Drame/Biopic/Un premier film magnifique et remarquable, d'une beauté intense
Réalisé par Stéphanie Di Giusto
Avec Soko, Gaspard Ulliel, Mélanie Thierry, Lily-Rose Depp, François Damiens, Louis-Do de Lencquesaing, Amanda Plummer, Denis Ménochet...
Long-métrage Français
Durée: 01h48mn
Année de production: 2016
Distributeur: Wild Bunch Distribution
Date de sortie sur nos écrans : 28 septembre 2016
Résumé : Rien ne destine Loïe Fuller, originaire du grand ouest américain, à devenir une icône de la Belle Epoque et encore moins à danser à l’Opéra de Paris. Même si elle doit se briser le dos et se brûler les yeux avec ses éclairages, elle ne cessera de perfectionner sa danse. Mais sa rencontre avec Isadora Duncan, jeune prodige avide de gloire, va précipiter sa chute.
Bande annonce (VF)
Ce que j'en ai pensé : Ce film m'a impressionnée et émue. J'ai trouvé l'histoire de cette femme au caractère trempé dans l'acier, aux talents variés et maîtrisés et à la volonté incroyable à la fois passionnante et magnifique.
La réalisatrice Stéphanie Di Giusto met la barre haute, très haute pour son premier film. Chaque image, chaque plan est travaillé, soigné et en même temps, elle raconte tous les aspects de cette histoire en les entremêlant de façon claire. Elle prend des risques, car elle utilise beaucoup d'ellipses. Cela peut déconcerter, mais son pari est réussi. Finalement en tant que spectateur, on complète les vides. Peu importe qu'on s'invente les détails, car le fond est là et la forme est splendide.
L'histoire s'inspire librement de la vie de Loïe Fuller interprétée avec force et sensibilité par Soko. Sa performance est vraiment superbe. Elle donne du sens à cet amour de l'Art qui transcende la souffrance.
Loïe croise des personnages qui auront de l'importance dans l'aboutissement de son Art. Des hommes bien sûr, notamment Louis interprété par Gaspard Ulliel. Son jeu intelligent permet de comprendre à mi-mots la relation qui se tisse entre Loïe et lui.
Il y a aussi des femmes, d'égale importance. La magnétique Lily-Rose Depp interprète Isadora Duncan, une jeune fille qui a déjà compris comment obtenir ce qu'elle veut dans la vie.
Mélanie Thierry interprète Gabrielle, une amie précieuse pour Loïe. Elle s'impose dans chaque scène à laquelle elle participe.
LA DANSEUSE est un film à découvrir absolument. Il offre une approche nouvelle et fraîche du film d'époque, raconte une histoire aussi méconnue qu'intéressante et nous transmet son récit avec une grande force grâce à sa superbe réalisation. C'est un film remarquable !
Note : La réalisatrice, Stéphanie Di Giusto, nous a précisé qu'aucun effet spécial n'a été rajouté en post production sur les scènes de danse et que c'est l'actrice principale, Soko, qui réalise elle-même les danses de Loïe dans le film.
NOTES DE PRODUCTION
(A ne regarder/lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
Suite à la projection du film, Stéphanie Di Giusto, la réalisatrice, et Soko, l'actrice principale, ont eu la gentillesse de venir répondre à nos questions. Pas d'inquiétudes, seules les deux premières minutes sont dans le noir.
ENTRETIEN
STEPHANIE DI GIUSTO
Racontez-nous la genèse du film.
Tout
est parti d’une photo noir et blanc représentant une danseuse cachée dans un
tourbillon de voile, en lévitation au-dessus du sol, avec une légende, au bas
du cliché : « Loïe Fuller : l’icône de la
Belle Epoque ». J’ai voulu savoir quelle femme se
cachait derrière ces métrages de tissu et son histoire m’a bouleversée. J’aimais
l’idée qu’elle soit devenue célèbre en se dissimulant ; son côté précurseur.
Avec sa « Danse Serpentine », Loïe Fuller a littéralement révolutionné les arts
scéniques à la fin du XIXe siècle. Et pourtant, personne ou presque ne se
souvient d’elle.
Pourquoi, soudain, avoir eu le désir de vous jeter dans l’aventure
d’un premier long métrage ?
