Drame/Historique/Une oeuvre intéressante et imposante
Réalisé par Martin Scorsese
Avec Andrew Garfield, Liam Neeson, Adam Driver, Tadanobu Asano, Ciarán Hinds, Yôsuke Kubozuka, Yoshi Oida, Shinya Tsukamoto...
Long-métrage Américain/Italien/Japonais/Mexicain
Durée: 02h41mn
Année de production: 2016
Distributeur: Metropolitan FilmExport
Date de sortie sur nos écrans : 8 février 2017
Résumé : XVIIème siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.
Bande annonce (VOSTFR)
Ce que j'en ai pensé : SILENCE est magnifiquement filmé. Martin Scorsese propose aux spectateurs une histoire, adaptée du roman Silence (Chinmoku) de Shūsaku Endō, qui peut être prise au premier degré, mais également métaphoriquement. L'approche culturelle, avec ses différences sociétales et religieuses, est explorée, mais sans étouffer le propos. Martin Scorsese prend le temps de poser ses personnages et les utilise pour raconter cette aventure autour de la force de la croyance.
Le silence se fait entendre dans ce long-métrage. Il permet de comprendre le chemin intérieur parcouru par le Père Sebastião Rodrigues, interprété par Andrew Garfield. L'acteur est à la fois touchant, crédible et exprime des émotions humaines sans en faire des tonnes.
Adam Driver interprète le Père Francisco Garupe. Son physique émacié et l'émotivité à fleur de peau de son jeu sont l'illustration du sacrifice et de la volonté imposés par la foi dans le contexte de l'époque.
SILENCE n'est pas un film facile de part sa durée, son sujet qui est lourd de sens et la cruauté des situations que les protagonistes traversent. Au final, il m'a fait penser à un long chemin de croix, qui fait surgir des questions existentielles et spirituelles auxquelles les spectateurs se retrouvent confrontés à travers l'histoire de ce prêtre.
SILENCE est une œuvre intéressante et imposante qui nous pousse à la réflexion, pas vraiment sur la religion elle-même, mais plus sur le dialogue intérieur de l'être humain avec la foi qui l'anime.
Adam Driver interprète le Père Francisco Garupe. Son physique émacié et l'émotivité à fleur de peau de son jeu sont l'illustration du sacrifice et de la volonté imposés par la foi dans le contexte de l'époque.
SILENCE est une œuvre intéressante et imposante qui nous pousse à la réflexion, pas vraiment sur la religion elle-même, mais plus sur le dialogue intérieur de l'être humain avec la foi qui l'anime.
NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
SILENCE est un projet que Martin Scorsese, l’un des cinéastes
américains les plus influents de sa génération, porte en lui depuis de longues
années : il lui aura fallu 28 ans pour adapter à l’écran le chef-d’œuvre de Shūsaku
Endō paru en 1966. À travers le scénario qu’il a signé avec Jay Cocks, il se penche sur la question spirituelle et
religieuse du silence de Dieu devant la souffrance des hommes.
Au XVIIe siècle, deux jeunes
missionnaires portugais, le père Sebastian Rodrigues (Andrew Garfield) et le père
Francisco Garupe (Adam Driver) partent pour le Japon à la recherche de leur mentor disparu, le père Cristóvão Ferreira (Liam Neeson), tout en poursuivant leur mission d’évangélisation.
Or, dans le Japon féodal, seigneurs et
samouraïs sont déterminés à éradiquer le christianisme et ses pratiquants.
Persécutés et torturés, les chrétiens sont forcés de renier leur foi ou
d’affronter une mort atroce…
LE FILM
En 1988, lors de la projection
organisée à New York pour présenter aux autorités religieuses de la ville son
nouveau film, LA DERNIÈRE TENTATION DU CHRIST, Martin Scorsese fit la
connaissance de l’archevêque Paul Moore. Celui-ci, qui arrivait alors au terme
de son mandat d’évêque du diocèse de New York de l’Église épiscopale des
États-Unis, offrit au réalisateur le roman historique de Shūsaku Endō, Silence. Le livre, paru au Japon en
1966, avait été plébiscité et avait fait à l’époque l’objet d’une analyse
complète rigoureuse. Quelques années plus tard, lorsqu’il fut traduit et publié
en anglais, sa réputation en tant qu’examen approfondi et réflexion sur la
thématique religieuse grandit encore.
Lorsque Martin Scorsese
se plongea dans sa lecture, Silence
lui fit forte impression. Il eut le sentiment que le livre s’adressait à lui,
personnellement.
Le cinéaste se
souvient : « Le sujet dont traitait Shūsaku Endō faisait partie de ma
vie depuis mon plus jeune âge. J’ai été élevé dans une famille catholique qui
s’impliquait beaucoup dans la religion et la pratique du culte. J’ai grandi
baigné dans la spiritualité du catholicisme romain, et la spiritualité et la
foi sont étroitement liées.
« J’ai été frappé de
voir que le livre posait les questions fondamentales liées au christianisme,
des questions auxquelles je tente de répondre chaque jour. Arrivé à cette
époque de ma vie, je m’interroge constamment sur la foi et le doute, la
faiblesse et la condition humaine – des thèmes que Shūsaku Endō aborde de
manière très directe. »
LE ROMAN
Dès sa première lecture,
Martin Scorsese a décidé de porter le livre à l’écran. Silence (Chinmoku) se déroule à l’époque des Kakure Kirishitan, les « chrétiens cachés », et a été
salué par la critique comme une absolue réussite littéraire et l’un des plus
beaux
romans du XXe siècle. Paru en 1966, il est considéré comme le
chef-d’œuvre de Shūsaku Endō et a été couronné par le prestigieux prix Tanizaki
du meilleur roman de l’année en 1966. Traduit en anglais en 1969, il a depuis
paru dans de nombreux autres pays et langues dans le monde entier – il est
disponible en France aux éditions Folio.
Silence a connu un succès instantané au Japon, où il s’est vendu à
plus de 800 000 exemplaires. Le romancier a choisi pour point de départ un
scandale historique de l’Église catholique qui eut d’importantes répercussions
– le père Cristovão Ferreira, un supérieur jésuite portugais, avait apostasié
après avoir été torturé lors des grandes persécutions anti-chrétiennes au
Japon, était devenu bouddhiste et avait épousé une Japonaise.
Les membres de la
Compagnie de Jésus, ou jésuites, forment aujourd’hui l’ordre religieux masculin
de prêtres et de frères pleinement intégré le plus important au sein de
l’Église catholique. Historiquement engagés dans l’évangélisation et le
ministère apostolique, les jésuites œuvrent pour l’instruction en fondant des
écoles et des universités, pour la recherche intellectuelle, le développement
de la culture, les droits de l’homme et la justice sociale. Ignace de Loyola
fonda l’ordre dans les années 1530 et composa les Exercices spirituels, un ouvrage destiné à aider autrui à suivre
les enseignements du Christ. En 1534, Ignace de Loyola, François Xavier et
leurs premiers compagnons au sein de la Compagnie de Jésus firent vœu de
pauvreté, de chasteté et d’obéissance – un quatrième vœu concerne l’obéissance
spéciale au Pape et porte sur les missions.
Dans le roman, deux des
élèves du père Cristovão Ferreira, le père Sebastian Rodrigues et le père
Francisco Garupe, quittent le Portugal pour se rendre à l’Université jésuite de
Macao, puis de là au Japon, où ils se trouvent en grand danger tandis qu’ils
cherchent la vérité sur la mystérieuse apostasie du père Ferreira et viennent
en aide aux fidèles japonais, ces chrétiens qui adorent Dieu et pratiquent leur
culte en cachette en craignant pour leur vie.
Shūsaku Endō fait partie
des « écrivains de la troisième génération », les plus grands
écrivains apparus après la Seconde Guerre mondiale. Il fut l’un des rares auteurs
japonais à écrire du point de vue d’un chrétien. Né à Tokyo en 1923, il grandit
avec sa mère et une tante à Kobé, et reçut le baptême de l’Église catholique à
l’âge de 11 ans. Ses études universitaires furent interrompues par la Seconde
Guerre mondiale, et il travailla un temps dans une usine fabriquant des
munitions. Après la guerre, il étudia la médecine et s’installa en France.
Toute sa vie, il lutta contre de graves troubles respiratoires, notamment
contre la tuberculose, et subit de longues périodes d’hospitalisation.
En 1958, il commence à
écrire ses romans. Presque tous tournent autour de thèmes liés au catholicisme,
dont Vie de Jésus, qui invite à
comparer Endō aux écrivains chrétiens occidentaux, notamment Graham Greene. Les
personnages de l’écrivain japonais se débattent avec des dilemmes moraux
complexes, et leurs choix conduisent souvent à des résultats mitigés, voire
tragiques. C’est Graham Greene qui dira de lui « il est l’un des plus
grands écrivains vivants ».
