mercredi 6 septembre 2017

LES GRANDS ESPRITS


Comédie dramatique/Un film positif, attachant et intéressant

Réalisé par Olivier Ayache-Vidal
Avec Denis Podalydès, Léa Drucker, Zineb Triki, Abdoulaye Diallo, Tabono Tandia, Pauline Huruguen, Alexis Moncorgé, Emmanuel Barrouyer...

Long-métrage Français
Durée : 01h46mn
Année de production : 2017
Distributeur : Bac Films

Date de sortie sur nos écrans : 13 septembre 2017


Résumé : François Foucault, la quarantaine est professeur agrégé de lettres au lycée Henri IV, à Paris.
Une suite d’évènements le force à accepter une mutation d’un an dans un collège de banlieue classé REP +. Il redoute le pire. A juste titre. 

Bande annonce (VF)


Ce que j'en ai pensé : le film LES GRANDS ESPRITS raconte l'histoire de François Foucault, un professeur de français brillant du lycée HENRI-IV, qui n'a jamais eu vraiment de défi à relever dans sa vie d'enseignant et qui se retrouve à devoir travailler dans un collège de banlieue. Exit les a priori. Non, le réalisateur ne nous montre pas des élèves violents et sans intelligence. Non, il n'y a pas non plus un élève surdoué qui va sauver la classe de sa médiocrité. Il y a juste des gamins, des ados, vivants, parfois turbulents, qui viennent à l'école avec leur bagage personnel et qui ont besoin d'être guidés vers l'envie d'apprendre et d'être rassurés sur leurs capacités. Certes, ils ne facilitent pas la vie de leurs professeurs et les lacunes sont là, mais ils savent se montrer curieux et visiblement ouverts à l'échange. Il y a aussi les professeurs : ceux qui y croient encore et ceux qui n'ont plus d'illusions. Le fait que cet enseignant, François Foucault, venu d'un milieu professionnel privilégié s'intéresse à ces élèves et réussisse à leur transmettre l'envie d'apprendre est enthousiasmant. On voit le processus de la pédagogie se mettre en place. On ressent le fait qu'il grandit au contact de ces jeunes, tout comme ces derniers à son contact. Il y a un échange. 

Olivier Ayache-Vidal, le réalisateur, nous offre un film positif qui explore à la fois les aspects professionnels et les impacts des décisions administratives sur la vie de ces adolescents. 

Le réalisateur, Olivier Ayache-Vidal
Il trouve un bon équilibre pour ne pas tomber dans la sensiblerie ou l'évidence. Du coup, les élèves sont crédibles et sympathiques. Leur énergie et leur façon d'appréhender l'école sont réalistes. 


Le scénario s'intéresse d'un peu plus près à Seydou, interprété par Abdoulaye Diallo, un gamin vraiment attachant. 


Pour autant, le réalisateur garde le cap sur l'évolution de François Foucault superbement interprété par Denis Podalydès, impeccable dans ce rôle du début à la fin. 




Il aborde de cette façon de nombreux thèmes, ce qui donne un rythme soutenu au film, on ne s'ennuie pas du tout. En même temps,  il ne propose pas de réponse toute faite. Les spectateurs peuvent déduire la suite qu'ils veulent de cette histoire. 
LES GRANDS ESPRITS mérite d'être découvert parce qu'il a du cœur et qu'il raconte un beau parcours dans un cadre intéressant, actuel et réel, avec un acteur principal excellent. Il faut espérer qu'il permettra de faire tomber des barrières et que son message optimiste trouvera un écho auprès des spectateurs.


NOTES DE PRODUCTION 
(Á ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

Après la projection du film, le réalisateur Olivier Ayache-Vidal a eu la gentillesse de venir à notre rencontre pour répondre à nos questions. Retrouvez les vidéos de ce moment de partage ci-dessous (elles contiennent des spoilers sur le film) :





NOTE D’INTENTION OLIVIER AYACHE-VIDAL

Je me suis toujours intéressé, certainement favorisé par mon environnement familial, au milieu scolaire, aux problématiques liées à la pédagogie et à l’égalité des chances dans le système éducatif. J’ai été ainsi naturellement amené à réfléchir à un sujet portant sur ces questions. Rapidement, j’ai ressenti le désir de traiter la confrontation entre deux mondes, deux réalités sociales.

