Drame/Malgré des longueurs, un premier long-métrage au cachet indépendant très bien maîtrisé avec une actrice superbe
Réalisé par Peter Mackie Burns
Avec Emily Beecham, Geraldine James, Tom Vaughan-Lawlor, Nathaniel Martello-White, Karina Fernandez, Stuart McQuarrie, Osy Ikhile, Sinead Matthews...
Long-métrage Britannique
Titre original : Daphne
Durée: 01h33mn
Année de production: 2016
Distributeur: Paname Distribution
Date de sortie sur les écrans britanniques : 29 septembre 2017
Résumé : La vie de Daphné est un véritable tourbillon. Aux folles journées dans le restaurant londonien où elle travaille succèdent des nuits enivrées dans des bras inconnus. Elle est spirituelle, aime faire la fête mais sous sa personnalité à l’humour acerbe et misanthrope Daphné n’est pas heureuse.
Lorsqu’elle assiste à un violent braquage sa carapace commence à se briser…
Bande annonce (VOSTFR)
Daphné - Extrait 1 (VOSTFR)
Daphné - Extrait 2 (VOSTFR)
Daphné - Extrait 3 (VOSTFR)
Daphné - Extrait 4 (VOSTFR)
Ce que j'en ai pensé : DAPHNÉ est un typique film de festival. Visiblement fait avec peu de moyens, son réalisateur, Peter Mackie Burns, filme pourtant son histoire avec intensité et un très grand réalisme, dans un Londres loin des sentiers touristiques et pourtant tout à fait reconnaissable grâce à la façon dont il capte l'ambiance et les mélanges culturels de cette belle capitale.
Ses plans tour à tour rapprochés ou indirects mettent en valeur le sujet unique et principal de son long-métrage : son héroïne, Daphné. Il aime visiblement ce personnage ainsi que l'actrice qui l'interprète et veut nous faire partager sa vie, ses imperfections, ses doutes, ses chancellements, ses incapacités... Il le fait très bien.
Cependant, même s'il est clairement question de mettre en scène une tranche de vie et de nous illustrer la façon dont un événement l'impacte, par petites touches, le scénario n'est pas très approfondi. Des longueurs se font sentir.
Pourtant une certaine fascination pour ce personnage, que l'actrice, Emily Beecham, rend vraiment attachante, s'installe. Du coup, notre curiosité pour ce qui va lui arriver maintient notre intérêt et notre attention face au déroulement de cette intrigue minimaliste. Il est certain que l'actrice est magnifique. Le réalisateur l'embrasse de sa caméra et lui déclare un amour sans faille dans ses plans. Cette dynamique charme le spectateur et parvient à nous faire dépasser les limites de son scénario.
DAPHNÉ est un film lent, certes, mais à la réalisation qui a un cachet indépendant remarquablement bien maîtrisé pour un premier long-métrage et une actrice principale superbe. Ces raisons sont tout à fait suffisantes pour vous le conseiller, si un rythme très tranquille autour d'une étude de caractère moderne ne vous déplaît pas.
Ses plans tour à tour rapprochés ou indirects mettent en valeur le sujet unique et principal de son long-métrage : son héroïne, Daphné. Il aime visiblement ce personnage ainsi que l'actrice qui l'interprète et veut nous faire partager sa vie, ses imperfections, ses doutes, ses chancellements, ses incapacités... Il le fait très bien.
Cependant, même s'il est clairement question de mettre en scène une tranche de vie et de nous illustrer la façon dont un événement l'impacte, par petites touches, le scénario n'est pas très approfondi. Des longueurs se font sentir.
Pourtant une certaine fascination pour ce personnage, que l'actrice, Emily Beecham, rend vraiment attachante, s'installe. Du coup, notre curiosité pour ce qui va lui arriver maintient notre intérêt et notre attention face au déroulement de cette intrigue minimaliste. Il est certain que l'actrice est magnifique. Le réalisateur l'embrasse de sa caméra et lui déclare un amour sans faille dans ses plans. Cette dynamique charme le spectateur et parvient à nous faire dépasser les limites de son scénario.
DAPHNÉ est un film lent, certes, mais à la réalisation qui a un cachet indépendant remarquablement bien maîtrisé pour un premier long-métrage et une actrice principale superbe. Ces raisons sont tout à fait suffisantes pour vous le conseiller, si un rythme très tranquille autour d'une étude de caractère moderne ne vous déplaît pas.