Le
cinéma me passionne depuis longtemps mais il me semblait impossible d’atteindre
le niveau des réalisateurs que j’admirais. Ma rencontre avec Loïe m’a, en
quelque sorte, désinhibée. Le combat de cette fille de fermiers du Grand Ouest
américain pour s’imposer comme artiste m’en a donné le courage.
Qu’est-ce qui vous touchait particulièrement chez elle ?
Elle ne
possède aucun des canons de beauté en vogue à l’époque. Son physique est
ingrat, elle a la robustesse et la puissance d’une fille de ferme et se sent
prisonnière d’un corps qu’elle a déjà envie d’oublier. Mais d’instinct, elle s’invente
un geste et va traverser le monde grâce à lui. La
beauté naturelle qu’elle n’a pas, elle va la fabriquer à travers son spectacle,
et, ainsi, se libérer grâce à l’art. Elle va réinventer son corps sur la scène.
C’est une notion qui m’importe énormément. Il y a des gens qui trouvent les
mots pour communiquer, elle, elle a trouvé son geste et elle empoigne son
destin. Elle a fait de son inhibition un geste, de son mal être une énergie,
une explosion de vie, un défi rageur. C’est aussi l’émotion de ce combat que je
voulais capter. C’est un étrange mélange de force, de volonté et de fragilité.
Dès le début du film, vous la montrez en train de déclamer des
textes classiques en pleine nature, de dessiner...
C’est
une artiste avant d’être une actrice. L’art est, pour elle, une manière de s’échapper.
Loïe ne s’aime pas mais aime le beau autour d’elle et ne veut finalement
devenir comédienne que par passion des beaux textes. Il n’y a, chez elle, aucun
désir de se montrer.
Ironie du destin, le premier rôle qu’elle décroche est muet.
Et,
à partir de là, elle choisit de se taire et d’agir. Elle ne s’exprime plus que par
ce mouvement qu’elle a créé avec sa danse et qu’elle ne va plus cesser de chercher
à magnifier. Elle s’envole littéralement, empoigne son destin et se laisse
porter par sa foi en la beauté et sa singularité. Sa passion ne connaît plus aucun
frein ; c’est comme une sorte course à la montre qui va la mener jusqu’à l’Opéra
de Paris. Il est incroyable que Loïe Fuller ait réussi à y imposer ses ballets
; cela montre à quel point l’époque était ouverte à la création.
La danse qu’elle met au point fait appel à un nombre infini de
disciplines scientifiques : mathématiques, scéniques, et même chimiques…
La
confection de sa robe de scène, qui nécessite 350 mètres de soie, est déjà un
énorme défi : je n’ai rien inventé en montrant la formule mathématique qui
préside à sa création. Dès la première représentation de sa « Danse Serpentine
» aux Etats-Unis, dans sa pauvre robe de coton, Loïe a conscience qu’il lui
faut se donner les moyens de l’alléger et de lui donner de l’ampleur, et sait
aussi que les simples effets de lumière ne lui suffisent pas.
Loïe
Fuller s’est nourrie de tous les ouvrages qu’elle trouvait et de tous les gens qu’elle
rencontrait, Edison, Flammarion l’astronome… Elle a étudié l’éclairage, maîtrise parfaitement tous les dispositifs scéniques – d’où son exigence de faire appel
à 25 techniciens - et a même inventé les sels phosphorescents qu’elle
appliquait sur ses costumes en montant son propre laboratoire de chimie. Elle
est vraiment à la base de l’abstraction et du spectacle multimédias. Lorsqu’elle
se produit aux Folies Bergères, elle est quasiment devenue une chef d’entreprise.
A peine a-t-elle trouvé son geste qu’elle songe déjà à le faire
breveter…
C’est
là où elle est également avant-gardiste : lorsqu’elle découvre que le droit d’auteur
ne couvre pas ce domaine en Amérique, son premier réflexe est de se rendre en
France où, pense-t-elle, on pourra reconnaître son art et on le protégera. Elle
a réussi à déposer dix brevets à son nom.
Paris, puis le monde entier, reconnaissent son talent mais elle
est supplantée par Isadora Duncan.
Isadora
Duncan incarne tout ce qu’elle ne peut pas être : la jeunesse, le génie et la
grâce. C’est elle la danseuse. Il lui suffit d’apparaître quand Loïe doit s’entraîner
durant des heures et user de mille artifices. Cette forme d’injustice m’intéressait
: on est tous confrontés à ses limites un jour ou l’autre.