IMMERSION

Conscient que je ne pouvais me contenter uniquement de mes souvenirs de jeunesse, il me fallait rentrer dans la peau de mon personnage principal et me confronter à une réalité plus actuelle en intégrant un collège. J’ai effectué des repérages, visité de nombreux lycées techniques et professionnels, rencontré des professeurs et des associations et c’est alors que j’ai pris conscience que les enjeux les plus importants pour les élèves se dessinaient au collège - période charnière entre l’enfance et la construction du jeune adulte. C’est au cours de ces quatre années qu’une mutation va s’opérer voyant s’affirmer les caractères d’une jeunesse en pleine adolescence dont les destins et orientations vers des filières générales ou techniques vont se décider. J’ai vécu au rythme des cinq cents élèves et des quarante professeurs du collège Maurice Thorez de Stains, pendant plus de deux ans, le temps nécessaire pour observer cet univers si complexe. Son principal m’a ouvert l’accès aux salles de classe, aux conseils de classe, à la salle des professeurs, aux réunions pédagogiques et à tout ce qui organise la vie quotidienne de cet établissement, me permettant de m’approcher au plus près de la réalité.

UN ÉTAT DES LIEUX RÉALISTE DU COLLÈGE DE BANLIEUE

Je souhaite être réaliste, non pas pour me rapprocher du documentaire, mais pour renforcer la fiction. Au contact des élèves, il m’est apparu évident qu’ils étaient les seuls à pouvoir transcrire leurs mots et que personne n’incarnerait mieux qu’eux leurs propres personnages. Seuls les principaux acteurs de ce scénario seront incarnés par des comédiens. Ce film n’a pas vocation à livrer une vérité sur la capacité de l’éducation nationale à apporter des réponses et des solutions éducatives dans les collèges situés dans des zones difficiles. Inspiré des récents ouvrages contradictoires de Philippe Meirieu et Liliane Lurçat, je souhaiterais offrir une photographie documentée de l’éducation publique et ouvrir ainsi le débat sur les possibles réponses de l’éducation nationale face à ces élèves difficiles à soumettre à un modèle pédagogique unique.

UN PROFESSEUR MIS EN DOUTE DANS SES CERTITUDES

François, interprété par Denis Podalydès, est professeur depuis plusieurs années dans un lycée prestigieux quand il se voit nommé pour une mission dans un collège en zone d’éducation prioritaire. Fort de son expérience et plein d’idées préconçues, il est convaincu qu’il parviendra rapidement à canaliser ces jeunes de banlieue dont, pour l’essentiel, le problème consiste à enseigner une rigueur délaissée au profit d’une trop grande liberté. Rapidement confronté à une situation qui le dépasse, il va alors réaliser qu’une même méthode ne produit pas les mêmes effets partout et que malheureusement les théories qui ont forgé ces principes éducatifs jusqu’alors trouvent leurs limites face à des situations difficiles. Ce sentiment à la fois effrayant et passionnant d’une recherche perpétuelle de pédagogie qui s’adapte à des cas si divers est le sujet qui a guidé mon travail et que je cherche à mettre en avant. Je ne veux pas que ce professeur soit un « héros ». Il doit susciter l’empathie, et permettre l’identification, en étant dans la position du « naïf » à qui on ouvre les yeux. Sa visée est au départ purement égoïste et prétentieuse. Loin d’un sacerdoce pour aider les jeunes de banlieue, il veut d’abord valider ses théories. Cette position conquérante le mènera à l’échec et pour s’en sortir il devra trouver les pistes d’une pédagogie alternative.

ENTRETIEN AVEC OLIVIER AYACHE-VIDAL

Quel a été votre parcours avant LES GRANDS ESPRITS ?

J’ai toujours voulu réaliser des films, et pour m’y préparer, j’ai enchaîné plusieurs activités. J’ai beaucoup voyagé comme reporter photo pour l’agence Vu, puis Gamma. Ensuite, pour aborder l’écriture des scénarios, je me suis tourné vers la bande dessinée, et j’ai créé la série d’anticipation Fox One, chez Dargaud. J’ai fait beaucoup de recherches et comme dans le journalisme, j’ai senti l’importance de s’immerger totalement dans un sujet, pour le décrire avec justesse. Puis j’ai commencé à faire des courts métrages : COMING-OUT avec Omar Sy (sa première apparition cinéma, n.d.l.r.), MON DERNIER RÔLE avec Patrick Chesnais, et puis j’ai également fait la mise en scène du ballet « Casse-Noisette » pour le Cirque National de Chine, à Pékin. C’est là que j’ai eu l’idée de WELCOME TO CHINA un court métrage qui mettait en scène Gad et Arié Elmaleh, qui jouaient leur propre rôle.