Silence a fait l’objet de débats passionnés et d’analyses en
profondeur au cours des années suivant sa parution en 1966. Garry Wills, auteur
et historien couronné par le prix Pulitzer, compare ce roman à celui de Graham
Greene, La puissance et la gloire :
« Là où le héros de Greene continue d’exercer son ministère malgré son
indignité, Endō explore un paradoxe plus intéressant. Son héros est un prêtre
qui a renoncé à sa religion non par faiblesse mais par amour, afin d’épargner
aux convertis à la foi catholique les persécutions qui les affligent. »
Shūsaku Endō lui-même
pensait que le succès du livre dans son propre pays auprès des étudiants de
gauche s’expliquait par le fait que ceux-ci voyaient dans la lutte de Rodrigues
contre les samouraïs le reflet de celle plus récente des marxistes japonais
dans les années 30, qui étaient eux-mêmes torturés par les autorités du pays et
forcés à commettre le « tenko », une conversion idéologique.
Silence a récemment été décrit comme « un roman de notre
époque ». Paul Elie, dans l’édition du dimanche du New York Times, écrit : « Le roman situe dans le passé,
au temps des missionnaires, nombre des questions religieuses qui agitent l’ère
post-laïque qui est la nôtre – les vérités universelles revendiquées par
différentes sociétés, le conflit entre professer une foi et la manière de
l’exprimer, et l’apparent silence de Dieu tandis que les croyants basculent
dans la violence en son nom. »
Jamais la pertinence de Silence n’aura été aussi actuelle.
LE SCÉNARIO
Chaque nouvelle lecture
de Silence venait renforcer la
fascination et l’estime que portait Martin Scorsese au livre. Il commença à
travailler sur une adaptation pour le cinéma avec son collaborateur à
l’écriture, Jay Cocks, à la fin des années 80, et décida que SILENCE allait
être son prochain film. Cependant, le destin allait en décider autrement…
Pour commencer, aux dires
de Martin Scorsese, lui-même « n’était pas satisfait de la première
mouture du scénario ». S’ajoutaient à cela d’autres problèmes, notamment
comment trouver le financement d’un tel projet, et il dut donc se résoudre à
mettre le projet de côté.
Au cours des années
suivantes, cependant, Martin Scorsese a continué à réfléchir aux thèmes et aux
personnages du livre, en réécrivant à plusieurs reprises le scénario avec Jay
Cocks. Il fallut finalement plus de quinze ans au duo pour aboutir à ce qu’ils
tenaient tous deux pour un scénario solide et propre à donner naissance à un
film de valeur, capable d’exprimer toute la force vitale du roman et sa
signification profonde.
Un avant-propos écrit par
Martin Scorsese pour une nouvelle édition du livre en anglais en 2007 éclaire
la signification que revêtent pour lui les thèmes de l’histoire, et préfigure
ce qu’allait exprimer le film. Ainsi, le cinéaste écrivait : « La
religion chrétienne repose sur la foi, mais si vous vous penchez sur son
histoire, vous verrez qu’elle a dû s’adapter sans cesse, toujours avec grande
difficulté, afin que la foi puisse s’épanouir. Il y a là un paradoxe qui peut
s’avérer extrêmement douloureux, le plus évident étant que la croyance et le
questionnement sont antithétiques. Et pourtant, je suis convaincu que l’un ne
va pas sans l’autre. L’un nourrit l’autre. Le questionnement peut conduire à
une grande solitude, mais s’il coexiste avec la foi, la vraie foi, la foi
irréductible, il peut conduire à un bienheureux sentiment de communion. C’est
ce cheminement paradoxalement douloureux de la certitude au doute, à la
solitude puis à la communion qu’Endō a si bien compris. »
Le réalisateur
précise : « Sebastian Rodrigues, le personnage central, incarne selon
moi ce que la foi catholique peut avoir de meilleur et de plus lumineux. »
Pour Scorsese, Rodrigues
est « un homme d’Église » au sens où l’entend Georges Bernanos dans Journal d’un curé de campagne, quand il
écrit : « Rodrigues aurait certainement figuré parmi ces hommes –
fidèle, inflexible dans sa volonté et sa détermination, inébranlable dans sa
foi – si seulement il était resté au Portugal.
« Au lieu de cela,
il se retrouve plongé dans une culture étrangère hostile, au moment de l’ultime
étape d’un long processus visant à se débarrasser du christianisme. Rodrigues
croit de tout son cœur qu’il deviendra le héros d’une histoire occidentale que
l’on connaît bien : l’allégorie chrétienne, une figure christique ayant
son propre Gethsémani – un petit bois, et son propre Judas – un misérable hère
nommé Kichijiro. »
Il est vrai que Judas,
que Scorsese désigne comme « le plus grand méchant de toute la
chrétienté », incarne ce que le cinéaste considère comme l’un des plus
graves dilemmes de toute la théologie chrétienne.
« Quel est le rôle
de Judas ? écrit-il. Qu’attend de lui le Christ ? Qu’attendons-nous
de lui aujourd’hui ? Endō aborde le problème de Judas plus directement que
tous les artistes que je connais. »
Ce problème
est au cœur de Silence, et façonne le
destin du père Rodrigues. Comme l’écrit Scorsese : « Lentement,
impérieusement, Endō inverse le cours des choses
pour Rodrigues. Silence
est l’histoire d’un homme qui apprend – si douloureusement – que l’amour de
Dieu est plus mystérieux que ce qu’il peut en connaître, qu’Il laisse aux
hommes et à leurs agissements bien davantage que nous le croyons, et qu’Il est
toujours présent… jusque dans Son silence.
« J’ai
ouvert ce roman pour la première fois il y a près de vingt ans. Depuis, je l’ai
relu un nombre incalculable de fois, et il m’a nourri comme très peu d’œuvres
d’art y sont parvenues. »
LA PRÉPRODUCTION
Disposant
enfin d’un scénario dont ils étaient satisfaits après tant d’années, Martin
Scorsese et les producteurs Emma Koskoff et Irwin Winkler ont redoublé
d’efforts pour obtenir le financement du film. Parallèlement, Scorsese et
Koskoff s’attaquaient au casting et aux repérages. Quel serait le meilleur
acteur pour jouer le rôle essentiel du père Rodrigues ? Comment trouver
les acteurs japonais pour les autres rôles importants ? Et où
tourner ? Aucune de ces questions n’avait de réponse facile ou rapide.
Trouver le
financement d’un film au sujet aussi sérieux, porté par de pareils personnages,
abordant des questions religieuses et philosophiques si profondes, sur le
marché du cinéma mondial tel qu’il est aujourd’hui constituait un défi de
taille.
Emma Koskoff,
partenaire de Scorsese à la production et présidente de la production de sa
société, Sikelia, explique : « Ce projet revêtait une telle
importance pour Marty, il lui était si personnel qu’il m’est devenu tout aussi
personnel. J’étais résolue à monter le film coûte que coûte et à ne m’accorder
aucun répit avant d’y être parvenue. J’ai exploré toutes les pistes
possibles. »
Après
plusieurs reports, la détermination des trois cinéastes a fini par payer. Suite
à l’énorme succès populaire et commercial du LOUP DE WALL STREET, les
principaux financiers ont donné leur accord pour le projet : Fabrica de Cine
et AI Films, la société de Len Blavatnik, avec le soutien de SharpSword Films
et d’IM Global.
Sous la
direction de Gaston Pavlovich, Fabrica de Cine a coproduit et cofinancé le
drame de Tom Tykwer A HOLOGRAM FOR THE KING avec Tom Hanks, et OPPENHEIMER
STRATEGIES, avec Richard Gere.
AI Films, la
société de Len Blavatnik, a financé ou cofinancé LE MAJORDOME de Lee Daniels,
MR. HOLMES de Bill Condon et TU NE TUERAS POINT de Mel Gibson.
SharpSword
Films, la société de Dale Brown, a participé au financement de THE TICKET, avec
Dan Stevens, Malin Akerman et Oliver Platt.
IM Global,
l’une des sociétés de production cinéma et télévision, de vente et de
distribution leader sur le marché mondial, a cofinancé TU NE TUERAS POINT
réalisé par Mel Gibson et FREE STATE OF JONES de Gary Ross.
