Drame/Un très beau film maîtrisé, juste et touchant
Réalisé par Jeanne Herry
Avec Sandrine Kiberlain, Gilles Lellouche, Élodie Bouchez, Miou-Miou, Olivia Côte, Stéfi Celma, Youssef Hajdi...
Long-métrage Français
Durée : 01h55mn
Année de production : 2018
Distributeur : StudioCanal
Date de sortie sur nos écrans : 5 décembre 2018
Résumé : Théo est remis à l'adoption par sa mère biologique le jour de sa naissance. C'est un accouchement sous X. La mère à deux mois pour revenir sur sa décision...ou pas. Les services de l'aide sociale à l'enfance et le service adoption se mettent en mouvement. Les uns doivent s'occuper du bébé, le porter (au sens plein du terme) dans ce temps suspendu, cette phase d'incertitude. Les autres doivent trouver celle qui deviendra sa mère adoptante. Elle s'appelle Alice et cela fait dix ans qu'elle se bat pour avoir un enfant. PUPILLE est l'histoire de la rencontre entre Alice, 41 ans, et Théo, trois mois.
Bande annonce (VF)
Ce que j'en ai pensé : la réalisatrice, Jeanne Herry, impressionne avec PUPILLE. Son film est aussi maîtrisé techniquement que sur la transmission de la palette d'émotion qui accompagne le délicat sujet de l'adoption. Il est si bien fait qu'on a le sentiment de voir un documentaire sur le sujet. Le sujet central est profondément touchant puisqu'il s'agit d'un nourrisson et de son futur.
Le film n'est jamais larmoyant et n'essaie surtout pas de faire dans la surenchère d'émotions dégoulinantes, ni dans le jugement rapide et sans fondement. Au contraire, il s'affirme comme étant parfaitement juste et pédagogique dans tous ses aspects. Il met en avant le travail de tous les professionnels qui tour à tour jouent un rôle essentiel dans la destinée de ce petit bonhomme qui se retrouve face à un mot dur, mais qui n'est pas une fatalité : l'abandon. Le faisceau d'amours qui se déploie autour de lui ne le laisse pas seul face à cette première épreuve de la vie. On découvre depuis sa maman biologique jusqu'à sa maman d'adoption, l'aventure de ce petit bout de chou qui fait chavirer les cœurs.
Les acteurs sont tous impeccables. Ils apportent chacun une personnalité ainsi qu'une sensibilité particulière et crédible à leur protagoniste.
PUPILLE est un film remarquable. Il nous fait traverser avec justesse et pudeur les étapes du mot adoption qui fait souvent raisonner des sentiments mitigés à priori. Pourtant, à la fin de ce film, on ne peut s'empêcher de l'associer avec le mot amour, et ça, c'est une très belle réussite.
Le film n'est jamais larmoyant et n'essaie surtout pas de faire dans la surenchère d'émotions dégoulinantes, ni dans le jugement rapide et sans fondement. Au contraire, il s'affirme comme étant parfaitement juste et pédagogique dans tous ses aspects. Il met en avant le travail de tous les professionnels qui tour à tour jouent un rôle essentiel dans la destinée de ce petit bonhomme qui se retrouve face à un mot dur, mais qui n'est pas une fatalité : l'abandon. Le faisceau d'amours qui se déploie autour de lui ne le laisse pas seul face à cette première épreuve de la vie. On découvre depuis sa maman biologique jusqu'à sa maman d'adoption, l'aventure de ce petit bout de chou qui fait chavirer les cœurs.
Les acteurs sont tous impeccables. Ils apportent chacun une personnalité ainsi qu'une sensibilité particulière et crédible à leur protagoniste.
PUPILLE est un film remarquable. Il nous fait traverser avec justesse et pudeur les étapes du mot adoption qui fait souvent raisonner des sentiments mitigés à priori. Pourtant, à la fin de ce film, on ne peut s'empêcher de l'associer avec le mot amour, et ça, c'est une très belle réussite.
Copyright photos @ StudioCanal
NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
Pourquoi ce sujet, l’adoption, s’est-il imposé à vous ?