C’est ce qui vous a conduit au long métrage ?

J’avais déjà écrit un premier scénario, mais le projet n’a pas été suffisamment financé. J’étais sur l’écriture d’un autre projet quand Thomas Verhaeghe (Atelier de Production) et Alain Benguigui (Sombrero Films) ont vu WELCOME TO CHINA, et m’ont proposé une idée : un prof d’un lycée bourgeois est muté en banlieue... J’ai trouvé ça très inté- ressant. N’étant pas un spécialiste de l’éducation, il était essentiel que je me documente sérieusement d’autant que j’avais très envie de me plonger dans cet univers passionnant. C’est un sujet que tout le monde connait de près ou de loin, il fallait donc être particulièrement précis surtout vis-à-vis des enseignants et en général de tous les professionnels de l’éducation. Si je voulais apporter un point de vue intéressant, il fallait que je le connaisse du mieux possible. J’ai d’abord consulté des enseignants, très expé- rimentés sur ces questions, comme Dominique Resch qui m’a raconté longuement son quotidien de prof de français dans les quartiers Nord de Marseille, un métier vivant, souvent drôle, mais compliqué. J’ai d’ailleurs gardé une anecdote qui lui est arrivé... J’ai commencé à avoir une vision un peu plus précise, mais rapidement il fallait aller sur le terrain et l’une des premières questions que je devais trancher c’était lycée ou collège ? J’ai donc passé plusieurs semaines en repérages, dans des lycées professionnels du 93, à Aubervilliers, à La Courneuve, à Saint-Denis, mais ce n’était pas très intéressant. Beaucoup d’absentéisme, mais les élèves présents travaillaient...

Direction le collège, donc...

Oui car c’est au collège que les situations sont les plus compliquées, notamment à cause de l’âge des élèves, des ados, quoi !…. À Stains, justement, il y a un collège au cœur même de la cité du Clos Saint-Lazare, une cité qui se retrouve parfois dans les rubriques « faits divers ». Je me présente au printemps 2013, le principal est un peu réticent, la principale adjointe plus accueillante. Et, à la rentrée suivante, arrive Denis Ferault, un nouveau principal qui trouve le projet utile. Avec l’accord des professeurs, il m’autorisera à passer deux années entièrement immergé dans la vie du collège. J’y suis allé quasiment tous les jours, assis au fond des classes, en salle des profs, en voyage scolaire à Londres, en classe de neige... je faisais partie des meubles, ce qui m’a permis d’observer avec beaucoup de liberté. Très intéressant de constater comment les élèves réagissaient différemment en fonction du prof et de sa méthode. Certains enseignants n’arrivaient pas à faire 5 minutes de cours en une heure, tandis que d’autres, avec la même classe, réussissaient très bien dans une ambiance décontractée et studieuse à la fois. J’ai assisté à de nombreux conseils de classe et conseils de discipline, aux formations pédagogiques des néo-titulaires. L’un des profs qui m’a le mieux accueilli et qui m’a beaucoup aidé - François Petit-Perrin, il a un petit rôle dans le film - m’a fait remarquer que j’étais témoin de situations auxquelles très peu de monde avait accès. Car en dehors de l’inspecteur qui vient une demi-journée tous les 5 ans, un prof est toujours face à ses élèves et personne ne sait vraiment comment ça se passe. Il y a des indicateurs assez fiables néanmoins, plus un prof exclut ses élèves de cours ou les envoie en conseil de discipline, et moins il réussit à faire progresser ses élèves.

Le film est né de cette observation ?

C’était la seule façon pour moi de faire ce film : être plongé dans le réel. Je ne pense pas qu’on puisse écrire depuis chez soi. On ne peut pas avoir une vision juste et vraie, en restant dans les livres et les préjugés. D’une certaine façon, le personnage joué par Denis Podalydès est mon double. Ce qu’il découvre, c’est ce que j’ai découvert. Le film a été tourné à Stains, à l’été 2016, avec les élèves que j’avais suivis. J’ai ainsi fait tout mon casting au collège, dans les classes de la 5ème à la 3ème, pour constituer une classe de 4ème. Ce qu’on voit, c’est le vrai réfectoire, le vrai bureau du principal, les vrais surveillants du collège.

