Thriller/Épouvante-horreur/Originalité et inventivité s'imposent pour nous angoisser avec malice, malgré des incohérences
Réalisé par John Krasinski
Avec Emily Blunt, John Krasinski, Millicent Simmonds, Noah Jupe...
Long-métrage Américain
Titre original : A Quiet Place
Durée : 01h30mn
Année de production : 2018
Distributeur : Paramount Pictures France
Interdit aux moins de 12 ans
Date de sortie sur les écrans américains : 6 avril 2018
Date de sortie sur nos écrans : 20 juin 2018
Résumé : Une famille tente de survivre sous la menace de mystérieuses créatures qui attaquent au moindre bruit.
S'ils vous entendent, il est déjà trop tard.
Bande annonce (VOSTFR)
Ce que j'en ai pensé : SANS UN BRUIT est un film avant tout sensoriel, qu'il est très sympa de voir au cinéma, car, comme la première partie est très silencieuse, le moindre bruit dans la salle paraît super bruyant. Le silence s'impose de lui-même parmi les spectateurs qui tendent l'oreille et sursautent au moindre bruissement, surtout après une introduction pour le moins exemplaire sur la situation particulière et grandement périlleuse à laquelle les protagonistes doivent faire face. Il ne faut pas trop intellectualiser l'histoire, sous peine de ne voir que les défauts d'un scénario qui laisse place à beaucoup de questionnements logistiques, pratiques et logiques. Cependant, si on réussit à se laisser embarquer par le caractère attachant des protagonistes et la peur qui s'instille au travers de chaque situation qui se met sur leur chemin, alors on se prend au jeu, tout simplement parce qu'on s'inquiète pour eux. Dans ce cas, l'effet est garanti et notre palpitant crépite à chaque son.
Le réalisateur, John Krasinski, qui est aussi l'acteur principal, met en scène ambiance et règles de survie de façon directe et efficace. Il intègre une belle ingéniosité pour nous faire comprendre comment la situation a dégénéré et comment les survivants la gèrent. Il sait également instaurer en quelques secondes une atmosphère de terreur et nous fait ainsi pénétrer dans son cauchemar éveillé. L'impact est d'autant plus maîtrisé qu'il a eu la bonne idée de faire un film assez court en durée (1h30), juste assez pour qu'on n'ait pas trop le temps de s'habituer.
En tant qu'acteur, il assure dans le rôle de Lee Abbott, un bon père de famille débrouillard qui essaie de protéger sa famille comme il le peut face à une situation extrême autant qu'inhabituelle.
Face à lui, Emily Blunt est impeccable dans le rôle d'Evelyn Abbott, la maman, qui fait preuve de beaucoup de courage dans l'adversité.
Les enfants sont supers, que ce soit Millicent Simmonds qui interprète Regan, Noah Jupe qui interprète Marcus ou encore Cade Woodward qui interprète Beau. Ils savent parfaitement garder des réactions propres à leurs âges ce qui rend la tâche de leurs parents d'autant plus compliquées dans cette situation.
SANS UN BRUIT est un film d'épouvante qui impose son originalité et, si on se laisse prendre par l'histoire, réussit à nous intriguer et à nous faire sursauter plus d'une fois. Les défauts de son scénario ne l'empêchent pas de nous entraîner dans ce monde revu et corrigé par son réalisateur qui sait imposer sa vision avec inventivité. N'hésitez pas à tenter de découvrir ce film sur un grand écran sans émettre un seul bruit, cela peut être un défi !
Copyright photos @ Paramount Pictures France
NOTES DE PRODUCTION
(Á ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
LE SILENCE, C’EST LA SURVIE
Quand John Krasinski s’est penché
pour la première fois sur le scénario de SANS UN BRUIT,
écrit par le duo formé par Bryan Woods et Scott Beck (NIGHTLIGHT),
le synopsis terrifiant a tout particulièrement résonné en
lui.
En effet, la femme de John Krasinski, Emily Blunt, venait
tout juste de donner naissance à leur seconde fille, et les nuits du
jeune père étaient déjà rythmées par la quiétude mêlée
d’anxiété que connaît tout jeune parent.
Plongé dans cette
atmosphère, il a été transporté par l’histoire terriblement
angoissante de cette famille qui cherche à tout prix à se mettre à
l’abri. Mais il a aussi été captivé par leur besoin vital de
lien social, dans un monde où le moindre cri, le moindre pas un
peu trop lourd, pourrait entraîner leur perte. L’histoire illustre
les peurs les plus violentes de tout parent… mais en les
démultipliant.
À cette période de sa vie, John Krasinski avait
déjà fait ses preuves en tant qu’acteur (de DETROIT à 13 HOURS),
mais également en tant que scénariste (parmi ses scénarios figure
celui pour PROMISED LAND, de Gus Van Sant) et réalisateur
débutants (il a signé BRIEF INTERVIEWS WITH HIDEOUS MEN, puis
LA FAMILLE HOLLAR).
Mais avec SANS UN BRUIT, son premier
long-métrage d’envergure, John Krasinski n’a pas eu d’autre
choix que de porter ces trois casquettes en même temps. Alors qu’il
s’attelait à la réécriture de l’histoire très conceptuelle de
Woods et Beck, il y a également vu l’occasion de jouer avec le
pouvoir inhérent au genre du film d’horreur. Certes, fidèle à la
tradition des thrillers haletants, il souhaitait faire monter la peur
petit à petit. Mais plus encore, il souhaitait créer une
véritable lutte entre bruit et silence, peur et amour, et mettre en
œuvre une expérience émotionnelle très tendue qui aurait
également une dimension immersive pour les spectateurs.
John
Krasinski se remémore ce qui l’a fasciné en premier :
“J’étais déjà en train de faire face à toutes les angoisses
du jeune parent – comment protéger mes filles et être un bon père
– quand j’ai reçu ce scénario, si bien que je m’y suis
identifié à un niveau très personnel. J’ai senti que sous la
surface de l’histoire, il y avait une métaphore intéressante mais
terrible sur le rôle d’un parent. J’étais vraiment très à
fleur de peau et très nerveux à ce moment-là, et ça a donc été
très fort d’imaginer ce que des parents seraient prêts à faire
pour protéger leurs enfants, c’est-à-dire faire l’impossible,
vivre sans un bruit. Mon imagination s’est totalement affolée. Il
y avait tellement d’éléments à explorer à partir de cette
idée”.
