Comédie/Une comédie très sympa qui assume son côté trash
Réalisé par Allan Mauduit
Avec Cécile de France, Audrey Lamy, Yolande Moreau, Simon Abkarian...
Long-métrage Français
Durée : 01h27mn
Année de production : 2018
Distributeur : Le Pacte
Résumé : Sans boulot ni diplôme, Sandra, ex miss Pas-de Calais, revient s'installer chez sa mère à Boulogne-sur-Mer après 15 ans sur la Côte d'Azur. Embauchée à la conserverie locale, elle repousse vigoureusement les avances de son chef et le tue accidentellement. Deux autres filles ont été témoins de la scène. Alors qu'elles s'apprêtent à appeler les secours, les trois ouvrières découvrent un sac plein de billets dans le casier du mort. Une fortune qu'elles décident de se partager. C'est là que leurs ennuis commencent...
Bande annonce (VF)
Teaser Nadine (VF)
Teaser Sandra (VF)
Ce que j'en ai pensé : il souffle un vent de 'on en a marre de subir et il est grand tant qu'on rende les coups' chez les rebelles du réalisateur Allan Mauduit. Sous couvert d'humour, il fait passer quelques messages bien sentis. Tout d'abord, il établit un portrait sociétal juste et touchant : celui des galères, des petits revenus et des boulots ouvriers pour les femmes dans lesquelles elles sont sous le joug d'hommes qui mélangent le poste de superviseur et la propriété de la personne. Le réalisateur, qui a également co-écrit le scénario et les dialogues, allie un humour de situation et des répliques qui agitent les zygomatiques. Il veille à un rythme régulier et n'hésite pas à intégrer de l'action pour montrer à quel point ses héroïnes ne plaisantent pas et ne comptent pas se laisser faire. Et ces dernières sont étonnantes à la fois parce qu'elles ont des ressources inattendues et en même temps, parce qu'elles s'imposent face à un système mené par les hommes en utilisant leurs propres armes contre eux avec la résilience, l’astuce et la volonté en plus.
Les trois actrices qui forment le trio de tête de ce film sont supers et personnifient trois profils de femmes distincts. Cécile de France interprète Sandra. Elle est parfaite en ex-Miss battante, au caractère bien trempé, décidée à s'en sortir par tous les moyens. Yolande Moreau interprète Nadine. Elle est touchante et drôle avec sa simplicité toujours logique et son intonation amusante. Audrey Lamy interprète Marilyn. Elle apporte du peps à l'ensemble avec son énergie débordante.
REBELLES suit une thématique amorale et assume un côté un brin trash, mais, dans un esprit contradictoire et bienvenu, son réalisateur construit son histoire de façon honnête en restant toujours aligné sur son sujet et en narrant son intrigue afin qu’elle soit claire et cohérente pour les spectateurs à tout moment. Il en ressort une comédie dynamique et drôle sur l'amitié féminine qui est une bonne surprise.
Les trois actrices qui forment le trio de tête de ce film sont supers et personnifient trois profils de femmes distincts. Cécile de France interprète Sandra. Elle est parfaite en ex-Miss battante, au caractère bien trempé, décidée à s'en sortir par tous les moyens. Yolande Moreau interprète Nadine. Elle est touchante et drôle avec sa simplicité toujours logique et son intonation amusante. Audrey Lamy interprète Marilyn. Elle apporte du peps à l'ensemble avec son énergie débordante.
REBELLES suit une thématique amorale et assume un côté un brin trash, mais, dans un esprit contradictoire et bienvenu, son réalisateur construit son histoire de façon honnête en restant toujours aligné sur son sujet et en narrant son intrigue afin qu’elle soit claire et cohérente pour les spectateurs à tout moment. Il en ressort une comédie dynamique et drôle sur l'amitié féminine qui est une bonne surprise.
Copyright photos @ Le Pacte
NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
ENTRETIEN AVEC ALLAN MAUDUIT, RÉALISATEUR
L'idée de VILAINE est née un soir à bord d'un taxi,
lors d'une discussion avec Jean-Patrick Benes. D'où est partie celle de
REBELLES ?
En regardant une boîte de thon et en me demandant combien il en
faudrait pour contenir le corps d’un homme (rires). J’avais envie depuis
longtemps de faire un polar doublé d'une comédie avec des personnages de
condition populaire. J’avais cherché pendant 7 ans à acquérir les droits
d’adaptation d’Un petit boulot, un roman américain de Iain Levison, dans
lequel un type au chômage accepte de tuer des gens en attendant de trouver un
meilleur boulot. Mais c'est Michel Blanc qui a récupéré les droits. REBELLES
est donc né du renoncement à ce projet. Ça a été un mal pour un bien.
La première singularité de REBELLES est d'inscrire la
comédie dans le milieu ouvrier qui est plutôt le terreau des films sociaux...
Dans le cinéma français c’est vrai que les films sociaux trustent le
milieu ouvrier. Mais ce n’est pas vrai ailleurs. Regardez THE FULL MONTY, BILLY
ELLIOT, SLUMDOG MILLIONAIRE, LE KID... Ken Loach a fait RIFF-RAFF et LA PART
DES ANGES qui ne manquent pas d'humour. Même chose pour Stephen Frears avec THE
SNAPPER et THE VAN. Je trouve que le cinéma français manque de personnages de prolos
avec lesquels on se marre. LA LOI DU MARCHÉ est un film formidable mais, dans
la vie des ouvriers, tout n'est pas source de drame. J'ai aussi été nourri à la
littérature anglo-saxonne, aux romans noirs américains, à des univers très
populaires, et je dois avouer que la littérature et le cinéma français - par
nature beaucoup plus bourgeois - me gonflent un peu parfois. Pour REBELLES, je
rêvais d'une zone portuaire, de personnages loin des centres-villes proprets et
de leurs grands appartements lumineux. De personnages qui se bagarrent pour
survivre.
