Comédie/Malgré de petits défauts, c'est une jolie découverte, un film qui a du cœur
Réalisé par Julien Guetta
Avec Eric Judor, Laure Calamy, Brigitte Roüan, Philippe Duquesne, Déborah Lukumuena, Satya Dusaugey...
Long-métrage Français
Durée : 01h24mn
Année de production : 2017
Distributeur : Le Pacte
Date de sortie sur nos écrans : 25 juillet 2018
Résumé : Alex, 43 ans, est dépanneur automobile dans le garage que dirige d'une main de fer sa mère. Un jour, il dépanne une jeune femme et passe la nuit chez elle, mais au petit matin elle a disparu lui laissant sur les bras trois enfants.
Bande annonce (VOSTFR)
Ce que j'en ai pensé : ROULEZ JEUNESSE est une comédie dramatique française à petit budget qui s'en sort très bien pour nous entraîner dans son aventure touchante. Ce film a quelques défauts : son scénario n'évite ni certaines caricatures ni des situations parfois convenues et son rythme est un peu bancal. Cependant, son histoire a du cœur et cela vient contrebalancer ses manquements. Le réalisateur, Julien Guetta, établit bien les différentes ambiances (la petite entreprise de dépannage, la maison familiale bordélique, la planque du célibataire endurci) qui cohabitent dans son long-métrage. Il garde une cohérence de ton et sa narration est fluide.
Eric Judor interprète Alex, un homme-enfant, qui va voir sa vie chamboulée par une rencontre inopinée. L'acteur porte le film sur ses épaules et il le fait très bien. Il est juste et attachant dans ce rôle.
Les enfants sont absolument adorables et naturels, ce qui facilite la compréhension des réactions d'Alex pour les spectateurs.
Les seconds rôles sont, dans l'ensemble, assez solides.
ROULEZ JEUNESSE est un film qui raconte une histoire simple qui sait fait ressortir la tendresse, malgré une thématique sociale de fond dure. Il n'est pas larmoyant. Même s'il ne déborde pas d'originalité, il sait parler aux émotions des spectateurs. On a plaisir à partager ce moment avec l'acteur principal. C'est une jolie découverte.
NOTES DE PRODUCTION
(Á ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
ENTRETIEN AVEC JULIEN GUETTA
Votre film
ROULEZ JEUNESSE est loin des schémas de narration classique : Alex,
le personnage principal (Éric Judor) vit encore chez sa mère à 43
ans mais a peu en commun avec les adulescents qu’on croise au
cinéma.
Ce n’est pas parce qu’un personnage vit encore chez sa
mère à 43 ans qu’il ne s’assume pas et qu’il est considéré
comme un Tanguy. Je ne voulais pas inscrire mon film dans la lignée
des comédies sur les adulescents, je suis plus inspiré par des
films comme 5 PIÈCES FACILES. Alex n’est pas un handicapé de
service, il est indépendant, comme il le dit, il vit « à côté de
chez sa mère, pas chez sa mère ». C’est un type qui roule toute
la journée, seul, il ne se prend pas la tête avec les filles... Et
c’est l’aventure qu’il va vivre en se retrouvant avec trois
jeunes enfants qui va l’amener à changer. Doucement le film glisse
vers quelque chose de plus dramatique. J’ai toujours en tête ce
personnage que l’on retrouve souvent en littérature ou au cinéma
: un mercenaire, un solitaire individualiste qui en se frottant à
l’altérité va décider de servir la cause d’un autre, le
secourir et devenir « chevalier ». Là où le film se démarque,
c’est qu’à la fin de l’histoire, Alex ne doit pas régler
seulement ses problèmes mais ceux des enfants.
Pour autant, le
personnage ne devient pas forcément un héros modèle.
Les enfants
sur lesquels tombe Alex sont vraiment abandonnés. Le désarroi et
les pulsions de rejet qu’il a à leur égard, puis son attachement
progressif n’iront pas jusqu’à les lui faire adopter. Alex ne
devient pas leur père mais une présence amie qui sera toujours là
pour eux.
Comme LES VENTRES VIDES et LANA DEL ROY, vos deux
précédents courts métrages, ROULEZ JEUNESSE traite des liens
familiaux.