Il
est peu traité au cinéma, et pas comme ça, je crois. Les films évoquent la
recherche des origines, la quête de l’enfant et parfois aussi celle de l’adopté
pour retrouver ses parents plus tard, mais assez peu le moment où le bébé est
remis à l’adoption. Le sujet est étranger à ma vie intime, j’ai eu deux enfants
biologiques mais j’ai une amie dont je suivais le parcours d’adoption. Je
sortais de mon film ELLE L’ADORE, travaillais sur une pièce de théâtre, je
cherchais un sujet, quand cette amie m’a laissé un message qui a tout
déclenché. Elle me disait « on m’a appelée, ils ont un bébé pour moi, un bébé
français, je le vois dans 4 jours, si tout va bien, il est chez moi dans 8
jours ». Le mélange d’euphorie et de panique dans sa voix était fascinant. Je
me suis demandé pourquoi elle était surprise que ce soit un bébé, et un bébé
français, et que les délais soient si courts. J’étais allumée de l’intérieur
par sa façon de vivre l’événement. Je lui ai demandé la permission d’aller plus
loin, de rencontrer les intervenants sociaux, étant entendu que je ne
raconterais pas son histoire. Je suis partie dans le Finistère où j’avais un
contact. J’y suis allée plusieurs fois et j’ai compris que la tâche de ces
travailleurs sociaux était de trouver des parents pour un bébé, pas de trouver
un enfant pour des parents en manque : ce fut une révélation. J’ai trouvé des
dispositifs de fiction intéressants dans la matière documentaire. Ces séquences
de face-à-face, le fait de parler sans arrêt au bébé, car Françoise Dolto est
passée par là, tout ce que je découvrais représentait de futures pépites de
mise en scène.
Il y a eu documentation et décantation, la masse de procédures
de l’accouchement sous X jusqu’à l’adoption n’alourdit pas le film, elle l’inscrit
au contraire dans le réel. Cette façon de décrire un enchaînement vertueux, de
la naissance d’un bébé sous X à son adoption, sans temps morts, huilé comme une
mécanique de précision.
Quand
j’écrivais, je me disais, on a une équation simplissime, une femme qui ne veut
pas de son enfant, et une autre femme qui veut un enfant. Maintenant, il faut
nourrir, étoffer cette équation qui est belle et sèche comme un énoncé de
logique. Et raconter tout ce collectif qui se mobilise et se met en branle pour
rendre cette équation possible. Le film traite d’une addition de manques qui
vont devenir un plus.
Les acteurs jouent avec des bébés ou des poupons en plastique ?
Comme
c’est un film qui met en scène la réceptivité des bébés au langage verbal, il n’était
pas question de prendre des risques, de les mettre dans des situations potentiellement
traumatisantes, des scènes où ils auraient entendu « ta mère n’a pas voulu de
toi », etc. Les acteurs parlaient avec des poupons en plastique, y compris à la
fin, quand Élodie rencontre Théo et se fissure en lui expliquant combien elle
est chavirée de rencontrer son fils.
C’est par le regard que tout arrive, que se noue le lien avec un
bébé. On se regarde, on naît à l’amour dans le regard de l’autre. Le film est
un ballet de regards croisés.
Les
professionnels et les travailleurs sociaux parlent beaucoup de l’observation,
des regards croisés sur une situation, pas seulement pour la maman et le bébé ;
leur travail c’est de la subjectivité, élaborer des portraits. Deux
travailleurs croisent leurs regards et leurs avis sur chaque candidat à l’adoption.
D’où le titre, PUPILLE…
J’aime le jeu sur le
sens, pupille de l’État et pupille du regard. Je portais beaucoup d’attention à
la place de mon regard d’ailleurs, je me suis demandé tout au long de la
réalisation quel était mon point de vue, sur chaque séquence, et comment, et d’où
regarder chaque personnage. Et aussi où regardait chaque personnage.
Impossible de faire le film sans Sandrine Kiberlain ?
Depuis
notre précédent film, je cherchais à retravailler avec elle. Elle m’inspire
énormément. Il y a une rencontre évidente entre les mots que j’écris et la
façon qu’elle a de les interpréter. Mais c’est difficile de combler une actrice
à laquelle tous les rôles sont proposés…
Elle est votre double ?
Une
sorte de double amélioré de moi, un double idéal. C’est comme ça que je le vis.
J’aime Sandrine dans des rôles comme celui-ci, une femme qui porte tout le
monde. Solide, consciencieuse, précise, fantaisiste, drôle. Le bébé est porté
par Gilles et Gilles est porté par Sandrine. Elle désire aussi, sans être
désirée en retour.