Pourquoi avoir féminisé des archétypes qui sont
d'ordinaire l'apanage des hommes ?
Pour cette raison ! J’aime décaler le point de vue. J’appelle ça «
faire un pas de côté ». Ça permet de voir les choses différemment. Les
perspectives changent, c’est intéressant. Dans la série KABOUL KITCHEN, j’avais
pris un grand plaisir à regarder l'Afghanistan par le prisme de la comédie.
Ici, décaler le film noir implique de bousculer les codes du genre : plonger
trois ouvrières d'une conserverie de thon dans un univers de mafieux, c'est
réinventer les points de vue... Et puis j’aime les films mettant en scène des
femmes qui défient les conventions. Je ne vais pas tous les citer mais BOUND,
THELMA ET LOUISE, ERIN BROCKOVICH, un vieux western comme CONVOI DE FEMMES ou
une comédie comme YOUNG ADULT avec Charlize Theron sont des œuvres qui
m’enthousiasment et me donnent envie de faire du cinéma.
Et de jouer la carte du « Girl Power » !
Tant mieux si ça remet en cause les schémas traditionnels de
paternalisme et de patriarcat qui m'emmerdent fortement (rires) ! C'est
important de montrer aujourd'hui que les femmes et les hommes sont égaux quels
que soient les domaines, y compris en fiction. Je n'ai pas de comptes à régler
avec ma virilité mais je crois que je suis naturellement plus à l'aise en
compagnie des femmes. Ou, pour être plus précis, que je suis très mal à l’aise
dans les ambiances trop viriles.
L'un des paris de REBELLES est de ne pas rendre son
héroïne immédiatement sympathique...
Oui j’y tenais beaucoup. Je voulais que l’attachement à Sandra soit
progressif. Sandra n’est pas aimable. Elle ne veut pas se mêler, sympathiser.
Sandra n'a pas réussi à capitaliser sur son titre de Miss Nord-Pas-de-Calais.
Revenir dans sa ville natale après 15 ans passés sur la Côte d’Azur est une
régression. Ça m'intéressait de montrer ce personnage de femme superficielle à
un moment de sa vie où le vernis craque et les artifices de sa beauté
s'étiolent. Pour Sandra, les étoiles ne sont plus alignées ; elle a 35 ans et
c'est l'heure des comptes (rires). Elle revient à Boulogne-sur-Mer habillée en
cagole, avec son manteau de léopard synthétique, ses lunettes bling-bling, son
maquillage outrancier et ses faux ongles. Elle a une attitude très méprisante,
envers sa mère comme envers ses collègues de l'usine. Son unique objectif est
de repartir. Je voulais observer sa mue, l'inflexion de sa trajectoire.
REBELLES raconte en creux l'histoire d'une acceptation : Sandra va renouer avec
ses racines.
Est-ce le côté caméléon de Cécile de France qui vous a
conquis ?
C'est ce qui m'a guidé vers elle... Et je ne me suis pas trompé :
Cécile m'a scié ! Elle est capable de tout jouer. C'est jouissif de la voir
passer en quelques mois de MADEMOISELLE DE JONCQUIÈRES à Sandra. Cécile a un
côté glam', même lorsqu'elle incarne une Miss déchue comme Sandra. Son
personnage n'a ni règle ni morale. Par effet de contraste, il permet aux deux
autres personnages de jouer leur partition dans le registre de la comédie. Je
rêvais depuis longtemps d'un personnage comme celui de Marilyn : elle est comme
ces Anglaises qui enfilent des fringues improbables pour aller se mettre
minables au pub. Avec Audrey Lamy, on a rapidement évoqué cette dimension punk,
au sens profond du terme : libre et sans limites. Nadine, c'était le clown
blanc, celle qui essaye tant bien que mal de tempérer les deux autres
phénomènes. Yolande Moreau a l'intelligence du coeur et la sensibilité qui
correspondent parfaitement au personnage de Nadine : c'est une mère de famille,
plus ancrée dans la réalité. C'est la première qui, dans la scène du vestiaire
où Sandra riposte à son agresseur, estime que ce fric ne va leur apporter que
des emmerdes. Elle a raison, même si la beauté du personnage fait qu'elle va,
elle aussi, se métamorphoser, s'émanciper tout en donnant un coup de fouet à
son couple.
Comment la dynamique d'un trio aussi improbable
s'est-elle imposée ?
Avec Cécile de France, Yolande Moreau et Audrey Lamy, nous nous sommes
retrouvés sur la volonté de tout jouer au premier degré. Avec ce scénario, il y
avait matière à délirer et à « se faire plaisir », mais, dès la première
lecture, c'est comme si un accord tacite avait été scellé entre nous : tout
serait interprété très sérieusement, la comédie viendrait de là. Il y a de
l'ironie dans le scénario mais il ne s'agit ni d'une parodie ni d'une satire.
À l’image des héroïnes du film, Boulogne-sur-Mer n’est
pas filmé avec pathos ou chargé d’une atmosphère dépressive...