Plus il tâchait de s’imaginer père dans cette époque
apocalyptique, plus cette idée devenait effroyable et puissante à
la fois. L’histoire est jalonnée de formidables rebondissements
déstabilisants, mais il y a aussi une dimension poignante chez cette
famille qui tente de communiquer malgré toutes les difficultés
qui s’accumulent. “Dans la vie réelle, on essaye de
faire en sorte que ses enfants soient heureux, en bonne santé, bien
nourris, qu’on s’occupe d’eux et qu’ils fassent de bonnes
études, et c’est déjà assez compliqué comme ça. Mais dans ce
monde cauchemardesque, ces angoisses parentales sont multipliées par
10 000”, remarque John Krasinski. “Dans l’univers des
Abbott, le moindre faux pas pourrait causer la perte de l’un
de leurs proches, et ils ont constamment cela en tête”.
Le
potentiel créatif en matière de jeu d’acteur, de décors et
d’effets que recelait le film a également séduit John Krasinski :
“J’avais hâte de découvrir la façon la plus palpitante de
raconter cette histoire en utilisant cet équilibre entre bruit
et silence”, explique-t-il.
L’horreur est un genre tout
nouveau pour John Krasinski en tant que scénariste et réalisateur,
mais d’emblée, il s’y est investi avec son propre ressenti. “En
réalité, mes films préférés, d’horreur ou pas, sont ceux qui
nourrissent une métaphore sous-jacente palpable”, explique-t-il.
“Par exemple, LES DENTS DE LA MER est l’un de mes films
préférés. Mais pour moi, LES DENTS DE LA MER n’a jamais vraiment
été un film sur un requin. C’est un film qui parle de trois
hommes qui doivent surmonter une épreuve, et le requin n’est
finalement que le catalyseur de cette démarche. C’est comme ça
que j’interprète cette histoire. SANS UN BRUIT est un film
effrayant, mais il est effrayant parce qu’il parle d’une vraie
famille. Et j’ai senti que mon expérience personnelle pouvait
vraiment apporter quelque chose au film”.
Comme l’ensemble du
cinéma d’horreur, SANS UN BRUIT est né d’un scénario
audacieux, tout droit sorti de nos pires cauchemars. Mais à partir
de là, John Krasinski a emprunté une autre direction : lier
l’amour et la peur, et faire participer activement le public à
travers ces deux émotions. Il s’agissait de faire croître ce
sentiment de terreur à mesure que l’attachement des spectateurs à
la famille Abbott grandirait. “Si on s’attache aux Abbott, alors
on ne pourra qu’être surpris au même moment qu’eux, triste
quand ils seront tristes, et mort de peur quand ils seront morts de
peur. C’est vraiment cette idée qui m’a guidé : faire en
sorte que le public tombe sous le charme de cette très belle
famille”, explique John Krasinski. “On a peur pour eux de façon
très intense justement parce qu’on arrive à se mettre à leur
place”.
Pour y parvenir, l’utilisation innovante des signaux
sonores a été primordiale. Lorsque John Krasinski s’est plongé
dans la réécriture du scénario, il a commencé à élaborer des
listes très complètes des bruits de tous les jours, en les
classant en deux catégories : les bruits “rassurants”
et les bruits “dangereux”. Créer un monde en totale
opposition avec le bruit de fond entêtant qui occupe le nôtre
– un monde où le bruit est perçu comme dangereux mais
s’avère inhérent à toute expérience humaine – s’est révélé
à la fois palpitant et éclairant. “Je voulais vraiment parvenir à
déterminer ce seuil, cette limite qui permet de faire un bruit sans
que la créature épouvantable qui est à l’extérieur ne vous
entende. J’ai passé beaucoup de temps à imaginer tous les
sons qu’une famille, isolée dans une ferme reculée, pourrait
faire, et puis je me suis mis à imaginer tous les moyens que
cette famille inventerait pour étouffer ces sons. Ça a été un
processus particulièrement amusant et créatif”.
Tous ces
craquements et ces fredonnements de la vie quotidienne, ces bruits
que l’on considère comme allant de soi, ont pris soudain un sens
tout à fait nouveau pour John Krasinski. “Je me suis mis à
tout écouter”, avoue-t-il, “du cliquetis des couverts sur les
assiettes jusqu’à la façon dont les chaussures tombent sur le sol
lorsqu’on les enlève. C’est même devenu une sorte de jeu à la
maison : ma femme [Emily Blunt] et moi, on essayait d’être
silencieux et si jamais l’un d’entre nous faisait le moindre
bruit, il fallait qu’on se tourne l’un vers l’autre le plus
silencieusement possible et lui dise ‘t’es mort’. Finalement,
ça a été une très bonne préparation”.
John Krasinski a même
trouvé un moyen de tester les idées qui feraient écho aux peurs
les plus viscérales du public. “Souvent, on essayait, Emily et
moi, d’imaginer des situations et si Emily disait ‘J’ai trop
peur, je ne veux même pas me dire que ça puisse arriver’, moi je
lui répondais, ‘ça, on le met dans le scénario’”. Pour parer
à cette menace insidieuse qui semble épier le moindre bruit en
permanence, les Abbott ont imaginé plusieurs astuces pour éviter
les bruits, comme par exemple tracer des chemins sablonneux afin
d’assourdir les bruits de pas, peindre les lattes du parquet sur
lesquelles marcher pour éviter les grincements, et créer un système
lumineux pour communiquer.
“L’aspect le plus amusant du
travail d’écriture a été de voir jusqu’où on était capable
d’aller pour imaginer ces moyens de rester silencieux, avec
cette idée de système lumineux coloré pour communiquer ou encore
l’idée de créer des chemins avec du sable pour que les pas soient
plus doux”, explique John Krasinski.
Comme la fille des Abbott,
Regan, est sourde, la famille maîtrise déjà la langue des
signes, et c’est l’un des ressorts essentiels de leur capacité
de survie. Mais à mesure que le scénario progressait,
John Krasinski a passé un long moment à échafauder les multiples
stratégies élaborées par la famille Abbott pour communiquer.
Parents de deux enfants très solitaires dont l’avenir s’avère
pour le moins incertain et d’un autre enfant sur le point
de naître, les Abbott doivent évoquer entre eux plusieurs
situations urgentes, mais leurs moyens de communication sont devenus
très limités. Toute la logistique de survie mise au point par les
Abbott était essentielle, mais pour John Krasinski, la capacité
du film à alterner entre des scènes d’une tension insoutenable et
de défoulement libérateur reposait tout autant sur les relations
familiales. Au cours de l’écriture, le défi majeur a été de
déterminer comment évoquer le tourbillon d’émotions qui agitent
les personnages – frustration, appréhension, douleur, résilience,
affection et amour, sans compter la peur d’être encerclé par un
ennemi insondable, qui entend tout – en utilisant un minimum de
dialogues. Pour y arriver, il fallait mêler les émotions
humaines les plus primaires à un monde où il n’y a plus
nulle trace d’humanité.