Comment avez-vous abordé l’écriture du film ?
Au
début, j’ai travaillé comme pour un documentaire - en lisant énormément de
livres sur elle et en rencontrant beaucoup de gens, dont Jody Sperling, la
danseuse qui danse actuellement le mieux Loïe Fuller et dont l’aide a été déterminante.
Et puis, je me suis emparée d’elle pour exprimer ce qui résonnait en moi chez
elle. Je voulais être au plus près de mon héroïne ; filmer son corps, en
essayant de rendre l’élan et l’énergie hors normes du mouvement qui l’animait,
de sa foi ; tenter un récit différent qui passe par le geste davantage que par
la parole. Cela a été un énorme travail d’épure qui m’a pris trois ans.
Chaque
geste est écrit.
Sarah
Thibau m’a aidée à finaliser un premier jet puis, Thomas Bidegain est venu m’épauler
à son tour : il a contribué à accentuer encore le côté épuré du scénario tout
en lui insufflant de l’énergie.
Avez-vous pris des libertés avec le personnage ?
Oui.
Je me sentais intimement liée au personnage, il n’était pas question d’écrire un
biopic. Ma première trahison a été de lui inventer un père français. Sachant, dès le début,
que je voulais Soko pour interpréter Loïe, je trouvais ridicule qu’elle ait à
prendre un accent américain. J’ai donc fait du père un fortyniner, un de ces pionniers français venus au Nevada pour trouver de
l’or.
J’aimais
aussi l’idée que Loïe doive échapper à quelque chose de violent en quittant les
Etats-Unis : j’ai rendu le rapport qu’elle entretient avec sa mère beaucoup
plus dur qu’il ne l’était en réalité en faisant de la mère un membre des Mothers, un mouvement anti-alcool qui est également le premier
mouvement féministe américain.
Et
j’ai également pris la liberté d’inventer le personnage de Louis Dorsay, qu’interprète
Gaspard Ulliel. J’avais besoin d’une présence masculine dans ce film peuplé de
femmes. Loïe Fuller était homosexuelle et il était important pour moi de ne pas
en faire le sujet du film. Louis Dorsay me touche beaucoup : c’est l’homme
sacrifié du film.
Et c’est aussi un personnage très ambigu …
On
pense qu’il va lui faire du mal alors qu’il ne lui fait que du bien. C’est un amateur
d’art : il est tout de suite fasciné par l’artiste qu’il découvre sur scène. Loïe
et lui partagent la même quête de spiritualité et entretiennent une relation
qui n’est ni de l’amitié, ni de l’amour. Il n’y a pas de sexualité entre eux ;
et pourtant leurs rapports sont d’une très grande sensualité. J’ai beaucoup
aimé flirter avec l’idée, tabou au cinéma, de l’impuissance masculine ; une
impuissance que j’avais envie de rendre sexy.
Toute la beauté du geste de Loïe passe par son regard et par
celui de Gabrielle, qu’interprète Mélanie Thierry.
Sans
eux, Loïe n’existe pas parce qu’on n’a pas le temps de s’appesantir sur elle.
Je voulais qu’elle avance tout le temps.
Aucune des performances de Loïe Fuller n’a jamais été filmée…
Comment avez-vous réussi à recréer son spectacle ?
C’était
le défi, très excitant, du film. Malgré son insistance, Loïe Fuller a toujours refusé
à Thomas Edison, qui était pourtant son ami, d’immortaliser sa danse sur de la
pellicule. « Il est hors de question qu’on m’enferme
dans une boite », lui disait-elle. Et les images qui
circulent sur Youtube ne sont que de pales captations d’imitatrices. Jody
Sperling, que je citais plus haut, m’a beaucoup aidée pour la chorégraphie.
Faute de moyens, elle n’a jamais pu reconstituer exactement les performances de
Loïe Fuller sur une scène et était très émue qu’un film le fasse, en utilisant
scrupuleusement les mêmes accessoires et le même nombre de techniciens. Mais,
tout en tenant à respecter l’époque, le chef décorateur Carlos Conti et moi
savions qu’il nous faudrait utiliser les facilités d’aujourd’hui, et avons
trouvé les artistes avec lesquels elle aurait sans doute travaillé si elle
était encore vivante - dont Alexandre Le Brun, un véritable artiste des
lumières qui m’avait bluffée lors des derniers défilés Saint Laurent. A partir de
là, nous avons scrupuleusement suivi la méthode de travail de Loïe Fuller. Cela
représente beaucoup de temps passé en répétitions. Et un entraînement physique
intensif de la part de Soko.