LES LIEUX DE TOURNAGE
Tandis que les
différentes pistes pour assurer le montage financier du film étaient explorées,
en 2008 et 2009, Martin Scorsese, Emma Koskoff et les principaux membres de
l’équipe créative entamaient les repérages. Sachant que les coûts d’un tournage
au Japon seraient prohibitifs, ils ont parcouru la Nouvelle-Zélande, le Canada
et d’autres lieux variés pour trouver le moyen de filmer l’histoire sur une
base plus envisageable économiquement parlant. C’est à Taïwan qu’ils ont
finalement trouvé leur bonheur.
Alors qu’ils
étudiaient la possibilité d’y tourner, Scorsese et Koskoff ont contacté le
réalisateur Ang Lee, qui possède une longue expérience de tournage dans ce
pays. Ang Lee et ses collaborateurs, en particulier David Lee, ont apporté une
aide précieuse en contribuant à rendre le tournage sur place possible.
Pour sa part,
comme elle l’avait fait avec les autres lieux de tournage possibles, Emma
Koskoff a effectué plusieurs voyages à Taïwan et a sillonné le pays de long en
large avec le film à l’esprit.
Elle
raconte : « J’ai fait tant de voyages là-bas pour les repérages que
je peux dire sans mentir que je suis allée aux quatre coins du pays, aussi bien
dans les villes que dans les campagnes. J’ai aussi rencontré d’innombrables
personnes. Je me suis rendu compte que grâce à la diversité du paysage, au
talent des gens sur place, et aux structures cinématographiques proposées par
Taipei, nous avions enfin trouvé ce qu’il nous fallait. J’étais convaincue que
ce pays était le seul à pouvoir accueillir le tournage et d’avoir trouvé
l’endroit idéal pour recréer le Japon du XVIIe siècle. »
Martin
Scorsese ajoute : « Nous avons envisagé différents lieux un peu
partout sur la planète, mais en définitive, Taïwan possède des paysages
géographiquement proches, un climat similaire, et les panoramas de montagnes ou
de mer correspondant à la perfection à ce que nous cherchions. »
LE CASTING
Les éléments
essentiels du projet se mettaient en place un à un, et le casting, qui avait
été temporairement suspendu, a pu reprendre.
Les jésuites
La priorité allait de toute
évidence au choix de l’acteur qui allait incarner le père Rodrigues. Martin
Scorsese détaille : « Pour incarner Rodrigues, il fallait un acteur capable
de comprendre et d’incarner les questions complexes qui tourmentent le
personnage et le façonnent. Je savais qu’il faudrait quelqu’un qui meure
d’envie de jouer le rôle. Au fil des années, j’avais rencontré de nombreux
acteurs. Certains m’annonçaient de but en blanc que le sujet ne les intéressait
pas, donc on en restait là. »
Toutefois, le
cinéaste avait aussi rencontré de nombreux jeunes acteurs que le sujet et
l’histoire fascinaient, et il songeait à plusieurs d’entre eux pour le rôle.
Mais le temps avait passé sans que le projet voie le jour, et ces jeunes
acteurs ne l’étaient plus assez, Rodrigues ayant en effet entre vingt et trente
ans.
La recherche
s’est intensifiée car une date de tournage s’annonçait, et Scorsese s’est mis à
auditionner plusieurs jeunes comédiens. Jusqu’à Andrew Garfield. Auréolé de son récent triomphe à Broadway dans
« Mort d’un commis voyageur », la pièce d’Arthur Miller mise en scène
par Mike Nichols, et dans THE AMAZING SPIDER-MAN, Andrew Garfield est apparu
comme l’incarnation de Rodrigues aux yeux du réalisateur.
Celui-ci
précise : « Andrew avait l’âge qui convenait, et plus important
encore, la carrure pour porter le rôle. Et il se sentait concerné. Franchement,
c’est Dieu qui nous l’envoyait ! »
Andrew Garfield était prêt à
relever le défi : « Comment dire non quand Martin Scorsese vous
propose un rôle ? Qui pourrait en avoir envie ? C’est extrêmement
rare, jamais je ne me serais attendu à une telle chance ! »
S’il était ravi d’obtenir le
rôle, l’acteur était aussi conscient de l’ampleur du défi à relever. Il
commente : « L’histoire soulève des questions remarquablement
profondes, complexes et intemporelles, d’une ampleur et d’un retentissement peu
communs, et elle touche à des émotions variées et intimes. Le personnage
traverse l’équivalent de toute une vie, que nous vivons avec lui. Il affronte
les questions fondamentales que nous nous posons tous – comment donner un sens
à notre vie, comment avoir la foi, et cela exige-t-il de vivre dans le
doute ? Et tout ceci n’est que le début du commencement de la liste des
raisons qui m’ont poussé à jouer ce rôle et à m’investir dans cette
histoire. »
Pour le rôle du père Garupe, le
prêtre qui accompagne Rodrigues, Martin Scorsese a choisi un autre jeune acteur
charismatique dont la renommée ne cesse de croître : Adam Driver. Bien connu pour son rôle dans la série de HBO
« Girls », et pour ses prestations au cinéma dans des films comme
INSIDE LLEWYN DAVIS et STAR WARS : ÉPISODE VII – LE RÉVEIL DE LA FORCE,
Adam Driver a tenu le rôle-titre du film de Jim Jarmusch PATERSON. Lui aussi a
été intrigué et enthousiasmé par le challenge et l’opportunité de travailler
avec Scorsese.
Pour préparer son rôle, il s’est
plongé dans le roman de Shūsaku Endō et le scénario écrit par Scorsese et Jay Cocks.
Il se souvient : « J’ai
été frappé par la notion de crise dans la foi, forcément universelle, et
forcément pertinente. »
Les caractéristiques
individuelles des deux jeunes hommes ont également interpellé l’acteur, qui
déclare : « J’aimais bien l’idée qu’ils soient insatisfaits, qu’ils
soient la proie du doute, de la remise en question – c’est important dans la
foi. J’ai pensé à Saint Pierre. Douter est salutaire – dans tous les domaines,
y compris le métier d’acteur ! Est-ce la bonne manière de gagner sa
vie ? Est-ce un bon rôle ? Ai-je envie de travailler avec ces
gens ? Suis-je mauvais dans ce rôle ? Tout ce qui touche à la
création ouvre au doute. Le doute se glisse dans les rapports humains, dans les
relations entre parents et enfants. »
Adam Driver était également
attiré par ce qu’il appelle « la représentation atypique des
prêtres » dans l’histoire.
« On imagine les prêtres
comme des gens calmes et rationnels, mais ces jésuites étaient des pionniers,
des hommes bruts, endurcis. Il fallait survivre, durer. Les conditions de vie
étaient impitoyables à cette époque. Ces hommes étaient faits pour survivre,
ils n’étaient pas raffinés, ils ne ressemblaient pas aux prêtres d’aujourd’hui.
Je les vois davantage comme des explorateurs. »
Deux acteurs irlandais, Liam
Neeson, un comédien réputé pour la pluralité de son registre, dont la
popularité n’a cessé de croître ces dernières années notamment grâce à la série
de films d’action TAKEN, et Ciarán Hinds, célébré aussi bien pour ses
prestations au théâtre qu’au cinéma, ont aussi été engagés dans des rôles
majeurs.
Liam Neeson, qui incarne le père Ferreira, a été nommé à l’Oscar
pour LA LISTE DE SCHINDLER et a joué un autre homme d’Église, le père Vallon,
il y a quinze ans dans GANGS OF NEW YORK – déjà sous la direction de Martin
Scorsese. Il était heureux de retrouver le réalisateur.
« Travailler avec Marty est
une joie et une leçon en termes de créativité cinématographique, confie-t-il.
Mais ce que j’ai trouvé le plus excitant dans cette histoire, c’est sa
pertinence. Certaines des choses dépeintes dans le roman et dans le scénario
avec une précision aussi terrible que formidable se déroulent dans le monde
aujourd’hui même. À mon sens, SILENCE sera un film que tout le monde voudra
voir. »
Au sujet des thèmes du film, Liam
Neeson déclare : « Cela fait trente ans que je m’intéresse aux
jésuites, depuis mes recherches pour le film de Roland Joffé MISSION, sorti en
1986. Le conseiller technique pour ce film était le père Daniel Berrigan, et
nous sommes devenus amis. Il a marqué ma vie pour ce qui touche à l’histoire
des jésuites, en particulier Saint Ignace et Saint François Xavier. »
L’acteur précise :
« J’ai été happé par le scénario de SILENCE dès les premières pages. Il a
la force du dépouillement. Jay Cocks et Marty n’écrivent jamais tout un
paragraphe là où une seule phrase suffit. Et cette phrase aura de la texture et
du sous-texte. »
Liam Neeson a également été
séduit par le personnage du père Ferreira : « Je me suis demandé
comment cet homme, un personnage historique, un homme de grand savoir,
profondément ancré dans l’Église et la culture jésuite, a pu réellement renier
sa religion et devenir une source d’embarras pour l’Église. »
Ciarán Hinds (MUNICH) qui joue le père Valignano, à la tête de
l’Université jésuite de Macao, fait écho à l’enthousiasme de Liam Neeson :
« On n’a pas tous les jours la chance de jouer dans une histoire qui prête
autant à réfléchir et possède une telle sincérité, réalisée qui plus est par un
immense metteur en scène. C’est vraiment un film très spécial pour moi. »
Martin Scorsese, célèbre pour
obtenir de ses acteurs des performances exceptionnelles, a beaucoup apprécié la
distribution de SILENCE.