Copyright Photos @ Agatha A. Nitecka
NOTES DE PRODUCTION
(Á ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
Dans le quartier métissé d’Elephant
and Castle, au sud de Londres, Daphné, jeune femme rousse d’une
trentaine d’années, travaille dans un restaurant le jour et
fréquente les pubs et les clubs la nuit. Elle parle philosophie,
enchaîne les relations sans lendemain et boit… un peu trop. C’est
le style de vie qu’elle a choisi et qui semble lui convenir.
Si Daphné évite délibérément de
s’engager dans la moindre relation, qu’il s’agisse de ses
rencontres d’un soir (comme le videur de la boîte de nuit, David,
interprété par Nathaniel Martello-White) ou de sa mère souffrante
(incarnée par Geraldine James), son attitude ne lui pose aucun
problème. Jusqu’à ce qu’elle soit témoin d’un terrible
événement qui l’oblige à s’interroger sur ses choix intimes.
DAPHNÉ, dont le rôle-titre est campé avec un naturel désarmant
par Emily Beecham, est une formidable étude psychologique réalisée
par Peter Mackie Burns qui signe ici son premier long métrage.
Après avoir tenté de monter son
premier film pendant dix ans, Burns et son coscénariste Nico
Mensinga ont d’abord réalisé un court métrage de dix minutes à
partir d’une de leurs idées… dont DAPHNÉ allait être le
prolongement.
«En revoyant le court métrage, on
s’est dit que le personnage était franchement intéressant»,
souligne Burns. «On a eu le sentiment que le personnage et la
situation méritaient qu’on leur consacre un long métrage».
Même si le film est une véritable
tranche de vie et se déroule sur quelques semaines seulement, Daphné
est un personnage d’une grande richesse dramaturgique : on devine
que derrière sa façade sereine, elle bouillonne intérieurement.
«Avec Nico, on travaille d’une manière un peu inhabituelle»,
précise le réalisateur. «En effet, c’est moi qui développe les
personnages tandis qu’il se charge de la structure du scénario».
«J’ai imaginé toute une trajectoire
pour la protagoniste, ce qui m’a pris environ deux ans»,
poursuit-il. «J’ai écrit tout ce qui concerne Daphné, depuis ses
lectures à l’université, avant qu’elle n’abandonne ses
études, jusqu’à son boulot dans le restaurant. Et j’ai demandé
à Emily de travailler elle-même dans un restaurant, d’écouter la
musique qu’écoute le personnage, de lire les livres qu’elle lit,
et de s’imprégner de son parcours. Comme Emily est une formidable
comédienne, elle s’est parfaitement approprié ce matériau».
Le style visuel du film a bénéficié
du même travail de développement, au service du personnage et de
son environnement. Collaborant avec la chef-décoratrice Miren
Maranon et Sam Best, ancien pianiste d’Amy Winehouse devenu
compositeur, Burns a mis au point une représentation vivante du
Londres d’aujourd’hui. «On s’est dit que si on voulait rendre
ce personnage aussi authentique que possible, il fallait aussi que
les décors soient authentiques», ajoute le metteur en scène.
«Le film a été tourné dans
l’appartement de mon copain et la boutique où Daphné se rend est
à 150 mètres de là», reprendil. «Tout est vu à travers le
regard de la protagoniste – les lieux, les vêtements, la musique.
Ce sont les affaires qu’elle pourrait acheter ou les chansons
qu’elle pourrait écouter. On a tout acheté sur le marché qui se
trouve en bas de chez elle, y compris les disques d’occasion».
Burns tenait également à saisir une
atmosphère propre à un quartier de Londres qu’on a peu vu au
cinéma. «Elephant and Castle est un quartier fascinant», dit-il.
«C’est un coin métissé qui, comme notre personnage, connaît une
mutation phénoménale et est en train de se réinventer. De
nombreuses familles doivent quitter le quartier et laissent leur
place à de nouveaux arrivants, et le changement est constant. C’est
un lieu particulièrement bien adapté à cette histoire et, à mes
yeux, l’un des quartiers de Londres les plus intéressants».
Le désir du cinéaste de mettre en
valeur la vitalité de ce quartier qu’il connaît si bien se
retrouve dans les images évocatrices d’Adam Scarth. En effet, il a
su jouer sur le contraste entre les immeubles de verre du paysage
urbain londonien et le microcosme animé d’Elephant and Castle –
et privilégier des couleurs vives, des cheveux roux de Daphné au
bleu profond de la nuit.
