Comédie dramatique/Un film positif, attachant et intéressant
Réalisé par Olivier Ayache-Vidal
Avec Denis Podalydès, Léa Drucker, Zineb Triki, Abdoulaye Diallo, Tabono Tandia, Pauline Huruguen, Alexis Moncorgé, Emmanuel Barrouyer...
Long-métrage Français
Durée : 01h46mn
Année de production : 2017
Distributeur : Bac Films
Date de sortie sur nos écrans : 13 septembre 2017
Résumé : François Foucault, la quarantaine est professeur agrégé de lettres au lycée Henri IV, à Paris.
Une suite d’évènements le force à accepter une mutation d’un an dans un collège de banlieue classé REP +. Il redoute le pire. A juste titre.
Bande annonce (VF)
Ce que j'en ai pensé : le film LES GRANDS ESPRITS raconte l'histoire de François Foucault, un professeur de français brillant du lycée HENRI-IV, qui n'a jamais eu vraiment de défi à relever dans sa vie d'enseignant et qui se retrouve à devoir travailler dans un collège de banlieue. Exit les a priori. Non, le réalisateur ne nous montre pas des élèves violents et sans intelligence. Non, il n'y a pas non plus un élève surdoué qui va sauver la classe de sa médiocrité. Il y a juste des gamins, des ados, vivants, parfois turbulents, qui viennent à l'école avec leur bagage personnel et qui ont besoin d'être guidés vers l'envie d'apprendre et d'être rassurés sur leurs capacités. Certes, ils ne facilitent pas la vie de leurs professeurs et les lacunes sont là, mais ils savent se montrer curieux et visiblement ouverts à l'échange. Il y a aussi les professeurs : ceux qui y croient encore et ceux qui n'ont plus d'illusions. Le fait que cet enseignant, François Foucault, venu d'un milieu professionnel privilégié s'intéresse à ces élèves et réussisse à leur transmettre l'envie d'apprendre est enthousiasmant. On voit le processus de la pédagogie se mettre en place. On ressent le fait qu'il grandit au contact de ces jeunes, tout comme ces derniers à son contact. Il y a un échange.
Olivier Ayache-Vidal, le réalisateur, nous offre un film positif qui explore à la fois les aspects professionnels et les impacts des décisions administratives sur la vie de ces adolescents.
Il trouve un bon équilibre pour ne pas tomber dans la sensiblerie ou l'évidence. Du coup, les élèves sont crédibles et sympathiques. Leur énergie et leur façon d'appréhender l'école sont réalistes.
Le scénario s'intéresse d'un peu plus près à Seydou, interprété par Abdoulaye Diallo, un gamin vraiment attachant.
Pour autant, le réalisateur garde le cap sur l'évolution de François Foucault superbement interprété par Denis Podalydès, impeccable dans ce rôle du début à la fin.
Il aborde de cette façon de nombreux thèmes, ce qui donne un rythme soutenu au film, on ne s'ennuie pas du tout. En même temps, il ne propose pas de réponse toute faite. Les spectateurs peuvent déduire la suite qu'ils veulent de cette histoire.
LES GRANDS ESPRITS mérite d'être découvert parce qu'il a du cœur et qu'il raconte un beau parcours dans un cadre intéressant, actuel et réel, avec un acteur principal excellent. Il faut espérer qu'il permettra de faire tomber des barrières et que son message optimiste trouvera un écho auprès des spectateurs.
Olivier Ayache-Vidal, le réalisateur, nous offre un film positif qui explore à la fois les aspects professionnels et les impacts des décisions administratives sur la vie de ces adolescents.
Le réalisateur, Olivier Ayache-Vidal |
Le scénario s'intéresse d'un peu plus près à Seydou, interprété par Abdoulaye Diallo, un gamin vraiment attachant.
Pour autant, le réalisateur garde le cap sur l'évolution de François Foucault superbement interprété par Denis Podalydès, impeccable dans ce rôle du début à la fin.
Il aborde de cette façon de nombreux thèmes, ce qui donne un rythme soutenu au film, on ne s'ennuie pas du tout. En même temps, il ne propose pas de réponse toute faite. Les spectateurs peuvent déduire la suite qu'ils veulent de cette histoire.
LES GRANDS ESPRITS mérite d'être découvert parce qu'il a du cœur et qu'il raconte un beau parcours dans un cadre intéressant, actuel et réel, avec un acteur principal excellent. Il faut espérer qu'il permettra de faire tomber des barrières et que son message optimiste trouvera un écho auprès des spectateurs.