C’est vrai, c’est un sujet récurrent dans mon travail
car il s’impose à moi. Comment se construire avec l’héritage
familial ? Comment continuer à vivre quand il y a des absents ou au
contraire quand il y a un membre qui prend trop de place ou toute
l’attention ? Ce qui m’intéresse, ce sont les relations dans une
famille déconstruite, reconstruite. Toutes ces questions liées à
la filiation, à la transmission, aux fratries, me passionnent…
ROULEZ JEUNESSE démarre sur un rythme de comédie échevelé – les
scènes sont coupées très cut, les péripéties s’enchaînent –
jusqu’à faire basculer tout doucement le film vers le drame. Un
drame d’où l’humour n’est d’ailleurs jamais complètement
exclu.
Tout l’enjeu du film était de réussir à amener le
spectateur sur un terrain auquel il ne s’attend pas. Je savais le
virage difficile à négocier mais j’y tenais énormément. L’idée
était d’affronter les situations mises en place et d’aller
jusqu’au bout. J’aime faire un cinéma divertissant mais profond,
drôle mais sérieux, qui puisse mélanger drame et comédie. C’est
ce que j’apprécie dans les films britanniques.
Le rythme effréné de la première
partie était-il déjà présent à l’écriture ?
Absolument, je
tenais à ce que le film aille vite, soit toujours en mouvement, que
les événements s’enchaînent à toute allure et qu’il soit
court. C’était un vrai plaisir dès le moment de l’écriture de
fabriquer ce rythme.
Combien vous a-t-il fallu de versions avant
d’arriver à celle du film ?
Beaucoup. Il a fallu beaucoup d’étapes
pour arriver à la version finale. Au début de l’écriture, Alex
était juste un type irresponsable et immature. Je sentais que mon
personnage manquait de profondeur. Au fond un personnage clé me
manquait, celui de la mère. À partir du moment où j’en ai fait
la patronne du garage où travaille Alex, tout s’est enchaîné
rapidement. Le film avait trouvé son sens et mon héros son vrai
problème.
Une mère qui empêche son enfant de grandir alors qu’elle
l’exhorte constamment à saisir ses responsabilités.
Exactement.
La transmission n’est pas un processus facile. Mon père et mon
frère travaillent ensemble dans l’entreprise familiale et je vois
bien comme mon père peine à laisser les rênes à mon frère. C’est
complexe car il ne cesse de le pousser à s’investir davantage mais
il n’arrive pas à lui céder totalement la place. Leur relation
m’a inspiré pour poser le rapport entre Alex et Antoinette.
Face
aux trois enfants qu’il découvre livrés à eux-mêmes après sa
nuit d’amour avec une inconnue, Alex a une réaction d’épouvante
qui frôle le burlesque : il cherche à tout prix à se débarrasser
du dernier, un nourrisson qu’il est prêt à glisser de force entre
les grilles de l’école où vont les plus grands. Se fait jeter par
un officier de police au commissariat qui lui indique qu’il doit
patienter trois jours avant que sa requête soit prise en compte.
Affronte enfin une assistante sociale qu’il a eu le malheur de
délaisser. On est en plein délire…
J’ai voulu pousser les
scènes jusqu’au bout pour apporter de la comédie. Je voulais
mettre mon héros dans l’impasse totale ; tout lui tombe dessus, ça
ne s’arrête jamais. Chaque situation nouvelle amène le personnage
à se découvrir. Et nous, spectateurs, on comprend ainsi de mieux en
mieux toutes ses facettes.
Parlez-nous de ce trio de mécaniciens
décalé, paresseux et fantasque que vous faites fonctionner comme
une sorte de chœur qui commenterait les événements…
C’est un
trio attachant qui amène de la comédie et de l’humanité, qui
inscrit le garage dans un univers loufoque. J’adore ces seconds
rôles qui enrichissent un film ; chaque personnalité ouvre sur
d’autres univers.
Avez-vous tout de suite songé à Éric
Judor pour le rôle d’Alex ?
