jeudi 29 novembre 2018

PUPILLE



Drame/Un très beau film maîtrisé, juste et touchant

Réalisé par Jeanne Herry
Avec Sandrine Kiberlain, Gilles Lellouche, Élodie Bouchez, Miou-Miou, Olivia Côte, Stéfi Celma, Youssef Hajdi...

Long-métrage Français 
Durée : 01h55mn
Année de production : 2018
Distributeur : StudioCanal 

Date de sortie sur nos écrans : 5 décembre 2018


Résumé : Théo est remis à l'adoption par sa mère biologique le jour de sa naissance. C'est un accouchement sous X. La mère à deux mois pour revenir sur sa décision...ou pas. Les services de l'aide sociale à l'enfance et le service adoption se mettent en mouvement. Les uns doivent s'occuper du bébé, le porter (au sens plein du terme) dans ce temps suspendu, cette phase d'incertitude. Les autres doivent trouver celle qui deviendra sa mère adoptante. Elle s'appelle Alice et cela fait dix ans qu'elle se bat pour avoir un enfant. PUPILLE est l'histoire de la rencontre entre Alice, 41 ans, et Théo, trois mois.

Bande annonce (VF)


Ce que j'en ai pensé : la réalisatrice, Jeanne Herry, impressionne avec PUPILLE. Son film est aussi maîtrisé techniquement que sur la transmission de la palette d'émotion qui accompagne le délicat sujet de l'adoption. Il est si bien fait qu'on a le sentiment de voir un documentaire sur le sujet. Le sujet central est profondément touchant puisqu'il s'agit d'un nourrisson et de son futur. 

Le film n'est jamais larmoyant et n'essaie surtout pas de faire dans la surenchère d'émotions dégoulinantes, ni dans le jugement rapide et sans fondement. Au contraire, il s'affirme comme étant parfaitement juste et pédagogique dans tous ses aspects. Il met en avant le travail de tous les professionnels qui tour à tour jouent un rôle essentiel dans la destinée de ce petit bonhomme qui se retrouve face à un mot dur, mais qui n'est pas une fatalité : l'abandon. Le faisceau d'amours qui se déploie autour de lui ne le laisse pas seul face à cette première épreuve de la vie. On découvre depuis sa maman biologique jusqu'à sa maman d'adoption, l'aventure de ce petit bout de chou qui fait chavirer les cœurs. 

Les acteurs sont tous impeccables. Ils apportent chacun une personnalité ainsi qu'une sensibilité particulière et crédible à leur protagoniste.


PUPILLE est un film remarquable. Il nous fait traverser avec justesse et pudeur les étapes du mot adoption qui fait souvent raisonner des sentiments mitigés à priori. Pourtant, à la fin de ce film, on ne peut s'empêcher de l'associer avec le mot amour, et ça, c'est une très belle réussite.


Copyright photos @ StudioCanal

NOTES DE PRODUCTION 
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)


Pourquoi ce sujet, l’adoption, s’est-il imposé à vous ?

Il est peu traité au cinéma, et pas comme ça, je crois. Les films évoquent la recherche des origines, la quête de l’enfant et parfois aussi celle de l’adopté pour retrouver ses parents plus tard, mais assez peu le moment où le bébé est remis à l’adoption. Le sujet est étranger à ma vie intime, j’ai eu deux enfants biologiques mais j’ai une amie dont je suivais le parcours d’adoption. Je sortais de mon film ELLE L’ADORE, travaillais sur une pièce de théâtre, je cherchais un sujet, quand cette amie m’a laissé un message qui a tout déclenché. Elle me disait « on m’a appelée, ils ont un bébé pour moi, un bébé français, je le vois dans 4 jours, si tout va bien, il est chez moi dans 8 jours ». Le mélange d’euphorie et de panique dans sa voix était fascinant. Je me suis demandé pourquoi elle était surprise que ce soit un bébé, et un bébé français, et que les délais soient si courts. J’étais allumée de l’intérieur par sa façon de vivre l’événement. Je lui ai demandé la permission d’aller plus loin, de rencontrer les intervenants sociaux, étant entendu que je ne raconterais pas son histoire. Je suis partie dans le Finistère où j’avais un contact. J’y suis allée plusieurs fois et j’ai compris que la tâche de ces travailleurs sociaux était de trouver des parents pour un bébé, pas de trouver un enfant pour des parents en manque : ce fut une révélation. J’ai trouvé des dispositifs de fiction intéressants dans la matière documentaire. Ces séquences de face-à-face, le fait de parler sans arrêt au bébé, car Françoise Dolto est passée par là, tout ce que je découvrais représentait de futures pépites de mise en scène.