Comment s’est-elle entraînée ?
Je
voulais qu’elle ait des muscles et un corps robuste. Soko a travaillé 6 heures par
jour durant 1 mois avec Jody Sperling. Le plus difficile pour elle était de
tenir en équilibre et de danser à 2, 50 mètres du sol, tout cela dans le noir.
Soko est quelqu’un qui se donne à 100% : elle a un formidable appétit d’apprendre
et s’est totalement investie dans cette préparation. Au bout des 4 semaines, elle
était prête. Le challenge, ensuite, consistait à lui faire oublier la danse que
lui avait apprise Jody Sperling. Elle devait pouvoir en donner sa propre
interprétation. C’était impensable pour moi d’utiliser une doublure, il fallait
aller jusqu’au bout.
Dans le film, on comprend que chaque spectacle est une
véritable gageure physique…
Il fait
appel à un énorme travail de coordination des gestes dans l’apesanteur. Ce ne
sont pas seulement les bras qui travaillent, c’est tout le corps. Du reste, Loïe
Fuller s’écroulait presque à chaque fin de spectacle, comme dans cette scène,
aux Folies Bergères, où on voit l’héroïne partir sur un brancard. Loïe ne dansait
que tous les trois jours : elle avait besoin de récupérer entre chaque prestation.
Plus elle danse et plus elle se consume : en plus de l’effort
physique, ses yeux sont agressés par la violence des projecteurs ; elle doit
constamment remuscler ses bras en s’entraînant sur une machine…
Chaque
fois que Loïe rentre sur scène, c’est comme si elle livrait un combat. Je me
suis beaucoup inspirée de la boxe en la filmant. Je n’ai pas filmé une danseuse,
j’ai filmé une boxeuse. Même la manière dont elle s’écroule sur son siège à la
fin d’une représentation vient de la boxe.
Cela rend le parallèle avec Isadora Duncan d’autant plus cruel…
Isadora
est douée et préfère aller boire des cocktails avec les journalistes plutôt que
de travailler des heures à la barre. Sa conception de la danse est radicalement
opposée à celle de Loïe Fuller : ne pas s’entraîner, rêver, respirer, regarder
des images sur la Grèce pour s’inspirer. Lorsque Loïe la rencontre et en tombe
amoureuse, elle tombe d’abord amoureuse d’une projection d’ellemême, de ce qu’elle
aurait aimé être et surtout de ce qu’elle ne pourra jamais être.
On sent une forme d’autodestruction et de désamour chez elle…
Oui.
Elle ne se regarde pas, ne s’aime pas, donc, elle ne se ménage pas. En ce sens,
La Danseuse est aussi un film sur l’estime de soi. Le clivage entre l’icône
de la féminité qu’elle représente en dansant et la fille banale qu’elle
redevient dans la vie et qu’elle déteste me passionnait. Loïe Fuller se rend
parfaitement compte que, sans son costume, elle n’est plus rien, et elle ne
veut surtout pas briser le rêve qu’elle apporte au public comme aux critiques.
Elle a peur de décevoir et elle a raison : Mallarmé, qui a écrit des choses
sublimes sur son compte, a été très déçu lorsqu’il l’a rencontrée.
Et
puis, la notoriété ne l’intéresse pas. Elle n’est finalement heureuse qu’entourée
des gens avec lesquels elle travaille ou lorsqu’elle fait des bras de fer avec
ses techniciens.
Dans le film, elle n’ose affronter les spectateurs qu’une seule
fois, à l’Opéra, alors qu’ils l’ont pourtant vue tomber…
A
ce moment-là, elle a accompli une partie du chemin. Grâce à Louis Dorsay, qui l’a
amenée à devenir une femme, et grâce à Isadora Duncan, qui la provoque en lui
envoyant ce télégramme et la pousse à braver la scène de l’opéra seule, elle s’aime
peut-être enfin. Isadora est quand même celle qui va la déshabiller et lui
faire assumer sa féminité.