NOTES DE PRODUCTION
(Á ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
Après la projection du film, le réalisateur Olivier Ayache-Vidal a eu la gentillesse de venir à notre rencontre pour répondre à nos questions. Retrouvez les vidéos de ce moment de partage ci-dessous (elles contiennent des spoilers sur le film) :
NOTE D’INTENTION OLIVIER AYACHE-VIDAL
Je me suis toujours intéressé,
certainement favorisé par mon environnement familial, au milieu
scolaire, aux problématiques liées à la pédagogie et à l’égalité
des chances dans le système éducatif. J’ai été ainsi
naturellement amené à réfléchir à un sujet portant sur ces
questions. Rapidement, j’ai ressenti le désir de traiter la
confrontation entre deux mondes, deux réalités sociales.
IMMERSION
Conscient que je ne pouvais me
contenter uniquement de mes souvenirs de jeunesse, il me fallait
rentrer dans la peau de mon personnage principal et me confronter à
une réalité plus actuelle en intégrant un collège. J’ai
effectué des repérages, visité de nombreux lycées techniques et
professionnels, rencontré des professeurs et des associations et
c’est alors que j’ai pris conscience que les enjeux les plus
importants pour les élèves se dessinaient au collège - période
charnière entre l’enfance et la construction du jeune adulte.
C’est au cours de ces quatre années qu’une mutation va s’opérer
voyant s’affirmer les caractères d’une jeunesse en pleine
adolescence dont les destins et orientations vers des filières
générales ou techniques vont se décider. J’ai vécu au rythme
des cinq cents élèves et des quarante professeurs du collège
Maurice Thorez de Stains, pendant plus de deux ans, le temps
nécessaire pour observer cet univers si complexe. Son principal m’a
ouvert l’accès aux salles de classe, aux conseils de classe, à la
salle des professeurs, aux réunions pédagogiques et à tout ce qui
organise la vie quotidienne de cet établissement, me permettant de
m’approcher au plus près de la réalité.
UN ÉTAT DES LIEUX RÉALISTE DU COLLÈGE
DE BANLIEUE
Je souhaite être réaliste, non pas
pour me rapprocher du documentaire, mais pour renforcer la fiction.
Au contact des élèves, il m’est apparu évident qu’ils étaient
les seuls à pouvoir transcrire leurs mots et que personne
n’incarnerait mieux qu’eux leurs propres personnages. Seuls les
principaux acteurs de ce scénario seront incarnés par des
comédiens. Ce film n’a pas vocation à livrer une vérité sur la
capacité de l’éducation nationale à apporter des réponses et
des solutions éducatives dans les collèges situés dans des zones
difficiles. Inspiré des récents ouvrages contradictoires de
Philippe Meirieu et Liliane Lurçat, je souhaiterais offrir une
photographie documentée de l’éducation publique et ouvrir ainsi
le débat sur les possibles réponses de l’éducation nationale
face à ces élèves difficiles à soumettre à un modèle
pédagogique unique.
UN PROFESSEUR MIS EN DOUTE DANS SES
CERTITUDES
François, interprété par Denis
Podalydès, est professeur depuis plusieurs années dans un lycée
prestigieux quand il se voit nommé pour une mission dans un collège
en zone d’éducation prioritaire. Fort de son expérience et plein
d’idées préconçues, il est convaincu qu’il parviendra
rapidement à canaliser ces jeunes de banlieue dont, pour
l’essentiel, le problème consiste à enseigner une rigueur
délaissée au profit d’une trop grande liberté. Rapidement
confronté à une situation qui le dépasse, il va alors réaliser
qu’une même méthode ne produit pas les mêmes effets partout et
que malheureusement les théories qui ont forgé ces principes
éducatifs jusqu’alors trouvent leurs limites face à des
situations difficiles. Ce sentiment à la fois effrayant et
passionnant d’une recherche perpétuelle de pédagogie qui s’adapte
à des cas si divers est le sujet qui a guidé mon travail et que je
cherche à mettre en avant. Je ne veux pas que ce professeur soit un
« héros ». Il doit susciter l’empathie, et permettre
l’identification, en étant dans la position du « naïf » à qui
on ouvre les yeux. Sa visée est au départ purement égoïste et
prétentieuse. Loin d’un sacerdoce pour aider les jeunes de
banlieue, il veut d’abord valider ses théories. Cette position
conquérante le mènera à l’échec et pour s’en sortir il devra
trouver les pistes d’une pédagogie alternative.
ENTRETIEN AVEC OLIVIER AYACHE-VIDAL
Quel a été votre parcours avant LES
GRANDS ESPRITS ?