Il y a eu documentation et décantation, la masse de procédures de l’accouchement sous X jusqu’à l’adoption n’alourdit pas le film, elle l’inscrit au contraire dans le réel. Cette façon de décrire un enchaînement vertueux, de la naissance d’un bébé sous X à son adoption, sans temps morts, huilé comme une mécanique de précision.

Quand j’écrivais, je me disais, on a une équation simplissime, une femme qui ne veut pas de son enfant, et une autre femme qui veut un enfant. Maintenant, il faut nourrir, étoffer cette équation qui est belle et sèche comme un énoncé de logique. Et raconter tout ce collectif qui se mobilise et se met en branle pour rendre cette équation possible. Le film traite d’une addition de manques qui vont devenir un plus.

Les acteurs jouent avec des bébés ou des poupons en plastique ?

Comme c’est un film qui met en scène la réceptivité des bébés au langage verbal, il n’était pas question de prendre des risques, de les mettre dans des situations potentiellement traumatisantes, des scènes où ils auraient entendu « ta mère n’a pas voulu de toi », etc. Les acteurs parlaient avec des poupons en plastique, y compris à la fin, quand Élodie rencontre Théo et se fissure en lui expliquant combien elle est chavirée de rencontrer son fils.

C’est par le regard que tout arrive, que se noue le lien avec un bébé. On se regarde, on naît à l’amour dans le regard de l’autre. Le film est un ballet de regards croisés.

Les professionnels et les travailleurs sociaux parlent beaucoup de l’observation, des regards croisés sur une situation, pas seulement pour la maman et le bébé ; leur travail c’est de la subjectivité, élaborer des portraits. Deux travailleurs croisent leurs regards et leurs avis sur chaque candidat à l’adoption.

D’où le titre, PUPILLE…

J’aime le jeu sur le sens, pupille de l’État et pupille du regard. Je portais beaucoup d’attention à la place de mon regard d’ailleurs, je me suis demandé tout au long de la réalisation quel était mon point de vue, sur chaque séquence, et comment, et d’où regarder chaque personnage. Et aussi où regardait chaque personnage.

Impossible de faire le film sans Sandrine Kiberlain ?

Depuis notre précédent film, je cherchais à retravailler avec elle. Elle m’inspire énormément. Il y a une rencontre évidente entre les mots que j’écris et la façon qu’elle a de les interpréter. Mais c’est difficile de combler une actrice à laquelle tous les rôles sont proposés…

Elle est votre double ?

Une sorte de double amélioré de moi, un double idéal. C’est comme ça que je le vis. J’aime Sandrine dans des rôles comme celui-ci, une femme qui porte tout le monde. Solide, consciencieuse, précise, fantaisiste, drôle. Le bébé est porté par Gilles et Gilles est porté par Sandrine. Elle désire aussi, sans être désirée en retour.

Élodie Bouchez, candidate à l’adoption, évolue dans le film de la vulnérabilité à une inébranlable certitude sur une durée de 8 ans ?

Elle est un peu éteinte au début dans son couple, elle raisonne « à deux », mais peu à peu elle trouve son autonomie. Elle est travaillée par la vie, éprouvée, mais elle rebondit, au court de cette petite dizaine d’années. Avancer est une volonté chez elle. J’ai choisi Élodie, car elle était parfaite pour incarner une femme très solaire, éclatante, discret petit soldat, forte sans être une caricature de bulldozer.