On a du mal, aujourd’hui, à mesurer sa renommée
Loïe
Fuller était l’une des danseuses les mieux payées au monde. Mais, bien qu’elle
soit parvenue à réunir autour d’elle intellectuels et public populaire, beaucoup
d’universitaires ne la considèrent pas comme une danseuse parce qu’elle n’a pas
transmis son savoir. Connaissant le côté inhumain et quasi destructeur de sa
danse, elle a appris à exprimer autre chose aux jeunes filles auxquelles elle
enseignait. J’ai eu l’occasion de voir un film qu’elle a réalisé où l’on voit
ses danseuses : on est en 1900, elles sont à moitié nues et d’une liberté
inouïe qui faisait d’ailleurs scandale. Mais c’est précisément la liberté que
Loïe Fuller voulait leur enseigner.
Dernière
facétie de la vie : elle est enterrée au Père Lachaise à 100 mètres d’Isadora
Duncan. Sa tombe est enfouie dans la végétation quand celle d’Isadora est
magnifiquement entretenue. L’injustice perdure.
Il y a des scènes très picturales dans le film : la mort du
père avec le sang qui s’écoule de la baignoire, la séance photo, où Loïe fait l’amour
la première fois avec une armure...
Pour
chaque scène, j’ai essayé de trouver une idée qui exprime un geste. Et, chaque
fois, je me posais la question : l’a-t-on déjà vue ? Benoît Debie, le chef opérateur,
a beaucoup contribué à donner son caractère pictural au film. Il est le seul à
avoir cette approche. Je savais, pour avoir vu son travail sur Love, de Gaspard Noé, que c’était lui qu’il
me fallait. Chance formidable, il a adoré le scénario et a accepté de s’engager
sur le film. Je suis comme Loïe Fuller avec ses 25 techniciens : sans lui, sans
Alain Attal, mon producteur, sans Anaïs Romand, la chef costumière, sans Carlos
Conti, le chef décorateur et sans tous les gens qui m’ont entourée, La Danseuse n’existerait pas.
Parlez-nous de la préparation.
Dès
l’écriture, j’ai fait parallèlement un travail de repérage : j’avais besoin de trouver
mes décors pour faire vivre mes personnages : cette ruine, dans le parc, pour
le dîner d’anniversaire de Gabrielle, la rotonde du château, dans laquelle elle
danse… l’église, où vivent les Mothers
- dénichée dans le IXème-, le théâtre où
elle se produit, jusqu’aux scènes dans le Far West, qui ont été tournées dans le
Vercors. Dans le scénario, il y avait des détails qui prenaient en compte les lieux
que j’avais déjà choisis, j’avais besoin de ça pour y croire.
Avez-vous vraiment tourné la dernière danse, La Danse des Miroirs à l’Opéra de Paris ?
Oui.
Je n’avais qu’une nuit de 2 heures à 8 heures du matin. Mais c’était déjà extraordinaire.
Bien qu’elle ait déjà tourné dans quelques films, Lily-Rose
Depp, qui interprète Isadora Duncan, tient son premier grand rôle dans La Danseuse.
Je
ne la connaissais pas et suis allée aux Etats-Unis pour la rencontrer et lui faire
passer des essais. Dès la première scène, j’ai compris que j’avais affaire à une
star. Elle m’a bluffée. Lily-Rose, qui n’a que 16 ans, n’a peur de rien, et est
incroyablement à l’aise dans son corps. Alors que Soko a dû s’entrainer durant des
semaines, elle, a tout de suite collé au personnage. Toujours cette histoire d’injustice…
Comment dirige-t-on des acteurs aussi chevronnés que Soko,
Mélanie Thierry, Gaspard Ulliel ou François Damiens, qui joue Marchand, le
directeur des Folies Bergère ?
J’étais
comme Loïe Fuller : j’avais une mission. Ce n’était pas Soko ou Gaspard Ulliel
que je voyais franchir une porte, c’était Loïe Fuller et Louis Dorsay. J’étais tellement
imprégnée par mon sujet, je ne parlais pas aux acteurs mais aux personnages.
Ils étaient tous différents : Soko, généreuse et très investie, elle a une
énergie qu’il fallait canaliser ; Gaspard, un maître de précision ; Mélanie, douée
et instinctive... C’était dur pour Mélanie Thierry de jouer cette femme de l’ombre.