Pas immédiatement. Mes producteurs et
moi étions en quête d’un quarantenaire connu : des noms
émergeaient mais ça manquait de surprise. Je commençais à
désespérer lorsqu’un jour, j’ai croisé Éric Judor qui sortait
d’une maison de production. J’ai eu un flash et ai aussitôt
appelé les producteurs qui ont trouvé l’idée géniale. Éric a
aimé le scénario, c’était parti. Je trouvais qu’il incarnait
un homme moderne, avec une présence physique à l’américaine,
avec de l’humour. Et le challenge pour moi était de l’emmener
dans un genre qu’il n’avait jamais joué, plus dramatique. Tout
de suite, c’est devenu pour moi une des ambitions du film : le
montrer comme on ne l’avait encore jamais vu au cinéma. Et c’était
précisément ce qui m’intéressait : réussir à emmener ce
comédien qui véhicule ne image très forte de comédie vers une
note plus grave, inattendue, qui cueille le spectateur. Il a été
formidable. Éric est un acteur incroyable.
Le reste du casting est également très
surprenant…
Avec Éric, qui a un univers très
fort, la charpente était posée. J’ai eu envie de réunir autour
de lui des acteurs très différents et de les emmener autre part,
j’aime mélanger les genres. Dans ROULEZ JEUNESSE, on retrouve
Deborah Lukumuena, l’actrice de DIVINES, Maxence Tual, qu’on a vu
dans APNÉE, Brigitte Rouän et Philippe Duquesne qui viennent chacun
d’autres familles de cinéma. Certains comédiens comme Madeleine
Baudaut, qui interprète l’une des garagistes, n’avait encore
jamais tourné au cinéma.
Comment avez-vous trouvé les enfants ?
On a vu beaucoup d’enfants en
casting, ça a pris du temps. J’ai revu les trois enfants plusieurs
fois avant de me décider et ces quelques séances nous ont permis de
mieux nous connaître. Nous avons beaucoup répété ensemble.
Parallèlement, ils travaillaient chacun de leur côté. C’était
d’autant plus difficile pour le petit Ilan qui n’avait que six
ans et ne savait pas encore lire : il a dû apprendre son texte par
cœur. J’ai été bluffé par sa façon de travailler sur le
plateau, son intuition, sa complicité avec Éric, sa faculté à
écouter l’autre acteur, c’est un vrai comédien. Il a aussi
fallu mettre en confiance Louise qui est une jeune fille sensible et
très timide. Elle était très stressée pour la scène de l’annonce
de la mort de la mère mais elle a su transformer son stress en une
émotion qui me bouleverse à chaque fois que je vois la scène.
De quelle manière travailliez-vous
avec eux ? Éric Judor participait-il à ces séances ?
Dans un premier temps, nous nous sommes
vus uniquement avec les enfants, nous avons répété à trois. Je
leur ai expliqué ce qu’était un tournage, comment allait se
dérouler les prises, etc. Éric est ensuite arrivé pour des
répétitions tous ensemble. Il était important qu’ils se
rencontrent et je tenais à ce que nous répétions la scène où il
leur annonce la mort de leur mère. C’était capital pour moi
d’être sûr qu’elle fonctionnait. Je réécris toujours au
moment des répétitions en fonction des propositions des acteurs,
ils me nourrissent énormément.
Comment avez-vous abordé le rôle
d’Alex avec Éric Judor ?
On s’est vus souvent et on a fait
beaucoup de lectures du scénario. Éric apporte énormément dans ce
type de séance : pour le rythme, notamment. Il écrit, il réalise,
je n’ai eu aucun problème à prendre les idées qu’il apportait.
Vous connaissiez l’acteur comique.
L’acteur dramatique vous a-t-il surpris ?
Dès les répétitions, je savais qu’il
relèverait le pari, il y avait tout de suite une sensibilité, une
fragilité qui se dégageaient de lui. Éric maîtrise parfaitement
la comédie mais j’ai été fasciné par ce qu’il peut donner
dans le drame.
Avec de telles ruptures de ton, on
imagine que le film a été très découpé en amont ?
Avec peu de temps de tournage, un
chien, des enfants et une voiture sur le plateau, c’était d’autant
plus indispensable que nous n’avions pas énormément de moyens.
J’avais envie que le film soit beau, lumineux ; on a beaucoup
travaillé en amont avec mon chef opérateur et la complicité d’une
directrice artistique. Il n’y avait pas vraiment de place pour
l’improvisation, les répétitions ont été fondamentales.