On est loin de l’enfer décrit par certains médias...

C’est mon expérience : je suis arrivé à Stains, j’ai découvert une communauté turbulente, mais très attachante. On me demande pourquoi je n’ai pas traité le problème religieux : tout simplement parce qu’à l’école je ne l’ai pas senti. Je n’ai trouvé au collège aucune trace de radicalisation : les minutes de silence après les attentats étaient respectées, les élèves ont même écrit des textes pour dire à quel point ils étaient choqués. Le principal regrettait d’ailleurs qu’on mette toujours en avant ces provocations très marginales. Je n’ai surtout pas voulu donner une image complaisante. Je suis parti sans idée préconçue, et si j’avais trouvé la guerre civile, et bien j’aurais raconté la guerre civile !

Sur quelle piste d’écriture êtes-vous parti ?

Je suis parti de l’idée d’un prof très exigeant et cassant avec ses élèves, comme on en rencontre parfois dans des grands lycées – car ce n’est pas la pédagogie qu’on demande en priorité à ce genre de prof, ce sont avant tout ses connaissances – qui va se trouver confronté à un public différent et qui va découvrir la nécessité de changer de méthode. J’ai beaucoup lu de textes sur l’éducation, la pédagogie, c’est passionnant. La question vraiment importante c’est : comment donner aux élèves cette envie d’apprendre, cette faim de connaissances ? Or c’est vrai que j’ai vu, comme souvent en banlieue, de jeunes profs, insuffisamment formés, qu’on envoie juste après leur diplôme, et qui n’ont pas les outils pour affronter ce public adolescent, le plus difficile à gérer. Ils m’ont notamment inspiré le personnage de Gaspard, le prof de maths.

Des enseignants, comme lui, très difficiles vis-à-vis des élèves, vous en avez rencontrés ?

Oui, j’ai vu des professeurs extraordinaires, totalement investis, avec des grandes satisfactions et des découragements aussi bien sûr, et d’autres totalement dépassés. Il y a deux grandes tendances qui se dégagent : les enseignants qui savent que ce n’est pas toujours évident, mais qui croient en leur métier, qui l’aiment et en retirent de grandes satisfactions : ils ont une vraie autorité acceptée et sont en général appréciés par leurs élèves. Et ceux, qui souffrent vraiment et qui ont tendance à rejeter la faute de leurs échecs sur les élèves. Je me souviens de celui qui arrivait au réfectoire en disant : « Les 4èmes 5, je les déteste... » Je fais dire la réplique à Gaspard. Les dialogues et les personnages sont tous le fruit de cette observation, en cela il n’y a pas de travail de « création ».

Et quelles sont les pistes de solution qu’on peut lire dans votre film ?

Enseigner est un métier difficile, mais extrêmement gratifiant quand on réussit. Les élèves sont très démonstratifs et vous renvoient énormément. Être un bon professeur ce n’est pas être le meilleur en maths ou en français, c’est donner le goût d’apprendre, savoir valoriser l’élève finement sans tomber dans la démagogie. C’est donc la formation qui est au cœur du problème. On envoie des profs qui connaissent parfaitement leur matière, certains sont agrégés, mais qui n’ont parfois aucun sens de la pédagogie. C’est un peu comme demander à Alain Prost d’être moniteur d’auto-école avec des élèves qui n’ont aucunement envie d’apprendre à conduire. Il faut beaucoup de patience et de remise en question pour enseigner à des adolescents. Déjà en tant que parents, on galère, donc comment peut-on imaginer que les jeunes enseignants réussissent sans formation ? Ils sont d’ailleurs les premiers demandeurs.