«Ce qui me plaît, c’est de
contrebalancer le réalisme du jeu des acteurs avec une utilisation
expressionniste des couleurs», déclare Burns qui se dit inspiré
par Wong Kar-Wai. «Quand on apprend qu’on tourne un film à
Elephant and Castle, on part aussitôt du principe que l’atmosphère
sera grise et froide. Du coup, on a tenté d’utiliser les couleurs
de manière à dépeindre le quartier avec authenticité»
Si DAPHNÉ met en valeur le métissage
culturel de Londres, sa protagoniste est d’une grande singularité
: il s’agit d’une jeune femme taillée pour la jungle urbaine et
farouchement indépendante, qui a des avis sur tout et qui s’est
habituée à vivre dans l’une des métropoles les plus dures au
monde. Bien que ce soit un personnage profondément tragicomique qui
suscite l’empathie, son comportement – elle boit, fume et couche
avec n’importe qui – lui vaut parfois d’être qualifiée
d’«antipathique» ou de «difficile». Mais Burns n’est pas
d’accord avec ce point de vue. «On n’utilise jamais ces
qualificatifs pour parler d’un personnage masculin», souligne-t-il
avec justesse. «Il faut bien reconnaître qu’il existe beaucoup
d’histoires dont les hommes sont les protagonistes.
Je suis un homme, et je ne sais pas si
je suis féministe, mais à mes yeux, l’appartenance sexuelle est
une construction intellectuelle au même titre que le personnage.
Je me suis attaché à des histoires de
femmes parce que je trouve qu’elles offrent un point de vue
légèrement différent du mien, et tout à fait intéressant. C’est
aussi simple que ça».
«En discutant avec Valentina Brazzini,
productrice au Bureau, on se faisait la remarque qu’on ne voit pas
de femmes, telles qu’on en connaît, dans le cinéma actuel»,
poursuit-il. «Du coup, on a eu envie d’imaginer un personnage qui
donne vraiment le sentiment de vivre dans le quartier d’Elephant
and Castle à notre époque». «La question qui se pose est de
savoir comment faire pour mener une vie normale à Londres»,
conclut-il.
Source : http://www.bfi.org.uk
ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR PETER
MACKIE BURNS ET LE SCÉNARISTE NICO MENSINGA
Comment ce projet est-il né ?
PMB : On voulait faire un film sur un
personnage complexe qui refuse de se laisser enfermer dans les rôles
qu’on attribue le plus souvent aux femmes : épouse, petite amie,
partenaire de vie, mère, fille obéissante à ses parents – voilà
une liste assez complète. On souhaitait aussi que le personnage ait
de l’humour et s’en serve constamment comme une arme
psychologique. Ce qui nous a séduits, c’était de tenter
d’imaginer un personnage singulier, à la fois drôle, complexe,
souvent difficile à vivre, vulnérable, un peu égoïste et auquel
on s’identifie.
Je m’inspire toujours de gens que je
connais dans la vie. Daphné s’inspire en grande partie d’une
bonne amie qui, malheureusement, est décédée. On s’est servi de
son sens de l’humour et de sa tendance à choquer les autres. C’est
aussi pour ça que j’aime ce personnage : je reconnais mon amie en
elle. Et bien entendu, avec mon coscénariste, nous avons aussi
projeté nos propres centres d’intérêt sur le personnage. Par
ailleurs, je vois de plus en plus de femmes comme elle, du même âge
environ, à Londres où, comme on sait, il est de plus en plus
difficile de mener une existence normale, car la vie y est
outrageusement chère.
NM : Le film s’inspire d’un court
métrage dont j’ai écrit le scénario. Alors qu’on travaillait
sur un autre projet avec Peter, il m’a demandé si je préparais un
scénario car il voulait s’atteler à un nouveau film. Je lui en ai
envoyé quelques-uns et il en a sélectionné un, qu’il a fini par
tourner. C’est devenu HAPPY BIRTHDAY TO ME et Emily Beecham
incarnait le rôle principal. En voyant le résultat final, je l’ai
trouvé à la fois totalement captivant et d’une grande
authenticité. Le travail qu’avaient accompli Peter et Emily pour
mettre au point le personnage principal m’a particulièrement
inspiré.