« Avant toute chose, il me
fallait de grands acteurs, explique-t-il. Cela paraît évident, mais c’est
particulièrement vrai ici – le sujet était extrêmement complexe, le monde dans
lequel se déroule l’histoire est inconnu de la majorité du public occidental,
et j’avais besoin de comédiens capables de l’assimiler, de s’y plonger et de
lui donner corps dans toute sa dimension. Il me fallait de véritables
aventuriers – et j’emploie ce terme à la fois au plan physique et émotionnel.
« Avec Liam et Ciarán,
j’avais affaire à des comédiens possédant une gravité, un sérieux, capables de
comprendre le calme et le silence. Chacune de leurs secondes à l’écran devait
compter, et tous deux devaient offrir un contraste avec Andrew et Adam, dont
les personnages sont plus jeunes, plus minces, plus vifs et impulsifs. Je
voulais que le public ressente visuellement ce contraste : le visage fin
et anguleux des deux jeunes acteurs, leurs mouvements fluides et rapides, par
opposition aux acteurs plus âgés aux gestes plus lents, des hommes plus
terriens qui paraissent physiquement ancrés dans le sol. C’était l’idée, et
c’est précisément ce qu’ils ont tous les quatre apporté au film. »
Les Japonais
Les
personnages japonais, villageois et fervents catholiques aussi bien que leurs
persécuteurs samouraïs, sont aussi importants dans l’histoire que les quatre
jésuites portugais.
Dès 2007, Martin Scorsese et la
directrice de casting Ellen Lewis se sont rendus au Japon pour y rencontrer
certains des plus célèbres acteurs de ce pays, dont beaucoup sont de véritables
stars chez eux.
Ellen Lewis
raconte : « J’ai fait trois voyages au Japon, et chacun a été source
d’inspiration. Tout de suite, j’ai su que tout irait bien parce que ces acteurs
étaient excellents. Même s’ils ne parlaient pas un anglais parfait, il était
évident qu’ils comprenaient à la perfection l’intention de la scène qu’ils
lisaient, et c’était à la fois émouvant et excitant. »
Pour le rôle de
l’Interprète, un homme rusé et perfide, Martin Scorsese a choisi Tadanobu Asano. Le cinéaste connaissait
le travail de l’acteur pour l’avoir vu dans MONGOL, dans lequel celui-ci
incarnait Gengis Khan. Le public le reconnaîtra après ses prestations dans THOR
et dans BATTLESHIP.
Issey Ogata, acteur aux multiples
talents jouant au cinéma comme au théâtre, a notamment incarné l’empereur
Hirohito dans LE SOLEIL d’Alexander Sokurov. Il campe ici Inoue, le vieil
Inquisiteur très redouté dont les pratiques barbares sèment la terreur parmi
les communautés chrétiennes clandestines.
Yosuke Kubozuka, grande star de la
jeune génération japonaise, a été engagé pour jouer Kichijiro, personnage
complexe et sournois qui est tantôt le guide des prêtres et tantôt leur ennemi.
Yoshi Oida, qui vit en France et a travaillé avec le grand metteur
en scène de théâtre Peter Brook, interprète Ichizo, le sage du village de
Tomogi dont la foi et la dévotion inspirent les pères Rodrigues et Garupe.
Et c’est le très respecté acteur
et réalisateur Shinya Tsukamoto qui
a été choisi pour jouer Mokichi, un villageois sincère et dévot.
Martin
Scorsese se souvient de sa surprise lorsqu’il a appris que Shinya Tsukamoto
allait se présenter à l’audition : « ‘Quoi ? Qu’est-ce que vous
dites ? Ce grand réalisateur vient ici pour passer une audition ?’ Je n’arrivais pas à y croire. Shinya
est un auteur, un vrai, ses films m’inspirent, que ce soit TETSUO : THE
BULLET MAN ou A SNAKE OF JUNE. »
Shinya
Tsukamoto s’est dit honoré d’auditionner pour un homme qu’il considère comme un
grand maître du cinéma. « J’aurais accepté d’être figurant pour M.
Scorsese ! », confie-t-il.
Martin
Scorsese ne tarit pas d’éloges sur les acteurs japonais. « Tous les
comédiens japonais sont remarquables. Faire leur connaissance et travailler
avec eux a été une révélation. La richesse de leur jeu, la profondeur de leur
talent est éblouissante. »
L’ÉQUIPE TECHNIQUE
En même temps
que le casting se déroulait, l’équipe technique du film était réunie. Plusieurs
des collaborateurs de longue date de Martin Scorsese sont venus rejoindre le
projet, comme le directeur de la photographie Rodrigo Prieto (LE LOUP DE WALL STREET), et le chef décorateur
triplement oscarisé Dante Ferretti
(HUGO CABRET). Sur SILENCE, Dante Ferretti s’est non seulement chargé de la
création des décors mais aussi de celle des costumes – double mission qu’il
avait aussi menée à bien pour Scorsese sur KUNDUN.
Lauréate de
trois Oscars et monteuse de Scorsese depuis plus de quarante ans – elle a monté
tous ses films depuis RAGING BULL –
Thelma Schoonmaker (LES INFILTRÉS) s’est chargée du montage. Pour elle,
avoir enfin la chance de collaborer au rêve que nourrit Scorsese depuis si
longtemps a été un grand honneur auquel se mêlait le frisson de l’excitation.
LE TOURNAGE
Le tournage de
SILENCE a commencé le 31 janvier 2015 à Taipei, au nord de Taïwan, aux studios
CMPC. Le chef décorateur Dante Ferretti y a recréé une partie de la colonie
portugaise de Macao ainsi que l’Université jésuite. Martin Scorsese cherchant à
tourner au maximum dans l’ordre chronologique, il a filmé en premier les deux
séquences qui ouvrent l’histoire : le père Rodrigues dans sa chambre,
réfléchissant à la nouvelle de la disparition du père Ferreira, et les pères
Rodrigues et Garupe suppliant leur supérieur, le père Valignano, de les envoyer
au Japon à la recherche du prêtre disparu.
Les scènes se
déroulant au bord de la mer à Macao, où Valignano bénit les deux jeunes prêtres
en partance pour le Japon sur une jonque chinoise, ont été tournées en même
temps que celle dans la taverne de Macao où les deux prêtres rencontrent pour
la première fois Kichijiro, le Japonais indigent qui dit être un ancien
catholique pratiquant et accepte de servir de guide aux deux hommes.
Après ce
tournage en studio, l’équipe s’est rendue sur un site de tournage à une heure
de route de Taipei, dans les montagnes autour de Jinguashi, pour la séquence se
déroulant à l’extérieur de la hutte à charbon de bois où les prêtres sont
cachés par les villageois quand ils arrivent au Japon.
L’équipe de
tournage a rejoint ensuite la région montagneuse voisine de Tsenguanliaw,
également à une heure de trajet de la ville, où le chef décorateur avait fait
construire le village de Tomogi, foyer de la communauté secrète de chrétiens
japonais. C’est là que les villageois pauvres pratiquent le culte en secret,
sans guide spirituel autre que leur ferveur morale et leur foi.
Les conditions
de tournage dans les lieux accidentés choisis pour y situer la hutte à charbon
et le village de Tomogi ont été extrêmement ardues : on y trouvait une
épaisse boue semblable à des sables mouvants, des pentes rocheuses, des
sentiers pleins de pierres, de rochers et d’ornières difficilement praticables
à pied – et encore plus pénibles pour transporter le matériel. La météo
instable – pluie, brume et brouillard un instant, soleil éblouissant l’instant
suivant – ajoutait encore à la difficulté.