Une autre thématique centrale, le conseil de discipline…

J’avais déjà écrit une version dialoguée du scénario quand j’ai assisté à un conseil de discipline qui m’a révolté. Un jour le principal m’informe : « C’est Marvin, en 4ème pour une histoire pas bien grave. » Dans la cour, il a dit à un de ses camarades, par bravache : « J’ai croisé le principal dans la cité ce week-end, et comme il a peur de moi, il a changé de trottoir. » Un prof mal intentionné - qui a un peu inspiré le personnage de Gaspard - entend la conversation. Il va voir le principal, qui se sent obligé de sévir, ne serait-ce que pour garder son autorité. « Ne vous inquiétez pas, m’explique le principal, je ne vais pas demander sa tête. C’est vraiment pas grave. » Marvin est donc sur le grill, certains profs en profitent pour pointer son travail insuffisant, d’autres au contraire le défendent. On sort pour la délibération, et au retour, à la surprise générale, on apprend qu’il est définitivement exclu... Dès lors j’ai assisté à beaucoup plus de « CD » et j’ai vu à quel point les exclusions définitives étaient très souvent injustifiées, que la défense n’existait pas, et que l’exclusion définitive était une peine extrêmement dure et traumatisante. J’ai repris alors, non sans difficulté, toute la construction du scénario pour intégrer cette histoire qui m’avait bouleversé.

Personne ne pouvait rien faire ? 

J’ai appris qu’on pouvait faire appel, mais que ce dernier ne serait pas suspensif et ne servirait à rien. Ces exclusions définitives sont inutiles : c’est un jeu de chaises musicales. Elles servent à donner l’illusion d’une réponse. On expulse de nombreux élèves, mais on est obligé d’en accueillir tout autant, expulsés d’un autre collège. Et le temps que chacun met à trouver un autre établissement, voilà l’élève dans la rue, découragé et déscolarisé. Quand j’ai revu Marvin, quelques semaines plus tard, il trainait dans la cité… Et quelques mois plus tard, il avait basculé. Ironie du sort, Tabono, qui joue Maya, a été exclue définitivement, je l’ai appris alors qu’elle venait faire de la post-synchro : une mini-bagarre dans les vestiaires pendant un cours de gym, trois fois rien. Sauf que ses copines l’avaient filmée en rigolant et diffusée sur Snapchat, le prof d’EPS a vu la vidéo et a demandé le CD... Je n’invente rien quand je fais dire à un de mes personnages qu’il y a beaucoup de « CD » en hiver, parce que les profs sont fatigués. Il y a 17 000 exclusions définitives chaque année en France. 100 élèves par jour de classe !

Faire étudier Les Misérables, même en version expurgée, à des quatrièmes, c’est possible ?

Ça peut marcher, oui, bien sûr, mais c’est compliqué… On en revient encore à cette même problématique, celle de donner le goût d’apprendre. Ça dépend aussi des jours, de l’heure, de la saison… Une classe est une matière vivante. Mais globalement, les mêmes élèves, avec certains profs, sont parfaitement calmes, on entend une mouche voler. Et avec d’autres, ils jouent au foot dans la salle !

Avez-vous l’impression d’avoir été confronté à des élèves avec un niveau scolaire particulièrement faible ?

Le niveau est faible c’est vrai. La majorité n’ont pas les prérequis, il y en a qui se retrouvent en fin de collège sans savoir écrire. C’est hallucinant mais c’est vrai, j’ai récupéré à la poubelle un mot d’excuse qu’un élève de 3ème avait rédigé à son prof de français, qui de dépit l’avait jeté. Il était absolument illisible. Ce n’était même pas de la phonétique. J’ai pensé qu’il était étranger, non il était né en France et y avait fait toute sa scolarité. Et en même temps, il y en a aussi quelques-uns qui réussissent très bien malgré tout. C’est le cas de Fanta et Youssef qui jouent dans le film. Avec l’aide de ses professeurs, elle a fait une demande pour intégrer Henri IV pour sa rentrée de seconde et Youssef a été accepté à Louis-le-Grand. L’un des grands problèmes évidemment, c’est le manque de mixité. À laisser les élèves qui ont le plus de difficultés entre eux, on nivelle par le bas.

Comment avez-vous choisi Denis Podalydès ?

