dimanche 10 février 2019

LONG WAY HOME


Drame/Deux très belles interprétations pour une histoire pleine d'humanité malgré un fond social dur 

Réalisé par Jordana Spiro 
Avec Dominique Fishback, Tatum Marilyn Hall, Max Casella, Erin Darke, James McDaniel, Denisa Juhos, Victor Cruz, Jeté Laurence...

Long-métrage Américain
Titre original : Night Comes On 
Durée : 01h27mn
Année de production : 2018
Distributeur : Condor Distribution  

Date de sortie sur les écrans américains : 3 août 2018
Date de sortie sur nos écrans : 13 février 2019


Résumé : à sa sortie de prison, Angel, 18 ans, retrouve sa jeune sœur Abby dans sa famille d’accueil à Philadelphie. Malgré leur profonde complicité, le drame qui les a séparées a laissé des traces. Avant de tourner la page, Angel sait qu’elle doit se confronter au passé et convainc Abby de l’accompagner dans son périple. Ensemble, elles prennent la route, sans mesurer ce que va provoquer chez elles ce retour aux sources.

Bande annonce (VOSTFR)


Ce que j'en ai pensé : LONG WAY HOME faisait partie de la compétition du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2018 et c’est pendant cet événement que je l’ai découvert sous son titre original NIGHT COMES ON

Avec cette histoire, on est au cœur du principe du film indépendant : petit budget, acteurs inconnus, thématique sociale dure. Avec ce premier film, la réalisatrice Jordana Spiro centre tout le déroulement de sa narration autour du ressenti et du vécu de ses deux héroïnes. Elle les filme de façon à nous expliquer le contexte dans lequel elles se trouvent et nous expose au fur et à mesure comment le passé impacte leur état émotionnel et leurs actions dans le présent. Elle le fait avec une grande maîtrise. Au départ, elle nous entraîne sur des sentiers qu’on a déjà l’impression d’avoir vu et puis au fur et à mesure, elle construit une relation entre ses personnages et nous de façon plus inattendue. 

On s’attache à ce duo de jeunes filles qui souffrent et qui essaient de se raccrocher au peu qu’il leur reste. Dans une réalité glauque, la réalisatrice réussit à faire allumer une étincelle d’humanité. Les deux actrices, Dominique Fishback qui interprète Angel Lamere et Tatum Marilyn Hall qui interprète la petite sœur d'Angel, Abby, sont vraiment touchantes et convaincantes. Elles font vibrer des cordes qui résonnent dans l’esprit des spectateurs.





LONG WAY HOME est un exemple de très bon film américain indépendant qui se base sur une thématique sociale terrible pour nous emmener vers une histoire humaine. Simple et beau, il va droit au cœur. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait remporté le Prix du Jury à Deauville. 

Copyright photos @ Condor Distribution

NOTES DE PRODUCTION
(À ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

NOTE D’INTENTION DE LA RÉALISATRICE 

Le voyage d’Angel est une bataille intérieure la poussant à venger le meurtre de sa mère. Elle tente de se convaincre que cet acte dévastateur, indépendamment de ses conséquences, donnera un sens à sa vie. Cette histoire m’est venue à une période où j’étais de plus en plus en désaccord avec moi-même et ce qui devait compter pour moi. Cette introspection, la volonté de ne pas se sentir à la dérive, le contrôle de sa propre vie, peut être si puissant qu’on peut s’y accrocher sans se préoccuper des conséquences. Je voulais explorer cela au travers d’un personnage féminin qui n’était pas de prime abord émotionnellement disponible ou facile à comprendre. Au début, Angel semble être le stéréotype même de la jeune fille perturbée, mais plus on apprend à la connaître, plus on a d’empathie pour elle – pour ses peurs et ce à quoi elle aspire. Angel vit sa vie privée dans les espaces publics – des bus, des couloirs, des sas d’accueil – des lieux où les gens ne font que passer. Je voulais créer un état de rêverie, comme si Angel était une âme flottant à travers le monde, incapable de se poser où que ce soit, ni auprès de qui que ce soit car elle est convaincue qu’elle est néfaste. De sorte que lorsque Abby fait son entrée avec sa force de vie, son insouciance, on ne peut que noter le contraste. Cette source de pure amour et de sincère tendresse amène Angel à percevoir une nouvelle image d’elle-même. C’est une histoire sur la possibilité de redécouverte et du pouvoir d’une connexion honnête entre êtres humains. Nous avons tous en nous une part d’obscurité, d’innocence enfantine, de peur de la perte, de besoin de survie mais surtout d’amour. 