Comment réussissez-vous à accorder
vos deux manières de travailler ?
NM : Dans mon écriture, j’essaie de
me rapprocher de la vie sublimée par le cinéma. Ce que je veux dire
par là, c’est que personne, dans la vie, ne parle comme les
personnages des films. Que ce soient les personnages de Nora Ephron
ou de Woody Allen, personne ne parle comme eux dans la vraie vie
(enfin, peut-être à New York après tout !) Mais j’adore la vie
telle qu’elle est représentée au cinéma. Et c’est ce qui
m’inspire. À l’inverse, Peter a une tout autre approche : il ne
cesse de se demander si ce qu’il écrit est fidèle à la réalité.
Pas fidèle à la réalité de la vie telle qu’elle est évoquée
au cinéma, mais fidèle à la vie des gens. Il cherche à se
rapprocher du véritable comportement des gens et de leur manière de
s’exprimer.
Le récit de DAPHNÉ est à la fois
imprévisible, intimiste et subtil. Vous a-t-on fait sentir qu’il
était préférable d’écrire une histoire plus conventionnelle ?
PMB : Dans le contexte d’un film
centré sur la psychologie de ses personnages, l’intrigue est –
du moins on l’espère – captivante et enthousiasmante. On a passé
pas mal de temps à réfléchir à la construction, mais elle devait
de toute évidence découler du personnage principal. Je pense qu’il
n’est pas toujours facile pour les financiers d’un projet de
cerner la tonalité d’un film qui échappe aux conventions. On a eu
la chance de disposer du court métrage qui a permis à nos
producteurs de comprendre l’atmosphère qu’on souhaitait
instaurer. On a aussi eu la grande chance que nos producteurs
exécutifs Lizzie Francke, Robbie Allen et Rosie Crerar saisissent ce
qu’on cherchait à faire.
Le film finalisé est-il proche de ce
que vous aviez en tête au moment de l’écriture ?
NM : Il est très proche de ce que nous
avions tous en tête tout au long du développement, à l’époque
où Peter, la productrice Valentina Brazzini, le producteur Tristan
Goligher et moi évoquions ensemble ce qui nous semblait constituer
le vrai sujet du film. On se disait qu’il s’agissait de
l’histoire d’une femme qui ne sait pas bien comment gérer ses
rapports aux autres et en quoi cette incapacité à nouer des
rapports intimes avec les gens – alors même qu’elle parvient
presque à ne pas se laisser toucher par ce problème – est en
réalité une forme aigüe de souffrance. On estimait aussi que les
événements qui se déroulent dans le film sont des catalyseurs
obligeant Daphné à affronter son inaptitude à nouer la moindre
relation avec autrui et à laisser les autres entrer dans sa sphère
intime pour qu’ils découvrent la véritable Daphné – la Daphné
vulnérable et mal dans sa peau qui se cache derrière un masque.
On voulait montrer comment, dans une
métropole métissée comme Londres, l’une des villes les plus
connectées au monde, on peut facilement se sentir isolé. Et qu’il
existe toujours des passerelles permettant de renouer un lien avec
les autres ou avec la vie, mais qu’il faut avoir envie de les
emprunter.
Pour Daphné, la seule ligne de
conduite consiste à se dire qu’il est totalement naïf d’être
optimiste et que la seule possibilité pour s’en sortir est d’être
cynique. Mais où son attitude l’a-t-elle menée ? Et si elle
n’arrivait plus à faire semblant ? Et si elle se rendait compte
que c’est justement là qu’est son problème ?
Quels aspects du Londres d’aujourd’hui
souhaitiezvous mettre en valeur ?
PMB : On voulait filmer un Londres
contemporain qui change à toute vitesse, et on a donc choisi
Elephant and Castle. C’est un quartier qui connaît à l’heure
actuelle des changements sans précédent et des réaménagements –
et d’une certaine manière, cela fait écho à l’état
psychologique de Daphné. On a cherché à imaginer l’univers d’une
jeune femme qui, sur un plan financier et émotionnel, parvient à
peine à s’en sortir. Londres est une ville fascinante, sans doute
victime de son propre succès. Pour rester une métropole attirante
aux yeux du monde, elle doit répondre à certaines questions
auxquelles ses habitants sont confrontés quotidiennement. Et la
toute première de ces interrogations concerne le logement. Plus
précisément, où et comment les gens simples peuvent-ils vivre en
ville ? Elephant and Castle est un quartier du centre-ville que je
connais assez bien. Il ne s’est pas encore totalement embourgeoisé,
même s’il en prend le chemin. Comme notre protagoniste connaît
une évolution personnelle, on s’est dit qu’on allait choisir un
quartier qui est aussi en pleine mutation.