J’ai pensé à lui pendant l’écriture. J’avais vraiment envie qu’il accepte. Je pensais qu’il était vraiment idéal pour le rôle. On lui a fait parvenir le scénario, et il a très vite accepté. Après, il fallait se caler sur ses disponibilités, qui ne sont pas nombreuses, parce qu’il n’arrête jamais ! Il est d’une intelligence impressionnante. C’est un acteur complet, qui peut être drôle et touchant à la fois. C’est ce que je recherchais. Il a improvisé, parfois, notamment dans la scène du début, quand il rend les copies à Henri IV. C’est un lycée qu’il a lui-même fréquenté, et ça l’a amusé : quand il passe entre les rangs, en humiliant certains de ses élèves, il en a rajouté, et toute le monde se régalait. Mais j’ai à peine forcé le trait : on m’a raconté l’histoire de professeurs qui jouaient du sentiment de terreur qu’ils pouvaient inspirer. Je voulais qu’il compose un personnage un peu sec, le produit d’une éducation stricte, dans un milieu intellectuel assez élevé, mais classique. L’expérience du collège de banlieue va peu à peu l’ouvrir au monde. C’est l’histoire de la transformation d’un personnage qui est confronté à quelque chose qu’il ne connait pas et ne comprend pas. François Foucault va prendre conscience que les discours autoritaristes qu’il entend sont faux, qu’il faut une forme d’autorité incontestablement, mais pas sans pédagogie. Sa rencontre avec Seydou le trouble, parce que ça le remet en question. Il y a cette relation maître/élève qui est très forte entre les deux personnages.

Et les autres comédiens ?

Je voulais des visages neufs, pour donner plus de crédibilité à tout ce qui était tourné à Stains. C’est le cas de Pauline Huruguen, qui joue Chloé, d’Alexis Moncorgé, qui joue Gaspard ou Emmanuel Barrouyer le principal, ou Marie Rémond qui interprète Camille, la prof de musique. On les a vus au théâtre notamment Alexis Moncorgé, mais on ne les a jamais vus au cinéma. En revanche, pour les scènes à Paris, les acteurs pouvaient être plus reconnaissables sans que cela trouble le propos, à l’instar de Léa Drucker, qui joue la sœur de François. Pour les élèves, je voulais impérativement que ce soit ceux du collège Barbara. J’ai fait moi-même le casting des enfants. Pour le personnage principal, j’ai eu un coup de cœur immédiat pour Abdoulaye Diallo. Pour m’assurer de mon choix, j’ai élargi à d’autres établissements et j’ai rencontré beaucoup d’enfants. Mais finalement, le choix d’Abdoulaye s’est confirmé, notamment après les nombreux essais que je lui ai fait passer.

Comment avez-vous envisagé la mise en scène ?

La mise en scène s’est faite naturellement, car j’ai essayé de recréer les conditions que j’avais vues, des situations de classes que tous les élèves connaissaient aussi parfaitement. On a tourné toutes les scènes de classe à deux caméras, toutes les deux à l’épaule, sans aucune lumière artificielle - bon, j’ai parfois accepté un petit néon sur le côté pour déboucher un visage, mais trois fois rien. Ce n’est pas du documentaire, mais je voulais une image naturelle, qui s’approche au plus près de la réalité. Avec deux caméras, cela voulait dire beaucoup de rushes : le monteur a commencé à travailler pendant le tournage, et voir les séquences prendre forme nous donnait confiance. On a tourné l’été, mais du coup j’ai profité notamment des vacances de Pâques qui précédaient, pour faire de nombreux essais, des répétitions, et faire vivre cette classe en amont du tournage. On devait arriver confiant parce que, de leur côté, ils pouvaient facilement stresser face à une vraie équipe de tournage. J’ai aussi fait en sorte de composer une classe équilibrée avec différentes personnalités : sur 24 élèves, il y a les grandes gueules, les bons élèves, les suiveurs, les introvertis… Finalement il n’y a quasiment pas d’improvisation dans le film. Il y en avait au tournage pour mettre du liant dans les dialogues qui étaient écrits. On avait fait une première journée test, notamment pour essayer la lumière, avec de vraies conditions de tournage. J’ai dit pour la première fois « Action » et là, il ne s’est pas passé grand-chose, tous les gamins étaient hyper figés. Heureusement, dès la deuxième prise c’était terminé. J’en ai reparlé avec mon chef opérateur David Cailley, qui m’a dit avoir été très embarrassé, il avait pensé à ce moment-là que ça ne marcherait pas du tout !

Le film de collège, c’est un peu un genre en soi en France : où vous situez-vous par rapport aux autres films sur l’école ?