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE JORDANA SPIRO 

Après une longue carrière d'actrice, pourquoi avez-vous décidé de passer à la réalisation ? 

Quand j'ai eu 18 ans, j'ai quitté New York où j'ai grandi, pour aller m'installer à Los Angeles. Là, j'ai commencé ma carrière d'actrice. J'avais de la chance de pouvoir vivre de mon métier. Mais après dix ans de carrière, j'ai commencé à déchanter par rapport aux histoires et aux personnages inconsistants qu'on me proposait. En parallèle, je faisais beaucoup de photographie. A ce moment-là, j'ai cherché quel autre métier je pourrais faire. Travailler avec des enfants, devenir psychologue : en somme, tenter de comprendre ce qui se joue à l'intérieur d'une personne. Je suis allée à l'université de Columbia à New York pour suivre un cursus en réalisation. Je voulais vraiment prendre le temps de savoir ce que je voulais raconter et comment le raconter avec les outils les plus appropriés. 

Votre volonté de comprendre ce qui traverse les individus nourrit-elle vos personnages ? 

En tant qu'actrice, scénariste et réalisatrice, montrer comment s'expriment les émotions quand tout est intériorisé est ce qui m'intéresse le plus, au même titre que de tenter de comprendre la nature humaine. 

Etre une actrice est-il un atout pour diriger vos comédiens ? 

Je pense que oui. Je jauge mieux la scène et ce qu'elle nécessite de la part des acteurs. Je crois que je perçois mieux les enjeux, inhérents à chaque séquence. 

Quelle est la genèse de votre film ? 

J'ai commencé à l'écrire aux alentours de 2009, pas en continu mais le point de départ se situe-là. A cette époque, je ne savais pas quelle direction donner à ma vie et à ma carrière. J'ai commencé à faire du volontariat dans différentes associations pour trouver de nouvelles perspectives. Je traversais une crise existentielle. J'ai grandi dans un milieu aisé. A cette époque, je rencontrais et travaillais au contact de jeunes qui se sentaient aussi perdus que moi. Ils n'ont aucun soutien autour d'eux. Et tout cela se retourne contre eux, tant sur le plan social qu'économique et racial. D'où vient leur force et leur bravoure pour surmonter toutes ces épreuves ? J'étais remplie d'admiration pour ces jeunes. Avec un tel passif, sont-ils condamnés à développer des comportements destructeurs, pour se réveiller un beau jour et savoir quel est leur but dans la vie ? En passant du temps avec eux, j'ai compris qu'ils voulaient simplement avoir des perspectives et être valorisés. Comme je voulais faire une étude approfondie de personnages, il me fallait m'appuyer sur un récit qui permettrait d'explorer la relation entre mes deux héroïnes. 

Comment avez-vous trouvé vos deux interprètes Dominique Fishback qui joue Angel et Tatum Marilyn Hall qui interprète sa petite sœur Abby ? 

J'ai mis énormément de temps à trouver mes deux comédiennes. Nous avons fait des castings sauvages dans la rue, les écoles et les foyers. Nous avons rencontré plus de 800 jeunes en un an. On a rencontré Tatum - qui interprète Abby - à une compétition de Step Dance. On l'a invitée aux auditions, basées sur des improvisations et organisées chaque week-end à la bibliothèque municipale. Je n'avais pas encore prospecté dans le milieu professionnel pour trouver Angel, quand j'ai joué dans une série, le temps d'un épisode. C'est à cette occasion que j'ai rencontré Dominique. Je l'aidais, dans cet épisode, à donner naissance à son enfant ! Pendant le « travail », je me suis dit qu'elle était douée. Elle est l'auteure d'un show dans lequel elle incarne 22 personnages différents. Je suis allée voir son spectacle et j'ai été soufflée par son talent et sa force. Sa sensibilité et son caractère introverti m'ont séduite. Elle combinait toutes les qualités que je recherchais. 