“Ce qui m’a particulièrement
intéressé, ce sont les scènes qui se déroulent dans
l’intimité familiale des Abbott”, raconte John Krasinski. “Plus
tard, pendant le tournage, ça a été très intéressant pour
les acteurs de créer des moments de grâce entre les
personnages audelà du dialogue. La communication passe finalement
par les choses qui nous sont les plus chères : le fait d’aimer
et de prendre soin des siens, et la peur du lendemain”. Le
processus d’écriture a également permis à John Krasinski de
préciser sa mise en scène – et le langage visuel très spécifique
au film – avant même le début du tournage. “L’avantage
principal de cette réécriture, c’est que j’ai réfléchi à
la façon dont j’allais réaliser le film”, confirme-t-il. “Je
savais exactement ce que je voulais filmer au moment où je
l’écrivais, les angles de prise de vue que je voulais utiliser,
etc. C’était une expérience vraiment particulière pour moi de
pouvoir intégrer toutes mes idées de mise en scène dans le
script”.
À mesure que le tournage avançait, le soutien
de l’équipe très expérimentée de Platinum Dunes, qui lui
avait fait découvrir le projet, a vraiment donné des ailes à John
Krasinski. Michael Bay, Andrew Form et Brad Fuller ne sont pas
seulement trois des réalisateurs/producteurs les plus puissants
du secteur, mais ce sont également trois passionnés de cinéma
d’horreur, comme ils l’ont montré à travers les sagas AMERICAN
NIGHTMARE ou OUIJA, ou bien à travers des remakes de classiques
comme MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE, AMITYVILLE, VENDREDI 13, ou
encore LES GRIFFES DE LA NUIT.
Comme le résume John Krasinski: “J’ai
eu beaucoup de chance que le film se déroule de cette façon
et avec cette équipe. Tout le monde s’est énormément
investi, des producteurs jusqu’aux acteurs, en passant
évidemment par l’équipe technique. Je pense que tous se sont
engagés dans ce projet en se disant que si on parvenait à
concrétiser le concept de départ, ça donnerait un résultat
totalement à part”.
LA FAMILLE ABBOTT
Très en amont, John Krasinski a fait
lire le scénario de SANS UN BRUIT à sa femme,
l’actrice britannique Emily Blunt, très en vogue depuis ses rôles
mémorables et éclectiques dans LE DIABLE S’HABILLE EN PRADA, INTO
THE WOODS – PROMENONS-NOUS DANS LES BOIS, SICARIO et LA FILLE DU
TRAIN. À peine l’a-t-elle lu qu’elle a immédiatement proposé
qu’ils jouent ensemble les rôles de Lee et Evelyn Abbott, afin
d’ajouter une touche de réalisme et de tendresse sincère que le
film n’aurait sans doute pas réussi à atteindre autrement.
“Ce
qui m’a fait tomber amoureuse du scénario, c’est que j’ai
senti qu’il s’adressait à ma peur la plus profonde : celle,
en tant que mère, de ne pas être capable de protéger mes enfants.
Les enjeux sont tellement vertigineux dans cette histoire que je l’ai
lue d’une traite”, se souvient Emily Blunt.
“C’est étonnant,
mais juste avant d’avoir lu le scénario, j’ai suggéré à John
le nom d’une amie que je pensais parfaite pour le rôle d’Evelyn.
Mais alors que j’avançais dans ma lecture, je me disais ‘bon,
en fait, oublie ce que j’ai dit, il faut absolument que
je joue ce rôle’. J’ai adoré la densité et la
beauté de cette histoire, qui va bien au-delà de l’atmosphère
classique du cinéma d’horreur. Et John et moi n’avions
jamais travaillé ensemble si bien que c’était très
enthousiasmant”.
John Krasinski avoue avoir été emballé par la
réaction de sa femme, mais également un peu angoissé à
l’idée de travailler pour la première fois avec elle sur un
film. “On allait vivre ensemble, à l’écran, toutes nos peurs
les plus profondes de parents, et ça paraissait quand même
assez délirant”, reconnaît-il. Pourtant, bien que cette
expérience ait été “particulièrement intense”, d’après
John Krasinski, les deux acteurs ont eu une révélation. “Travailler
avec ma femme a sans doute été la meilleure expérience
professionnelle de toute ma carrière”, raconte John Krasinski.
“D’habitude, on compartimente vraiment nos carrières
respectives, tout en étant très fans l’un de l’autre. On a
chacun notre façon de faire, et je n’étais pas sûr qu’elles
soient complémentaires, mais ça a été ma meilleure expérience.
Emily est une actrice incroyable, très sensible, et c’était
merveilleux pour moi de travailler aux côtés d’une personne que
j’admire autant”.
Une fois qu’il a été décidé qu’Emily
Blunt jouerait le rôle d’Evelyn, John Krasinski et elle n’ont
cessé de parler de la famille Abbott, cherchant à déceler la
personnalité de Lee et Evelyn avant l’apocalypse et en quoi cette
période épouvantable les avait marqués. “Ils évoluent dans un
monde éprouvant, mais ils essaient de rester concentrés sur la
nécessité d’élever leurs enfants”, souligne Emily Blunt. “Ils
ont constamment peur. Ils ressentent également beaucoup de
souffrance et de culpabilité. Ce qui me fascine, c’est qu’il
est vital pour eux de communiquer, et pourtant, dans ce monde où
le moindre bruit représente un danger, la communication est
particulièrement difficile”.
Aux yeux d’Emily Blunt, il paraissait
effectivement risqué de convoquer autant d’émotions anxiogènes
alors même qu’elle était en train d’élever ses deux jeunes
enfants, mais son expérience l’a également considérablement
nourrie pour interpréter Evelyn. Elle comprenait pourquoi Lee et
Evelyn peuvent communiquer sans dire un mot alors même qu’il
faut douter de tout. “C’est arrivé à un moment qui nous a
permis, à John et moi, d’aborder ces rôles avec une grande
vulnérabilité”, explique Emily Blunt. “On a beaucoup
parlé des différents rôles que jouaient Lee et Evelyn au sein
de la famille. Lee est celui qui se sent responsable, qui
doit assumer la survie de la famille, à n’importe quel prix. Mais
Evelyn veut faire plus que survivre : elle veut apprendre à ses
enfants à s’épanouir. Du coup, on a deux interprétations de la
façon dont des parents peuvent surmonter la peine, le traumatisme et
le danger”.