Élodie Bouchez, candidate à l’adoption, évolue dans le film de
la vulnérabilité à une inébranlable certitude sur une durée de 8 ans ?
Elle
est un peu éteinte au début dans son couple, elle raisonne « à deux », mais peu
à peu elle trouve son autonomie. Elle est travaillée par la vie, éprouvée, mais
elle rebondit, au court de cette petite dizaine d’années. Avancer est une
volonté chez elle. J’ai choisi Élodie, car elle était parfaite pour incarner
une femme très solaire, éclatante, discret petit soldat, forte sans être une caricature
de bulldozer.
Elle a un métier très particulier dans le film, audiodescriptrice
au théâtre pour des aveugles. Filmer les personnages dans l’exercice de leur
métier permet de mieux les appréhender ?
J’aime
les métiers. J’aime découvrir les gens au travail, dans la vie comme dans les
films. Dans PUPILLE, on découvre avant tout des travailleurs, puis les hommes
et femmes derrière le métier, la raison sociale. Dans le cas d’Alice, je la
voyais comme l’encadrée, la femme qu’on prend en charge, et je voulais que l’encadrée
encadre, ne soit pas la seule à être assistée. J’ai découvert ce métier étrange
en répétant une pièce de théâtre ; il y a avait un type habillé tout en noir
qui se glissait dans la salle, et qui m’a montré son métier. J’ai rencontré
plein d’audiodescripteurs, ils font partie de la représentation mais sont
décalés. C’est ludique et altruiste. Alice audiodécrit L’Ours de Tchekhov, mon
auteur dramatique adoré, où il y a un coup de fusil avec effet comique raté.
Pourquoi cette place prépondérante à un homme qui pouponne,
Jean, joué par Gilles Lellouche ?
L’univers
autour de l’adoption est déjà très très féminin, j’ai donc choisi un bébé
garçon, et un assistant familial homme. J’avais rencontré un homme au cours de
mes recherches, car le métier commence à se masculiniser. Mais j’ai raisonné en
termes de cinéma, pas de genre pour le genre. Revisiter les gestes du soin
apporté à un bébé en les faisant jouer par un homme, c’était stimulant, différent
à filmer. Un homme, et si possible un homme un peu viril, qui a incarné une
masculinité crâne au cinéma, c’était l’assurance d’un étonnement pour moi et le
spectateur, d’une image forte.
Et pour Gilles Lellouche sans doute aussi… ?
C’est
un corps, Gilles, épais, sensuel. Un bébé c’est charnel, et ça fonctionne entre
eux. Et puis il n’est pas un assistant social, il est un assistant familial
choisi par les gens du social. C’est l’homme du quotidien, que je me suis amusée
à filmer en homme au foyer ; un idéal masculin solide, responsable, sérieux,
drôle, dans un couple inversé, avec une femme qui travaille dehors, gagne de l’argent
et qui l’incite à continuer à bosser, malgré ses états d’âme.
Clotilde Mollet, qui joue la recueillante, introduit une étrangeté
qui tranche sur le réalisme du film. Son phrasé, son physique légèrement
désuet, tout est naturellement décalé et fascinant avec elle.
Elle
est une immense actrice de théâtre, mais pas seulement. Elle a joué dans UN
HÉROS TRÈS DISCRET, AMÉLIE POULAIN, INTOUCHABLES, LA CRISE… J’aime son naturel
absolu. Elle est comme ça dans la vie. Quand elle dit « je suis une tombe », ou
n’importe quelle expression toute faite, banale, elle réallume les mots et les
fait vivre de l’intérieur.
Et permet qu’une séquence improbable, comme celle où elle
explique au bébé ce que sa mère biologique n’a pas voulu lui dire, soit un
moment d’émotion. Pourtant, sur le papier, vous deviez vous dire « ça passe ou
ça casse… » ?
Oh
oui alors. J’avais peur que les gens se disent « c’est n’importe quoi !! ».
Mais tout est mis en place pour que ce soit plausible. Le bébé sort de sa
léthargie et rentre dans la vie lorsque les blancs de son histoire sont comblés
par une parole vraie délivrée par Clotilde, qui « l’autorise » à s’engager dans
ce projet d’adoption.