Elle a un métier très particulier dans le film, audiodescriptrice au théâtre pour des aveugles. Filmer les personnages dans l’exercice de leur métier permet de mieux les appréhender ?

J’aime les métiers. J’aime découvrir les gens au travail, dans la vie comme dans les films. Dans PUPILLE, on découvre avant tout des travailleurs, puis les hommes et femmes derrière le métier, la raison sociale. Dans le cas d’Alice, je la voyais comme l’encadrée, la femme qu’on prend en charge, et je voulais que l’encadrée encadre, ne soit pas la seule à être assistée. J’ai découvert ce métier étrange en répétant une pièce de théâtre ; il y a avait un type habillé tout en noir qui se glissait dans la salle, et qui m’a montré son métier. J’ai rencontré plein d’audiodescripteurs, ils font partie de la représentation mais sont décalés. C’est ludique et altruiste. Alice audiodécrit L’Ours de Tchekhov, mon auteur dramatique adoré, où il y a un coup de fusil avec effet comique raté.

Pourquoi cette place prépondérante à un homme qui pouponne, Jean, joué par Gilles Lellouche ?

L’univers autour de l’adoption est déjà très très féminin, j’ai donc choisi un bébé garçon, et un assistant familial homme. J’avais rencontré un homme au cours de mes recherches, car le métier commence à se masculiniser. Mais j’ai raisonné en termes de cinéma, pas de genre pour le genre. Revisiter les gestes du soin apporté à un bébé en les faisant jouer par un homme, c’était stimulant, différent à filmer. Un homme, et si possible un homme un peu viril, qui a incarné une masculinité crâne au cinéma, c’était l’assurance d’un étonnement pour moi et le spectateur, d’une image forte.

Et pour Gilles Lellouche sans doute aussi… ?

C’est un corps, Gilles, épais, sensuel. Un bébé c’est charnel, et ça fonctionne entre eux. Et puis il n’est pas un assistant social, il est un assistant familial choisi par les gens du social. C’est l’homme du quotidien, que je me suis amusée à filmer en homme au foyer ; un idéal masculin solide, responsable, sérieux, drôle, dans un couple inversé, avec une femme qui travaille dehors, gagne de l’argent et qui l’incite à continuer à bosser, malgré ses états d’âme.

Clotilde Mollet, qui joue la recueillante, introduit une étrangeté qui tranche sur le réalisme du film. Son phrasé, son physique légèrement désuet, tout est naturellement décalé et fascinant avec elle.

Elle est une immense actrice de théâtre, mais pas seulement. Elle a joué dans UN HÉROS TRÈS DISCRET, AMÉLIE POULAIN, INTOUCHABLES, LA CRISE… J’aime son naturel absolu. Elle est comme ça dans la vie. Quand elle dit « je suis une tombe », ou n’importe quelle expression toute faite, banale, elle réallume les mots et les fait vivre de l’intérieur.

Et permet qu’une séquence improbable, comme celle où elle explique au bébé ce que sa mère biologique n’a pas voulu lui dire, soit un moment d’émotion. Pourtant, sur le papier, vous deviez vous dire « ça passe ou ça casse… » ?

Oh oui alors. J’avais peur que les gens se disent « c’est n’importe quoi !! ». Mais tout est mis en place pour que ce soit plausible. Le bébé sort de sa léthargie et rentre dans la vie lorsque les blancs de son histoire sont comblés par une parole vraie délivrée par Clotilde, qui « l’autorise » à s’engager dans ce projet d’adoption.

Les face-à-face d’Élodie avec son assistante sociale sont filmés comme des confrontations musclées mais bienveillantes.

Parler c’est penser, et accoucher d’une action. C’est de la maïeutique. PUPILLE est un film sur le langage, le courage de la mise en mot, et sa nécessité. C’est pour ça que le parcours de l’adoption est si dur pour certaines personnes, parce qu’on demande à ces gens de s’expliquer inlassablement, de se regarder être, de mettre des mots sur les ressorts les plus secrets ou obscurs de leurs désirs, de leurs existences, de verbaliser.