Elle poursuit : “Lee est un homme très, très à
l’ancienne, ce qui n’est pas vraiment le cas de John. John est
beaucoup plus ouvert que Lee, alors que Lee est le genre d’homme
qui tait ses émotions, et qui va plutôt se concentrer sur la façon
de protéger les siens et de subvenir à leurs besoins, plutôt que
d’affronter ses propres angoisses. C’est un personnage qui
souffre, mais c’est le cas des quatre personnages. Chacun essaie de
surmonter un traumatisme, et c’est ce qui crée de la tension
alors qu’ils font tout pour rester en vie”.
Quant à Evelyn,
Emily Blunt voulait surtout explorer son instinct maternel
infaillible. “Je la vois comme une personne particulièrement
aimante et maternelle”, note Emily Blunt. “Elle a un profond
désir d’élever correctement ses enfants. Du coup, elle persiste
à leur donner des cours à domicile, à faire des blagues avec ses
enfants comme elle le peut, à les aimer, et à les serrer très
fort contre elle, parfois en ayant peur de les lâcher, mais en
souhaitant également leur laisser la place de grandir et devenir les
adultes qu’ils doivent être”.
Dès le début, le duo de
scénaristes Woods et Beck avaient imaginé un retournement de
situation effroyable pour Evelyn : sa plus grande joie – le
fait que Lee et elle attendent un nouvel enfant – devient une
source de danger potentiel imminent. “On pensait à la pire chose
qui pourrait se produire quand on doit garder le silence”, explique
Beck.
“La grossesse d’Evelyn est devenue l’un des fils
conducteurs de l’histoire puisque cela soulève une question
terrible : comment traverser l’un des moments les plus
éprouvants de la vie et rester silencieux ? Cela paraissait un
défi tellement impossible à relever qu’on voulait que les
Abbott tentent de trouver une solution”.
Woods ajoute : “Cela
ajoute aussi une dimension émotionnelle très forte, puisque cette
famille a vécu une véritable tragédie et cette naissance signifie
beaucoup pour eux, même en de pareilles circonstances”. John
Krasinski a poussé cette idée encore plus loin. Bien avant qu’Emily
Blunt ne s’engage dans le projet, il remarque n’avoir pas pu
s’empêcher de penser à sa femme en écrivant le personnage qui
unit la famille, et qui fait face à l’inconnu avec beaucoup de
cran et de bonne volonté. “En écrivant l’histoire
intime d’une famille qui traverse la période la plus horrible
de toute sa vie, Emily était constamment dans mes pensées,
évidemment. Mais je me suis toujours dit que si elle voulait
interpréter Evelyn, il fallait que ça se fasse naturellement. Du
coup, je ne lui ai jamais proposé de jouer le rôle, même si
j’espérais en secret qu’elle y pense d’elle-même”.
En se
plongeant dans les circonstances inhabituelles d’Evelyn, Emily
Blunt savait qu’elle devrait faire face à des émotions très
contrastées concernant son accouchement imminent. “Bien entendu,
Lee et elle sont ravis… mais leur joie est assombrie par une
terreur viscérale. Il y a tellement de questions sans réponse :
Comment survivre avec un bébé ? Comment donner naissance sans
faire le moindre bruit ? Que se passe-t-il quand le bébé
pleure ? Ils essaient de prendre toutes les précautions
possibles et imaginables en créant une pièce insonorisée et en
tâchant de trouver des moyens alternatifs d’empêcher le bébé de
faire du bruit. Mais ils savent également que c’est un bond dans
l’inconnu”.
Pour Emily Blunt et John Krasinski, il s’agissait
également d’un grand bond dans l’inconnu, étant donné qu’ils
n’avaient jamais travaillé ensemble avant d’endosser ces rôles.
Tous deux concluent que cette expérience a resserré le lien qui les
unit. “Je me suis sentie très valorisée par John sur le plan
créatif”, résume Emily Blunt. “Je me suis toujours sentie
très valorisée en étant sa femme et la mère de ses enfants, mais
cela nous a aussi permis de nous rendre compte que nous étions sur
la même longueur d’ondes, artistiquement parlant. On était très
nerveux et c’était assez flippant au début, mais ça a finalement
été une expérience incroyable”.
Tandis que John Krasinski et
Emily Blunt se glissaient dans la peau des parents Abbott, l’enjeu
majeur du casting était de trouver deux jeunes acteurs capables de
donner vie, dynamisme et émotion à ces deux enfants, contraints de
grandir trop tôt, trop vite, et épris d’indépendance dans
un monde dépourvu du moindre bruit mais saturé de règles, de
regrets et de pièges incessants. Repérer l’interprète de Regan,
la fille sourde des Abbott, paraissait un défi complexe à relever.
John Krasinski a été ravi de découvrir l’adolescente et jeune
actrice Millicent Simmonds, plusieurs fois récompensée pour sa
toute première apparition dans l’adaptation cinématographique du
MUSÉE DES MERVEILLES. Millicent Simmonds s’est directement
inspirée de sa propre expérience d’adolescente sourde pour camper
Regan d’une façon qui transcendait le scénario, ainsi que l’a
observé John Krasinski.
“La découverte de Millie est l’une des
meilleures choses qui soient arrivées au film”, déclare John
Krasinski. “Pas seulement parce que c’est une actrice
phénoménale, et pas seulement non plus parce que c’est la
personne la plus mature et la plus douce qu’on puisse rencontrer,
mais parce qu’elle nous a énormément appris, grâce à ses
expériences et à sa connaissance intime du monde des sourds et de
la langue des signes. Elle n’était jamais intimidée, et
n’hésitait pas à expliquer très directement la façon dont Regan
agirait et dont il fallait communiquer”.
Il remarque que la démarche très
instinctive de Millie Simmonds a pris tout le monde par surprise.
“Millie est tout bonnement faite pour ça. Je me souviens que l’un
des tout premiers jours de tournage, elle traversait le pont
et je lui ai dit : ‘Toute ta frustration, toute ta
colère, toute ta culpabilité et ton sentiment d’être le vilain
petit canard de cette famille, tout ça doit sortir maintenant,
pendant cette promenade’. Et elle y est magnifiquement parvenue.
Elle me disait parfois : ‘C’est vrai que je suis frustrée
et que je ne me sens pas à ma place parfois’. Elle
comprenait Regan bien plus intimement que moi. Du coup, je lui ai
répété que je faisais ce film pour que ceux qui ne se sentent pas
à leur place sachent qu’eux aussi peuvent être des super-héros”.
Finalement, toute la distribution a dû apprendre la langue des
signes, en travaillant étroitement sur le plateau avec Douglas
Ridloff, leur coach, qui leur a permis de préciser les nuances.