J’ai longtemps hésité sur le décor parce que l’on abuse trop souvent de
l’image d’un Nord pauvre, avec ses corons et ses usines fermées. Mais il existe
peu de conserveries en France : Boulogne-sur-Mer est le plus grand port de
pêche français et je tenais à ce que Sandra mette les mains dans le poisson
(rires). Cette ville ne m’inspire pas la tristesse : c’est un formidable décor,
ouvert sur la mer, propice au polar comme dans la scène où les filles se
réunissent de nuit sur les docks pour se débarrasser des conserves
compromettantes. Vincent Mathias, le chef opérateur, a fait un très beau
travail sur cette séquence. J’avais envie que la mère de Sandra vive dans un
mobil-home. Que Sandra, en retournant chez elle se retrouve dans ce décor.
J’aimais cette idée à la fois de marqueur social fort et de vie en pleine
nature. J’ai donc fait de la mère un personnage de gardienne de camping qui vit
à l’année dans son mobil-home. En faisant les repérages, je me suis rendu
compte que les campings bon marché d’Île-de-France sont bondés tout l’hiver d’ouvriers
étrangers et de familles qui tentent de survivre. En France, on n’est
malheureusement plus très loin des trailer parks américains où (sur) vit la
classe ouvrière.
Quelle est l’empreinte visuelle que vous avez
souhaitée donner au film ?
On a tourné entre la fin de l’hiver et le début du printemps. J’avais
écrit un grand nombre de scènes en extérieur pour donner au film une dimension
western et confronter les personnages à la nature. Avec Vincent Mathias, on
s’est accordé sur l’idée de réchauffer l’image, en accentuant les bruns, les
ocres et les jaunes qui s’accordent à l’environnement du mobil-home où vit
Sandra. L’autre grande dominante, c’est le vert. Le rouge et le bleu étaient
plus rares, circonscrits au cadre de l’usine. Cette recherche chromatique s’est
construite au fil des discussions lors de la préparation du film. Les photos de
repérage ont été « étalonnées » par Vincent afin que l’esthétique soit fixée
avant de tourner. Le travail sur les costumes est la première étape qui me
permet de chercher les personnages avec les comédiens. Et ça vaut tous les
discours du monde ! Pierre Canitrot, le chef costumier, est un magicien : le
look niçois arboré par Cécile de France au début du film a été trouvé dès le
premier essayage. Pour celui d’Audrey Lamy, on s’est régalé avec les photos
d’Anglaises se lâchant le week-end, les personnages de TRUE ROMANCE et de
U-TURN : on a abouti au look « white trash » de Marilyn avec son blouson bleu
électrique, ses shorts et hauts improbables, ses pompes incroyables à talons
compensés... Pour Yolande Moreau, c’était presque frustrant car Nadine est une
femme sobre. On lui a néanmoins trouvé un manteau couleur framboise et une
teinture de cheveux roux flamboyant qui lui donnent du chien. Et un accessoire
ultra payant : son fusil à canon scié !
D’où vient cette envie de fantaisie de style, plutôt
rare dans la comédie française ?
De mes goûts personnels. Boulogne-sur-Mer n’est pas en soi exotique
mais ce n’est pas une raison pour se faire chier visuellement (rires). Le cinéma
m’ennuie lorsque j’y sens une certaine paresse visuelle, un manque
d’inventivité. Et puis cette stylisation correspond à l’histoire que je raconte
: ces trois femmes vivent une aventure « bigger than life » qui dépasse leur
condition. Il fallait pour ça créer des décors à double sens. L’usine est
d’abord décrite dans sa fonctionnalité – elle sert à mettre en boîtes du
poisson – puis dans sa dimension comédie noire, où elle sert à mettre en boîtes
un homme. Le pavillon de Nadine, son salon rustique, ses bibelots, permettent
de décrire le personnage raisonnable incarné par Yolande Moreau. La fusillade
finale dans sa salle à manger raconte l’aventure extraordinaire que vivent ces
trois femmes. Le mobil-home subit le même sort sous les coups de pelle de Cécile
de France !
Y a-t-il une part de provocation dans REBELLES ?
Oui mais sans méchanceté ni dureté. Je préfère l’irrévérence. La
comédie est un fantastique véhicule pour aborder des sujets qui me tiennent à
coeur. VILAINE était un film contre les diktats de l’apparence et REBELLES
débute avec le personnage de Sandra, victime des mêmes diktats, même si la
suite raconte plutôt la prise en main par trois femmes de leur destin… façon
trash. J’aimerais que l’on voit REBELLES comme une « comédie Rock’n Roll ».
J’en écoute tous les jours. Je suis un inconditionnel du Velvet Underground
mais le film se rapprocherait plutôt du rock anglais de T.Rex avec, je
l’espère, un côté éminemment sympathique, populaire, accessible.
Dans le contexte actuel, REBELLES ne va pas échapper à
l’étiquette du film #MeToo !
J’en ai bien peur (rires) ! Mais je sais
aussi que tout et n’importe quoi peut être dit, notamment sur les réseaux
sociaux. J’ai écrit ce film bien avant et je n’ai jamais voulu surfer sur ce
mouvement. #MeToo est une prise de position importante qui fait avancer la
réflexion dans la bonne direction. Ceux qui l’estiment trop radical devraient
se rappeler que c’est la situation antérieure qui l’était. Mais REBELLES est un
film féminin, pas féministe. Il ne véhicule aucun discours, aucune
revendication. Je ne porte aucun jugement sur mes héroïnes. Je n’ai jamais eu
envie d’affirmer que la solution aux abus faits aux femmes est de couper la
bite des mecs... même si c’est ce qui arrive dans le film (rires).
Cette scène où l’agression de Sandra s’achève par la
castration de Jean-Mi, le contremaître de l’usine, est d’anthologie, sur le fil
du malaise et du burlesque. Comment l’avez-vous conçue ?