Les face-à-face d’Élodie avec son assistante sociale sont filmés
comme des confrontations musclées mais bienveillantes.
Parler
c’est penser, et accoucher d’une action. C’est de la maïeutique. PUPILLE est un
film sur le langage, le courage de la mise en mot, et sa nécessité. C’est pour ça
que le parcours de l’adoption est si dur pour certaines personnes, parce qu’on
demande à ces gens de s’expliquer inlassablement, de se regarder être, de
mettre des mots sur les ressorts les plus secrets ou obscurs de leurs désirs,
de leurs existences, de verbaliser.
Pourquoi le film se déroule-t-il en province ?
Il
y a une loi nationale pour les protocoles de l’adoption, mais chaque
département peut changer des petites dispositions de ce protocole à la marge.
Et j’ai enquêté dans le Finistère pour l’écriture. Je connais très bien leur façon
de faire. La Bretagne fait partie de mon histoire, c’est l’endroit de la mer,
et de la mère.
Votre film est optimiste : les gens travaillent bien, les débats
sont féconds, les solutions se trouvent, toujours, les amours impossibles
peuvent déboucher sur des camaraderies professionnelles, le collectif, ça
marche. L’optimisme est votre nature profonde ? PUPILLE veut être optimiste
dans une période ou le soupçon, la défiance, le désenchantement sont croissants
?
Tous
ces protocoles autour de l’adoption, je les ai trouvés fantastiques, avec un
degré de civilisation et de pensée formidable. J’aime bien mon époque mais il y
a un peu d’hystérisation dans l’air. Les endroits où les gens pensent et font
confiance au collectif me rassurent. Je me rends compte que le film regarde
favorablement l’accouchement sous X. Celles qui remettent leur enfant le
feraient de toute façon, seules et mal. Il y a donc dans ce dispositif un degré
de civilisation remarquable. Même si je sais la souffrance des pupilles qui se
construisent sur un gouffre, un manque. Mais plus encore, c’est un film sur le triomphe
du collectif. C’est un accélérateur de particules, c’est euphorisant de faire
des choses ensemble, un film, ou une réunion au terme de laquelle on trouvera
une famille pour un enfant.
Un dernier mot sur votre mère, Miou-Miou, qui a un rôle de
Coordonnatrice ?
C’est
une immense actrice. Elle ne pouvait pas ne pas être là, dans une ode au
collectif. Elle démarre le film, sa voix, que j’adore, elle donne le « la » à
toute l’équipe !
Vous et Jeanne c’est une longue complicité qui remonte à son
premier film.
J’ai
aimé la scénariste avant d’aimer la personne. J’ai reçu le script de ELLE L’ADORE,
et j’ai fait tout ce qui était possible pour que le film se monte. Jeanne a de
nombreuses qualités, elle est drôle intelligente et sensible. Elle est intègre.
C’est une idéaliste, sur le monde et les gens. C’est une pure et cette vision
du monde irrigue le film. Ce que me faisait dire Pierre Salvadori dans APRÈS
VOUS pourrait résumer son film et son éthique : « j’ai tendance à ne retenir
que le bon des gens. » Quand elle m’a envoyé le scénario de PUPILLE, j’ai été séduite
par sa construction, à la SHORT CUTS, par l’éloge de la solidarité, du
collectif qui s’en dégage, et je suis naturellement entrée dans la ronde.
Quelle directrice d’acteurs est-elle ?
Précise
et confiante. Elle sait ce qu’elle veut, mais accueille les suggestions avec
plaisir, parce qu’elle se fait confiance. Il n’y a pas de névrose dans l’air.
Jeanne aime le travail d’équipe, son bonheur sur le plateau est contagieux !
Votre personnage, Karine, est une travailleuse sociale à la fois
enfantine et puissante, une femme déterminée et un peu paumée.
Oui, mon personnage
Karine assure, elle encadre, elle rassure les autres. Notamment Jean, l’assistant
familial dont elle est amoureuse, mais quelque chose d’étrange est fiché à l’intérieur
de son cœur, une inquiétude.
Quand
elle s’adresse au bébé qu’adoptera Alice, elle le fait avec une voix un peu
monocorde parce qu’elle est légèrement à distance, impliquée mais à distance.
Et elle mange sans arrêt des bonbons, un tic drôle et révélateur
?