Votre personnage principal est entouré
de femmes fortes qui le bousculent pendant tout le film.
C’est vrai. Plus il avance, plus ce
sont les femmes qui lui donnent une direction à prendre. Certaines
sont là pour le remettre à sa place ou l’inspirer dans ses choix
– même Tina, la plus jeune de toutes. Les femmes sont de toute
façon toujours plus matures que les hommes et particulièrement dans
mon film !
Aviez-vous des références
cinématographiques en tête ?
J’aime plusieurs styles de cinémas.
Ken Loach pour qui j’ai une admiration sans borne – il n’a pas
peur d’amener de la comédie dans le drame. Scorsese pour sa
faculté à entraîner le spectateur vers quelque chose de
flamboyant, sa façon d’amener du mouvement en permanence.
Spielberg pour la façon dont il dirige les enfants…
L’image est de Benjamin Roux… un
nouveau venu.
Nous nous sommes connus à Émergence,
où je développais mon scénario. Benjamin a fait une très belle
lumière et j’aimais l’idée que ce soit aussi un premier film
pour lui. Thomas Krameyer, qui avait déjà signé la musique de mes
courts, a également fait son baptême du long avec ROULEZ JEUNESSE.
J’aimais l’idée que ce soit aussi une première fois pour eux.
Vous accordez une grande place à la
nature…
C’était très important et cela nous
a pris beaucoup de temps durant les repérages. Il s’agissait de
raconter une histoire difficile, forte mais je voulais malgré tout
que le film soit lumineux. J’ai tenu par exemple à ce que
l’annonce de la mort se passe en une fin d’après-midi d’été
où la lumière raconte plus l’espoir que la mort. Cela apporte
quelque chose au film.
Un mot sur le montage…
L’enjeu était de trouver un
équilibre entre comédie et drame. Tout était une question de
dosage. Ça a été un moment long et intense.
Pouvez-vous nous parler des musiques du
film ?
Je voulais quelque chose de groovy qui
soit à l’image de mon personnage. La musique accompagne la
direction artistique du film, atemporelle… Il y a du Queen, du
Moody Blues, du Nick Drake ; ils nourrissent mon univers.
ROULEZ JEUNESSE offre une fin très
ouverte…
À la toute fin du film, on est heureux
de voir Alex et les enfants réunis. Il est resté quelque chose de
leur aventure. Alex a grandi, il dirige l’entreprise même si sa
mère est toujours très présente. Il est proche des enfants mais
ceux-ci ont quand même été placés en famille d’accueil. Il se
dégage alors une douce joie teintée de mélancolie. La vie va
continuer malgré les drames, c’est le début d’une histoire pour
Alex et les enfants.
ENTRETIEN AVEC ÉRIC JUDOR
Quelle a été votre réaction en
découvrant le scénario du film ?
Je l’ai trouvé formidable. Avec,
quand même, un gros point d’interrogation : je n’avais aucune
idée de ce qu’avait réalisé Julien auparavant. Or, selon la
personne qui réalise ce type de projet – un projet quand même
très risqué puisqu’il mélange la comédie et le drame – soit
on tombe dans la franche rigolade, et c’est loupé ; soit on nage
en plein drame et ça devient mièvre. J’avais besoin de savoir à
qui j’avais affaire. J’ai demandé à Julien de visionner un de
ses derniers courts métrages, LANA DEL ROY. Sa direction d’acteurs
– le jeu des enfants notamment –, et la justesse de ses scènes
m’ont bluffé. J’étais partant.
ROULEZ JEUNESSE est très différent de
tout ce que vous avez fait jusqu’ici.
C’était très nouveau, et je
trouvais justement que ça pouvait être une nouvelle étape pour
moi. J’ai pensé : « S’il transpose la direction artistique du
court sur ce film-là, ça peut être vraiment bien. »
Qu’est-ce qui vous séduisait
particulièrement ?
Le rythme du début, que je trouve
extrêmement malin. J’adore cet enchaînement de personnages qui se
succèdent dans la dépanneuse d’Alex. Ce sont des scènes courtes,
très drôles, on ne voit absolument rien venir. Et puis peu à peu,
par paliers, assez subtilement, le spectateur embarque vers autre
chose.