J’ai toujours voulu réaliser des
films, et pour m’y préparer, j’ai enchaîné plusieurs
activités. J’ai beaucoup voyagé comme reporter photo pour
l’agence Vu, puis Gamma. Ensuite, pour aborder l’écriture des
scénarios, je me suis tourné vers la bande dessinée, et j’ai
créé la série d’anticipation Fox One, chez Dargaud. J’ai fait
beaucoup de recherches et comme dans le journalisme, j’ai senti
l’importance de s’immerger totalement dans un sujet, pour le
décrire avec justesse. Puis j’ai commencé à faire des courts
métrages : COMING-OUT avec Omar Sy (sa première apparition cinéma,
n.d.l.r.), MON DERNIER RÔLE avec Patrick Chesnais, et puis j’ai
également fait la mise en scène du ballet « Casse-Noisette » pour
le Cirque National de Chine, à Pékin. C’est là que j’ai eu
l’idée de WELCOME TO CHINA un court métrage qui mettait en scène
Gad et Arié Elmaleh, qui jouaient leur propre rôle.
C’est ce qui vous a conduit au long
métrage ?
J’avais déjà écrit un premier
scénario, mais le projet n’a pas été suffisamment financé.
J’étais sur l’écriture d’un autre projet quand Thomas
Verhaeghe (Atelier de Production) et Alain Benguigui (Sombrero Films)
ont vu WELCOME TO CHINA, et m’ont proposé une idée : un prof d’un
lycée bourgeois est muté en banlieue... J’ai trouvé ça très
inté- ressant. N’étant pas un spécialiste de l’éducation, il
était essentiel que je me documente sérieusement d’autant que
j’avais très envie de me plonger dans cet univers passionnant.
C’est un sujet que tout le monde connait de près ou de loin, il
fallait donc être particulièrement précis surtout vis-à-vis des
enseignants et en général de tous les professionnels de
l’éducation. Si je voulais apporter un point de vue intéressant,
il fallait que je le connaisse du mieux possible. J’ai d’abord
consulté des enseignants, très expé- rimentés sur ces questions,
comme Dominique Resch qui m’a raconté longuement son quotidien de
prof de français dans les quartiers Nord de Marseille, un métier
vivant, souvent drôle, mais compliqué. J’ai d’ailleurs gardé
une anecdote qui lui est arrivé... J’ai commencé à avoir une
vision un peu plus précise, mais rapidement il fallait aller sur le
terrain et l’une des premières questions que je devais trancher
c’était lycée ou collège ? J’ai donc passé plusieurs semaines
en repérages, dans des lycées professionnels du 93, à
Aubervilliers, à La Courneuve, à Saint-Denis, mais ce n’était
pas très intéressant. Beaucoup d’absentéisme, mais les élèves
présents travaillaient...
Direction le collège, donc...
Oui car c’est au collège que les
situations sont les plus compliquées, notamment à cause de l’âge
des élèves, des ados, quoi !…. À Stains, justement, il y a un
collège au cœur même de la cité du Clos Saint-Lazare, une cité
qui se retrouve parfois dans les rubriques « faits divers ». Je me
présente au printemps 2013, le principal est un peu réticent, la
principale adjointe plus accueillante. Et, à la rentrée suivante,
arrive Denis Ferault, un nouveau principal qui trouve le projet
utile. Avec l’accord des professeurs, il m’autorisera à passer
deux années entièrement immergé dans la vie du collège. J’y
suis allé quasiment tous les jours, assis au fond des classes, en
salle des profs, en voyage scolaire à Londres, en classe de neige...
je faisais partie des meubles, ce qui m’a permis d’observer avec
beaucoup de liberté. Très intéressant de constater comment les
élèves réagissaient différemment en fonction du prof et de sa
méthode. Certains enseignants n’arrivaient pas à faire 5 minutes
de cours en une heure, tandis que d’autres, avec la même classe,
réussissaient très bien dans une ambiance décontractée et
studieuse à la fois. J’ai assisté à de nombreux conseils de
classe et conseils de discipline, aux formations pédagogiques des
néo-titulaires. L’un des profs qui m’a le mieux accueilli et qui
m’a beaucoup aidé - François Petit-Perrin, il a un petit rôle
dans le film - m’a fait remarquer que j’étais témoin de
situations auxquelles très peu de monde avait accès. Car en dehors
de l’inspecteur qui vient une demi-journée tous les 5 ans, un prof
est toujours face à ses élèves et personne ne sait vraiment
comment ça se passe. Il y a des indicateurs assez fiables néanmoins,
plus un prof exclut ses élèves de cours ou les envoie en conseil de
discipline, et moins il réussit à faire progresser ses élèves.