Pourquoi le film se déroule-t-il en province ?

Il y a une loi nationale pour les protocoles de l’adoption, mais chaque département peut changer des petites dispositions de ce protocole à la marge. Et j’ai enquêté dans le Finistère pour l’écriture. Je connais très bien leur façon de faire. La Bretagne fait partie de mon histoire, c’est l’endroit de la mer, et de la mère.

Votre film est optimiste : les gens travaillent bien, les débats sont féconds, les solutions se trouvent, toujours, les amours impossibles peuvent déboucher sur des camaraderies professionnelles, le collectif, ça marche. L’optimisme est votre nature profonde ? PUPILLE veut être optimiste dans une période ou le soupçon, la défiance, le désenchantement sont croissants ?

Tous ces protocoles autour de l’adoption, je les ai trouvés fantastiques, avec un degré de civilisation et de pensée formidable. J’aime bien mon époque mais il y a un peu d’hystérisation dans l’air. Les endroits où les gens pensent et font confiance au collectif me rassurent. Je me rends compte que le film regarde favorablement l’accouchement sous X. Celles qui remettent leur enfant le feraient de toute façon, seules et mal. Il y a donc dans ce dispositif un degré de civilisation remarquable. Même si je sais la souffrance des pupilles qui se construisent sur un gouffre, un manque. Mais plus encore, c’est un film sur le triomphe du collectif. C’est un accélérateur de particules, c’est euphorisant de faire des choses ensemble, un film, ou une réunion au terme de laquelle on trouvera une famille pour un enfant.

Un dernier mot sur votre mère, Miou-Miou, qui a un rôle de Coordonnatrice ?

C’est une immense actrice. Elle ne pouvait pas ne pas être là, dans une ode au collectif. Elle démarre le film, sa voix, que j’adore, elle donne le « la » à toute l’équipe !


Vous et Jeanne c’est une longue complicité qui remonte à son premier film.

J’ai aimé la scénariste avant d’aimer la personne. J’ai reçu le script de ELLE L’ADORE, et j’ai fait tout ce qui était possible pour que le film se monte. Jeanne a de nombreuses qualités, elle est drôle intelligente et sensible. Elle est intègre. C’est une idéaliste, sur le monde et les gens. C’est une pure et cette vision du monde irrigue le film. Ce que me faisait dire Pierre Salvadori dans APRÈS VOUS pourrait résumer son film et son éthique : « j’ai tendance à ne retenir que le bon des gens. » Quand elle m’a envoyé le scénario de PUPILLE, j’ai été séduite par sa construction, à la SHORT CUTS, par l’éloge de la solidarité, du collectif qui s’en dégage, et je suis naturellement entrée dans la ronde.

Quelle directrice d’acteurs est-elle ?

Précise et confiante. Elle sait ce qu’elle veut, mais accueille les suggestions avec plaisir, parce qu’elle se fait confiance. Il n’y a pas de névrose dans l’air. Jeanne aime le travail d’équipe, son bonheur sur le plateau est contagieux !

Votre personnage, Karine, est une travailleuse sociale à la fois enfantine et puissante, une femme déterminée et un peu paumée.

Oui, mon personnage Karine assure, elle encadre, elle rassure les autres. Notamment Jean, l’assistant familial dont elle est amoureuse, mais quelque chose d’étrange est fiché à l’intérieur de son cœur, une inquiétude.
Quand elle s’adresse au bébé qu’adoptera Alice, elle le fait avec une voix un peu monocorde parce qu’elle est légèrement à distance, impliquée mais à distance.

Et elle mange sans arrêt des bonbons, un tic drôle et révélateur ?

Caractériser un personnage avec un détail aussi ludique, j’adore.
C’est Jeanne qui a trouvé ce tic, Karine mange tout le temps des bonbons, ça la rattache à tous ces enfants qui gravitent autour d’elle, et c’est le signe du manque d’amour qu’il faut combler avec du sucre, du doux.

Avec tact et franchise, Jeanne Herry filme une histoire d’amour impossible entre vous et Jean, l’assistant familial, viril et maternel. Un homme, un vrai ?