Comment avez-vous travaillé avec vos deux actrices sur la relation particulière qu'elles entretiennent, à la fois complice et antagoniste ? 

J'adore les répétitions et mes deux actrices se réjouissaient aussi à l'idée de répéter ensemble. On a passé beaucoup de temps dans mon salon à déconstruire les scènes pour en cerner tous les enjeux, à improviser, à écouter de la musique. En somme, on a appris à se connaître. Je devais m'assurer que le sens des scènes était compris parce que l'essentiel du film se loge dans les silences d'Angel et les différentes strates qui le composent. 

Avez-vous entrepris des recherches documentaires sur les prisons pour mineurs d'où sort Angel ? 

À partir du moment où j'ai pris la décision de situer mon film dans cette communauté et ce milieu, je voulais m'entourer d'une personne capable de parler de cette expérience. Dans mon pays, ces minorités sont sous-représentées ou mal représentées. J'ai donc travaillé avec Angelica Nwandu, spécialiste de la culture noire, qui a co-scénarisé le film. Je l'ai rencontrée quand je faisais du bénévolat pour l’association « Peace4Kids ». Elle m'a apporté son expertise sur la manière dont le système carcéral fonctionne. Nous avons fait de nombreux entretiens avec des avocats et leurs jeunes clients mais aussi des travailleurs sociaux. Nous avons visité des prisons pour mineurs et amassé beaucoup de matériel documentaire avec Angelica. Nous avons également regardé des documentaires avec Dominique Fishback pour connaître le monde carcéral. 

Le corps est un motif central du film. Ses transformations, ses traumatismes parlent constamment de la féminité. 

Je suis à l'aise avec le sujet car je sais ce que c'est que d'être une femme. Je voulais que mon approche soit la plus organique et pertinente possible. Par exemple, quand on a ses règles pour la première fois, on est capable de se souvenir précisément quand et où c'est arrivé, à qui on en a parlé, qui nous a aidé ou encore, si on a préféré le taire. J'ai beaucoup réfléchi à la relation mère-fille et à ces moments, comme celui-là, où une mère vous manque le plus. Je voulais montrer comment Abby qui porte le deuil de sa mère, devient à son tour une femme et une mère en puissance. J'étais par ailleurs avide de représenter la féminité, qu'on laisse habituellement de côté chez les héroïnes de cinéma, et de l'injecter dans mon film. 

Le motif de la mer traverse tout votre récit, de la bande son à la scène de la baignade, jusqu'aux patronymes à consonance française, de vos personnages, « LaMere ». D'où cela vous vient-il ? 

J'adore le français. J'ai passé des années à essayer de le parler, sans obtenir de bons résultats ! J'aime que mes personnages aient un nom qui raconte une histoire, comme ce jeu de mots entre « la mer » et « la mère ». J'aimais aussi l'idée que la famille d'Angel vienne d'ailleurs. A un stade de l'écriture, Angelica et moi nous nous sommes précisément senties bloquées. Nous avons alors décidé de prendre la route pour Philadelphie. Pendant notre road-trip, c'est devenu une évidence que nos deux héroïnes devaient elles aussi se mettre en mouvement, pour avoir le sentiment de changer de paysage, intérieur et extérieur. D'où notre décision de situer le film à Philadelphie. La ville n'a aucun accès à l'océan, donc beaucoup de personnes se rendent le week-end à la mer dans le New Jersey. Quand s'est posée la question de leur destination, la mer s'est imposée comme l'endroit le plus régénérant pour elles. 

Le bain de mer « amniotique » que prennent les deux sœurs signe leur renaissance. 

Tout à fait. Angel croit tout ce que les gens lui disent sur elle. Elle pense qu'elle ne vaut rien, qu'elle ne compte pour personne, qu'elle n'a aucun espoir. Et quand on commence à raisonner de cette manière, on pense que les gens que l'on aime seraient mieux sans nous. Nous voulions qu'elle puisse accéder à une autre manière de penser et qu'elle puisse renaître. 

Angel se libère mais son père semble, quant à lui, définitivement coincé dans le passé. Il habite la maison où s'est déroulée la tragédie. Est-elle comme la prison d'où sort Angel ? 