Le film est né de cette observation ?
C’était la seule façon pour moi de
faire ce film : être plongé dans le réel. Je ne pense pas qu’on
puisse écrire depuis chez soi. On ne peut pas avoir une vision juste
et vraie, en restant dans les livres et les préjugés. D’une
certaine façon, le personnage joué par Denis Podalydès est mon
double. Ce qu’il découvre, c’est ce que j’ai découvert. Le
film a été tourné à Stains, à l’été 2016, avec les élèves
que j’avais suivis. J’ai ainsi fait tout mon casting au collège,
dans les classes de la 5ème à la 3ème, pour constituer une classe
de 4ème. Ce qu’on voit, c’est le vrai réfectoire, le vrai
bureau du principal, les vrais surveillants du collège.
On est loin de l’enfer décrit par
certains médias...
C’est mon expérience : je suis
arrivé à Stains, j’ai découvert une communauté turbulente, mais
très attachante. On me demande pourquoi je n’ai pas traité le
problème religieux : tout simplement parce qu’à l’école je ne
l’ai pas senti. Je n’ai trouvé au collège aucune trace de
radicalisation : les minutes de silence après les attentats étaient
respectées, les élèves ont même écrit des textes pour dire à
quel point ils étaient choqués. Le principal regrettait d’ailleurs
qu’on mette toujours en avant ces provocations très marginales. Je
n’ai surtout pas voulu donner une image complaisante. Je suis parti
sans idée préconçue, et si j’avais trouvé la guerre civile, et
bien j’aurais raconté la guerre civile !
Sur quelle piste d’écriture
êtes-vous parti ?
Je suis parti de l’idée d’un prof
très exigeant et cassant avec ses élèves, comme on en rencontre
parfois dans des grands lycées – car ce n’est pas la pédagogie
qu’on demande en priorité à ce genre de prof, ce sont avant tout
ses connaissances – qui va se trouver confronté à un public
différent et qui va découvrir la nécessité de changer de méthode.
J’ai beaucoup lu de textes sur l’éducation, la pédagogie, c’est
passionnant. La question vraiment importante c’est : comment donner
aux élèves cette envie d’apprendre, cette faim de connaissances ?
Or c’est vrai que j’ai vu, comme souvent en banlieue, de jeunes
profs, insuffisamment formés, qu’on envoie juste après leur
diplôme, et qui n’ont pas les outils pour affronter ce public
adolescent, le plus difficile à gérer. Ils m’ont notamment
inspiré le personnage de Gaspard, le prof de maths.
Des enseignants, comme lui, très
difficiles vis-à-vis des élèves, vous en avez rencontrés ?
Oui, j’ai vu des professeurs
extraordinaires, totalement investis, avec des grandes satisfactions
et des découragements aussi bien sûr, et d’autres totalement
dépassés. Il y a deux grandes tendances qui se dégagent : les
enseignants qui savent que ce n’est pas toujours évident, mais qui
croient en leur métier, qui l’aiment et en retirent de grandes
satisfactions : ils ont une vraie autorité acceptée et sont en
général appréciés par leurs élèves. Et ceux, qui souffrent
vraiment et qui ont tendance à rejeter la faute de leurs échecs sur
les élèves. Je me souviens de celui qui arrivait au réfectoire en
disant : « Les 4èmes 5, je les déteste... » Je fais dire la
réplique à Gaspard. Les dialogues et les personnages sont tous le
fruit de cette observation, en cela il n’y a pas de travail de «
création ».
Et quelles sont les pistes de solution
qu’on peut lire dans votre film ?
Enseigner est un métier difficile,
mais extrêmement gratifiant quand on réussit. Les élèves sont
très démonstratifs et vous renvoient énormément. Être un bon
professeur ce n’est pas être le meilleur en maths ou en français,
c’est donner le goût d’apprendre, savoir valoriser l’élève
finement sans tomber dans la démagogie. C’est donc la formation
qui est au cœur du problème. On envoie des profs qui connaissent
parfaitement leur matière, certains sont agrégés, mais qui n’ont
parfois aucun sens de la pédagogie. C’est un peu comme demander à
Alain Prost d’être moniteur d’auto-école avec des élèves qui
n’ont aucunement envie d’apprendre à conduire. Il faut beaucoup
de patience et de remise en question pour enseigner à des
adolescents. Déjà en tant que parents, on galère, donc comment
peut-on imaginer que les jeunes enseignants réussissent sans
formation ? Ils sont d’ailleurs les premiers demandeurs.