Rodrigo
Prieto, le directeur de la photographie, explique : « Les difficultés
logistiques étaient énormes au plan de l’organisation. En matière de prise de
vues, les deux principaux problèmes sont la continuité de l’éclairage et
l’obscurité. La continuité était un défi à cause des changements de météo continuels
et de la lumière qui ne cessait de varier toute la journée quand on tournait en
extérieurs. En l’espace de quelques heures, on pouvait avoir un soleil
éclatant, suivi de pluie, de brouillard ou de nuages.
« Le
scénario comportait de longues scènes qu’il nous fallait toute une journée pour
tourner et qui devaient avoir l’air de se dérouler en l’espace de quelques
minutes. Contrôler les conditions d’éclairage en lumière naturelle a exigé des
efforts énormes. Par exemple, il a fallu retourner toute une scène dans le
brouillard alors qu’on l’avait pratiquement achevée au soleil.
« La
continuité d’éclairage a aussi été un défi pour d’autres scènes qui
nécessitaient un coucher de soleil ou les conditions lumineuses du crépuscule
durant plusieurs minutes à l’écran. J’ai décidé de tourner ces scènes de nuit
et de les éclairer façon crépuscule grâce à un éclairage artificiel afin que la
lumière soit constante et cohérente. Cela a donc nécessité des installations de
projecteurs volumineuses pour simuler la lumière du jour sur des extérieurs où
l’on filmait de nuit. »
Rodrigo Prieto poursuit :
« L’obscurité était aussi une gageure parce que nos prêtres devaient
rester cachés pendant une bonne partie du film. Ils disent la messe,
rencontrent les gens et voyagent de nuit. Il fallait donc simuler le clair de
lune sur des zones étendues, dont l’océan. »
L’accès aux sites dans ces conditions
hostiles était en soi une épreuve. Le directeur de la photo raconte :
« Parfois, il n’y avait aucun moyen de transporter du matériel aussi lourd
et imposant que des grues pour l’éclairage. Nombre des lieux de tournage en
montagne n’étaient accessibles qu’au terme de longues marches, et il fallait
porter le matériel à dos d’homme. Et certains de ces lieux devenaient très
glissants quand l’humidité augmentait, ce qui rendait les prises de vues
dangereuses. À d’autres moments, l’épaisse boue rendait le simple fait de
marcher très risqué, alors poser des rails de dolly ou cadrer à la steadicam
était loin d’être une promenade de santé !
« C’est l’une des raisons pour
lesquelles, pour certaines scènes, j’ai eu recours à la nuit américaine plutôt
que d’utiliser des projecteurs pour créer le clair de lune, en particulier aux
abords du village de Tomogi. Ces scènes concentraient toutes les difficultés
que nous avons dû affronter. Les épreuves que rencontrent les prêtres sont
palpables à l’écran parce que les endroits où nous avons tourné étaient
réellement très durs pour nous. »
Même dans de telles conditions, Martin
Scorsese a réussi à tourner à un rythme régulier. Il a filmé aussi bien des
scènes dramatiques que des scènes plus mouvementées avec sobriété, puissance et
concentration, que ce soit pour la rencontre humaine, chaleureuse et
spirituelle entre les simples villageois et les jeunes prêtres ou le moment
effrayant où les soldats samouraïs à cheval fondent sur le village et exigent
des otages qu’ils abjurent publiquement ou trouvent la mort d’une manière
atroce.
Les extérieurs du village de Tomogi une
fois en boîte, l’équipe est retournée aux studios filmer une séquence à
l’intérieur de la hutte d’Ichizo, l’aîné du village. Dans son humble demeure,
les pères Rodriguez et Garupe sont témoins de la foi, la dévotion et l’amour
des villageois et découvrent comment ces dévots pratiquent leur religion
incognito par peur d’être tués. Les scènes illustrent aussi la beauté austère
et intemporelle des rituels de l’Église catholique. Les prêtres prennent soin
de leurs nouvelles ouailles, baptisent un enfant, les entendent en confession
et disent la messe en latin.
Rodrigo Prieto révèle :
« Nous avons mené des recherches poussées sur cette période de l’Histoire.
Marty voulait absolument que tout soit le plus authentique possible. Nous
avions une équipe de conseillers que nous avons constamment consultés, surtout
Marianne Bower, notre principale chercheuse. Francesca Lo Schiavo, notre
ensemblière, et moi avons sélectionné avec soin nos sources lumineuses pour les
scènes d’intérieur. Nous voulions être certains que les lampes à huile et les
torchères correspondaient à l’époque. »
Pour ces scènes comme pour toutes les
séquences de l’histoire, Martin Scorsese désirait en effet la plus complète
authenticité et une vraisemblance absolue en termes de contexte historique,
jusqu’aux rites catholiques.
Ayant travaillé sur l’histoire et le
scénario depuis tant d’années, le réalisateur est devenu un expert de cette
période de l’Histoire ; il a étudié et intégré dans les moindre détails
les courants historiques complexes et conflictuels qui en ont fait une époque particulièrement
houleuse.
Le réalisateur confie : « Je
voulais que tout soit juste. SILENCE se déroule en 1643. Les principaux
événements se passent en 1640 et 1641, la première période de l’époque d’Edo.
Les premiers missionnaires sont arrivés au Japon presque un siècle plus tôt, au
milieu du XVIe siècle. En fait, le premier missionnaire chrétien à
avoir mis le pied au Japon est François Xavier, l’un des fondateurs de l’ordre
des jésuites, à une époque de grandes turbulences politiques. »
Le cinéaste précise :
« C’était alors l’époque Sengoku, littéralement ‘l’époque des provinces en
guerre’ : les différents clans s’affrontaient pour le contrôle de la
nation. La démarche des missionnaires était directement liée à l’ouverture du
pays au commerce avec l’Occident à grande échelle – voilà pourquoi les conflits
faisaient rage entre les missionnaires des différents ordres et des différents
pays.
« Pendant des décennies, les
missionnaires avaient été dans l’ensemble bien accueillis et tolérés au Japon,
et on estime que 200 000 à 300 000 Japonais avaient été convertis au
christianisme, toutes classes sociales confondues.
« Avec l’avènement du régime
Tokugawa, le shogunat a commencé à asseoir son autorité et à unifier le Japon.
Les Portugais et les autres missionnaires européens furent alors perçus comme
des menaces pour le pouvoir du shogunat et en 1587, la première d’une série de
mesures interdisant le christianisme fut décrétée.
« Pendant la décennie suivante,
l’évangélisation se poursuivit, jusqu’en 1614, où le shogun formula un édit
ordonnant l’expulsion de tous les missionnaires catholiques. Ceux restés sur
place entrèrent dans la clandestinité pour poursuive leur apostolat. L’un de
ces missionnaires était Cristóvão Ferreira, le dirigeant des jésuites
au Japon – il est l’une des figures historiques clés de SILENCE. La plupart des
missionnaires furent contraints de quitter le Japon mais beaucoup refusèrent et
continuèrent à servir en secret la communauté des fidèles chrétiens.
« C’est
ainsi que débuta une période de persécution religieuse. Les chrétiens étaient
débusqués et forcé d’apostasier, c’est-à-dire de renoncer à leur foi, sans quoi
ils subissaient des tortures jusqu’à la mort.
« Il est
impossible de connaître le nombre exact de chrétiens assassinés durant cette
période, poursuit le réalisateur, mais il se compte sans doute par milliers. En
1633, les jésuites reçurent la troublante nouvelle que Cristóvão Ferreira avait apostasié, s’était
converti au bouddhisme et collaborait avec le gouvernement japonais. Le roman
de Shūsaku
Endō est fondé sur ces événements historiques, et Cristóvão Ferreira est incarné par Liam Neeson.
« Peu
après, les frontières japonaises furent fermées à l’Occident et le restèrent pendant
deux cents ans. Les deux jeunes prêtres jésuites de SILENCE se rendent au Japon
en secret, sachant qu’ils peuvent être traqués, capturés à tout moment,
torturés et exécutés.
« L’Histoire
de cette époque est riche, de nombreuses forces interagissent de manière
extrêmement complexe. J’ai d’abord pensé donner au public un aperçu du contexte
historique par le biais d’un carton au début du film, d’une voix off ou d’un
dialogue d’exposition, et puis finalement j’ai opté pour autre chose. Pour
quelle raison ? Parce que je voulais que le monde du Japon du XVIIe
siècle paraisse aussi mystérieux au public qui le découvre qu’il l’était aux
yeux de Rodrigues et de Garupe. Et puis aussi parce que les conflits présentés
dans le film, la persécution des minorités religieuses et la mise à l’épreuve
de la foi sont intemporels. »
L’archiviste
et chercheuse Marianne Bower, qui collabore depuis longtemps avec Martin
Scorsese, a joué un rôle essentiel dans la reproduction exacte du Japon du XVIIe
siècle que souhaitait le réalisateur. Après avoir compulsé et rassemblé
quantité de documents sur le roman de Shūsaku Endō et la période historique à
laquelle il se déroule, elle a été présente sur le tournage chaque jour, se
révélant une conseillère indispensable auprès des acteurs et des techniciens
parce qu’elle comprenait de manière unique la vision du réalisateur.