Nous l’avons filmée lors des deux derniers jours. C’était une scène
difficile à aborder. Mais les comédiens ont réussi à désamorcer la tension
qu’elle pouvait susciter. Notamment Patrick Ridremont, très drôle, qui a eu le
courage d’accepter le rôle de Jean-Mi... Montrer ce pénis coupé qui gigote
comme un poulet sans tête, c’est rechercher un effet grotesque, tragi-comique.
C’est un excès qui s’accorde au ton de la comédie noire. Cette scène doit faire
rire le public d’une situation qui est horrible : elle est fondatrice au sens
où elle donne le ton et le lance. Si je m’étais censuré à ce moment-là,
j’aurais sabordé l’esprit du film.
Les personnages masculins, notamment celui du mafieux
incarné par Simon Abkarian et du flic joué par Samuel Jouy, sont tout aussi
imprévisibles que les héroïnes !
Ce sont des hommes coincés, pris en tenaille, dans des positions
inconfortables. Ils sont à l’heure des choix. J’aime cette idée parce qu’elle
caractérise les hommes d’aujourd’hui. On est à la fois nourri par plusieurs
siècles de schémas dominants et questionné sur notre virilité. J’ai beau avoir
le sentiment d’assumer depuis longtemps ma part féminine, le quotidien me
renvoie parfois à certains réflexes ou attitudes très conditionnés. Le
personnage de Simon est littéralement coincé entre ces femmes et ses patrons :
il connaît son issue bien avant la fin de l’histoire. Son destin est, à mon
sens, heureux. Je disais à Simon Abkarian, que ce dernier moment sur la plage
avec Cécile de France, il ne l’échangerait contre rien au monde, quitte à en
mourir. Simon incarne la figure du anti-héros des romans noirs... Le personnage
de Samuel Jouy lui aussi est double : flic et ripou ; à la recherche des
coupables et amant de l’une d’entre elles. À la fois vénal et sentimental,
c’est d’ailleurs ce qui le perd. Seuls les méchants qui débarquent à la fin
sont irrécupérables : ils viennent pour le fric et rien d’autre. Ils incarnent
un schéma masculin beaucoup plus basique… à l’ancienne !
REBELLES est votre premier film en solo, après avoir
coréalisé VILAINE et KABOUL KITCHEN avec Jean-Patrick Benes. La pression
était-elle plus grande ?
Non mais ça impliquait davantage de travail !
Avec Jean-Patrick, on est liés par une collaboration et une complicité de
longue date qui se poursuivent aujourd’hui avec l’écriture d’un nouveau film.
Mais l’idée de REBELLES est partie d’un désir personnel : je l’ai coécrit avec
Jérémie Guez, jeune auteur ultra talentueux. C’est un film que je devais
réaliser seul, comme l’a fait Jean-Patrick avec ARÈS, son thriller de
science-fiction. Sur le plateau, je dois avouer que j’étais un homme heureux.
Honnêtement, je ne pouvais rêver à un meilleur casting, je roulais sur du
velours.
Vous réinventez la scène de dispute familiale qui
oppose Simon, Sandra et sa mère dans le mobil-home, en lui donnant une dimension
dantesque : en quoi était-ce une gageure ?
C’était un exercice d’équilibriste, même si tout a été répété,
chorégraphié, et que beaucoup d’effets spéciaux mécaniques et virtuels sont
utilisés. En tant que réalisateur, sur une scène comme celle-ci, je suis dans
le plaisir et le danger. Je ne pense qu’au spectateur : l’idée à cet instant du
film est de le sortir de sa zone de confort, de questionner son regard sur
Simon, en montrant jusqu’à quel point ce petit truand est prêt à aller pour
sauver sa peau. La scène doit aller loin, les personnages sont en danger, on
doit avoir peur pour eux, ne pas pouvoir anticiper l’issue de leur
confrontation. Si on n’y croit pas, tout tombe à l’eau. Simon Abkarian a réussi
à exprimer toutes les contradictions de son personnage : il est à la fois
violent et tente de s’en justifier, ce qui est à mon sens drôle car pathétique.
Et donc terriblement humain. J’aime aussi cette scène car Simon Abkarian et
Béatrice Agenin se dévoilent des cicatrices qu’ils se sont infligés des années
plus tôt : leurs retrouvailles sont à la démesure des douleurs du passé. Et je
montre qu’ils se sont rendus coup pour coup.
Les acteurs ont-ils partagé votre jubilation à tourner
une telle scène ?
Heureusement ! Ce qui n’a pas empêché Simon Abkarian d’appréhender ce
moment, ça prouve que c’est un homme sain (rires) ! Cécile de France et
Béatrice Agenin étaient dans une autre problématique : elles font face à
l’assaut et aux coups de Simon. Il était impensable pour moi qu’elles ne
ripostent pas. C’est l’essence du girl power tel que je l’envisageais pour le
film et qui a emballé les actrices : les personnages féminins sont maîtres de
leur destin ; elles ont le pouvoir d’agir et le prennent. Elles n’ont pas
besoin des hommes pour commettre des erreurs. Ou pour réussir. Au cinéma, les
femmes sont trop souvent les victimes collatérales de décisions prises par les
hommes : dans REBELLES, à aucun moment !
Dans laquelle des trois rebelles du film pourriez-vous
vous projeter ?
Question piège (rires). La plus évidente,
c’est Sandra : j’ai quitté ma province pour venir à Paris et je me serais senti
tout aussi mal d’y retourner après une série d’échecs... Marilyn, c’est un
fantasme : j’aurais rêvé d’assumer, comme elle, un côté punk... Mais en
définitive, c’est de Nadine dont je me sens le plus proche. Je suis quelqu’un
de raisonnable qui chaque jour se lève en se disant : « la vie est trop courte,
prends des risques ! ».