John Krasinski explique que le simple fait d’observer Millie
Simmonds en train de signer a été une révélation à plusieurs
niveaux. “Quand je parlais avec Millie, je me suis rendu compte que
personne ne m’avait jamais regardé pour ce que j’étais”,
note-t-il. “Personne ne m’a jamais observé entièrement, pour
bien mémoriser mon aspect. Elle regarde mes mains, mes sourcils, et
elle ressent vraiment mes émotions. À chaque fois, je suis au bord
des larmes parce qu’elle me regarde entièrement, complètement, et
c’est à la fois très poétique et très émouvant. C’était
vraiment très important pour nous d’être à sa hauteur parce que
c’est vraiment une très belle personne”.
Millie Simmonds
explique que l’histoire de SANS UN BRUIT a immédiatement
piqué sa curiosité, et l’idée même que Regan perde son
appareil auditif, le lien qui la relie au monde des entendants, l’a
particulièrement touchée. “J’ai été attirée par l’histoire
du début jusqu’à la fin”, raconte-t-elle. “J’adore les
films d’horreur ; celui-ci était assez effrayant, mais à
mesure que je lisais le scénario, je me sentais également très
proche de Regan. En tant que jeune fille sourde, elle se sent
rejetée, pas à sa place ou pas vraiment sûre de la meilleure façon
d’aider sa famille. Et elle dépend vraiment de son appareil
auditif, dont elle a vraiment besoin pour communiquer. Du coup, je me
suis beaucoup identifiée aux difficultés qu’elle doit affronter”.
Pour Millie Simmonds, les doutes déchirants de Regan quant à sa
place dans le monde étaient également très proches de son
expérience personnelle. “Je me suis aussi posé toutes ces
questions en tant que personne sourde quand j’étais plus jeune”,
explique-t-elle. “Je passais mon temps à me comparer aux
entendants et à me demander pourquoi j’étais née sourde. Je
pouvais donc vraiment comprendre les émotions de Regan, et je m’en
suis servie pour façonner ce personnage”.
Ce réalisme s’est
ensuite allié à l’imagination de Millicent Simmonds qui a dû se
représenter le quotidien de Regan à la ferme – une vie à la
fois terriblement solitaire mais aussi faite de lourdes
responsabilités et d’angoisse permanente, loin des préoccupations
habituelles des adolescents. “C’était particulièrement
angoissant d’imaginer le quotidien de cette famille
pourchassée par ces créatures, raconte-t-elle. D’imaginer qu’en
allant aux toilettes, on puisse ne jamais revenir si on n’est
pas assez prudent. C’était intéressant de réfléchir à ce que
c’est que de vivre en accordant une attention accrue à tout ce
qui nous entoure, sans jamais savoir quelle petite erreur mettra
sa vie, ou pire, celle de sa famille, en danger”.
C’est la
relation complexe entre père et fille qui a beaucoup intéressé
l’actrice : Regan souffre de ne pas ressentir l’amour de son
père, qui s’est complètement renfermé à la suite d’une
tragédie. “Regan et son père ont beaucoup de choses en
commun, remarque-t-elle. Ils sont passionnés de technologie et
adorent tenter de comprendre comment fonctionnent les choses. Mais un
fossé s’est creusé entre eux suite à un drame. Regan a besoin
d’entendre que son père l’aime toujours, qu’il l’aime pour
ce qu’elle est, ce qui est l’une des thématiques principales du
film”.
John Krasinski a aidé Millicent Simmonds à gérer ce
sentiment de malaise afin qu’elle se sente soutenue. “John et moi
travaillons très bien ensemble, et avons aussi noué une amitié
sincère. Mais dans le film, il fallait que je m’inspire de la
peine que ressent Regan par rapport à son père, explique-t-elle. Du
coup, quand on jouait des scènes très intenses, John se mettait à
plaisanter tout de suite après la prise pour détendre
l’atmosphère”.
L’une des plus grandes satisfactions
de la jeune actrice a sans doute été d’avoir l’opportunité
d’apprendre au contact d’Emily Blunt. “Emily m’a beaucoup
impressionnée, rapporte-t-elle. Notamment quand je l’ai vue
s’inspirer de sa propre expérience de mère. Elle a fait d’Evelyn
une femme qui souhaite malgré tout offrir à ses enfants la
possibilité d’une vie heureuse, et leur donner tout ce dont
ils ont besoin. Et c’est cette énergie qu’elle nous a transmise,
à Noah et moi. Elle savait exactement comment s’y prendre avec
nous et tout s’est déroulé très naturellement”.
Emily
Blunt admire également beaucoup la jeune actrice : “Ça a été
incroyable de voir Millie s’épanouir sur ce tournage. Au début,
elle était un peu timide, mais très vite son jeu était à
couper le souffle”. Le rôle du petit frère de 12 ans, Marcus, le
seul confident de Regan, est tenu par Noah Jupe, que John Krasinski
avait repéré dans la minisérie à succès THE NIGHT MANAGER,
et qu’on a vu plus récemment dans l’adaptation cinématographique
du bestseller pour adolescents WONDER. George Clooney avait également
chaudement recommandé le jeune acteur, avec qui il avait travaillé
sur BIENVENUE À SUBURBICON.
“J’avais vu Noah dans le rôle
d’un enfant qui se fait kidnapper dans THE NIGHT MANAGER,
et je me souviens m’être dit qu’il fallait un sacré cran et
beaucoup de talent pour mettre sa peur au service de son jeu de cette
façon à un si jeune âge», précise le réalisateur. «J’ai
donc évidemment ensuite contacté George Clooney qui venait de
travailler avec lui. Je me souviens très exactement des termes
qu’il a employés : ‘C’est le meilleur jeune acteur
avec qui il m’ait été donné de travailler’. Et il avait
parfaitement raison. Noah est époustouflant. Et le plus
touchant, c’est que Millie et Noah ont forgé une amitié sincère.
Ils ont tissé des liens presque familiaux, et on ressent cette
affection”.
Si Noah Jupe s’intéresse aux thrillers d’horreur,
c’est pour une raison bien précise : Ils me font
très peur, reconnait-il. Mais j’adore jouer dedans, parce que
comme ça je vois l’envers du décor et les monstres en train
d’être fabriqués. Ce que Noah Jupe a le plus apprécié, c’est
de faire la connaissance de Millie Simmonds, avec qui il a
principalement communiqué en langue des signes. “J’ai adoré
travailler avec elle, confie-t-il. C’est une actrice exceptionnelle
et une très belle personne. Elle est toujours là pour vous, à vous
demander si ça va”. “Je ne maîtrise pas encore parfaitement la
langue des signes, témoigne l’acteur, mais ça nous a permis
à Millie et moi d’en venir tout de suite aux vraies questions de
façon franche, loin des bêtises futiles que se racontent souvent
les adolescents. Je pense que c’est la raison pour laquelle on
s’est si bien entendus”.