Un homme qui respecte sa femme, qui est doux avec son entourage, instinctif avec les bébés, séduit mon personnage car il a en plus de l’humour. Ce type idéal est joué par Gilles Lellouche.
J’aime aussi le couple qu’ils forment avec sa femme dans le film. Entre eux, on sent que ça vibre, c’est sensuel et charnel.
La vision de Jeanne sur l’homme moderne est en phase avec l’évolution des femmes et des hommes. Par ailleurs, dès que Gilles prenait un bébé dans les bras, le petit était calme, souriant, ses yeux le suivaient, le bébé était extatique. Gilles a un fluide, une capacité à apaiser les bébés. Je crois que c’était très émouvant pour lui.

Et Élodie Bouchez, avec qui vous jouez dans un contexte très émotionnel ?

Je l’admire depuis longtemps. J’aime sa nature frémissante. Elle est très impressionnante dans la scène où elle s’adresse à son bébé.
Élodie a fait deux prises, et c’était terrassant d’émotion et de justesse.


Le sujet de PUPILLE vous était-il familier ?

Sincèrement, je n’avais aucune idée de ce que représente le parcours de l’adoptant en France, même si des amis proches l’ont effectué, et j’ignorais tout de l’existence de cette chaîne humaine qui oeuvre pour trouver une famille à un bébé abandonné. J’admire Jeanne d’avoir mis ce sujet en lumière.

En vous confiant le rôle de Jean, la réalisatrice souligne combien les métiers traditionnellement féminins de l’assistance familiale se masculinisent. Là aussi vous étiez surpris que des hommes s’occupent de bébés et d’enfants en attente de familles ?

Surpris et épaté ! Tant mieux ! Je sais que mon personnage doit beaucoup à un Jean qui est bien réel, et qui exerce ce métier d’assistant familial du côté de Brest. Jeanne avait beaucoup documenté mon personnage, si bien écrit, avec humour et tendresse.

Auquel vous apportez votre présence massive, protectrice et virile.

Je n’ai pas beaucoup d’autres alternatives que d’incarner ce que je suis. Viril, oui, je veux bien, mais ce qui me désole c’est lorsqu’on me voit comme un macho ou même un « hétéro-beauf », comme j’ai pu le lire il y a quelques années. Mon personnage dans PUPILLE était écrit avec une telle bienveillance que je me suis glissé dans un bloc de tendresse et de délicatesse qui ne va pas sans angoisse, sans doute. J’aime profondément ce Jean qui vit dans un cocon domestique, s’attache avec lucidité à un bébé qui ne passera que quelques mois chez lui, comme s’il était son fils, et s’active en cuisine pour sa femme ! J’adore que Jeanne Herry fasse dire à ma femme dans le film : « j’aime pas quand tu fais rien, t’es pas sexy quand tu fais rien. » Les hommes ont changé, peuvent changer, vont changer… Je suis papa d’une petite fille de 9 ans, et la différence d’attitude est telle entre le père de famille que je suis et mon père avec moi qu’on dirait un autre monde ! Tout ça est la matière de PUPILLE et nourrit mon personnage.

Jeanne Herry est comédienne, auteure et réalisatrice : comment vous a-t-elle dirigé ?

Cette femme est formidable, pleine de vie et d’envie, elle regarde les acteurs avec amour, peut-être effectivement parce qu’elle connaît le métier d’expérience. Les réalisateurs ont parfois peur des acteurs, pas elle. La relation est ludique, riche, jamais contraignante.

Vous jouez avec Sandrine Kiberlain, qui éprouve pour vous une passion disons… asymétrique. Comment s’est déroulé le travail entre la Katharine Hepburn française et vous ?

Immense joie d’avoir travaillé avec Sandrine ! C’est simple, elle est formidable et elle a ce truc, cette grâce que j’aime profondément chez les acteurs, et qui est rarissime, elle respire l’intelligence du jeu. Mathieu Amalric a ça, aussi. Elle est délicieuse dans la vie et dans le travail.