Une autre thématique centrale, le
conseil de discipline…
J’avais déjà écrit une version
dialoguée du scénario quand j’ai assisté à un conseil de
discipline qui m’a révolté. Un jour le principal m’informe : «
C’est Marvin, en 4ème pour une histoire pas bien grave. » Dans la
cour, il a dit à un de ses camarades, par bravache : « J’ai
croisé le principal dans la cité ce week-end, et comme il a peur de
moi, il a changé de trottoir. » Un prof mal intentionné - qui a un
peu inspiré le personnage de Gaspard - entend la conversation. Il va
voir le principal, qui se sent obligé de sévir, ne serait-ce que
pour garder son autorité. « Ne vous inquiétez pas, m’explique le
principal, je ne vais pas demander sa tête. C’est vraiment pas
grave. » Marvin est donc sur le grill, certains profs en profitent
pour pointer son travail insuffisant, d’autres au contraire le
défendent. On sort pour la délibération, et au retour, à la
surprise générale, on apprend qu’il est définitivement exclu...
Dès lors j’ai assisté à beaucoup plus de « CD » et j’ai vu à
quel point les exclusions définitives étaient très souvent
injustifiées, que la défense n’existait pas, et que l’exclusion
définitive était une peine extrêmement dure et traumatisante. J’ai
repris alors, non sans difficulté, toute la construction du scénario
pour intégrer cette histoire qui m’avait bouleversé.
Personne ne pouvait rien faire ?
J’ai appris qu’on pouvait faire
appel, mais que ce dernier ne serait pas suspensif et ne servirait à
rien. Ces exclusions définitives sont inutiles : c’est un jeu de
chaises musicales. Elles servent à donner l’illusion d’une
réponse. On expulse de nombreux élèves, mais on est obligé d’en
accueillir tout autant, expulsés d’un autre collège. Et le temps
que chacun met à trouver un autre établissement, voilà l’élève
dans la rue, découragé et déscolarisé. Quand j’ai revu Marvin,
quelques semaines plus tard, il trainait dans la cité… Et quelques
mois plus tard, il avait basculé. Ironie du sort, Tabono, qui joue
Maya, a été exclue définitivement, je l’ai appris alors qu’elle
venait faire de la post-synchro : une mini-bagarre dans les
vestiaires pendant un cours de gym, trois fois rien. Sauf que ses
copines l’avaient filmée en rigolant et diffusée sur Snapchat, le
prof d’EPS a vu la vidéo et a demandé le CD... Je n’invente
rien quand je fais dire à un de mes personnages qu’il y a beaucoup
de « CD » en hiver, parce que les profs sont fatigués. Il y a 17
000 exclusions définitives chaque année en France. 100 élèves par
jour de classe !
Faire étudier Les Misérables, même
en version expurgée, à des quatrièmes, c’est possible ?
Ça peut marcher, oui, bien sûr, mais
c’est compliqué… On en revient encore à cette même
problématique, celle de donner le goût d’apprendre. Ça dépend
aussi des jours, de l’heure, de la saison… Une classe est une
matière vivante. Mais globalement, les mêmes élèves, avec
certains profs, sont parfaitement calmes, on entend une mouche voler.
Et avec d’autres, ils jouent au foot dans la salle !
Avez-vous l’impression d’avoir été
confronté à des élèves avec un niveau scolaire particulièrement
faible ?
Le niveau est faible c’est vrai. La
majorité n’ont pas les prérequis, il y en a qui se retrouvent en
fin de collège sans savoir écrire. C’est hallucinant mais c’est
vrai, j’ai récupéré à la poubelle un mot d’excuse qu’un
élève de 3ème avait rédigé à son prof de français, qui de
dépit l’avait jeté. Il était absolument illisible. Ce n’était
même pas de la phonétique. J’ai pensé qu’il était étranger,
non il était né en France et y avait fait toute sa scolarité. Et
en même temps, il y en a aussi quelques-uns qui réussissent très
bien malgré tout. C’est le cas de Fanta et Youssef qui jouent dans
le film. Avec l’aide de ses professeurs, elle a fait une demande
pour intégrer Henri IV pour sa rentrée de seconde et Youssef a été
accepté à Louis-le-Grand. L’un des grands problèmes évidemment,
c’est le manque de mixité. À laisser les élèves qui ont le plus
de difficultés entre eux, on nivelle par le bas.
Comment avez-vous choisi Denis
Podalydès ?