Marianne Bower
a entamé ses recherches pour Scorsese sur ce film dès 2003. Elle s’est plongée
dans le roman aussi bien que dans la période de l’Histoire concernée, amassant
une précieuse documentation.
Elle
raconte : « La première question que Marty et moi nous sommes posée a
été de savoir à quoi ressemblaient ces prêtres portugais du XVIIe
siècle. Nous savions que le livre d’Endō était basé sur des personnes ayant
existé. Le père Ferreira était une figure célèbre de son temps. Nous avons donc
entrepris d’en apprendre le plus possible sur lui et les personnages réels du
film.
« À la
base, quand je travaille sur un projet comme celui-ci, je commence par chercher
des documents visuels dans des musées et des bibliothèques – ici, des images
dépeignant le Japon du XVIIe siècle. J’ai abouti à une source très
utile avec une série d’images décrivant l’arrivée des Portugais au Japon.
« J’ai
aussi rassemblé des images, des gravures et des livres dépeignant cette période
en détail, et j’ai lu beaucoup de choses sur les Kakure Kirishitan, les ‘chrétiens cachés’, membres de l’Église
catholique japonaise de l’époque d’Edo entrés dans la clandestinité dans les
années 1630. J’ai trouvé particulièrement remarquable la quantité d’images que
l’on peut trouver sur les tortures infligées aux chrétiens par les samouraïs.
C’est vraiment stupéfiant. »
Martin
Scorsese et Marianne Bower se sont immergés dans une multitude d’images et de livres
sur cette période de l’Histoire et tout ce qui y a trait. Ils ont lu tout ce
qu’ils pouvaient sur les racines du christianisme, sujet que connaissait déjà
bien le réalisateur, et ont pris contact avec de célèbres historiens
spécialistes de cette époque. George Elison, professeur émérite à l’université
de l’Indiana, auteur de Deus Destroyed:
The Image of Christianity in Early Modern Japan, et Liam Brockey, maître de
conférences à l’Université d’État du Michigan, auteur de Journey to the East et de The
Visitor: Andre Palmeiro and the Jesuits in Asia, ont été des sources
précieuses.
Une autre
source de référence pendant la préproduction et le tournage a été Van Gessel,
le traducteur anglais de l’œuvre de Shūsaku Endō, toujours disponible pour
répondre aux questions. Un prêtre jésuite a aussi fait office de précieux
conseiller auprès de Scorsese et d’Andrew Garfield durant la préproduction à
New York, le père James Martin, éditeur de la publication jésuite America. Le père Martin a passé des
heures avec le réalisateur et l’acteur à étudier des points précis de la
théologie chrétienne et la doctrine jésuite.
Tout ceci a constitué une
importante et précieuse mine d’informations et une source d’inspiration pour
les cinéastes.
Marianne Bower
déclare : « Toute la documentation que nous avons pu réunir, toutes
les notes que nous avons prises lors de nos entretiens ont été rassemblées et
organisées en classeurs pour que l’on puisse s’y référer facilement et les
utiliser chaque jour. »
En outre,
pendant le tournage à Taïwan, la production a engagé plusieurs prêtres
jésuites, des missionnaires résidant à Taïwan, dont le père Alberto Nunez
Ortiz, professeur de théologie à l’Université Fu Jen de Taipei, et le père
Jerry Martinez, vice-président de Kuangchi Program Services, la chaîne de
télévision taïwanaise dirigée par des jésuites. Ces prêtres étaient souvent
présents sur le plateau pour les scènes pouvant nécessiter des conseillers
techniques, pour renseigner les acteurs, le réalisateur et les équipes techniques
sur la signification profonde de la liturgie et la manière exacte dont étaient
accomplis les rites liturgiques en 1640.
Le père Nunez,
né en Espagne et expert en histoire du catholicisme, maîtrise parfaitement la
manière dont les rituels catholiques ont été conduits à travers les siècles. Il
observe : « J’ai été impressionné par la méticulosité qu’ont montrée
le réalisateur et les acteurs dans leur approche de cette question. Ils avaient
déjà passé beaucoup de temps et d’énergie à comprendre l’époque décrite dans le
film, mais j’ai trouvé au moment du tournage que tout le travail accompli avait
encore davantage aiguisé leur curiosité. Ils me posaient constamment des
questions. En voyant M. Scorsese réaliser son film, j’ai souvent eu
l’impression d’être transporté dans le passé. »
Les séquences
d’intérieur au village de Tomogi tournées, l’équipe a fait trois heures de
train pour traverser le pays à l’horizontale et gagner le comté d’Hualien, à
l’est de l’île.
Martin Scorsese voulait aussi
tourner le long de la côte rocheuse de Shimen Beach, sculptée par les vents et
les vagues, et à l’intérieur de grottes.
À Shimen, le
réalisateur a mis en scène la terrible souffrance des trois villageois
crucifiés, Ichizo, Mokichi et un pauvre anonyme, qui se sacrifient au nom de
leur foi et pour le bien-être des villageois restants. La crucifixion est un
épouvantable supplice, quelle que soit la façon de l’infliger. Au Japon, à
l’époque, les samouraïs avaient mis au point une version particulièrement
cruelle dans laquelle les croix étaient érigées le long de la côte rocheuse,
afin que lorsque la marée monte, les victimes crucifiées, en plus des
souffrances endurées du fait de leur posture, soient frappées par les vagues et
lentement noyées.
Les membres de l’équipe technique
se sont émerveillés devant la force et l’énergie de Yoshi Oida, 83 ans, qui
tenait le rôle d’Ichizo. Acteur, metteur en scène et auteur né au Japon et
vivant à Paris, où il a notamment collaboré avec Peter Brook, Yoshi Oida est un
professeur d’art dramatique réputé et l’auteur de trois livres sur le sujet.
Sur le décor de SILENCE, il a endossé son rôle avec la vigueur et l’abandon de
soi d’un homme ayant la moitié de son âge.
Yoshi Oida explique :
« Ichizo est une âme noble, le genre d’homme qu’il est un honneur de
jouer. L’important pour moi était de le comprendre au plan émotionnel, de
saisir sa façon de penser, ce qu’il ressent, comment il vit sa profonde foi.
Mais il était tout aussi essentiel pour moi de comprendre intimement ce qu’il
endure, non seulement mentalement et émotionnellement, mais aussi
physiquement. »
Dans son processus d’approche,
Oida a mis en œuvre nombre des principes qu’il traite dans ses livres.
« Rester sur ma croix
pendant la scène de crucifixion a été pour moi un moment de grâce. Cependant,
il m’était nécessaire de m’allonger et de me reposer entre les prises. Ichizo
n’a pas ce luxe, bien sûr. Mais malgré tout, travailler physiquement de cette
manière m’a permis d’approcher ce que tant de gens ont enduré. »
Andrew Garfield a été
impressionné par l’éthique de travail d’Oida, illustration vivante des
techniques d’interprétation que le jeune acteur avait étudiées dans ses livres.
« J’ai été très heureux de
rencontrer Yoshi et d’avoir la chance de travailler avec lui. J’ai lu son
livre, L’Acteur invisible, lors de
mes études de théâtre, et il m’a beaucoup impressionné. Je le lui ai dit. Une
expérience réellement extraordinaire. »
Shinya Tsukamoto, qui semble
endurer des heures de souffrances sur la croix dans le film, a été tout aussi
époustouflant. Il était attaché sur la structure de bois par des cordes
grossières, ballotté par les vagues de la marée montante et cuit par le soleil,
mais il a demandé très peu d’assistance aux cascadeurs qui étaient là pour le
soulager.
Celui qui est bien connu pour
être un réalisateur à succès et joue ici les acteurs confie : « Les
mots me manquent pour exprimer quel honneur c’est pour moi de jouer dans un
film de Martin Scorsese, de pouvoir travailler avec lui tous les jours.
« Sur le décor, poursuit
Shinya Tsukamoto, on parlait beaucoup de la foi, parce que la nature de la foi
est l’un des grands thèmes du film. Quand on me demandait si j’ai la foi, je
répondais que j’avais foi en Martin Scorsese. Ce ne sont pas des mots en l’air.