Face à l’énergie débordante de Loïe, il me fallait quelqu’un d’aussi puissant
mais tout en retenue. Le silence, c’est ce qu’il y a de plus compliqué à jouer.
C’est une performance différente de celle de Soko, mais tout autant difficile.
Ils m’ont tous beaucoup impressionnée. Je faisais peu de prises et les comédiens
s’en sont parfois inquiétés. Tout en respectant l’époque, ma manière de filmer
devait coller au rythme et à la liberté de mon héroïne ; à sa modernité. J’aime
filmer les corps en mouvement ; c’est un parti pris que j’ai encore accentué au
montage. J’ai cette étrange impression que tous étaient venus pour défendre mon
film coûte que coûte, autant que moi. Ils ont tous pris des risques, ça reste
un premier film, c’est l’inconnu pour eux. Leur investissement m’a beaucoup
touchée.
Un mot sur la musique…
L’interprétation
très contemporaine de Vivaldi par Max Richter s’est tout de suite imposée à moi
pour les chorégraphies. Loïe Fuller n’était pas très mélomane et dansait à peu
près sur n’importe quoi. Pour coexister avec Vivaldi, j’ai choisi le travail de
Warren Ellis et Nick Cave que je trouve très émouvant.
On ne peut pas s’empêcher d’établir un lien entre le combat que
mène Loïe Fuller à chaque représentation et celui qu’un metteur en scène doit
livrer pour tourner son premier film…
Tous les
metteurs en scène sont des Loïe Fuller. C’est aussi, dans un sens, un film sur
la naissance du cinéma, à travers le mouvement et la mise en scène. Loïe Fuller
incarne cet art à la fois élitiste et populaire. Elle voit grand et beau. Tous les
arts sont une façon de rester libre. Mon film parle de cette liberté
essentielle.
ENTRETIEN
ALAIN ATTAL
LA DANSEUSE, de Stéphanie Di Giusto, était un projet extrêmement ambitieux pour
un premier long métrage. Qu’est-ce qui vous a décidé à le produire ?
Vincent
Maraval, de Wild Bunch m’avait donné, le premier, des arguments propres à éveiller mon intérêt : « Il n’y a pas de vedettes, la
fille fait son premier film, ça coûte une blinde…». J’ai donc lu le scénario de La Danseuse en
étant prévenu, mais en le refermant, l’excitation était là. Puis ma rencontre
avec Stéphanie Di Giusto a été une nouvelle étape-clé : elle avait le genre de
fièvre créatrice qui bouscule tout sur son passage.
Racontez-nous cette rencontre.
Elle
était prête, son projet, déjà très muri, son scénario, très développé -130
pages- et abondamment illustré. Elle avait même constitué un dossier complémentaire
avec des photos de Loïe Fuller et des envies précises de décors et de casting.
Stéphanie émettait des réponses très précises à toutes mes questions. Je voyais
son film. En termes de bouillonnement artistique et d’échanges, elle est sans
doute l’une des plus belles rencontres de ma vie professionnelle.
Comment avez-vous réagi à son désir de prendre Soko pour
interpréter Loïe Fuller ?
Chez
moi, ce sont vraiment les réalisateurs les patrons, mais, si je ne suis jamais interventionniste
sur le casting, j’ai une sensibilité, des goûts, mais franchement le choix de
Soko a participé à mon engagement. Je l’avais déjà adorée dans Augustine, d’Alice Winocour, dans À l’origine, de
Xavier Giannoli, et même dans certains films où elle avait un tout petit rôle.
J’aimais son côté électron libre, et je trouvais intéressant de choisir une
artiste à la personnalité très affirmée pour en incarner une autre.
Soko est très connue dans le milieu du rock indépendant et du
post punk ; moins dans celui du cinéma…
J’étais
conscient qu’en adhérant au choix de Stéphanie, je me tirais une nouvelle balle
dans le pied : difficile de convaincre une chaîne de télévision de s’engager sur
un premier film coûteux avec une comédienne principale quasi-inconnue du grand
public. Malgré cela, j’ai décidé de foncer. Ma femme Caroline, qui lit tous mes
projets, et dont l’avis compte beaucoup pour moi tant il est sans concession, m’a
énormément soutenu tout au long de la production très chaotique de ce film, et
son enthousiasme m’a donné de la force.
Vous avez la réputation de suivre de très près les films que
vous produisez.