Caractériser
un personnage avec un détail aussi ludique, j’adore.
C’est
Jeanne qui a trouvé ce tic, Karine mange tout le temps des bonbons, ça la
rattache à tous ces enfants qui gravitent autour d’elle, et c’est le signe du
manque d’amour qu’il faut combler avec du sucre, du doux.
Avec tact et franchise, Jeanne Herry filme une histoire d’amour
impossible entre vous et Jean, l’assistant familial, viril et maternel. Un
homme, un vrai ?
Un
homme qui respecte sa femme, qui est doux avec son entourage, instinctif avec
les bébés, séduit mon personnage car il a en plus de l’humour. Ce type idéal est
joué par Gilles Lellouche.
J’aime
aussi le couple qu’ils forment avec sa femme dans le film. Entre eux, on sent
que ça vibre, c’est sensuel et charnel.
La
vision de Jeanne sur l’homme moderne est en phase avec l’évolution des femmes
et des hommes. Par ailleurs, dès que Gilles prenait un bébé dans les bras, le
petit était calme, souriant, ses yeux le suivaient, le bébé était extatique.
Gilles a un fluide, une capacité à apaiser les bébés. Je crois que c’était très
émouvant pour lui.
Et Élodie Bouchez, avec qui vous jouez dans un contexte très
émotionnel ?
Je
l’admire depuis longtemps. J’aime sa nature frémissante. Elle est très
impressionnante dans la scène où elle s’adresse à son bébé.
Élodie
a fait deux prises, et c’était terrassant d’émotion et de justesse.
Le sujet de PUPILLE vous était-il familier ?
Sincèrement,
je n’avais aucune idée de ce que représente le parcours de l’adoptant en
France, même si des amis proches l’ont effectué, et j’ignorais tout de l’existence
de cette chaîne humaine qui oeuvre pour trouver une famille à un bébé
abandonné. J’admire Jeanne d’avoir mis ce sujet en lumière.
En vous confiant le rôle de Jean, la réalisatrice souligne combien
les métiers traditionnellement féminins de l’assistance familiale se
masculinisent. Là aussi vous étiez surpris que des hommes s’occupent de bébés
et d’enfants en attente de familles ?
Surpris
et épaté ! Tant mieux ! Je sais que mon personnage doit beaucoup à un Jean qui
est bien réel, et qui exerce ce métier d’assistant familial du côté de Brest.
Jeanne avait beaucoup documenté mon personnage, si bien écrit, avec humour et
tendresse.
Auquel vous apportez votre présence massive, protectrice et
virile.
Je n’ai pas beaucoup
d’autres alternatives que d’incarner ce que je suis. Viril, oui, je veux bien,
mais ce qui me désole c’est lorsqu’on me voit comme un macho ou même un «
hétéro-beauf », comme j’ai pu le lire il y a quelques années. Mon personnage
dans PUPILLE était écrit avec une telle bienveillance que je me suis glissé
dans un bloc de tendresse et de délicatesse qui ne va pas sans angoisse, sans
doute. J’aime profondément ce Jean qui vit dans un cocon domestique, s’attache
avec lucidité à un bébé qui ne passera que quelques mois chez lui, comme s’il
était son fils, et s’active en cuisine pour sa femme ! J’adore que Jeanne Herry
fasse dire à ma femme dans le film : « j’aime pas quand tu fais rien, t’es pas
sexy quand tu fais rien. » Les hommes ont changé, peuvent changer, vont changer…
Je suis papa d’une petite fille de 9 ans, et la différence d’attitude est telle
entre le père de famille que je suis et mon père avec moi qu’on dirait un autre
monde ! Tout ça est la matière de PUPILLE et nourrit mon personnage.
Jeanne Herry est comédienne, auteure et réalisatrice : comment
vous a-t-elle dirigé ?
Cette
femme est formidable, pleine de vie et d’envie, elle regarde les acteurs avec
amour, peut-être effectivement parce qu’elle connaît le métier d’expérience.
Les réalisateurs ont parfois peur des acteurs, pas elle. La relation est
ludique, riche, jamais contraignante.
Vous jouez avec Sandrine Kiberlain, qui éprouve pour vous une
passion disons… asymétrique. Comment s’est déroulé le travail entre la
Katharine Hepburn française et vous ?