ENTRETIEN CÉCILE DE FRANCE,
AUDREY LAMY & YOLANDE MOREAU
UN TRIO HORS DU COMMUN
Cécile de France : J'ai flashé sur le scénario, atypique et décalé, dès
la première lecture et appelé Allan immédiatement. C'est plutôt rare de lire un
projet qui sort des sentiers battus là où beaucoup de comédies françaises se
déroulent dans un milieu bobo !
J'avais interprété pas mal de rôles de filles sympas, saines, solaires
donc me retrouver avec une Sandra qui n'est pas immédiatement sympathique était
réjouissant. Sandra est une miss déchue, aigrie par manque d'amour aussi, par
rapport à son passé. Il manque une pièce au puzzle de son identité... C'était
une vraie partie de plaisir de la composer. Je fais ce métier pour retrouver
chaque fois ce plaisir de jeu très enfantin. Je suis encore cette petite fille
de 12 ans qui collectionnait déguisements et chapeaux et adorait me transformer
pour les soirées costumées.
Les lectures avec Yolande et Audrey nous ont permis de trouver la bonne
dynamique, le tempo comique. Allan tenait à ce que l'on joue pleinement le
premier degré. Il nous a aussi choisies pour la complémentarité des
tempéraments : Marilyn, telle qu'Audrey Lamy la compose, c'est un peu Robert
Carlyle dans TRAINSPOTTING, le nerveux un peu sec qui électrise l'atmosphère
(rires). Nadine, c'est la raisonnable de la bande, plus sensible et ancrée dans
une normalité, comparée à Sandra qui est une tête brûlée sans règles ni morale.
La scène du karaoké a été l'une des occasions
de nous lâcher. C'était mignon de voir Nadine dépasser sa timidité et prendre
le micro. L'illusion est telle que l'on imagine que Yolande Moreau se serait
comportée comme elle alors que c'est une subtile variation du personnage de
clown qu'elle maîtrise depuis des années. Yolande m'a subjuguée et Audrey m'a
fait mourir de rire. Son énergie est communicative, généreuse à tel point que
notre complicité sur le tournage s'est transformée en une vraie amitié.
Audrey Lamy : Marilyn est une punk au sens où elle est libre, cash
et refuse de rentrer dans les cases. C'est une vraie rebelle, affranchie du
regard des autres. Elle peut t'embrasser tout en te collant une baffe (rires).
Elle est extrême dans sa façon de penser : on ne sait jamais à quoi s'attendre
parce qu'elle agit avant de réfléchir... Le rôle s'est construit petit à petit.
Je venais de quitter la série SCÈNES DE MÉNAGE et physiquement, je voulais
changer de tête. Allan me voyait blonde. Je rêvais de couleurs plus sombres. On
a trouvé ensemble la solution : coller une frange noire sur une perruque blonde
décolorée. Le travail sur les costumes a fait le reste !
C’est l’histoire de ces trois ouvrières qui se retrouvent dans une
histoire encore plus folle qu’elles et qui vont prendre leur destin en main,
qui m’a d’abord emballée. En apparence, elles sont fortes mais il suffit de
gratter un peu le vernis pour dévoiler leur sensibilité : Marilyn n'est rien
sans son fils ; Sandra arrive à Boulogne-sur-Mer, le mépris vissé aux lèvres,
puis se reconnecte peu à peu à ses racines ; Nadine qui vit avec un homme qui
ne fiche rien, va reconquérir sa place au sein de sa famille. Ce qui me touche,
c'est de les voir évoluer et s'émanciper sans renier ce qu'elles sont.
Quand j'ai su que Cécile et Yolande étaient de la partie, j’ai été
extrêmement flattée de tourner avec elles. Je les admire énormément. Allan a
mis en valeur le tempérament qui nous singularise. Il a choisi Yolande pour son
phrasé atypique, sa candeur et son regard étonné. Cécile, c'était pour son côté
leader, terre-à-terre et sans peur. Pour Marilyn, il voulait exploiter
l'énergie et le débit de paroles qui me correspondent, tout en m'autorisant à
creuser d'autres voies. Marilyn n'est pas qu'une boule d'énergie, il y a de la
tendresse en elle. C'est une mère qui sous-estime son fils et qui redécouvre le
petit garçon qui habite chez elle.
Yolande Moreau : J'ai eu un coup de foudre pour l'histoire. Le
quotidien de Nadine, Marilyn et Sandra est ordinaire - ce sont des
anti-héroïnes - mais ce qui leur arrive est extra-ordinaire. La succession
d'événements est surprenante : elles sont prises au dépourvu puis révèlent une
capacité de réaction aussi formidable que touchante. J'aime le côté punk et
sans complexe de Marilyn et la belle biche blessée qu'est Sandra, sous son
apparente dureté.
Les femmes un peu fortes en gueule, on me les propose sans cesse : je
peux les faire à la pelle mais à quoi bon ? Nadine tranche avec ce type de
rôles : elle semble la plus effacée mais c'est une guerrière. C'est elle qui
maintient la baraque à flots. Même si son mari n'en fiche pas une rame, elle
tient à lui, à sa famille, à la petite sécurité qu'elle s'est forgée. Des trois
filles, c'est elle qui a le sens des responsabilités, même si ses
considérations morales s'effondrent rapidement (rires).