J’ai pensé à lui pendant
l’écriture. J’avais vraiment envie qu’il accepte. Je pensais
qu’il était vraiment idéal pour le rôle. On lui a fait parvenir
le scénario, et il a très vite accepté. Après, il fallait se
caler sur ses disponibilités, qui ne sont pas nombreuses, parce
qu’il n’arrête jamais ! Il est d’une intelligence
impressionnante. C’est un acteur complet, qui peut être drôle et
touchant à la fois. C’est ce que je recherchais. Il a improvisé,
parfois, notamment dans la scène du début, quand il rend les copies
à Henri IV. C’est un lycée qu’il a lui-même fréquenté, et ça
l’a amusé : quand il passe entre les rangs, en humiliant certains
de ses élèves, il en a rajouté, et toute le monde se régalait.
Mais j’ai à peine forcé le trait : on m’a raconté l’histoire
de professeurs qui jouaient du sentiment de terreur qu’ils
pouvaient inspirer. Je voulais qu’il compose un personnage un peu
sec, le produit d’une éducation stricte, dans un milieu
intellectuel assez élevé, mais classique. L’expérience du
collège de banlieue va peu à peu l’ouvrir au monde. C’est
l’histoire de la transformation d’un personnage qui est confronté
à quelque chose qu’il ne connait pas et ne comprend pas. François
Foucault va prendre conscience que les discours autoritaristes qu’il
entend sont faux, qu’il faut une forme d’autorité
incontestablement, mais pas sans pédagogie. Sa rencontre avec Seydou
le trouble, parce que ça le remet en question. Il y a cette relation
maître/élève qui est très forte entre les deux personnages.
Et les autres comédiens ?
Je voulais des visages neufs, pour
donner plus de crédibilité à tout ce qui était tourné à Stains.
C’est le cas de Pauline Huruguen, qui joue Chloé, d’Alexis
Moncorgé, qui joue Gaspard ou Emmanuel Barrouyer le principal, ou
Marie Rémond qui interprète Camille, la prof de musique. On les a
vus au théâtre notamment Alexis Moncorgé, mais on ne les a jamais
vus au cinéma. En revanche, pour les scènes à Paris, les acteurs
pouvaient être plus reconnaissables sans que cela trouble le propos,
à l’instar de Léa Drucker, qui joue la sœur de François. Pour
les élèves, je voulais impérativement que ce soit ceux du collège
Barbara. J’ai fait moi-même le casting des enfants. Pour le
personnage principal, j’ai eu un coup de cœur immédiat pour
Abdoulaye Diallo. Pour m’assurer de mon choix, j’ai élargi à
d’autres établissements et j’ai rencontré beaucoup d’enfants.
Mais finalement, le choix d’Abdoulaye s’est confirmé, notamment
après les nombreux essais que je lui ai fait passer.
Comment avez-vous envisagé la mise en
scène ?
La mise en scène s’est faite
naturellement, car j’ai essayé de recréer les conditions que
j’avais vues, des situations de classes que tous les élèves
connaissaient aussi parfaitement. On a tourné toutes les scènes de
classe à deux caméras, toutes les deux à l’épaule, sans aucune
lumière artificielle - bon, j’ai parfois accepté un petit néon
sur le côté pour déboucher un visage, mais trois fois rien. Ce
n’est pas du documentaire, mais je voulais une image naturelle, qui
s’approche au plus près de la réalité. Avec deux caméras, cela
voulait dire beaucoup de rushes : le monteur a commencé à
travailler pendant le tournage, et voir les séquences prendre forme
nous donnait confiance. On a tourné l’été, mais du coup j’ai
profité notamment des vacances de Pâques qui précédaient, pour
faire de nombreux essais, des répétitions, et faire vivre cette
classe en amont du tournage. On devait arriver confiant parce que, de
leur côté, ils pouvaient facilement stresser face à une vraie
équipe de tournage. J’ai aussi fait en sorte de composer une
classe équilibrée avec différentes personnalités : sur 24 élèves,
il y a les grandes gueules, les bons élèves, les suiveurs, les
introvertis… Finalement il n’y a quasiment pas d’improvisation
dans le film. Il y en avait au tournage pour mettre du liant dans les
dialogues qui étaient écrits. On avait fait une première journée
test, notamment pour essayer la lumière, avec de vraies conditions
de tournage. J’ai dit pour la première fois « Action » et là,
il ne s’est pas passé grand-chose, tous les gamins étaient hyper
figés. Heureusement, dès la deuxième prise c’était terminé.
J’en ai reparlé avec mon chef opérateur David Cailley, qui m’a
dit avoir été très embarrassé, il avait pensé à ce moment-là
que ça ne marcherait pas du tout !