J'aime bien cette idée. Dans la première mouture du scénario, le père était méchant mais c'était un peu trop facile. La nature humaine est plus complexe. Il s'est rendu coupable de meurtre, ce qui est impardonnable, mais cela reste un être humain, rongé par les remords. Il a si honte et se sent si coupable qu'il est lui-même prisonnier dans son existence. Il ne peut pas surmonter le traumatisme et reste bloqué dans le passé. 

La séquence de préparation du repas convoque les fantômes. On peut sentir la présence de la mère et le poids du passé dans cette scène. 

Je suis heureuse que l'on sente cette présence fantomatique. Nous avions une régisseuse générale - Lara Costa Calzado - qui était merveilleuse. Elle a travaillé avec ce fantôme et fait de belles propositions. Elle a imaginé ces marques de cadres sur les murs et leur a donné un effet poussiéreux. Quant à la scène de préparation du repas, il s'agissait d'inscrire un moment de normalité dans un univers sens dessus dessous. C'est aussi ce à quoi leur vie ressemblerait s'il n'y avait pas eu cette tragédie. On sent que la fille comme le père désirent ardemment retrouver ces instants. La vie est faite de ces moments d'attraction et de répulsion. 

La caméra se tient au plus près des personnages. Pourquoi ce choix ? 

Je ne voulais pas regarder Angel de loin mais être avec elle. Je ne voulais pas non plus placer ma caméra près d'elle, de manière brutale et désordonnée. Je souhaitais que ma mise en scène soit digne et douce avec elle. Je remercie mon cameraman qui a un dos si solide car filmer caméra à l'épaule avec de longues focales, ce n'est pas toujours simple. Nous n'avons pu avoir une steadicam qu'une seule journée, faute de budget. Par ailleurs, je souhaitais utiliser principalement de la lumière naturelle pour enlever toute artificialité et laisser de l'espace aux acteurs, en n'utilisant pas trop de décors. 

Pouvez-vous nous parler de la musique du film ? 

J'écoutais beaucoup le groupe Eluvium quand j'écrivais mon film. C'est de l'ambient. Elle permet de se connecter aux pensées d'Angel et d'ouvrir un espace mental chez le spectateur. Mais aussi de ralentir le rythme du film et d'être aussi dans le moment présent. J'ai demandé à Matthew Cooper, membre du groupe Eluvium, d'utiliser un morceau. On s'est si bien entendu qu'il a composé des titres originaux pour le film. 

Votre héroïne est noire et lesbienne. En donnant une visibilité à ces minorités qui n'en ont pas habituellement, souhaitiez-vous faire un film militant ? 

Ça m'intéresse de faire des films qui font preuve d'empathie à l'égard des personnages et qui vous rappellent que vous êtes vous-même une personne douée d'empathie. Je souhaitais faire vivre un personnage marginalisé et stéréotypé, qui n'a aucune perspective et qui est perturbé. Tous ces mots négatifs que l'on emploie pour parler habituellement de ce type de personnage, je voulais les dynamiter pour montrer la vulnérabilité et la tendresse qu'Angel a au fond d'elle. Qu'elle soit noire cadre avec la communauté que ma co-scénariste et moi-même avons rencontrée à Los Angeles. La majorité des enfants qui vivent dans les familles d'accueil sont noirs. Angel est lesbienne. C'est son identité sexuelle et peut-être ce qui fonctionne le mieux dans sa vie. Elle a beau avoir des problèmes avec son ex petite amie, au moins, elle peut s'ouvrir complètement à elle. C'est la seule personne dans le film avec laquelle elle peut parler le plus honnêtement du monde. Son orientation sexuelle fait partie de sa force et des rares certitudes qu'elle a sur elle-même. C'est moins compliqué que le reste de sa vie. C'est pour cette raison que son homosexualité n'est pas l'élément principal de cette histoire. J'aimerais qu'on sorte de mon film en ayant un autre regard sur les personnes marginales, celles dont on s'écarte dans la rue, qu'on juge agressives, sans savoir ce qu'elles ont au fond d'elles. Mon objectif se situe là, plus que de m'engager politiquement en faveur d'un groupe ou d'une catégorie de personnes. 

Source et copyright des textes des notes de production @ Condor Distribution

 
#LongWayHome

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