Je ne me positionne pas vraiment par rapport aux autres. Sans angélisme ni misérabilisme, j’ai souhaité retranscrire ce que j’avais appris. C’est, disons, une fiction documentée. Pendant ces deux années d’écriture, j’ai vraiment eu un très grand plaisir à aller au collège. J’avais envie de refléter dans le ton du film, ce quotidien : on rit beaucoup, les élèves sont pleins de joie de vivre, mais les situations sont compliquées. C’est un univers très vivant, très joyeux et en même temps, parfois grave. C’est donc une espèce de comédie dramatique, qui ne se détache jamais de la réalité qu’elle dépeint.

ENTRETIEN AVEC DENIS PODALYDÈS

Qu’est-ce qui vous a attiré dans le projet des GRANDS ESPRITS ?

Ce rôle de professeur, dont on suivait longuement le travail, jour après jour, toute une année durant. On entrait réellement dans sa classe, on voyait l’enseignement, le lien se faire avec les élèves, les crises, les réussites. Et que cela se passe dans ce collège Barbara de Stains, avec les vrais collégiens, qui se connaissaient, qui connaissaient parfaitement la ville, le lieu. Des collégiens avec lesquels je devais passer tout un mois, me faire connaître d’eux, jouer avec eux, leur transmettre quelque chose, moi qui ai longtemps souhaité être professeur. Le scénario était d’ailleurs « ouvert » à cette rencontre, pré- voyait des scènes à développer selon ce qui se passerait entre nous. Olivier avait longtemps préparé le terrain, il connaissait déjà bien les élèves, les professeurs. Le sujet lui tenait plus qu’à cœur. Qu’enseigne-t-on ? Comment donner le goût du savoir ? Qu’est-ce qu’une pédagogie vivante ? Toutes ces questions l’habitaient, il m’a donné l’envie de les intégrer jusque dans le jeu.

Un souvenir personnel de professeur de classe pré- paratoire a-t-il inspiré, même de façon souterraine, votre personnage ?

Des souvenirs de ma mère, professeur d’anglais au lycée Mansart de Saint-Cyr-l’École pendant 25 ans. Son rapport aux élèves, joyeux, affectueux, (je le sais par quantité de témoignages que j’ai reçue au fil des ans). Elle enseignait l’anglais et transmettait une certaine joie d’apprendre. Des souvenirs de nombreux profs que j’ai eus moi-même. J’en ai eu d’admirables, de la maternelle à la khâgne. Au lycée Henri IV, je ne peux penser sans émotion à Jacques Métaux, professeur de lettres génial, qui incitait certains trop zélés, trop obsédés du concours, à décélérer, à sortir, à lâcher les dictionnaires. Il parlait calmement, rêveusement même, et je notais tout, ses inflexions me sont restées. Je pourrais en citer quantité d’autres. Mon personnage est au départ plus rigide, plus doctoral, dans la tradition de certains enseignants qui haïssaient l’ignorance et déifiaient la culture noble.

La scène au lycée Henri IV semble vous avoir particulièrement amusé, c’est un moment où vous n’avez pas hésité à improviser…

Oui. Je retrouvais mon ancien lycée, une salle que je connaissais bien : c’était là où était l’ancien dortoir dans lequel je fus interne en 83-84.... Olivier m’a fait pleinement confiance, pendant tout le film et notamment pour cette scène. Il était important de montrer le personnage dans son élément, le lycée prestigieux dans lequel il se sent prestigieux, puissant, devant des élèves qui ne lui opposent aucune résistance, dont il aime à se moquer. J’ai repensé à quelques professeurs que j’ai pu connaître, qui adoraient l’exercice un peu sadique du rendu des copies. Des phrases me venaient, j’aurais pu improviser des heures, c’était un de ces moments où ma vie d’acteur rejoignait la vie que j’aurais pu avoir si j’avais eu Normale Sup’...

Comment avez-vous construit ce personnage ? Le rapport avec son père est-il l’une des clés de la psychologie de François Foucault ?