J’ai vécu dans l’appartement dont
on s’est servi pour y installer le personnage de Daphné. C’était
assez étrange. J’ai vécu sur le plateau ! Du coup, à la fin de
la journée de tournage, je disais au revoir à toute l’équipe et
… je restais sur place ! C’était donc redevenu mon appartement.
C’était un sentiment très étrange. Pour être honnête, je ne
crois pas que je serais capable de fonctionner de cette manière une
nouvelle fois.
L’appartement est étonnamment bien
rangé pour quelqu’un qui mène une vie aussi chaotique.
PMB : Par certains aspects, sa vie est
bien réglée, et par d’autres, elle ne l’est pas. Comme la
plupart des gens. On a développé son personnage dans les moindres
détails. Par exemple, elle est du genre à ne jamais jeter un œil à
ses relevés de compte, sinon elle panique ! Ça la rend physiquement
malade. Mais elle est capable de ranger sa chambre et de laver la
cuisine où elle travaille.
Du coup, la ville et l’appartement
évoquent sa personnalité.
PMB : Le film est un portrait. On adore
les films de Cassavetes avec Gena Rowlands. Surtout son personnage
dans UNE FEMME SOUS INFLUENCE, un de mes films préférés.
Néanmoins, je ne voulais pas filmer mon personnage en gros plans. Je
me suis dit qu’il valait mieux ne pas trop traquer Daphné car elle
garde ses distances avec les gens, d’un point de vue psychologique.
Même si, au cours du film, elle se rapproche un peu des autres.
On a du mal à imaginer une autre
actrice qu’Emily Beecham dans le rôle de Daphné. Son jeu est
absolument extraordinaire.
PMB : Même quand on tournait le court
métrage avec elle, on se rendait bien compte qu’elle avait quelque
chose d’exceptionnel. Elle illumine l’écran sans chercher à
attirer le regard ou à en faire des tonnes. Physiquement, elle me
fait penser à Gena Rowlands jeune, ce qui est un très grand
compliment venant de moi !
J’adore la manière dont John
Cassavetes et Mike Leigh travaillent leurs personnages. Avec Nico, on
a une méthode de travail un peu inhabituelle. Je m’occupais de
développer les personnages et d’écrire la biographie de Daphné.
J’en parlais ensuite à Emily et Nico, et cela enrichissait les
personnages et l’intrigue. Par exemple, on a longuement réfléchi
aux livres lus par Daphné. On s’est dit que la lecture était son
plus grand plaisir et sa manière de s’évader et du coup, on a
obligé Emily à dévorer les livres de chevet de Daphné. On lui a
aussi demandé d’écouter les très nombreuses musiques qu’elle
aime, ce qui correspond aux méthodes classiques de création d’un
personnage.
Que pensez-vous du mode de vie de
Daphné ?
NM : Je n’ai pas vraiment d’opinion
tranchée sur son mode de vie, si ce n’est qu’il reflète ce que
vivent pas mal d’amies à moi qui ont une petite trentaine.
Autrement dit, elle commence à se lasser des soirées en boîte,
entre la drogue et les rencontres sans lendemain. Elle est à un
moment de sa vie où elle se rend compte que ça ne vaut plus le coup
d’avoir la gueule de bois et d’aller de déception en
désenchantement, juste pour le plaisir d’un plan cul. Il y a
désormais plus d’inconvénients que d’avantages. C’est aussi
lié à son âge : elle a une petite trentaine, mais elle cherche à
prolonger la liberté qu’elle avait quand elle avait une vingtaine
d’années, même si le temps qui passe la rattrape.
Pensez-vous qu’elle soit cynique ?
PMB : Je considère que son cynisme,
comme son humour, est une défense, comme chez mon amie. Elle n’est
pas vraiment cynique mais elle s’en sert pour garder ses distances
avec les autres. C’est une posture. Du coup, quand elle cite Žižek,
c’est aussi par provocation. Elle provoque les autres et ellemême.