Nadine, je l'ai intellectualisée dans un
premier temps mais au moment de jouer, je me suis efforcée d'être dans sa
vérité. Et cette vérité ne se calcule pas. Avec Cécile et Audrey, on s'est
retrouvé instinctivement sur un point : jouer vrai, être dans l'instant
présent. Lors d'un tournage, je ne veux ni me voir au combo ni me corriger. Je
préfère jouer avec mon ventre qu'avec ma tête.
GIRL POWER
Cécile de France : Même si Nadine, Marilyn et Sandra sont plongées dans
un univers d'ordinaire réservé aux hommes, elles ne jouent pas aux mecs. Ce
côté « Girl Power » irrigue le film dans le bon sens : elles sont actives et maîtrisent
leur destin. Elles ont grandi comme chacune d'entre nous dans un monde
masculin, avec tous ces codes d'héroïsme, de dureté qui sont parfois aussi
pesants pour les hommes. Elles sont maladroites, commettent des erreurs et
c'est ce qui les rend attachantes. Je les admire parce qu'elles ne renoncent
pas. Elles se castagnent, jouent des flingues et utilisent leurs atouts
féminins : charisme, séduction et autorité ! Avec REBELLES, c'est au tour des
femmes d'avoir les ongles sales, de se battre dans la boue, d'avoir du sang sur
les mains et d'afficher leurs cicatrices. Au cinéma, les réalisateurs oublient
souvent que les acteurs ont un corps et qu'ils peuvent s'en servir ! J'ai adoré
donner des coups de pelle (rires).
Allan a écrit REBELLES avant l'apparition du mouvement #MeToo, ce qui
fait de lui un précurseur et non pas un suiviste. En tant qu'artiste et
intellectuel, il est sensible à l'évolution de la société. À travers ce film,
il en est le témoin mais c'est avant tout son amour de tous les cinémas qui le
nourrit : ERIN BROCKOVICH, THELMA ET LOUISE, CONVOI DE FEMMES, YOUNG ADULT...
Il n'a jamais cherché à tenir un discours, à adopter une posture. Dans cette
période cruciale où la parole des femmes se libère, si le public s'empare du
film, en débatte et que cela fasse progresser la lutte contre les préjugés,
tant mieux : c'est aussi à cela que sert la fiction ! La partition qu'Allan a
confiée à Samuel Jouy et Simon Abkarian montre aussi à quel point il aime tous
ses personnages. Le flic est vénal et sentimental, sexy et glamour aussi. Le
truand c'est l'anti-héros qu'on adore et voir Simon l'incarner avec une telle
intelligence est un régal.
La scène de castration de Jean-Mi, le
contremaître qui agresse Sandra, était un pari scénaristique et visuel. Avec
Patrick Ridremont qui l'incarne, on a suivi la voie du tragi-comique, à la fois
pour rendre la situation crédible mais aussi pour la désamorcer. L'erreur
aurait été d'en faire une scène glauque et gore de bout en bout, or Allan a le
sens des ruptures de ton. Il y avait une solidarité lors du tournage de cette
scène. À l'écran, tout sonne juste alors que la situation est improbable. Sans
doute parce que le début du film nous a déjà embarqué par son humour décalé et
son refus de juger les personnages. Les seuls vrais méchants du film sont des
Belges... et non, je n'ai pas cherché à changer le scénario (rires). Ce sont
des archétypes de polar noir et je trouve ça rigolo, au même titre que ceux des
films de Tarantino !
Audrey Lamy : REBELLES ne montre à aucun moment que les gars sont
tous des cons et que le pouvoir doit revenir aux femmes. La démarche d'Allan
est plus intelligente : il a inversé les rôles. Nadine, Sandra et Marilyn
s'allient, se disputent, se trahissent comme les héros de films noirs que les
hommes ont l'habitude d'incarner. Mais les hommes de REBELLES ne sont pas des
potiches : le flic, comme le truand, ont une véritable épaisseur et une
trajectoire à défendre. Allan a fait un film féminin et non pas féministe : il ne
se réclame pas d'un camp contre l'autre et ses trois héroïnes restent
pleinement des femmes, coquettes, sexy et glamour. Je n'aime ni que l'on
enferme les femmes dans des stéréotypes ni que l'on dégrade l'image des hommes.
J'aime l'humain : peu importe le genre, on est censé se retrouver autour des
mêmes valeurs et les défendre. REBELLES questionne ce que n'importe qui est
prêt à faire aujourd'hui pour s'en sortir. Allan n'est pas dans l'entre-deux :
il est monté au front et a accompli un film ancré dans son époque.
La castration de Jean-Mi est la preuve de son audace. Il passe du
malaise au burlesque en optant notamment pour une bande-son décalée. Quand
Jean-Mi arrive dans les vestiaires, c'est flippant : on croit à sa méchanceté
et on n'envisage pas d'autre issue que le viol. Sandra se défend comme elle
peut…. La suite, c'est du Tex Avery un peu trash !
Certains vont évoquer #MeToo à propos du film mais il n’y a rien de
militant dans le film. Allan porte juste un regard bienveillant et moderne sur
trois femmes ordinaires qui vont saisir l'opportunité de changer le cours de
leur vie.
Yolande Moreau : Dans les polars noirs, ce sont généralement les mecs
qui sont au coeur de l'action et des magouilles de fric. REBELLES est jouissif
parce qu'Allan montre des femmes qui s'y collent et qui ont bien l'intention
d'avoir le fin mot de l'histoire. REBELLES c'est un film féministe... sans
revendication ! Faire référence au mouvement #MeToo, c'est surinterpréter les
choses, notamment la scène de la bite coupée (rires). #MeToo a libéré la parole
des femmes. C'est très important mais REBELLES est loin de tout ce phénomène.