Millie Simmonds renchérit : “On
n’a aucun mal à s’entendre avec Noah et c’est ce que j’adore
chez lui. Mais ensuite il se mettait dans la peau de son personnage,
Marcus, et tout à coup s’installait une certaine distance entre
nous, un certain silence, et ça se ressentait. Il a beaucoup de
talent”. Tout au long du tournage, John Krasinski a tout fait pour
que Noah Jupe se sente détendu, exactement comme les Abbott tentent
de protéger leurs enfants. “Dès le début, John nous a fait
visiter les décors, les lieux où la famille passe son temps, et
nous a demandé ce qu’on en pensait. Il est toujours comme ça, il
demande l’avis de tout le monde, reprend Noah Jupe. J’ai beaucoup
appris en travaillant avec lui”.
Dans un film qui ne compte que
quatre personnages humains, Emily Blunt fait remarquer qu’il était
essentiel que les prestations de Millie Simmonds et de Noah Jupe
contribuent à toucher le public. “Millie et Noah sont des
gamins formidables. On a remercié le Ciel de les avoir trouvés,
rapporte-t-elle. Le temps s’arrête quand ils jouent une scène.
Ils éprouvaient une telle tendresse l’un envers l’autre que ça
m’a brisé le cœur de les voir se dire au-revoir à la fin du
tournage : ils étaient devenus comme frère et sœur, aussi
incroyablement soudés que Regan et Marcus”.
John Krasinski ajoute
que Millie Simmonds et Noah Jupe ont contribué à concevoir les
effets sonores. “Chaque jour, ils assuraient des prestations à
couper le souffle, sans même prononcer un seul mot. Ils exprimaient
leurs sentiments avec toute la franchise et l’innocence des
enfants, et c’était bien plus touchant que tout ce qu’on aurait
pu écrire. Ils m’ont montré toute la force que l’on peut
insuffler à l’échelle d’une pièce sans parler, et ça m’a
permis de réfléchir à la façon dont on pouvait utiliser les sons
pour rendre le résultat final plus marquant encore”.
LES CRÉATURES
Le danger qui guette la famille Abbott
est d’autant plus menaçant qu’il est vaste. Les
créatures, dont ils ne savent rien, semblent se trouver partout à
la fois : elles encerclent les Abbott en permanence de leur
présence funeste. Elles sont susceptibles de surgir à chaque
instant, si bien que la plus banale des activités devient
extrêmement risquée. C’est le mode opératoire de ces créatures
– le mystère qui les entoure, leur omniprésence – qui installe
une tension croissante tout au long du film. On ne les aperçoit
même pas vraiment avant le point d’orgue du film. D’où le fait
que le spectateur partage d’autant plus l’angoisse des Abbott,
qui ne savent pas grand-chose sur ces êtres qui les pourchassent.
Malgré tout, la question de l’allure de ces créatures si
sensibles au bruit a constitué un vrai défi visuel pour
John Krasinski. Il a fait appel à une équipe d’artistes de
grand talent, comme le chef-décorateur nommé aux Oscars Jeffrey
Beecroft (DANSE AVEC LES LOUPS, L’ARMÉE DES 12 SINGES, THE
GAME, TRANSFORMERS : L’ÂGE DE L’EXTINCTION), le superviseur
effets visuels oscarisé (sur six nominations) Scott Farrar
(TRANFORMERS, LE MONDE DE NARNIA : LE LION, LA SORCIÈRE BLANCHE
ET L’ARMOIRE MAGIQUE, A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, BACKDRAFT,
COCOON), le superviseur effets spéciaux Mark Hawker (UN
RACCOURCI DANS LE TEMPS, TERMINATOR GENISYS, TRANSFORMERS :
L’ÂGE DE L’EXTINCTION), le superviseur animation Rick O’Connor
(la saga TRANSFORMERS) ainsi que les experts en effets visuels
d’Industrial Light and Magic, qui ont tous travaillé en étroite
collaboration avec John Krasinski.
Jeffrey Beecroft raconte :
“Quand on a commencé à concevoir les créatures, on s’est
d’abord demandé de quel type de monde elles venaient. Ce sont des
créatures qui entendent avec tout leur corps, si bien que pour leur
apparence physique, je me suis inspiré d’une coquille de nautile.
Lorsqu’un bruit un peu fort résonne à l’intérieur de leur
corps, ça leur fait tellement mal qu’elles sont prêtes à
détruire tout ce qui émet du bruit. Mais leur organisme est aussi
extrêmement résistant, si bien qu’elles semblent invulnérables”.
Leur allure reste cependant un mystère pendant une grande partie
du film, mais Scott Farrar a vraiment fait des merveilles,
d’après Mark Hawker, superviseur effets spéciaux.
LA MAISON
Si les Abbot ont réussi à survivre au
fléau qui a dévasté presque toute la planète, c’est
pour des raisons que l’on comprend rapidement :
l’amour qu’ils se portent les uns aux autres, leur capacité à
rester soudés même sans pouvoir parler, et peut-être surtout leur
incroyable ingéniosité. Les Abbott mettent l’ensemble de leurs
connaissances en matière agricole en pratique à tout moment, tout
en essayant d’avoir toujours un coup d’avance sur les créatures
mystérieuses qui les pourchassent. Le décor de la ferme était
crucial aux yeux des scénaristes Bryan Woods et Scott Beck, tous
deux originaires d’une région rurale de l’Iowa, au cœur de
l’Amérique profonde.
“Dès l’écriture du scénario, on
réfléchissait aux scènes qu’on pourrait tourner dans ce décor
constitué de granges et de silos à grain, et de toute sortes
d’endroits où normalement on ne peut pas s’empêcher de faire du
bruit”, raconte Scott Beck.
Afin d’imaginer la ferme des Abbott
dans le plus grand détail, aussi bien d’un point de vue visuel que
sonore, John Krasinski a fait appel à une équipe dirigée par
Jeffrey Beecroft, l’un des chefs-décorateurs les plus créatifs de
sa profession. Les autres membres de l’équipe comprennent
Charlotte Bruus Christensen, directrice de la photographie (LE GRAND
JEU, FENCES, LA FILLE DU TRAIN), qui insuffle au film une esthétique
d’une grande élégance, ainsi que Christopher Tellefsen (LE
STRATÈGE), monteur nommé aux Oscars, qui a contribué à accentuer
le rythme effréné et angoissant du film.