Le film de collège, c’est un peu un
genre en soi en France : où vous situez-vous par rapport aux autres
films sur l’école ?
Je ne me positionne pas vraiment par
rapport aux autres. Sans angélisme ni misérabilisme, j’ai
souhaité retranscrire ce que j’avais appris. C’est, disons, une
fiction documentée. Pendant ces deux années d’écriture, j’ai
vraiment eu un très grand plaisir à aller au collège. J’avais
envie de refléter dans le ton du film, ce quotidien : on rit
beaucoup, les élèves sont pleins de joie de vivre, mais les
situations sont compliquées. C’est un univers très vivant, très
joyeux et en même temps, parfois grave. C’est donc une espèce de
comédie dramatique, qui ne se détache jamais de la réalité
qu’elle dépeint.
ENTRETIEN AVEC DENIS PODALYDÈS
Qu’est-ce qui vous a attiré dans le
projet des GRANDS ESPRITS ?
Ce rôle de professeur, dont on suivait
longuement le travail, jour après jour, toute une année durant. On
entrait réellement dans sa classe, on voyait l’enseignement, le
lien se faire avec les élèves, les crises, les réussites. Et que
cela se passe dans ce collège Barbara de Stains, avec les vrais
collégiens, qui se connaissaient, qui connaissaient parfaitement la
ville, le lieu. Des collégiens avec lesquels je devais passer tout
un mois, me faire connaître d’eux, jouer avec eux, leur
transmettre quelque chose, moi qui ai longtemps souhaité être
professeur. Le scénario était d’ailleurs « ouvert » à cette
rencontre, pré- voyait des scènes à développer selon ce qui se
passerait entre nous. Olivier avait longtemps préparé le terrain,
il connaissait déjà bien les élèves, les professeurs. Le sujet
lui tenait plus qu’à cœur. Qu’enseigne-t-on ? Comment donner le
goût du savoir ? Qu’est-ce qu’une pédagogie vivante ? Toutes
ces questions l’habitaient, il m’a donné l’envie de les
intégrer jusque dans le jeu.
Un souvenir personnel de professeur de
classe pré- paratoire a-t-il inspiré, même de façon souterraine,
votre personnage ?
Des souvenirs de ma mère, professeur
d’anglais au lycée Mansart de Saint-Cyr-l’École pendant 25 ans.
Son rapport aux élèves, joyeux, affectueux, (je le sais par
quantité de témoignages que j’ai reçue au fil des ans). Elle
enseignait l’anglais et transmettait une certaine joie d’apprendre.
Des souvenirs de nombreux profs que j’ai eus moi-même. J’en ai
eu d’admirables, de la maternelle à la khâgne. Au lycée Henri
IV, je ne peux penser sans émotion à Jacques Métaux, professeur de
lettres génial, qui incitait certains trop zélés, trop obsédés
du concours, à décélérer, à sortir, à lâcher les
dictionnaires. Il parlait calmement, rêveusement même, et je notais
tout, ses inflexions me sont restées. Je pourrais en citer quantité
d’autres. Mon personnage est au départ plus rigide, plus doctoral,
dans la tradition de certains enseignants qui haïssaient l’ignorance
et déifiaient la culture noble.
La scène au lycée Henri IV semble
vous avoir particulièrement amusé, c’est un moment où vous
n’avez pas hésité à improviser…
Oui. Je retrouvais mon ancien lycée,
une salle que je connaissais bien : c’était là où était
l’ancien dortoir dans lequel je fus interne en 83-84.... Olivier
m’a fait pleinement confiance, pendant tout le film et notamment
pour cette scène. Il était important de montrer le personnage dans
son élément, le lycée prestigieux dans lequel il se sent
prestigieux, puissant, devant des élèves qui ne lui opposent aucune
résistance, dont il aime à se moquer. J’ai repensé à quelques
professeurs que j’ai pu connaître, qui adoraient l’exercice un
peu sadique du rendu des copies. Des phrases me venaient, j’aurais
pu improviser des heures, c’était un de ces moments où ma vie
d’acteur rejoignait la vie que j’aurais pu avoir si j’avais eu
Normale Sup’...
Comment avez-vous construit ce
personnage ? Le rapport avec son père est-il l’une des clés de la
psychologie de François Foucault ?