Elle se dit : «Est-ce que je peux aller jusqu’à dire ça ? Est-ce
que ça va passer ? Est-ce que les gens vont me croire quand je vais
le dire ?» Elle fait partie de ces gens qui ne lisent que les
prologues des livres.
Elle passe son temps à jouer un rôle
et c’est comme cela qu’elle s’en sort. S’agirait-il d’une
puberté tardive qui la rapprocherait d’une forme d’adolescence ?
PMB : C’est un refus de grandir. Mais
c’est plutôt normal dans notre culture, non ? Daphné est
amoureuse de la vie comme quelqu’un de 25 ans alors qu’elle en
31. C’est très courant de nos jours. Et ça ne concerne pas que
les femmes, mais les hommes aussi. Elle ne veut pas qu’on la
réduise à un statut de compagne, de mère, ou à un boulot, ou à
quoi que ce soit. Elle aurait d’ailleurs dû changer de boulot
depuis longtemps. Tous les gens qui bossent dans son restaurant le
savent. Il est temps pour elle de prendre le temps de la réflexion,
d’arrêter de faire comme si tout allait bien et de grandir enfin.
En quoi l’événement dont elle est
témoin la bouleverset-il ?
PMB : Il l’oblige à se pencher sur
sa vie. À réfléchir à ce qu’elle fait et à ce qu’elle ne
fait pas. À ce qu’elle exige d’elle-même et des autres. Elle
est bouleversée pendant quelque temps et puis elle essaie de
reprendre le cours de sa vie, mais elle n’y arrive plus. L’intrigue
est construite autour de son incapacité à surmonter un événement
dont elle a été témoin par hasard : c’est ce qui lui permet de
s’ouvrir enfin au monde, même si elle préférerait largement s’en
dispenser…
Le film m’a fait penser à des œuvres
très différentes, comme la pièce – et la série télé – de
Phoebe WallerBridge, FLEABAG, et à LA FILLE INCONNUE des frères
Dardenne. Quelles sont vos sources d’inspiration ?
PMB : Nous sommes marqués par de
grands films comme MARGARET, FIVE EASY PIECES, ou BE HAPPY.
Visuellement, nous avons été très inspirés par MANHATTAN et par
le travail du chef-opérateur Gordon Willis et du photographe Saul
Leiter. L’ouvrage «Déclin et survie des grandes villes
américaines» de Jane Jacobs a aussi été une source d’inspiration
(d’ailleurs, j’adorerais réaliser un film autour de Jane Jacobs,
mais ce sera pour un autre projet). Et je crois que Nico lisait
Caitlin Moran quand il a commencé à écrire, si bien que ses livres
ont pu l’inspirer également.
Sachant que vous êtes deux hommes,
avezvous eu du mal à brosser le portrait intime d’une femme ?
PMB : Je fais des films sur des sujets
qui m’intéressent. À ce jour, la plupart de mes films parlent de
personnages féminins ou, tout du moins, de dilemmes que je trouve
fascinants. Je ne sais pas pourquoi je les trouve aussi passionnants.
C’est sans doute à mon psy de m’aider à trouver la réponse !
Ma fille, qui a 9 ans, me dit souvent que le monde est sexiste.
Malheureusement, elle a raison.
NM : Honnêtement, je peux dire que je
n’y ai pas vu de problème quand j’ai commencé à écrire. À
mon avis, c’est en raison de l’origine du scénario – il a en
effet été écrit en réaction directe au jeu d’Emily Beecham.
J’ai essayé de faire de mon mieux en me mettant à la place du
personnage. J’ai beaucoup visionné le court métrage pendant que
j’écrivais le scénario du long. Et j’essayais de me dire :
«Qu’est-ce que le personnage imaginé par Emily et Peter dirait
dans telle ou telle situation ? Qu’est-ce qu’elle ferait si tel
événement lui arrivait ?» La liste des scénaristes écrivant un
rôle avec une actrice en tête est longue, et c’est exactement ce
qui s’est passé dans notre cas.
Par ailleurs, deux femmes se sont
largement investies dans la fabrication du film : Emily Beecham, bien
sûr, mais aussi notre productrice Valentina Brazzini. Du coup, je
n’ai jamais été dans la situation d’un scénariste homme
écrivant sur une femme solitaire. Au contraire, le scénario est le
fruit d’un travail d’équipe entre plusieurs personnes tâchant
de raconter l’histoire d’une femme.
#Daphné
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.