Le « Girl Power » du film tient autant à la
singularité du trio qu'à sa crédibilité. Allan n'est pas tombé dans les
conventions du film de copines, où chacune verrait dans la fuite la possibilité
d'une renaissance. Il y a de multiples façons de s'émanciper : Nadine aime sa
ville, son mari et n'envisage pas de changer radicalement de vie. En revanche,
un peu plus de beurre dans les épinards ne peut pas faire de mal (rires).
ALLAN MAUDUIT, TOUS GENRES CONFONDUS
Cécile de France : Les acteurs ont besoin d'être bridés et Allan les aime
suffisamment pour savoir gérer notre impulsivité, notre désir parfois gamin
d'en rajouter. C'est lui qui savait jusqu'où pousser le curseur de la comédie.
Après VILAINE, qu'il avait signé avec Jean-Patrick Benes, REBELLES est le
premier film d'Allan en solo. Il s'est toujours montré à la fois humble et
perfectionniste. Il a mis tout son coeur et son énergie pour accomplir son
rêve. À l'instar de VILAINE qui dénonçait déjà les diktats de l'apparence,
REBELLES est inspiré par les femmes. Et c'est formidable de sentir qu'un homme
comme lui vous filme comme Tarantino le fait avec Uma Thurman : avec un regard
sexy, glamour, décomplexé.
Allan est aussi guidé par son amour des genres et des
personnages humainement complexes. La scène du mobil-home est un bel exemple
d'audace et de parti pris visuel : c'est le fruit d'une recherche chromatique
approfondie avec Vincent Mathias, le chef opérateur. Tout est pensé, assumé
avec beaucoup de cohérence, y compris dans son côté western. À l'image des
cinéastes qui ont aimé filmer les yeux bleus de Clint Eastwood en plein désert
poussiéreux, Allan aime les « Badass » !
Audrey Lamy : Quand
un scénario est accompli, au niveau de la caractérisation des personnages et du
récit, la confiance est acquise. Je connaissais Allan à travers l'univers déjà
bien barré de VILAINE. Allan n'a pas eu peur de bousculer les conventions et de
mélanger les références : dans REBELLES, il y a du western, de l'humour noir,
de l'absurde, de la tragi-comédie, du polar et un univers visuel très
californien.
Allan est un homme qui sait écrire pour les femmes, qui
aime les filmer mais c'est aussi un réalisateur qui adore qu'on lui soumette
des idées. Improviser suppose un cadre : dès qu'un comédien essaye de faire
rire, il a une chance sur deux pour qu'il se prenne un bide ! REBELLES est un
tel exercice de funambule qu'il n'a rien laissé passer et il a eu raison. Au
cinéma, une grimace est multipliée par mille, c'est atroce (rires). Allan nous
a donné des libertés lorsqu'on a su le convaincre. Dans la scène de castration
dont on parlait, Marilyn tente de réconforter Jean-Mi en lui parlant chirurgie
esthétique et lui, furieux, se met à lui gueuler dessus. Dans le scénario,
Marilyn s'arrêtait là mais j'ai enchaîné en le tabassant alors qu'il est à
terre et en sang. Allan était ravi !
Mettre en
valeur la féminité, donner de beaux rôles ambivalents aux hommes, mixer les
genres et les tons, c'est un peu la marque de Tarantino et je trouve que
REBELLES s'inscrit dans cette lignée. J'assume d'autant plus cette référence
que je ne suis pas l'auteure du film (rires).
Yolande Moreau : L'écriture
d'Allan est à la fois drôle et trash. À l'écran, le résultat est fidèle à ses
intentions : une manière de filmer assez nerveuse, un style qui ne prend jamais
le pas sur l'histoire, l'absence de jugement sur les personnages et son plaisir
à filmer des femmes. Son univers me rappelle celui de FARGO des frères Coen,
dont je suis une inconditionnelle.
Comme Cécile et Audrey, j'adore les improvisations. Je
retrouve à chaque fois ce que j'ai aimé dans le mime et mon travail avec Jérôme
Deschamps. Allan a su nous écouter lorsque cela collait à l'humour décalé qu'il
souhaitait. Dans la scène où les filles vont réconforter Sandra et sa mère,
après l'intrusion de Simon, Nadine leur propose de les régaler d'une omelette.
« Avec des oeufs », précise-t-elle. Et ça, c'est de mon cru !
Allan ne
filme pas dans la douleur ce qui est fondamental pour moi. C'est tellement rare
de voir un cinéaste se risquer à un tel travail d'équilibriste, entre noirceur,
drôlerie, émotion et pur divertissement. Sous un vernis décapant, Allan parle
aussi avec pudeur des liens familiaux, qu'ils soient du sang ou du coeur. Son
regard sur la paternité m'a émue : sans dévoiler l'intrigue, il a une manière
d'exalter les sentiments, lorsque ça dégénère pour Sandra dans le mobil-home,
puis de les adoucir, lors de la scène sur la plage. L'économie de mots est
magnifique, l'émotion affleure sans pathos...
IL ÉTAIT UNE FOIS LE NORD
Cécile de France : Allan a fait de Boulogne-sur-Mer un vrai décor de cinéma, sans
verser ni dans la tristesse ni dans le pathos. Le port, c'est l'ouverture vers
l'aventure, un ailleurs, des possibles aussi extravagants soient-ils. Nous
avons tourné en mars, il faisait très froid, parfois il neigeait et il fallait
creuser la terre, « y aller » comme le font nos personnages. C'était un
tournage assez physique et j'adore ça ! Le Nord m'a rappelé la Belgique et le
milieu prolétaire dans lequel j'ai grandi. Dans la conserverie, nous étions au
contact de la réalité et des gens. Au plus près de la vérité de nos
personnages.