Le père a une grande réussite d’homme de lettres : il publie un livre, on le sait et on le voit estimé, honoré. Il a des opinions arrêtées, assez réactionnaires, on se doute qu’il est un peu écrasant. François Foucault n’a sans doute jamais songé à se rebeller contre lui, il a dû le subir et tenter de se faire un chemin dans son ombre. Il est hors de toute gloire possible. Il se venge un peu contre ses élèves d’Henri IV, se réfugiant dans le culte des langues anciennes. Il ne se doute pas qu’un tout petit peu de gloire (une gloire certes non médiatique) va lui venir de cette mutation à Stains, vécue d’abord comme un déclassement. Nous avons construit le personnage sur cette opposition entre le Foucault assez rigide, secrètement amer du début, et le Foucault plus incertain et plus généreux que les enfants du collège font peu à peu émerger en lui.

En quoi l’expérience va-t-elle le transformer ?

D’une conception aristocratique de l’enseignement, François Foucault passe lentement à une conception démocratique où la forme du savoir, la manière de le valoriser et de le transmettre, valent autant que son contenu. Je crois que c’est dans la scène où il se met à raconter l’histoire des Misérables, après avoir jeté les livres à terre, que la transformation s’opère. C’est là où ses yeux s’ouvrent définitivement sur les élèves, et où les leurs s’ouvrent aussi sur lui. C’est une question délicate, au-delà du film : comment démocratiser la connaissance, la culture, sans la vulgariser, en préservant la rareté, l’étrangeté, voire la difficulté ?

Comment s’est passé votre découverte du lycée de Stains ?

Nous y sommes allés avant le tournage avec Olivier. Le collège Barbara m’a beaucoup frappé. Neuf, très moderne, bien équipé, et faisant penser pourtant de loin, quand on le voit apparaître au milieu de cette zone presque campagnarde où il est bâti, à un centre de détention... Je fus frappé par le calme qui régnait, le vide des couloirs, et par le vacarme soudain et insensé au moment de la sortie des élèves. Le lieu m’a séduit. Il contournait tous les clichés du bahut de banlieue qu’on imagine a priori vétuste, taggé, déprimant.

Comment joue-t-on avec des comédiens amateurs ? Devient-on soi-même professeur d’art dramatique alors qu’on joue un enseignant ?

C’était un mélange de tout cela. Parfois je m’imaginais enseigner vraiment, quand je parlais par exemple longuement des Misérables de Hugo ; parfois je ne faisais plus que chercher une attention qui m’échappait, je devais retrouver les armes pour me faire entendre. Je parlais plus bas, puis soudain fort, je m’emportais, etc. Parfois oui, dans une scène, il m’arrivait d’aider l’un ou l’autre à jouer dans le bon ton ou rythme. Il fallait être sans cesse à l’écoute, ne jamais craindre qu’une scène, d’une prise à l’autre, fût perturbée par une réaction, un bruit, un rire, une trouvaille, une lassitude soudaine. Nous passions ensemble quand même des journées plus longues qu’une journée scolaire. J’ai remarqué un jour qu’une fille s’était mise vraiment à lire Les Misérables, entre chaque prise. Ça m’a beaucoup ému.

Quelle relation avez-vous noué avec vos jeunes partenaires ?

Je crois que nous nous entendions bien. Moi, ils me bouleversaient parfois. Souvent. À des moments inattendus. Je ne le leur disais pas nécessairement. Certains venaient me voir dans ma loge, ou on bavardait à la cantine. C’était simple, très joyeux.

Que pensez-vous de la représentation du « prof » dans le cinéma français ?

À part quelques grands films, comme ENTRE LES MURS qui prennent à bras le corps la question, c’est très souvent un rôle-cliché. Ou absent. Tel personnage est prof mais on ne le sent jamais dans son exercice, ou on le voit brièvement jouer une scène en classe pour montrer sa fonction. Ou, quand le film porte sur les élèves, soit c’est un sous personnage en toile de fond, soit c’est un personnage dur, antipathique. Ou alors c’est un personnage en rupture de ban, il décroche, il a une liaison avec un ou une élève, il s’ennuie. On montre très souvent le métier de prof comme un métier ennuyeux, routinier, sans prestige. Ce n’est pas perçu comme un rôle très glamour. Les comédies sur le sujet le ridiculisent volontiers.

Pensez-vous que LES GRANDS ESPRITS puisse changer le regard généralement porté sur la banlieue ?

Ça, je n’en ai pas la moindre idée. Je ne pense pas qu’un film puisse produire un tel effet. À moins d’un succès colossal et de devenir une sorte de sujet de société. Souhaitons-le nous en tout cas...  

 
#LesGrandsEsprits

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