l’atmosphère bohème, libre et créative que Marmee encourage, et de l’autre, il y a le reste du monde avec ses myriades de possibilités, mais aussi ses règles plus strictes et ses enjeux plus élevés. Elle a aussi fait circuler des éléments de costume d’une sœur à l’autre et d’une époque à l’autre, pour montrer leur attitude économe.

Elle a défini une palette de couleurs très identifiable pour chaque sœur : Jo est entourée de teintes rouge vif, Meg de nuances romantiques vertes et lilas, Beth est dans un rose doux et Amy dans un joli bleu ciel. Meg et Amy portent souvent la crinoline typique des femmes de cette époque, tandis que Jo évite les corsets et que Beth, dont la santé est fragile, privilégie les robes plus confortables qu'elle portait enfant.

Jacqueline Durran voulait avant tout que chaque sœur puisse se sentir elle-même : “C’était important pour moi que chacun de leurs styles soit l’expression de quelque chose. Elles ont toutes une vision du monde différente, mais leurs points de vue ont autant de valeur les uns que les autres”, rappelle-t-elle.

Elle poursuit : “Jo est un garçon manqué. Elle veut avoir la même liberté qu’un garçon et elle s’identifie tellement à Laurie qu’ils n’arrêtent pas de s’échanger des vêtements. Elle porte toujours des couleurs prononcées, quand ce n’est pas du rouge, c’est un bleu indigo profond ou quelque chose qui se voit”.

Meg, qui est romantique et adore le théâtre, porte des vêtements d’inspiration médiévale, comme dans un conte de fée. Le style néogothique était très à la mode à cette époque. Beth est quant à elle la plus enfantine des sœurs et elle reste le plus souvent à la maison. Elle n’a pas eu la chance de grandir et de découvrir le monde à l’extérieur, si bien qu'elle reste dans des tons rosés et doux”.

Amy est celle qui suit le plus la mode, et avant même qu’elle ne se rende en Europe, elle a toujours l’air jeune, déterminée et chic”.

Marmee a représenté le plus gros défi de Jacqueline Durran : “Elle a tellement de facettes différentes ! Elle est à la fois maternelle et radicale. J’espère que ce qui ressort le plus dans sa façon de s’habiller c’est le côté pratique : elle doit pouvoir se mettre tout de suite en mouvement quand on a besoin d’elle à la maison ou à l’extérieur. On voulait aussi indiquer avec subtilité l’influence de Marmee sur ses filles, si bien que son style se retrouve dans leurs tenues”.

            C’est Tante March, incarnée par Meryl Streep, qui porte les tenues les plus historiques : “Elle a un costume strictement victorien, sans les écarts que se permettent les sœurs”, explique Jacqueline Durran. “Elle incarne le monde réel qui entoure les sœurs March et cela s’accorde à merveille avec l’interprétation de Meryl”.

            Jacqueline Durran a eu la chance de travailler avec deux légendes du costume britannique pour confectionner les multiples tenues du film. Christine Edzard (LA PETITE DORRIT) lui a donné accès au fonds de costumes de Sand Films, une véritable machine à remonter le temps. Jon Bright, qui a été récompensé aux Oscars pour CHAMBRE AVEC VUE, a également de nombreuses pièces très originales dans son atelier.

"Je me suis beaucoup inspirée de Christine qui a créé les costumes de LA PETITE DORRIT sans le moindre recours à une machine – et c'est là son parti-pris", indique Jacqueline Durran. "Elle connaît sur le bout des doigts les tissus et la mode du XIXème siècle et elle a collaboré aux costumes de Jo, Beth et Laurie. La démarche de John est radicalement différente, mais c'est un expert tout aussi passionné : c'est lui qui a conçu les costumes de Tante March. Le fait qu'ils me donnent tous les deux leurs conseils m'a permis de me souvenir qu'il n'y a pas qu'une seule façon de s'y prendre en matière de costume d'époque".

Alors que le tournage s'approchait, Jacqueline Durran a commencé à collaborer avec les comédiennes principales. "Chacun des costumes est né d'un mélange de références, d'inventions et de l'interprétation personnelle qu'en propose chaque acteur", dit-elle. "C'est comme ça que l'on crée les costumes".

Les actrices, de leur côté, étaient ravies que la chef-costumière contribue ainsi à enrichir leur jeu. "Jacqueline sait qu'un comédien découvre son personnage à travers ses tenues vestimentaires", observe Emma Watson. "C'est parfaitement vrai : toutes ces épaisseurs qu'on enfile le matin vous permettent de vous plonger dans la mentalité du personnage, des chaussettes aux bijoux. Jacqueline se met totalement au service des acteurs".

Quand le tournage s'est achevé, le travail de la réalisatrice ne faisait que commencer. En effet, la structure narrative est née au montage où Greta Gerwig a collaboré avec Nick Houy, qui avait déjà monté LADY BIRD. Dans le même temps, elle s'entretenait avec Alexandre Desplat, deux fois oscarisé, pour la musique.

"Je voulais que la musique soit classique, tout en étant originale dans son classicisme même", indique la cinéaste. "Avec Alexandre, on voulait que les mélodies soient audacieuses, sans craindre le lyrisme. Quand les héroïnes deviennent adultes, la musique est plus épurée. On pourrait croire qu'on entend une boîte à musique au début du film, et qu'il n'en reste que quelques notes dans la deuxième partie. Alexandre sait à merveille utiliser la musique pour créer un univers".

"Créer un univers" : c'est sans doute ce qu'a fait Greta Gerwig avec LES FILLES DU DOCTEUR MARCH. Un univers qui évoque ce qu'a vécu Louis May Alcott à son époque, mais qui aborde des thèmes d'une grande actualité pour le public d'aujourd'hui. "C'était un projet que je portais au plus profond de moi", conclut la cinéaste. "Je voulais raconter l'histoire de femmes artistes, de femmes qui gagnent de l'argent, de femmes qui font des choix et de leur manière de dompter l'audace de leur adolescence une fois devenues adultes. Parfois, on a le sentiment que lorsqu'on suit son intuition concernant un projet, le reste du monde va dans votre sens. Cette histoire continue de nous toucher parce qu'il s'agit d'une œuvre profondément humaniste. Elle parle de liens familiaux et de rapports humains, et elle n'est pas davantage destinée aux femmes qu'aux hommes, et c'est ce qui explique qu'elle a traversé les époques et les cultures".

Amy Pascal ajoute : "Si cette histoire est aussi actuelle, c'est parce qu'elle parle du désir des femmes d'être fortes à leur manière, mais aussi d'être aimées et respectées. Ce livre nous dit aussi qu'il faut se battre pour construire un monde où les femmes ont le droit de vivre de leur art et d'assumer leur pouvoir – et où chacun doit être en paix avec son identité".

Le roman résonne encore parfaitement en 2019, notamment grâce à ces quelques phrases pleines d'optimisme de Louisa May Alcott : "J'aimerais faire quelque chose de magnifique… quelque chose d'héroïque ou de merveilleux qui me survivra. Je ne sais pas encore de quoi il s'agit, mais je guette le moment où ce quelque chose surgira. Et j'ai bien l'intention de vous surprendre un jour".

Source et copyright des textes des notes de production 
@ Sony Pictures Releasing France

  
#LesFillesduDocteurMarch

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