Parlez-moi d’Elodie Bouchez, l’adoptante, avec laquelle Jean fait un délicat travail de pédagogie pour qu’elle ait confiance en elle dans la relation avec son bébé.

Je dois dire que j’ai été impressionné par son implication émotionnelle et physique de chaque instant. Encore plus impressionné par ce moment où elle s’adresse au bébé, elle est offerte, dans un état de vibration incroyable. Dès notre première scène, je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose d’exceptionnel dans son interprétation.

PUPILLE fait le pari politique du collectif et de l’entraide, vous souscrivez à cela ?

J’endosse totalement son message, son espérance, son utopie même, d’un retour à la solidarité, ce mot qu’on vide peu à peu de son sens. En déconnant pendant le tournage, je disais à Jeanne : « les spectateurs de ton film se diront que ça vaut la peine de payer des impôts »… Nous les râleurs, les sceptiques face aux services de l’État, nous voyons là la démonstration éclatante que l’argent public va contribuer à cette greffe, une adoption heureuse, et pas à la construction d’un rond-point de plus ! Ça rejoint ce que j’ai voulu exprimer dans mon film LE GRAND BAIN, la foi dans le collectif, l’humain, le refus du tout-technologique…


Le sujet vous touchait-il ?

J’ai des amis qui ont adopté, mais je ne savais rien sur ce sujet avant de jouer dans PUPILLE, sauf que chaque histoire est unique. Le scénario était incroyable, une écriture assurée, une construction audacieuse, comme un ballet tentaculaire autour de la naissance et du destin de ce petit bébé. Je pensais à SHORT CUTS en le lisant, j’étais impressionnée.

Avez-vous fait des recherches ou rencontré des mères adoptives ?

Jeanne ne me l’a pas demandé, je me suis pliée à sa méthode. Tout était clair et limpide dans le parcours d’Alice. Son cheminement est long, faire un enfant à l’intérieur de son couple est problématique, mais ce destin assez solitaire permettra à la fin la greffe, l’adoption. Je vois dans ce personnage une ode à la confiance, confiance dans le destin, et dans la bienveillance des travailleurs sociaux qui l’accompagnent.

Jouer avec un poupon de plastique dans la scène où vous rencontrez Théo, votre bébé, c’était frustrant, ou ça ne changeait rien ?

Je l’avais oublié ! Jeanne me l’a rappelé il y a peu. J’étais tellement concentrée que j’ai fait ce que je devais faire, sans me poser de question. C’était un bébé pour moi, mon bébé, j’ai perdu ma voix, j’ai craqué, tout le travail souterrain, inconscient avait été fait à mon insu, ça avait infusé, et la scène fonctionne, je crois. J’avais proposé de le jouer dans ce jaillissement à Jeanne, elle souhaitait plus de contrôle, et finalement, c’est la scène très secouante émotionnellement qui a été conservée.

Comment travaille Jeanne Herry réalisatrice ?

Elle est très précise, et sait très bien recadrer, aider l’acteur à chercher, par petites touches. Elle respire l’enthousiasme, la vie, elle est claire, et l’acteur délivre naturellement.

Olivia Côte joue votre assistante sociale « dédiée » dans des scènes déchirantes ou constructives, de vraies confrontations.

Elle est le regard qui aide Alice à circonscrire plus précisément son projet. Olivia et moi avons la même façon de travailler, dans l’énergie, l’humour et la concentration. J’ai adoré notre osmose.

Jeanne vous cadre très serrée dans la première scène, c’est exaltant d’être regardée de si près, d’être exposée, à nu ?

Je joue « à l’aveugle » et j’aime ça. Depuis que je fais du cinéma, je refuse de savoir comment je suis filmée, cadrée, dans quelle valeur de plan. J’y vais, plan large, confortable, ou pleine face, et je fais confiance.

Le métier d’Alice vous était-il familier avant le film ?