Jeffrey Beecroft s’est
montré enthousiasmé par les idées de John Krasinski et par
son investissement total. “John est un bosseur acharné. Il ne
s’arrête jamais, et il ne lâche pas le morceau, remarque le
chef-décorateur. J’avais déjà pris beaucoup de plaisir à
travailler avec Kevin Costner, un autre acteur devenu réalisateur,
lorsque je me suis occupé des décors de DANSE AVEC LES LOUPS. J’ai
eu la même impression générale. Je trouve l’idée de faire
un film qui donne plus d’importance à l’image
qu’au dialogue passionnante”.
John Krasinski a donné
beaucoup de matière à Jeffrey Beecroft. “Jeff et moi avons
beaucoup discuté de l’idée d’envisager le film visuellement à
la manière d’un western, explique John Krasinski. Je me suis dit
que ça pouvait donner cette impression d’étendue et d’envergure
que Jeff est parvenu à communiquer visuellement”.
De nombreuses
sources d’inspiration ont nourri Jeffrey Beecroft, comme la beauté
solitaire des classiques de John Ford, les photographies des régions
rurales américaines à l’époque de la Grande Dépression
commandées par la Work Projects Administration, ainsi que
les clichés de l’Amérique profonde des années 50 saisies
par des photographes témoins de leur époque tels que
Robert Frank.
Dorothea Lange, auteur de photographies
légendaires de fermiers exilés au temps de la Grande
Dépression, a beaucoup influencé l’esthétique du film. “J’aimais
l’idée de représenter la vie rurale comme si elle était
vue à travers les yeux d’une femme de l’époque ;
j’ai aussi montré quelques uns de ses clichés à Emily”,
révèle Jeffrey Beecroft. “On voulait surtout que le film
donne l’impression d’être situé hors du temps. Il pourrait
se dérouler à n’importe quelle époque”.
La mission la plus
ardue a sans doute été de ne jamais perdre de vue le fait que Lee
et Evelyn ont complètement réorganisé leur vie de façon à ne pas
faire le moindre bruit. “Il leur a fallu se montrer
particulièrement créatifs pour étouffer jusqu’aux bruits les
plus infimes et les plus inévitables, qu’il s’agisse des
craquements du parquet ou du grincement des portes :
le moindre bruit est susceptible d’attirer les créatures,
souligne-t-il. C’est la raison pour laquelle ils vivent maintenant
dans la grange, qui possède une source d’eau et est
équipée de panneaux solaires. Lee se sert du sous-sol de la maison
comme d’un atelier, à partir duquel il fait venir l’électricité
et où il réfléchit à la façon de sauver sa
famille”.
La grange renferme aussi la pièce sécurisée, d’une
importance capitale, puisque Lee l’a conçue pour qu’Evelyn
puisse accoucher dans ce qu’il espère être une bulle protectrice.
“On a imaginé une pièce capitonnée à l’aide de plusieurs
couches d’une sorte de papier mâché”, raconte Jeffrey
Beecroft. Comme l’histoire est en grande partie racontée à
travers l’atmosphère plutôt que les dialogues, Jeffrey Beecroft
et John Krasinski ont longuement discuté de la palette de couleurs.
“J’ai utilisé beaucoup de blanc, de noir, de rouge et de
gris, pour évoquer l’ambiance de photographies noir et blanc, mais
en couleur, explique Jeffrey Beecroft”.
L’élaboration de la
ferme a exigé d’importants préparatifs : l’équipe de
Jeffrey Beecroft a érigé des granges, planté 9 hectares de maïs,
conçu ce qui allait devenir le potager de la famille Abbott,
construit des routes, et même un silo à grain de 20 mètres de
haut, plusieurs mois avant le début du tournage. “Il fallait
que tout soit prêt dès le premier jour, parce que John
souhaitait que la ferme ait l’air habitée, vivante”,
précise Jeffrey Beecroft. Les producteurs ont trouvé leur point de
départ à Pawling, dans l’État de New York, une petite ville
bucolique du comté de Duchess d’à peine plus de 8 000 habitants.
“C’est John qui a trouvé l’endroit très vite, non loin
de là où Emily et lui habitent, et c’était parfait, raconte
Jeffrey Beecroft. J’étais fasciné par les images qu’il m’a
montrées, mais on s’est aussi rendu compte qu’il y aurait
beaucoup de travail préalable. On a réussi à faire les
travaux grâce au conseiller régional et aux fermiers locaux qui se
sont montrés très accommodants”.
Un centre équestre a
notamment servi de plateau de tournage en cas de besoin. “On s’en
est servi pour les scènes sous l’eau au cours de l’inondation et
pour l’intérieur des silos à grain. Il n’était situé
qu’à dix minutes en voiture de la ferme, si bien qu’on pouvait
facilement faire des allers-retours”, indique Jeffrey Beecroft.
Dans l’une des scènes les plus intenses d’un film au suspense
insoutenable, les enfants du couple se retrouvent enfermés dans un
silo à grain rempli de ce qu’on pourrait qualifier de maïs
mouvant, qui risque de les engloutir tels des sables mouvants. Cette
scène figurait dans le scénario dès le départ.
Bryan Woods se
souvient : “Pendant une séance d’écriture, Scott s’est
exclamé : ‘Vous savez ce qui est vraiment flippant dans
l’Iowa ? Les silos à grain. Ce serait un cauchemar que de se
retrouver enfermé à l’intérieur’. Du coup, on s’est mis
à imaginer ce que ça donnerait de se retrouver non seulement
enfermé dedans, mais aussi de ne pas pouvoir appeler au secours au
risque de se faire attaquer”.
Mark Hawker, superviseur effets
spéciaux, a dû imaginer une méthode de tournage de cette
scène d’un point de vue pratique mais surtout sans faire courir de
risque aux deux jeunes acteurs. “On a dû élaborer des stratagèmes
complexes pour cette séquence, rapporte Mark Hawker, notamment
pour permettre aux enfants de s’enfoncer dans le maïs.
On a dissimulé des promontoires sur lesquels ils se
tenaient debout, et pendant ce temps-là on maîtrisait le rythme
d’ensevelissement”.