Immense
joie d’avoir travaillé avec Sandrine ! C’est simple, elle est formidable et
elle a ce truc, cette grâce que j’aime profondément chez les acteurs, et qui
est rarissime, elle respire l’intelligence du jeu. Mathieu Amalric a ça, aussi.
Elle est délicieuse dans la vie et dans le travail.
Parlez-moi d’Elodie Bouchez, l’adoptante, avec laquelle Jean
fait un délicat travail de pédagogie pour qu’elle ait confiance en elle dans la
relation avec son bébé.
Je
dois dire que j’ai été impressionné par son implication émotionnelle et
physique de chaque instant. Encore plus impressionné par ce moment où elle s’adresse
au bébé, elle est offerte, dans un état de vibration incroyable. Dès notre
première scène, je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose d’exceptionnel
dans son interprétation.
PUPILLE fait le pari politique du collectif et de l’entraide, vous
souscrivez à cela ?
J’endosse totalement
son message, son espérance, son utopie même, d’un retour à la solidarité, ce
mot qu’on vide peu à peu de son sens. En déconnant pendant le tournage, je
disais à Jeanne : « les spectateurs de ton film se diront que ça vaut la peine
de payer des impôts »… Nous les râleurs, les sceptiques face aux services de l’État,
nous voyons là la démonstration éclatante que l’argent public va contribuer à
cette greffe, une adoption heureuse, et pas à la construction d’un rond-point
de plus ! Ça rejoint ce que j’ai voulu exprimer dans mon film LE GRAND BAIN, la
foi dans le collectif, l’humain, le refus du tout-technologique…
Le sujet vous touchait-il ?
J’ai
des amis qui ont adopté, mais je ne savais rien sur ce sujet avant de jouer
dans PUPILLE, sauf que chaque histoire est unique. Le scénario était
incroyable, une écriture assurée, une construction audacieuse, comme un ballet
tentaculaire autour de la naissance et du destin de ce petit bébé. Je pensais à
SHORT CUTS en le lisant, j’étais impressionnée.
Avez-vous fait des recherches ou rencontré des mères adoptives ?
Jeanne
ne me l’a pas demandé, je me suis pliée à sa méthode. Tout était clair et
limpide dans le parcours d’Alice. Son cheminement est long, faire un enfant à l’intérieur
de son couple est problématique, mais ce destin assez solitaire permettra à la
fin la greffe, l’adoption. Je vois dans ce personnage une ode à la confiance,
confiance dans le destin, et dans la bienveillance des travailleurs sociaux qui
l’accompagnent.
Jouer avec un poupon de plastique dans la scène où vous rencontrez
Théo, votre bébé, c’était frustrant, ou ça ne changeait rien ?
Je
l’avais oublié ! Jeanne me l’a rappelé il y a peu. J’étais tellement concentrée
que j’ai fait ce que je devais faire, sans me poser de question. C’était un
bébé pour moi, mon bébé, j’ai perdu ma voix, j’ai craqué, tout le travail souterrain,
inconscient avait été fait à mon insu, ça avait infusé, et la scène fonctionne,
je crois. J’avais proposé de le jouer dans ce jaillissement à Jeanne, elle
souhaitait plus de contrôle, et finalement, c’est la scène très secouante émotionnellement
qui a été conservée.
Comment travaille Jeanne Herry réalisatrice ?
Elle
est très précise, et sait très bien recadrer, aider l’acteur à chercher, par
petites touches. Elle respire l’enthousiasme, la vie, elle est claire, et l’acteur
délivre naturellement.
Olivia Côte joue votre assistante sociale « dédiée » dans des
scènes déchirantes ou constructives, de vraies confrontations.
Elle
est le regard qui aide Alice à circonscrire plus précisément son projet. Olivia
et moi avons la même façon de travailler, dans l’énergie, l’humour et la
concentration. J’ai adoré notre osmose.
Jeanne vous cadre très serrée dans la première scène, c’est
exaltant d’être regardée de si près, d’être exposée, à nu ?
Je
joue « à l’aveugle » et j’aime ça. Depuis que je fais du cinéma, je refuse de
savoir comment je suis filmée, cadrée, dans quelle valeur de plan. J’y vais,
plan large, confortable, ou pleine face, et je fais confiance.
Le métier d’Alice vous était-il familier avant le film ?