On imagine et on comprend qu’elle a eu un autre métier, du temps de son mariage, mais c’est ce travail d’audiodescriptrice qui est mis en avant par Jeanne, et il va bien à mon personnage ; elle l’exerce dans l’ombre, mais son apport est déterminant, une consolation pour les aveugles, un don, une réparation.


Vous connaissiez Jeanne depuis longtemps ?

Nous sommes amies depuis 20 ans, nous nous sommes rencontrées à l’école de Strasbourg. Ce fut un coup de foudre amical. Jeanne et moi sommes des amies très proches, et je la trouve extraordinaire au point d’avoir inscrit sur mon carnet son nom à la rubrique « personne à prévenir en cas d’accident ». Elle est la solidité incarnée. Et puis il y a le talent de réalisatrice, l’acuité de son regard, son honnêteté, son amour des autres, sans les juger ni les condamner. Elle sait diriger les acteurs car elle les aime, authentiquement. Jeanne a travaillé différents modes d’expression, elle a été comédienne, écrivain, metteur en scène de théâtre, mais quand j’ai vu son travail au cinéma, je lui ai dit « tu as trouvé ton métier, meuf ! »

Vous avez travaillé avec plus de dix réalisatrices femmes, Jeanne Herry comprise, ce qui doit représenter un quasi record pour une jeune actrice française. C’est un choix délibéré, politique ?

Je ne me l’explique pas, mais j’ai toujours attiré les femmes ! J’ai toujours trouvé plus facile de travailler avec elles, c’est fluide, les rapports ne sont pas parasités ou alourdis par des non-dits liés à la séduction, à la susceptibilité des hommes. Toutes ces réalisatrices, Léa Fazer, Marion Vernoux, Lisa Azuelos, Mona Achache, Solveig Anspach, Marie-Castille Mention-Schaar, sont de générations, de milieux différents, mais avec toutes, le travail s’est fait naturellement, dans l’évidence. Quand la réalisatrice est une amie, comme Jeanne, c’est de l’ordre de la joie.

Comment évoqueriez-vous l’énergie Lydie ?

Lydie a de l’énergie à revendre, c’est vrai, pour recommencer à chaque dossier toute l’aventure humaine qu’il entraîne. C’est une femme qui a consacré sa vie à la protection de l’enfance. J’ai souhaité rencontrer un travailleur social avant de commencer le film, car je savais que j’aurais une scène difficile avec un couple auquel j’annonce que l’agrément pour l’adoption leur est refusé. Comment dit-on ça ? Comment est-on en empathie, sans se faire dévorer, submerger, détruire par la souffrance qu’on occasionne ?

Lydie c’est un regard, comme le titre du film l’indique, en réseau avec les autres travailleurs sociaux ?

C’est le regard et l’écoute. Mon personnage m’épate. Quel étrange et merveilleux métier, entre empathie et fermeté, qui confronte quotidiennement à des gens vulnérables, à nu, débordant d’espoir et de fragilité. Ma devise pour comprendre et jouer, c’était « s’impliquer avec la bonne distance ».

Le film est un plaidoyer pour la solidarité, le collectif, pour que ces structures sociales disposent de moyens afin d’accomplir leur mission.

Jeanne disait souvent « c’est un hommage à la République française, à ses travailleurs sociaux, ses éducateurs ». Dix personnes sont payées pour forger le destin d’une pupille, d’un bébé abandonné. Pourvu qu’ils puissent continuer… Toute cette solidarité qui se met en branle pour trouver une famille à un enfant, ça m’émeut, c’est grand. Gilles Lellouche, qui n’en est pas sorti indemne, disait « le film va rendre les gens heureux. Ils seront contents de voir à quoi servent leurs impôts ! »

Comment Jeanne Herry dirigeait-elle cet autre collectif, les acteurs ?

Elle accompagne, elle va dans le sens des acteurs. Sa façon de réaliser, douce et sûre, me fait penser à une phrase de Friedrich Nietzsche, « danser dans les chaînes ». Jeanne fait un travail de précision et se libère malgré ou grâce aux contraintes.

Source et copyright des textes des notes de production @ StudioCanal

  
#PupilleLeFilm

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