Mark Hawker a beaucoup apprécié d’être
stimulé dans sa créativité. “J’ai déjà tourné des scènes
avec des sables mouvants, mais cette scène-ci est tout à fait
incomparable, poursuit Mark Hawker. John souhaitait que les deux
enfants puissent se déplacer vers l’avant, et qu’ils
commencent à s’enfoncer à mesure qu’ils avancent, ce qui était
un défi considérable. Il a fallu qu’on construise une sorte de
diaphragme en latex qui fasse en sorte que tout le maïs ne
s’enfonce pas, permettant ainsi aux enfants de se déplacer. Ça
n’était pas la même chose que des sables mouvants, parce que le
maïs est plus lourd que le sable, et il a donc fallu aussi
prendre ça en compte”.
Les deux jeunes acteurs se sont beaucoup
amusés à tourner la scène, conscients qu’ils ne couraient
aucun risque. “Ils se sont éclatés parce que pour eux c’était
un jeu, raconte Mark Hawker. Et en même temps ils sont très
convaincants : ils donnent vraiment l’impression d’être en
grand danger”.
Millicent Simmonds se rappelle : “Le tournage
de cette scène a été une expérience vraiment chouette. J’ai été
très impressionnée par le degré de réflexion nécessaire
à l’élaboration du silo et des mécanismes de truquage.
Ça avait l’air tellement vrai!”
LE BRUIT ET LA TERREUR
Les amateurs de cinéma d’horreur
savent depuis bien longtemps que le son peut être bien plus
effrayant que l’image. SANS UN BRUIT s’inscrit dans la lignée
des films d’angoisse innovants qui utilisent astucieusement le son
et la musique afin de créer une atmosphère, de renforcer le
trouble et de maintenir un suspense insoutenable. Mais l’idée
était aussi d’innover, en faisant du son un personnage du film à
part entière. Les sons dans le film constituent une entité qu’on
craint et qu’on savoure à la fois – jusqu’aux dialogues.
La
famille Abbott ne peut pas communiquer à haute voix, ce qui rend
tout ce qui est dit d’autant plus crucial. Le son évoque tout ce
que l’on ne voit pas. Dans ce genre de film où les bruits
sont rares, les spectateurs utilisent davantage leur imagination, ce
qui rend le film d’autant plus effrayant, remarque le
coscénariste Bryan Woods.
John Krasinski a exploité cette idée
jusqu’au bout à la fois en tant que scénariste et réalisateur.
Il a ensuite fait appel à un duo de choc de monteurs son :
Erik Aadahl et Ethan Van der Ryn, nommés ensemble aux Oscars pour
leur travail sur ARGO et TRANSFORMERS 3 : LA FACE CACHÉE
DE LA LUNE.
Les deux hommes l’ont aidé à créer
une ambiance sonore qui oblige les spectateurs à rester à
l’affût du moindre son. Tout comme les personnages du film,
l’équipe a dû faire preuve de beaucoup d’ingéniosité afin de
trouver l’équilibre entre son et silence.
Travailler avec Erik
Adahl et Ethan Van der Ryn a beaucoup stimulé la créativité
de John Krasinski. “Erik et Ethan ont fait des tas de choses
incroyables par le passé, s’exclamet-il. Mais dans ce film où le
son joue un rôle si crucial sur le plan thématique, ils ont imaginé
un dispositif radicalement nouveau”.
La nécessité d’éviter
tout bruit inutile sur le plateau a permis aux acteurs et à l’équipe
de se plonger au plus profond de la vie de la famille Abbott.
Il a fallu repenser notre rapport au bruit, et ça a été
absolument décisif, poursuit John Krasinski. “On a tous dû
apprendre à rester silencieux comme jamais sur un plateau de
tournage. Et c’est grâce à ce silence que l’importance des
effets sonores est devenue de plus en plus évidente. Dans un tel
silence, le bruit de l’eau qui coule ou du vent dans les arbres
devient soudainement stupéfiant. On se rend compte qu’à
notre époque, avec les téléphones portables notamment, on n’a
que rarement l’occasion d’écouter les bruits de la nature. On se
réjouit à l’idée qu’avec ce film les spectateurs vont vraiment
prêter attention au moindre bruit comme jamais auparavant”.
Dans un film où les sons sont à la
fois extrêmement rares et décisifs d’un point de vue dramatique,
puisqu’à la source d’une tension permanente, il était
essentiel que la musique soit parfaite. John Krasinski a donc
sollicité le compositeur Marco Beltrami, cité deux fois aux Oscars
pour 3H10 POUR YUMA et DÉMINEURS.
“Je me suis tout de suite dit
qu’il fallait que la musique joue le rôle d’un personnage
dans le film, sans pour autant que ce soit l’un des protagonistes.
Je ne voulais pas qu’on ressente la présence de cette musique d’un
bout à l’autre du film, explique John Krasinski. Je tenais à
ce que la musique vous tienne en quelque sorte par la main en
arrière-plan, pendant que les relations entre les personnages font
le reste du travail. On a eu une chance incroyable que Marco
veuille bien travailler avec nous. Il a écrit quelques-unes de mes
bandes-originales préférées, comme DÉMINEURS et WORLD WAR Z. Il a
un vrai talent pour communiquer à la fois aventure et émotion”.
Marco Beltrami est parvenu à allier les deux thèmes principaux du
film, l’amour et la peur, en une composition musicale magistrale.
Pourtant, John Krasinski a utilisé sa musique avec parcimonie :
“Marco a écrit une partition incroyable, mais il a fallu ensuite
décider quelles parties on voulait utiliser, et à quels moments.
Marco s’est révélé être un excellent partenaire dans ce
travail, parce qu’il a parfaitement compris l’enjeu du film”.
Au final, si John Krasinski était si déterminé à donner de
l’importance à chaque battement de cœur, à chaque pas sur
le sol et à chaque émotion, c’était pour une autre raison
encore : pour que les spectateurs se retrouvent complètement
plongés au cœur de ce monde silencieux prêt à voler en éclats
à tout moment pour laisser place à la discorde et à la terreur.
John Krasinski résume : “Ce que je veux, c’est qu’à tout
moment les spectateurs se demandent ce qu’ils feraient dans
pareille situation. Comment parviendraient-ils à rester silencieux ?
Comment faire pour s’assurer que sa famille s’en sorte ?”
“J’espère que le film fera vivre aux spectateurs une expérience
palpitante et terrifiante à la fois, mais aussi qu’il leur
montrera le courage de cette famille, conclut John Krasinski. Les
membres de la famille Abbott ne peuvent compter que les uns sur les
autres et n’ont aucun autre endroit où aller : ils ne peuvent
pas s’échapper. Ils sont forcés de rester dans la ferme familiale
et d’apprendre à survivre ensemble. En ce sens, c’est l’amour
qu’ils se portent les uns aux autres, l’empathie dont ils font
preuve les uns envers les autres, qui devient leur plus grande force
et peut-être leur seule chance de survivre un jour de plus”.
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