Le père a une grande réussite d’homme
de lettres : il publie un livre, on le sait et on le voit estimé,
honoré. Il a des opinions arrêtées, assez réactionnaires, on se
doute qu’il est un peu écrasant. François Foucault n’a sans
doute jamais songé à se rebeller contre lui, il a dû le subir et
tenter de se faire un chemin dans son ombre. Il est hors de toute
gloire possible. Il se venge un peu contre ses élèves d’Henri IV,
se réfugiant dans le culte des langues anciennes. Il ne se doute pas
qu’un tout petit peu de gloire (une gloire certes non médiatique)
va lui venir de cette mutation à Stains, vécue d’abord comme un
déclassement. Nous avons construit le personnage sur cette
opposition entre le Foucault assez rigide, secrètement amer du
début, et le Foucault plus incertain et plus généreux que les
enfants du collège font peu à peu émerger en lui.
En quoi l’expérience va-t-elle le
transformer ?
D’une conception aristocratique de
l’enseignement, François Foucault passe lentement à une
conception démocratique où la forme du savoir, la manière de le
valoriser et de le transmettre, valent autant que son contenu. Je
crois que c’est dans la scène où il se met à raconter l’histoire
des Misérables, après avoir jeté les livres à terre, que la
transformation s’opère. C’est là où ses yeux s’ouvrent
définitivement sur les élèves, et où les leurs s’ouvrent aussi
sur lui. C’est une question délicate, au-delà du film : comment
démocratiser la connaissance, la culture, sans la vulgariser, en
préservant la rareté, l’étrangeté, voire la difficulté ?
Comment s’est passé votre découverte
du lycée de Stains ?
Nous y sommes allés avant le tournage
avec Olivier. Le collège Barbara m’a beaucoup frappé. Neuf, très
moderne, bien équipé, et faisant penser pourtant de loin, quand on
le voit apparaître au milieu de cette zone presque campagnarde où
il est bâti, à un centre de détention... Je fus frappé par le
calme qui régnait, le vide des couloirs, et par le vacarme soudain
et insensé au moment de la sortie des élèves. Le lieu m’a
séduit. Il contournait tous les clichés du bahut de banlieue qu’on
imagine a priori vétuste, taggé, déprimant.
Comment joue-t-on avec des comédiens
amateurs ? Devient-on soi-même professeur d’art dramatique alors
qu’on joue un enseignant ?
C’était un mélange de tout cela.
Parfois je m’imaginais enseigner vraiment, quand je parlais par
exemple longuement des Misérables de Hugo ; parfois je ne faisais
plus que chercher une attention qui m’échappait, je devais
retrouver les armes pour me faire entendre. Je parlais plus bas, puis
soudain fort, je m’emportais, etc. Parfois oui, dans une scène, il
m’arrivait d’aider l’un ou l’autre à jouer dans le bon ton
ou rythme. Il fallait être sans cesse à l’écoute, ne jamais
craindre qu’une scène, d’une prise à l’autre, fût perturbée
par une réaction, un bruit, un rire, une trouvaille, une lassitude
soudaine. Nous passions ensemble quand même des journées plus
longues qu’une journée scolaire. J’ai remarqué un jour qu’une
fille s’était mise vraiment à lire Les Misérables, entre chaque
prise. Ça m’a beaucoup ému.
Quelle relation avez-vous noué avec
vos jeunes partenaires ?
Je crois que nous nous entendions bien.
Moi, ils me bouleversaient parfois. Souvent. À des moments
inattendus. Je ne le leur disais pas nécessairement. Certains
venaient me voir dans ma loge, ou on bavardait à la cantine. C’était
simple, très joyeux.
Que pensez-vous de la représentation
du « prof » dans le cinéma français ?
À part quelques grands films, comme
ENTRE LES MURS qui prennent à bras le corps la question, c’est
très souvent un rôle-cliché. Ou absent. Tel personnage est prof
mais on ne le sent jamais dans son exercice, ou on le voit brièvement
jouer une scène en classe pour montrer sa fonction. Ou, quand le
film porte sur les élèves, soit c’est un sous personnage en toile
de fond, soit c’est un personnage dur, antipathique. Ou alors c’est
un personnage en rupture de ban, il décroche, il a une liaison avec
un ou une élève, il s’ennuie. On montre très souvent le métier
de prof comme un métier ennuyeux, routinier, sans prestige. Ce n’est
pas perçu comme un rôle très glamour. Les comédies sur le sujet
le ridiculisent volontiers.
Pensez-vous que LES GRANDS ESPRITS
puisse changer le regard généralement porté sur la banlieue ?
Ça, je n’en ai pas la moindre idée.
Je ne pense pas qu’un film puisse produire un tel effet. À moins
d’un succès colossal et de devenir une sorte de sujet de société.
Souhaitons-le nous en tout cas...
#LesGrandsEsprits
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