Le sérieux de ce film, la rigueur de ce que nous avons tous vécu à travers le
tournage – et M. Scorsese encore plus que tout le monde –, l’ont doté, lui et
le film, d’une sorte de sainteté, d’une pure beauté et du sens le plus
profond. »
Chacun des acteurs s’est donné à
fond. Andrew Garfield confie que « le rôle du père Rodrigues a représenté
un challenge à chaque jour de tournage. »
Avant le début des prises de
vues, l’acteur a passé beaucoup de temps à intégrer le sujet. « Je voulais
le sentir dans mon corps, dans mes os, explique-t-il. J’ai pratiqué une
véritable exploration spirituelle. Mon père était juif, ma mère chrétienne, et
mon frère et moi avons été élevés sans religion et sans pratique d’aucun culte.
Je m’intéresse au christianisme, au bouddhisme, au judaïsme, à toutes les
religions et aussi à la cosmologie. »
Dans le cadre de la préparation
de son rôle, Andrew Garfield s’est longuement entretenu avec le père Martin,
l’érudit et auteur jésuite de New York. « Le père Martin et moi avons
développé une relation solide. Il m’a introduit à la vie de Jésus et à la
Compagnie de Jésus et cela m’a inspiré. »
Andrew Garfield révèle que son
travail auprès du prêtre lui a donné un aperçu de l’âme de Rodrigues. « Au
début, le père Rodrigues est un idéaliste à l’esprit assez focalisé qui pense
avoir tout compris de la vie. Mais il va comprendre au fur et à mesure qu’il
n’est qu’un parmi la multitude, humain parmi les humains, et qu’il doit
accepter son humanité. »
L’acteur reprend :
« Chaque journée de tournage me plongeait dans le Japon des années 1640
tel que je l’imaginais. Mais tourner dans ces endroits extraordinaires à Taïwan
a été un don du ciel. Nous avions l’équipe technique la plus internationale
avec qui il m’ait été donné de travailler. C’était très émouvant de voir tous
ces gens former un village, une famille au service de ce metteur en scène
d’exception pour l’aider à raconter cette incroyable histoire.
« Ce genre de périple
épique, énigmatique et complexe ne voit pas facilement le jour au cinéma, on
voit rarement de ces histoires où tout n’est ni tout noir ni tout blanc, ni bon
ni mauvais mais fidèle à la réalité, gris et entremêlé. Le fait que ce film ait
finalement réussi à exister témoigne de la vision et de la détermination de
Martin Scorsese. »
Pour sa part, Adam Driver a
trouvé les privations physiques que les acteurs ont dû subir particulièrement
éprouvantes. Il confie : « Perdre du poids a autant joué pour moi
dans la préparation du rôle que mes recherches historiques. C’était très utile
d’avoir faim et d’être fatigué tout le temps ! »
Comme il l’explique, la faim n’a
pas été la pire situation qu’ont connue les prêtres au Japon : « Ils
ont voyagé sur des milliers de kilomètres par la mer et sur terre. On ne voit
pas cela à l’image, mais il fallait qu’on le perçoive dans la manière de se
tenir des personnages, dans leur apparence. On doit sentir les difficultés qu’ils
ont affrontées, la dureté de la vie loin de chez eux, les conditions de voyage
pénibles pendant deux longues années. »
Au sujet des lieux de tournage,
magnifiques mais souvent difficiles d’accès et inconfortables, il
déclare : « Le confort était absent mais c’était bon pour le film.
C’était un minuscule aperçu de ce que nos personnages ont enduré au
Japon. »
Dans la région de Niushan, dans
le comté d’Hualien, Martin Scorsese a filmé le voyage du père Rodrigues qui se
rend seul dans le village voisin de Goto, une communauté de pêcheurs où il
rencontre un autre groupe de chrétiens. Alors qu’il se trouve parmi les
villageois, il voit avec surprise Kichijiro réapparaître sur la plage et le
supplier de l’entendre en confession.
Scorsese et son équipe se sont
rendus ensuite dans la ville de Taichung, afin de tourner dans un bassin
construit à l’origine pour L’ODYSSÉE DE PI et situé près d’un parc industriel
en dehors de la ville. C’est là qu’ont été tournées les scènes dépeignant
plusieurs des voyages en mer accomplis par les jésuites.
Rodrigo Prieto, le directeur de
la photo, commente : « Pour ces traversées nocturnes en bateau, mon
chef électricien, Karl Engeler, a fabriqué un caisson lumineux diffusant un
éclairage tamisé que l’on suspendait à une grue industrielle pour simuler le
clair de lune. Nous avons intensifié l’ambiance mystérieuse de ces scènes avec
des machines à brouillard inspirées par le grand film japonais LES CONTES DE LA
LUNE VAGUE APRÈS LA PLUIE. »
Après cela, plusieurs séquences
clés ont été filmées dans la vallée de Taoyuan, non loin de Taipei, pour
retracer les moments où le père Rodrigues déambule seul, et la scène cruciale
de l’arrestation du père Rodriguez par les samouraïs, dans un cours d’eau et
dans les trous d’eau de Dahua dans la banlieue de Taipei.
La séquence achevée, l’équipe est
revenue aux studios CMPC pour une série de scènes se situant à Nagasaki et dans
la prison où est enfermé Rodrigues après son arrestation. Ces scènes
comprennent la rencontre avec l’Interprète et le redouté Inquisiteur Inoue dans
la prison ; l’exhibition de Rodrigues dans les rues de Nagasaki sous les
moqueries de la population, et l’indicible horreur des traitements infligés par
les Japonais aux prisonniers chrétiens, auxquels assiste Rodriguez, impuissant,
depuis sa cellule.
Martin Scorsese et son équipe se
sont ensuite rendus sur une plage non loin de Taipei pour filmer une excursion
à laquelle Rodrigues est contraint de prendre part avec l’Interprète ; il
est alors témoin d’un événement qui sera pour lui une insoutenable tragédie
personnelle : la mort du père Garupe.
Tourner de telles séquences a eu
un fort impact sur nombre des acteurs et des membres de l’équipe technique,
dont le directeur de la photo Rodrigo Prieto. Celui-ci explique :
« J’ai été élevé dans la foi catholique, et quand j’étais adolescent,
j’avais un lien très profond avec ma religion. Au fil des ans, je me suis
questionné sur les dogmes de l’Église. J’ai été témoin de la manière dont une
foi solide peut aider les gens à traverser les épreuves de la vie. Mais quel
est exactement le sens de la foi ? A-t-on besoin d’une Église
hiérarchisée, d’une religion organisée pour en faire l’expérience ?
Tourner SILENCE a été pour moi un moyen de réfléchir à tout cela et de traduire
ce questionnement visuellement à travers l’éclairage et le travail de prises de
vues. »
Le chef décorateur Dante Ferretti
a créé pour chaque séquence des décors correspondant à la fois à la réalité
historique du Japon du XVIIe siècle, et à l’atmosphère voulue pour
chaque instant du récit. Fier du fait que SILENCE marque sa neuvième
collaboration avec Martin Scorsese, il souligne qu’il travaille sur ce film
depuis au moins 25 ans.
Il raconte : « Lorsque
je travaillais sur le film de Fellini LA VOCE DELLA LUNA en 1990, un des
producteurs m’a demandé si cela m’intéresserait de collaborer avec Martin
Scorsese sur son nouveau film. Ce film, c’était SILENCE… »
C’est finalement sur LE TEMPS DE
L’INNOCENCE en 1993 que le chef décorateur allait faire équipe pour la première
fois avec Scorsese.
Dante Ferretti précise :
« Le film ne s’était pas fait à l’époque, et je n’en avais plus entendu
parler.
« Au fil des années, j’ai
bien dû démarrer la création des décors de SILENCE cinq ou six fois. Je me suis
rendu plus d’une fois à Vancouver et en Nouvelle-Zélande pour des repérages,
mais chaque fois le projet était stoppé. Pourtant, Marty était déterminé à
faire le film. Enfin, cette fois, on a réussi ! »
Dante Ferretti
se dit avoir été impressionné et inspiré par les paysages et la géographie de
Taïwan, et heureux de pouvoir disposer des installations et du backlot des
studios CMPC. Il y a conçu et édifié des décors propres à satisfaire l’ambition
du film : la colonie de Macao et ses rues grouillantes d’animation, l’Université
jésuite de la ville, le bureau du père Valignano, la chambre du père Rodrigues,
les rues de la ville de Nagasaki, la prison de la ville, un temple bouddhiste,
une résidence chrétienne, et le port de Dejima. Ferretti a créé et supervisé
les décors en studio avec l’accord du réalisateur, de la même manière que pour
ceux construits sur les nombreux lieux de tournage extérieurs.