Comment s’est déroulé le travail avec Stéphanie Di Giusto ?
Nous
avons beaucoup échangé et beaucoup retravaillé le scénario - les personnages
secondaires étaient un peu trop « derrière » - nous avons notamment développé
les partitions de Mélanie Thierry et de Gaspard Ulliel. Stéphanie et moi avons
parfois croisé le fer sur certaines séquences, d’autant qu’elle réécrivait tout
le temps, tous les jours. Elle a dû écrire ainsi 50 nouvelles versions avant la
version finale.
Cela
peut paraître étrange mais Stéphanie et moi évoquions souvent Rocky, ce type
qui rêve de devenir champion du monde et qui est prêt à tout sacrifier pour arriver
à ses fins, alors qu’il boxe dans une petite salle minable des faubourgs de Philadelphie.
La Danseuse, c’était la même histoire, ce sont les mêmes codes… Elle n’a
rien lâché sur rien : elle tenait absolument à avoir Benoît Debie comme chef
opérateur et l’a finalement convaincu. Elle n’a pas hésité à s’envoler plusieurs
fois sans prévenir personne pour Los Angeles afin d’y dénicher l’actrice -
Lily-Rose Depp - qui interpréterait Isadora Duncan. Persuader Gaspard Ulliel pour
qu’il accepte le rôle de Louis d’Orsay et convaincre François Damiens, pour le
rôle du directeur des Folies Bergère, François Damiens que nous n’avions absolument
pas les moyens de rémunérer à sa juste valeur.
Parlez-nous du montage financier, ce film a été très risqué
pour le Trésor ?
J’ai
dû prendre de gros risques, oui. Je n’ai jamais autant exposé mon entreprise que
sur ce film. Plus d’1,5 million d’euros. C’est énorme : le film coûte 8
millions d’euros, je n’en ai trouvé qu’un peu moins de 6,5.
Vous êtes assez coutumier de ce genre de folie…
Je l’ai
fait sur Polisse, sur lequel déjà le « raisonnable » a
été balayé par « l’indispensable », sur Ne le dis à personne aussi où aucun financier ne voulait entendre parler de
François Cluzet ; et surtout sur Le Concert, de Radu Mihaileanu, clairement mon pari le plus fou avant La Danseuse.
Dans
ces cas-là, on se retrouve dans une position totalement schizophrénique où l’on
veut le meilleur pour le film tout en ayant conscience de ne pas avoir l’argent
pour le lui donner. On s’endette, on se lance à corps perdu dans l’aventure et
surtout, on donne raison au réalisateur, parce que l’on sait qu’il est dans le
vrai lorsqu’il refuse de céder sur tel ou tel point. Radu Mihaileanu savait ce
dont il avait besoin et, dieu merci, son film a marché ; Stéphanie Di Giusto n’a
rien cédé non plus, l’histoire nous dira si j’ai bien fait de la suivre…
Au final, qui sont vos partenaires ?
Le
CNC, qui nous a attribué l’Avance sur Recettes, Canal Plus, Ciné+, Wild Bunch
Distribution qui s’occupe également des ventes à l’étranger, et une coproduction
avec une société tchèque Serena Films, et également avec les frères Dardenne.
Puis en cours de tournage, Orange Studio nous a rejoint pour une petite
co-production.
L’une des scènes clés du film – celle où le personnage de Loïe
Fuller se produit à l’Opéra – représentait un double défi chorégraphique et cinématographique.
Stéphanie
le savait et s’était assurée très en amont de la collaboration de Jody Sperling,
une chorégraphe qui a formé puis fait répéter Soko. Et du coup, elle pouvait
ainsi se concentrer sur le découpage et la façon de filmer cette danse-là, ainsi
que celle avec toutes les élèves-danseuses, dans la forêt.
Est-ce facile de tourner à l’Opéra ?
C’est
un établissement public, on ne peut pas y faire ce qu’on veut, il y a beaucoup
de contraintes mais c’était bien de finir dans ce décor majestueux. C’est du
reste un des changements importants opérés dans le scénario qui prévoyait
initialement cette séquence à Vienne. Que le but ultime de l’héroïne soit l’Opéra
de Paris était plus parlant ; cela met la barre haut.
Vous dites que Stéphanie Di Giusto n’a cédé sur rien.
Donnez-nous des exemples.