Contrairement à Sandra, je garde un fort attachement
culturel à mes racines. J'ai retrouvé dans REBELLES une part de mon identité,
comme s'il avait pu être écrit et réalisé par un Belge ! Lorsqu'Allan intègre
la trompette à la musique du film, ça me rappelle mon enfance avec cette
culture des fanfares populaires, des majorettes. Les gens sont cash, se fichent
de leur apparence ; ils sont dans l'essentiel, la vie comme la survie.
Audrey Lamy : Allan ne
porte aucun regard misérabiliste sur le milieu dans lequel évoluent les
héroïnes. Il a filmé le Nord avec une vraie tendresse, une envie de l'embellir.
S'il tenait tant à Boulogne-sur-Mer, c'est pour des raisons liées au scénario -
le port et la conserverie – mais il ne s'en est jamais servi comme élément de
caricature. Les premiers plans du film sont très beaux et la scène de nuit où
les filles cherchent à se débarrasser des boîtes du thon, a le cachet des
polars noirs. Allan a beaucoup travaillé en amont avec Vincent Mathias pour
imprimer un style visuel fort et rendre les lieux solaires. À quoi bon montrer
des femmes qui s'échinent à l'usine, rament pour les fins de mois si c'est pour
rendre leur cadre de vie cafardeux ? Les ouvrières de la conserverie qui ont
joué dans le film étaient ravies : elles nous ont enseigné leur savoir-faire et
montrer la solidarité qui les unit. Elles ont cet humour ravageur, ce sens de
l'autodérision qui leur permettent d'avoir du recul sur la dureté de leur
boulot. Ce sont des femmes qui gardent la tête haute, des guerrières comme je
les aime.Incarner quelqu'un comme Marilyn qui vient d'un milieu populaire a du sens
: c'est une femme qui veut être entendue, être respectée et réaliser ses rêves.
Même s'il n'est pas nécessaire de buter son patron pour y arriver (rires).
Yolande
Moreau : Mettre les
mains dans le poisson, je le fais aussi chez moi : découper du maquereau ou
trier le poisson ne m'impressionne pas (rires). Avec Cécile et Audrey, on a
beaucoup échangé avec les ouvrières - figurantes dans le film – qui étaient
ravies d'échapper à leur quotidien le temps du tournage. L'une des surprises du
film est de s'ouvrir et de se clore sur une image lumineuse de
Boulogne-sur-Mer. On a beau sentir que le quotidien y est rude, Allan a eu
l'intelligence de ne pas en rajouter : il a capté l'atmosphère de cette ville
pour en tirer chaleur et beauté.
UNE COMÉDIE INCLASSABLE ?
Cécile de France : Il y a dans
REBELLES un côté anglo-saxon, entre le cinéma de Stephen Frears et celui de Ken
Loach, un parfum de THE FULL MONTY aussi, autant de références que
j'affectionne. Combien de films allient à la fois polar noir, western moderne, tragi-comédie
? Il y a une place pour l'inventivité, la fantaisie, l'ironie sans moquerie. Je
ne vois pas Allan comme un provocateur. Pour moi, REBELLES est une comédie
rock'n roll au féminin. A l'origine, le rock était un vecteur d'expression du
quotidien issu des faubourgs ouvriers. REBELLES se cale sur le même rythme et
ne s'embarrasse d'aucune circonvolution : c'est dynamique, joyeux malgré la
rudesse, palpitant. L'histoire nous surprend, nous coupe le souffle sans jamais
perdre l'humanité de ses personnages. J'aime les réalisateurs qui pensent au
plaisir des spectateurs : Allan a voulu les embarquer, les émouvoir et les
réjouir.
Audrey Lamy : C'est
compliqué de définir le film tant il mélange les genres et se joue des
étiquettes. L'idée de comédie rock'n roll me plaît : c'est positif et
électrique. A l'image de tout ce qui arrive à Marilyn : la scène où je fais
valser la voiture qui part en tonneaux, celle où je me planque derrière la
vache qui explose, la fusillade chez Nadine... C'est rare pour une actrice
d'avoir un flingue entre les mains, de filer des tartes et des coups de boule,
d'avoir du sang sur le visage ! Allan a fait preuve d'audace mais ce sont les
rapports humains qui l'intéressent : c'est en injectant de la sensibilité, de
l'amitié et de l'amour au récit que REBELLES prend tout son sens.
Yolande
Moreau : Il y a un
ton très anglo-saxon qui parcourt le film, à la fois drôle, cash et proche des
milieux populaires, comme l'était RIFF-RAFF de Ken Loach qui m'avait beaucoup
touchée. Ce sera amusant de voir ce que le public considère comme trash ou pas.
Personnellement, ce n'est pas la scène de la bite tranchée que je trouve trash
: c'est l'idée de découper un gars et de répartir les morceaux dans des boîtes
de thon (rires). REBELLES est une comédie de situations - le ton est donné dès
le générique très sophistiqué et le choix de la musique – avec des moments
azimutés, comme la scène de fusillade chez Nadine. Tout était chorégraphié au
millimètre par Allan. En deux jours de tournage, il a fait valdinguer le décor
: c'était assourdissant mais on savait que le résultat allait être détonant !
REBELLES ne verse ni dans la méchanceté gratuite ni dans l'humour purement
gaguesque. Le film est amoral et c'est ce que j'aime.
Source et copyright des textes des notes de production @ Le Pacte
#Rebelles
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