Le chef décorateur confie :
« Chaque fois que j’étais prêt à entamer le travail sur le film, il était
repoussé à plus tard. Quand il a enfin démarré pour de bon, il a fallu tout
recommencer à zéro. »
La première démarche de Dante
Ferretti a consisté à lire le livre plusieurs fois, tout en étudiant
parallèlement les différentes versions du scénario. Il a également effectué
différents déplacements au Japon pour se documenter non seulement sur les
décors mais aussi sur les costumes. Il a entre autres visité Tokyo, Kyoto et
Nagasaki – c’est dans cette dernière ville qu’il a découvert le musée Endo.
Dante Ferretti a non seulement
créé les décors mais aussi les costumes de SILENCE. Il détaille :
« Nous avons créé les tenues des jésuites, celles des paysans, des
villageois, des samouraïs, et même celles des marchands hollandais que l’on
aperçoit dans le fim.
« Lorsque je crée à la fois
les décors et les costumes d’un film, je m’efforce d’imaginer ce que c’était de
vivre à cette époque, exactement comme le ferait un acteur. Ensuite, je regarde
l’ensemble de ce que nous avons créé, et parfois, quand je découvre une erreur,
il m’arrive de la laisser au lieu de la corriger. Dans la vie, il se produit
toujours des erreurs, et quand il y en a qui se glissent dans mes décors ou mes
costumes, je les accepte. C’est comme ça, la vie ! »
Les scènes dans le bureau de
l’Inquisiteur où le père Rodrigues défend sa foi devant l’impressionnant Inoue
et son féroce lieutenant, l’Interprète, ont été filmées sur un décor édifié
dans l’un des espaces verts de la ville.
De retour aux studios CMPC, Martin
Scorsese a mis en scène la rencontre fatidique de Rodriguez au temple
bouddhiste avec son ancien maître et mentor spirituel, le père Ferreira.
L’équipe a ensuite regagné le
décor du bureau de l’Inquisiteur pour les scènes terriblement puissantes montrant
les souffrances physiques endurées par les chrétiens, ainsi qu’une scène
cruciale du climax du film, un moment de capitulation et d’acceptation.
Les acteurs, le réalisateur et
les techniciens sont repartis alors pour la région montagneuse de la périphérie
de Taipei. Cette fois, ils se sont installés dans le parc national de
Gengzipin, une zone d’activité géothermique avec des émissions de sulfure
d’hydrogène et des eaux à 100 °C qui bouillonnent en sortant de terre depuis
des millénaires.
Sur ce lieu de tournage aussi
extraordinaire que dangereux, il a fallu travailler avec beaucoup de
précautions et porter tout un équipement de protection, y compris des
casques. Vêtu ainsi de pied en cap, Martin Scorsese a filmé l’importante
séquence d’Unzen, dans laquelle le père Ferreira est témoin des brutalités
commises par leurs geôliers japonais à l’encontre des prêtres européens et des
moines.
Martin Scorsese déclare :
« Nombre des lieux de tournage étaient réellement hostiles, c’est l’un des
tournages les plus difficiles de toute ma carrière. Mais c’est en lien avec la
nature même de l’histoire. Les événements se déroulent dans des masures, des
endroits misérables, dans la boue, la roche, sur des sols inégaux et traîtres…
Les chrétiens convertis de Nagasaki menaient des existences extrêmement
précaires, sans aucun confort, sans le moindre raffinement, et les
missionnaires se cachaient dans des bicoques délabrées.
« Dans la seconde moitié du
film, on voit tout du point de vue de Rodrigues, souvent depuis derrière les
barreaux de sa cellule, de l’intérieur vers l’extérieur. Il nous fallait donc
un studio, ce que nous avions à Taipei, en plus des décors près de la mer et
dans les montagnes. »
Les acteurs étaient prêts à
endurer les difficultés et ont fait bonne figure sur le terrain. Liam Neeson
s’était préparé à tout supporter pour incarner le père Ferreira. Il
raconte : « À New York, avant le début du tournage, Andrew et moi
avions travaillé avec le père James Martin, consultant sur le film pour tout ce
qui touchait aux jésuites, et nous avions discuté de théologie, avions pratiqué
les rites de la messe, et mis en pratique les exercices spirituels prônés par
l’ordre. Nous, les acteurs, avons appris ce que les jésuites ont enduré et
ce qu’il leur en a coûté. »
Pour Liam Neeson, l’expérience
s’est avérée exaltante.
« J’aime l’Église,
confie-t-il. Je me considère comme un ‘ancien catholique non pratiquant qui
pratique à nouveau’. J’aime me rendre à l’église, dire mes prières,
m’entretenir avec Dieu. »
Discuter des questions touchant à
la foi avec un prêtre jésuite et avec son partenaire à l’écran a été très
enrichissant pour Liam Neeson.
« Andrew Garfield est un
jeune acteur tout à fait remarquable, dit-il. Réfléchi, se fondant totalement
dans son rôle à la manière d’un De Niro ou d’un Daniel Day-Lewis. Un acteur
vrai. »
Liam Neeson n’a que des éloges
également pour le réalisateur : « Martin Scorsese inspire le respect.
Quand j’ai tourné pour la première fois sous sa direction dans GANGS OF NEW
YORK, j’étais très intimidé par sa réputation. Il a fallu que j’arrive à passer
par-dessus cette admiration qui m’entravait. »
SILENCE lui a révélé un nouvel
aspect de la collaboration avec Scorsese, comme il l’explique :
« Marty a réfléchi, médité sur ce film depuis de nombreuses années. Je le
savais, et ça me rendait nerveux. Étais-je assez bon pour jouer ce rôle ?
J’y ai longuement réfléchi. Et puis j’ai entrepris de surmonter ce sentiment en
me montrant le plus sincère possible dans mon jeu. Je me suis efforcé d’être
moi-même, analysant mon âme à travers le père Ferreira. »
Il ajoute : « Sur le
plateau, Marty fait quelque chose de merveilleux : il demande le silence
absolu quand il s’adresse à ses acteurs. Cela ne veut pas dire que les acteurs
sont ce qu’il y a de plus important sur le plateau, non, ce n’est pas cela. Ce
qu’il veut, c’est que tout le monde fasse attention à ce qui se passe quand il
les dirige, quand il tourne, car lorsque l’attention de toute l’équipe
technique est focalisée sur un moment, un rouage précis du processus de
création du film auquel tous contribuent, alors tout le monde est
inspiré. »
Adam Driver a lui aussi trouvé le
processus de collaboration avec Martin Scorsese enthousiasmant et enrichissant.
« Martin est généreux de son
temps. Quelle que soit la scène, quelle que soit la question, il est prêt, il
vous écoute et est volontaire pour en discuter. L’envie de faire ce film le
dévorait depuis 28 ans, mais jamais il ne s’est comporté de façon trop
autoritaire.
« Vivre une expérience
pareille enrichit votre existence, c’est forcément une chance hors du commun de
travailler avec l’un des plus grands cinéastes de tous les temps, un homme qui
a le talent de briser les idées reçues parce qu’il veut que son film soit le
meilleur possible. Il veut que ses acteurs s’approprient leur rôle. Il aspire à
être surpris, à vous surprendre, et cela fait que vous oubliez l’appréhension
de vous trouver devant un si grand homme de cinéma. Vous finissez par vous dire
que vous travaillez sur un film ‘ordinaire’, et vous vous sentez libre. »
Rodrigo Prieto confie :
« J’adore travailler avec Marty. C’est fascinant de l’écouter, de suivre
le processus de sa pensée sur la manière de filmer une scène. Chaque angle de
prise de vues, chaque mouvement, chaque pose statique de la caméra résulte
d’une compréhension et d’une maîtrise totale de ce qu’il veut exprimer à
travers la scène.
« Avec lui, il n’y a jamais
de plan fait au hasard, jamais de plan gratuit, jamais de superflu. Chaque
décision naît du contenu émotionnel que recèle ce moment particulier du récit.
Marty est aussi un collaborateur attentif. Il écoute avec attention les idées
que lui soumettent les membres de son équipe et les encourage à participer au
processus de création. J’ai le sentiment qu’il parvient à obtenir le meilleur
de tous ceux qui sont sur le plateau. Chaque matin, je me réveillais impatient,
avide de vivre la journée de tournage qui m’attendait. C’est toujours le cas
quand je travaille avec lui. »
De retour de Gengzipin au studio
pour la dernière fois, Martin Scorsese y a achevé le tournage par une série de
scènes à Dejima et Nagasaki en forme d’épilogue pour l’histoire.
Le tournage a pris fin chez CMPC
le soir du 15 mai 2015, après une quinzaine de semaines de prises de vues.
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