Comment décririez-vous Alex, votre
personnage, à ce moment-là ?
Alex, c’est moi à 27 ans. J’avais
le même rapport avec mes parents que celui qu’il a avec sa mère ;
je travaillais juste assez pour pouvoir me payer des super vacances
et le reste du temps, je vivais chez eux comme à l’hôtel. Je ne
m’en faisais pas. Jusqu’à ce qu’un événement vienne changer
net ma vision… Et c’est exactement ce qui se passe pour lui. Sa
rencontre avec les enfants l’oblige à devenir responsable. Ils
sont plus matures que lui : ça finit par le secouer, il comprend
qu’il a un sacré retard à rattraper.
Sa prise de conscience est loin d’être
immédiate…
Il se fout carrément des mômes au
départ, ce qui permet d’enchaîner sur des scènes de comédie. Et
puis à un moment, le déclic se produit. Je crois beaucoup à ces
micro-événements qui changent le cours d’une vie. Une seconde
peut suffire à prendre une nouvelle direction. Récemment, j’ai
regardé un documentaire sur l’évolution de la musique ces vingt
dernières années. Ce film a clairement réorienté ma propre façon
d’aborder mon avenir artistique. J’ai compris que je devais
évoluer. La culture et les supports changent, il faut savoir changer
de cheval quand le sien est fatigué et que l’on se sent arriver au
bout des choses. Je suis comme Alex, prêt à un nouveau départ.
Vous êtes acteur, auteur, réalisateur
et producteur. Est-ce un handicap lorsqu’on se lance sur un premier
long métrage ?
Cherche-t-on au contraire à prendre le
pouvoir ? Ni l’un ni l’autre. Évidemment, on a un avis et on
espère que le réalisateur le partage. Mais c’est aussi
intéressant qu’il défende ses arguments. J’aime les gens de
conviction qui me répondent, me convainquent, parce que cela veut
dire qu’ils ont du style. Et ce n’est nullement une question de
premier ou de dixième film. Certains cinéastes soi-disant
expérimentés n’ont aucune idée de ce qu’ils veulent faire et
avancent à vue, et j’ai beaucoup de mal avec ça. Très
clairement, Julien savait où il allait. On vous connaît dans le
registre comique.
Comment réussit-on à doser ses effets
sur un film qui joue autant sur les ruptures de ton ?
Au début, j’avais tout le temps
envie de pousser les chevaux. Sur toutes les scènes. J’en
rajoutais des caisses et Julien n’arrêtait pas de me freiner. Au
bout d’une semaine, il a réussi à me convaincre de gommer des
choses et puis, enfin, un jour, il m’a dit : « Voilà, il est là,
ton personnage ! » À partir de ce moment, j’ai à peu près
réussi à naviguer comme il le souhaitait même si, de temps en
temps, j’essayais de rajouter un gag. Et plus on avançait dans le
tournage et mieux je comprenais où il voulait m’emmener. Je
faisais moins d’écarts.
Quel directeur d’acteurs est Julien
Guetta ?
Il a une musique dans sa tête et tant
qu’il ne la retrouve pas sur le plateau, il nous fait refaire la
scène. Il nous est arrivé de tourner la même séquence jusqu’à
trente prises.
Le drame est un terrain que vous
n’aviez encore jamais exploré. Avez-vous eu du plaisir à vous y
confronter ?
C’est la première fois que
j’interprète un personnage que les événements affectent – que
ce soit dans mes films ou dans PLATANE, la série que je réalise sur
Canal+, je reste toujours en dehors, les choses glissent sur moi.
Avec Alex, c’était différent : je ne me suis jamais livré comme
ça sur un plateau, je me suis complètement ouvert et, d’une
certaine façon, c’était horrible. Pour la scène dramatique de
fin avec les enfants, j’étais effondré. C’était un moment
vraiment affreux, j’ai pleuré toute la journée et mis
vingt-quatre heures à m’en remettre. Je ne sais pas comment font
les autres acteurs. Moi, j’ai vraiment vécu le truc.
Racontez.