Je
n’avais pas les moyens de financer les scènes où l’on voit Loïe à la montagne, aux
Etats-Unis, et il me semblait que le film pouvait démarrer lorsqu’elle arrive chez
sa mère. Stéphanie est revenue à la charge à la fin du tournage : « Ecoute, m’a-t-elle dit, il
me faut ces scènes, on va les tourner comme un court métrage.
Retire-moi un bout de mon salaire,
je les paierai. » Elle avait raison. Je n’imagine plus le
film sans ces séquences qu’elle a tournées dans le Vercors.
Elle
tenait également beaucoup à deux plans de Soko traversant l’Atlantique en
bateau que nous avions dû laisser tomber. En février dernier, elle s’est embarquée
sur un Ferry avec Soko et les deux productrices, Marie Jardillier et Emma
Javaux, qui ont accompagné le film à mes côtés. Elle a tourné ses plans, sans
autorisation, juste avec une caméra et Soko. La seule contrainte que j’ai ordonnée
a été de lui retirer quelques heures de tournage à la fin – en cumulé environ 2
journées de tournage sur 47 en tout. J’ai eu le cran de poser cette limite car
le directeur de production, épuisé, n’arrivait plus à obtenir la moindre concession
de sa part.
Quel a été votre rôle au moment du montage ?
Au
bout de 8 semaines de montage, Stéphanie m’a appelé : « J’ai fini », m’a-t-elle dit. La version de La Danseuse qu’elle me montre alors dure 1h20. En 26 films, je n’avais jamais
vu ça ! L’inverse total de tous les réalisateurs qui sont toujours trop longs.
Mais elle craignait tellement que son film soit trop contemplatif et trop dans
l’émotion, qu’elle en avait fait un véritable tourbillon. Nous avons donc repris
son premier bout à bout, nous sommes repartis de zéro, j’ai tenté de lui faire
aimer certaines longueurs (le comble quand même…) et elle est à nouveau rentrée
dans son film plus tranquillement, plus sereinement.
On sent énormément de correspondances entre la lutte que mène
Loïe Fuller, l’héroïne, qui se bat pour faire reconnaître un art qu’elle a
inventé, l’énergie de cette jeune réalisatrice, remontée à bloc pour faire
exister son film, et votre propre implication dans ce film.
Ce
n’est pas à moi de faire une auto-analyse sur ces correspondances. Par contre,
la juxtaposition des destinées de ces deux femmes – celle que j’accompagnais
dans sa première réalisation artistique, et celle du personnage dont l’histoire
est racontée -, leur mise en abyme, m’a effectivement passionné.
Diriez-vous comme dans la chanson, « Non rien de rien, je ne
regrette rien… » ?
Je n’ai
jamais eu de regrets concernant les films que j’ai accompagnés, ce n’est sûrement
pas avec La
Danseuse que je
vais commencer.
CITATIONS
DES CRITIQUES DE L’ÉPOQUE
«
Du divin se matérialise. On songe à des visions de légendes, à des passages vers
l’Eden. »
Paul Adam.
«
L’art jaillit incidemment, souverain : de la vie communiquée à des surfaces impersonnelles,
aussi du sentiment de leur exagération, quant à la figurante : de l’harmonieux
délire. »
Mallarmé.
«
Le corps charmait d’être introuvable. Elle naissait de l’air nu, puis, soudain
y rentrait. Elle s’offrait, se dérobait. Elle allait, soi-même se créant. »
Rodenbach.
«
Toutes les villes où elle a passé et Paris lui sont redevables des émotions les
plus pures, elle a réveillé la superbe antiquité. »
Auguste Rodin.
«
La flore s’anime et s’humanise. »
Roger Marx.
«
C’est une clarté qui marche, qui vit, qui palpite, et la chose véritablement émouvante,
c’est que toutes ces flammes froides, de ce feu qu’on ne sent pas brûler,
jaillit entre deux volutes de lumière une tête de femme, au sourire énigmatique,
la tête de la danseuse sur un corps de phosphorescences insaisissables et que
les lueurs vives embrasent et transfigurent. »
Félicien de Ménil.
«
Est-ce une danse, est-ce une projection lumineuse, une évocation de quelque spirite
? Mystère. »
Jean
Lorrain.
Crédit photo © Shanna Besson
© 2016 Wild Bunch Distribution
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