On imagine et on
comprend qu’elle a eu un autre métier, du temps de son mariage, mais c’est ce
travail d’audiodescriptrice qui est mis en avant par Jeanne, et il va bien à
mon personnage ; elle l’exerce dans l’ombre, mais son apport est déterminant,
une consolation pour les aveugles, un don, une réparation.
Vous connaissiez Jeanne depuis longtemps ?
Nous
sommes amies depuis 20 ans, nous nous sommes rencontrées à l’école de
Strasbourg. Ce fut un coup de foudre amical. Jeanne et moi sommes des amies
très proches, et je la trouve extraordinaire au point d’avoir inscrit sur mon
carnet son nom à la rubrique « personne à prévenir en cas d’accident ». Elle
est la solidité incarnée. Et puis il y a le talent de réalisatrice, l’acuité de
son regard, son honnêteté, son amour des autres, sans les juger ni les condamner.
Elle sait diriger les acteurs car elle les aime, authentiquement. Jeanne a
travaillé différents modes d’expression, elle a été comédienne, écrivain,
metteur en scène de théâtre, mais quand j’ai vu son travail au cinéma, je lui
ai dit « tu as trouvé ton métier, meuf ! »
Vous avez travaillé avec plus de dix réalisatrices femmes, Jeanne
Herry comprise, ce qui doit représenter un quasi record pour une jeune actrice
française. C’est un choix délibéré, politique ?
Je ne me l’explique
pas, mais j’ai toujours attiré les femmes ! J’ai toujours trouvé plus facile de
travailler avec elles, c’est fluide, les rapports ne sont pas parasités ou
alourdis par des non-dits liés à la séduction, à la susceptibilité des hommes.
Toutes ces réalisatrices, Léa Fazer, Marion Vernoux, Lisa Azuelos, Mona
Achache, Solveig Anspach, Marie-Castille Mention-Schaar, sont de générations,
de milieux différents, mais avec toutes, le travail s’est fait naturellement,
dans l’évidence. Quand la réalisatrice est une amie, comme Jeanne, c’est de l’ordre
de la joie.
Comment évoqueriez-vous l’énergie Lydie ?
Lydie
a de l’énergie à revendre, c’est vrai, pour recommencer à chaque dossier toute
l’aventure humaine qu’il entraîne. C’est une femme qui a consacré sa vie à la
protection de l’enfance. J’ai souhaité rencontrer un travailleur social avant
de commencer le film, car je savais que j’aurais une scène difficile avec un
couple auquel j’annonce que l’agrément pour l’adoption leur est refusé. Comment
dit-on ça ? Comment est-on en empathie, sans se faire dévorer, submerger,
détruire par la souffrance qu’on occasionne ?
Lydie c’est un regard, comme le titre du film l’indique, en réseau
avec les autres travailleurs sociaux ?
C’est
le regard et l’écoute. Mon personnage m’épate. Quel étrange et merveilleux
métier, entre empathie et fermeté, qui confronte quotidiennement à des gens
vulnérables, à nu, débordant d’espoir et de fragilité. Ma devise pour
comprendre et jouer, c’était « s’impliquer avec la bonne distance ».
Le film est un plaidoyer pour la solidarité, le collectif, pour
que ces structures sociales disposent de moyens afin d’accomplir leur mission.
Jeanne
disait souvent « c’est un hommage à la République française, à ses travailleurs
sociaux, ses éducateurs ». Dix personnes sont payées pour forger le destin d’une
pupille, d’un bébé abandonné. Pourvu qu’ils puissent continuer… Toute cette
solidarité qui se met en branle pour trouver une famille à un enfant, ça m’émeut,
c’est grand. Gilles Lellouche, qui n’en est pas sorti indemne, disait « le film
va rendre les gens heureux. Ils seront contents de voir à quoi servent leurs
impôts ! »
Comment Jeanne Herry dirigeait-elle cet autre collectif, les
acteurs ?
Elle accompagne, elle
va dans le sens des acteurs. Sa façon de réaliser, douce et sûre, me fait
penser à une phrase de Friedrich Nietzsche, « danser dans les chaînes ». Jeanne
fait un travail de précision et se libère malgré ou grâce aux contraintes.
Source et copyright des textes des notes de production @ StudioCanal
#PupilleLeFilm
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