Nous l’avons tournée quinze jours
après le début du film – Julien m’avait laissé un peu de
répit. J’avais eu le temps de rentrer dans mon personnage et de me
familiariser avec l’équipe et les enfants. J’ignorais
complètement dans quel état je serais : si je serais ému, si
j’aurais besoin de me recueillir dans ma loge, si je réussirais à
reparler normalement aux gens après… En temps normal, lorsque je
suis un mode comique, j’essaie toujours de maintenir un climat de
plaisanterie avec les techniciens, je les mets dans ma poche, je les
fais rire avant la scène, et je sais qu’ils riront pendant. Là,
impossible. Je n’avais plus d’alliés. Je ne savais pas si
j’étais capable de jouer ce qu’on me demandait. Je ne peux pas
dire que cela m’a ennuyé de jouer cette scène mais j’y ai
laissé quelque chose de moi, un moment d’émotion fort que je
préfère garder pour ma famille – ma vraie femme, mes vrais
enfants. Ce n’est pas un hasard si je suis devenu humoriste. Je
suis pudique, je n’aime pas montrer ce que je ressens. Pourtant,
paradoxalement, c’est beaucoup plus facile que de faire rire. On
donne davantage, c’est plus déchirant. Mais, techniquement, c’est
plus facile.
Parlez-nous du travail avec les
enfants.
Avec Ilan, le petit garçon, j’avais
l’impression de jouer avec Ramzy jeune : c’est une vraie boule
d’énergie. Ilan était très jeune et Julien se montrait très
exigeant avec lui. On dit toujours qu’il n’y a rien de pire que
de tourner avec des enfants et un chien. En réalité, c’est bien
pire de tourner avec Ramzy ; il est plus chien fou que les trois
enfants et le chien réunis !
Cela fait des années que Ramzy opère
un virage au cinéma avec des rôles plus dramatiques…
C’est quelque chose qu’il aime et
en quoi il excelle. Il a vraiment cela en lui.
On a, au contraire, l’impression
qu’avec ROULEZ JEUNESSE, vous avez éprouvé l’envie d’un «
one shot ».
L’avenir le dira. J’ai le sentiment
d’avoir laissé quelque chose de moi dans ce film. Alors que mon
vrai moteur, c’est de m’amuser. Je ne retrouve pas ça dans le
drame. Mais j’avance en âge, les choses évoluent. Finalement,
tout est une question de rencontres. Vous êtes très critique envers
les comédies mainstream… C’est vrai. Je les trouve
catastrophiques. Elles s’emparent systématiquement de thèmes qui
parlent au plus grand nombre. Elles sont mièvres, mal écrites, mal
filmées, les arrière-plans sont bâclés, les gags déjà vus deux
cent mille fois. Et le public les plébiscite. ROULEZ JEUNESSE, au
contraire, prend des chemins de traverse. C’est ce genre de film
que j’ai envie de défendre.
La fin de ROULEZ JEUNESSE, par exemple,
ne se clôt pas par un happy end.
C’est ce que j’aime parce que c’est
la vie. Ce type et ces mômes ont des vies cassées mais ils
reprennent le dessus. Ils ont tout à inventer et ça, c’est la
vraie vie. Ça me va !
Vous préparez une nouvelle saison de
PLATANE. Votre vie à vous consiste de plus en plus à tout contrôler
en occupant tous les postes. Pourquoi ?
C’est une règle que je me suis fixée
depuis déjà longtemps. Notre démarrage a été très chaotique,
avec Ramzy ; nous avons été parfois contraints de défendre des
choses qui ne nous ressemblaient pas. L’expérience m’a appris
que, si je voulais être fier de ce que je présentais, je devais
être présent à toutes les étapes. C’est devenu vital pour moi.
Vous avez vécu un gros échec avec LA
TOUR DE CONTRÔLE INFERNALE. Cela vous affecte ?
J’avais des attentes sur ce film, j’y
avais mis beaucoup d’idées neuves, des rôles secondaires
formidables… ça n’a pas pris. Et oui, j’ai été déçu.
Et quand vous tournez pour les autres ?
C’est un entracte. Un entracte
heureux. Avez-vous toujours ce projet de réaliser votre projet de
film sur ZORRO ? Plus que jamais. Je suis en train d’écrire et
c’est Laurent Lafitte qui interprétera Zorro.
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