Drame/Comédie/Touchant, drôle, un joli film et Annette Bening y est magnifique
Réalisé par Mike Mills
Avec Annette Bening, Greta Gerwig, Elle Fanning, Billy Crudup, Lucas Jade Zumann, Alison Elliott, Thea Gill, Olivia Hone...
Long-métrage Américain
Durée: 01h58mn
Année de production: 2016
Distributeur: Mars Films
Date de sortie sur les écrans américains : 20 janvier 2017
Date de sortie sur nos écrans : 1 mars 2017
Résumé : Santa Barbara, été 1979. L’époque est marquée par la contestation et d’importants changements culturels. Dorothea Fields, la cinquantaine, élève seule son fils Jamie. Elle décide de faire appel à deux jeunes femmes pour que le garçon, aujourd’hui adolescent, s’ouvre à d’autres regards sur le monde : Abbie, artiste punk à l’esprit frondeur qui habite chez Dorothea, et sa voisine Julie, 17 ans, aussi futée qu’insoumise…
Bande annonce (VOSTFR)
Ce que j'en ai pensé : Mike Mills, le réalisateur, nous entraîne sur les traces d'une relation mère/fils liée à une époque très spécifique et particulière : celle de la fin des seventies en Californie. Et qu'il est bien retranscrit cet esprit de liberté et de trouble aussi. J'ai beaucoup aimé la sensibilité de la mise en scène, des plans et des mises en situation du réalisateur. Il y a une simplicité étudiée dans les décors qui laisse la place aux personnages pour s'épanouir et aux dialogues pour fonctionner. Ces derniers sont d'ailleurs parfois drôles, surtout dans les situations décalées. Les relations humaines sont étroitement connectées à l'année 1979. Mike Mills croque des portraits de femmes de générations différentes dans un moment où le monde change et dans lequel elles cherchent à affirmer leur place entre modernité férocement désirée et héritage du passé lourd à porter. Il a trouvé trois magnifiques actrices pour réussir à faire vibrer les émotions délicates qu'il cherche à transmettre aux spectateurs.
Annette Bening est formidable dans le rôle de Dorothea, cette mère à l'amour débordant, qui doit élever un adolescent qui cherche sa place et son indépendance. Son interprétation de cette femme intelligente, à la personnalité originale et forte, est d'autant plus touchante dans les moments reflétant ses fragilités.
Greta Gerwig interprète Abbie, une jeune femme artiste, pleine de vie, qui dit ce qu'elle pense.
Elle Fanning interprète Julie, une adolescente en pleine rébellion familiale.
Et au milieu de ces femmes et de leur flot d'émotions bardées de contradictions, le jeune Jamie, interprété par l'attachant Lucas Jade Zumann, cherche son chemin vers l'âge adulte.
Billy Crudup interprète quant à lui William, un homme dont l'expérience de la vie lui permet de surnager parmi ces dames. Il sait être présent et en même temps les laisser vivre.
20TH CENTURY WOMEN ne suit pas forcément des chemins pavés. Il sait être inattendu et dépeint des personnages auxquels on ne s'identifie pas forcément, mais avec lesquels on sent une connexion émotionnelle. C'est un film à la fois doux et touchant. Mike Mills nous propose une jolie histoire qu'il ne faut pas hésiter à aller découvrir au cinéma.
Annette Bening est formidable dans le rôle de Dorothea, cette mère à l'amour débordant, qui doit élever un adolescent qui cherche sa place et son indépendance. Son interprétation de cette femme intelligente, à la personnalité originale et forte, est d'autant plus touchante dans les moments reflétant ses fragilités.
Elle Fanning interprète Julie, une adolescente en pleine rébellion familiale.
Et au milieu de ces femmes et de leur flot d'émotions bardées de contradictions, le jeune Jamie, interprété par l'attachant Lucas Jade Zumann, cherche son chemin vers l'âge adulte.
Billy Crudup interprète quant à lui William, un homme dont l'expérience de la vie lui permet de surnager parmi ces dames. Il sait être présent et en même temps les laisser vivre.
20TH CENTURY WOMEN ne suit pas forcément des chemins pavés. Il sait être inattendu et dépeint des personnages auxquels on ne s'identifie pas forcément, mais avec lesquels on sent une connexion émotionnelle. C'est un film à la fois doux et touchant. Mike Mills nous propose une jolie histoire qu'il ne faut pas hésiter à aller découvrir au cinéma.
AVANT-PREMIÈRE
SESSION DE QUESTIONS/RÉPONSES AVEC LE RÉALISATEUR MIKE MILLS
Le 9 février 2017, lors de l'avant-première parisienne du film, le réalisateur Mike Mills a eu la gentillesse de venir répondre à quelques questions avant la projection. Je vous propose de retrouver cet échange dans la vidéo ci-dessous qui ne contient pas de spoilers.
NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
« LE FUTUR VIENT TOUJOURS TROP VITE ET PAS DANS LE BON ORDRE. »ALVIN TOFFLER, « LE CHOC DU FUTUR »
1979 marque une formidable période de transition. C’est
la dernière année du mandat de Jimmy Carter. En Iran, la Révolution islamique a
commencé, parallèlement à la crise des otages à l’ambassade des États-Unis.
Pour la première fois, les Américains ont le sentiment de ne plus pouvoir
maîtriser leur besoin croissant de pétrole : la dépendance à l’égard du Moyen- Orient
aboutit à de longues files d’attente aux stations-services et à une « crise
énergétique » présente sur toutes les lèvres. Désormais, les véhicules
énergivores n’ont plus la cote et l’industrie automobile de Detroit perd de sa
puissance. Le pays plonge alors dans la récession. Carter prononce son discours
sur la « crise de confiance ». Brenda Ann Spencer, adolescente responsable du
meurtre de deux adultes dans une école, donne lieu à la première affaire du
genre de l’époque contemporaine. Le pays connaît son accident nucléaire le plus
grave à la centrale de Three Mile Island. Les classes moyennes ont de plus en
plus recours à la psychothérapie. Apple entre en bourse. Margaret Thatcher est
nommée Premier ministre du Royaume- Uni. Quant à la contre-culture, elle perd
du terrain…
D’une certaine manière, c’est à cette époque que les problématiques,
les technologies et les enjeux culturels que nous qualifions aujourd’hui de «
contemporains » font leur apparition. Comme l’explique Mike Mills : « Les années 78-79 marquent le
début de la période contemporaine, même si vers la fin de cette décennie on
n’était absolument pas préparé aux grands bouleversements qui suivront : les
répercussions de la politique de Reagan, la cupidité des années 80, la tragédie
du Sida, l’impact de l’Internet, les événements du 11 septembre et les
disparités liées au libéralisme sauvage. D’où le sentiment que 20TH CENTURY
WOMEN est une ode nostalgique à une époque d’innocence à jamais révolue. »
C’est dans ce contexte que Dorothea, mère célibataire
vivant à Santa Barbara, doit elle aussi affronter les mutations de la société.
Suite à des bouleversements dans sa vie privée, cette logeuse à l’esprit bohème
demande à ses locataires de l’aider à préparer son fils aux vicissitudes du
monde. Résultat : le jeune garçon découvre les joies rebelles du punk rock, la
dangereuse séduction de l’art et de l’amour et la fragilité de la vie.
20TH CENTURY WOMEN est une comédie dramatique qui mêle les
parcours intimes de ses personnages aux changements profonds que traverse la
société américaine. Le film est tour à tour une histoire d’amour et de liens
familiaux précaires et un hommage à la force des femmes de toutes générations.
Chemin faisant, il montre combien notre quotidien peut devenir, avec le recul
des années, une époque sur laquelle on porte un regard émerveillé.
Quatre fois citée à l’Oscar, Annette Bening campe une
femme discrète mais toujours prête à héberger ceux qui ont besoin d’un toit.
Dorothea est une mère qui fait face à des changements majeurs : elle nous
rappelle que les enfants de la Grande Dépression sont devenus les parents des
années 70 – et que ce sont leurs fils et leurs filles qui ont façonné notre
société actuelle. « Je voulais raconter une
histoire intime, ponctuée de moments de grâce, dans une période chaotique et
m’intéresser à la manière dont d’insondables trajectoires personnelles se mêlent
à des évolutions sociales majeures »,
note Mike Mills.
Le film est également une déclaration d’amour à la mère
de Mills et aux femmes qui l’ont élevé. Le cinéaste confie : « En un sens, c’est l’histoire
de la rencontre entre la «Génération grandiose» et la «Génération X» – puisque
ma mère est née dans les années 20 et moi à la fin des années 60. D’un certain point
de vue, le film raconte une histoire d’amour entre une mère et son fils – une
histoire d’amour profonde et totalement à part – mais qui ne peut pas leur
procurer l’ancrage émotionnel auquel ils aspirent tous les deux. Le film tente d’évoquer
ces moments fugaces où l’on ressent un lien très fort avec un proche, ces
moments délicats de grâce, de compréhension et de proximité, qui sont plus
fragiles et éphémères qu’on ne le pense – mais quand ils se produisent, même
s’ils ne durent pas, ils nous marquent pour longtemps. »
APRÈS BEGINNERS
« Je lui ai dit que la vie était riche et pleine de surprises, qu’il découvrirait les animaux, les arbres, le ciel, les villes, la musique, le cinéma et les stars et les couleurs, et qu’il le ferait à son rythme. Et qu’il découvrirait aussi les baisers, l’amitié, et l’amour et qu’il aurait lui-même des enfants. »
Le précédent film de Mike Mills, BEGINNERS, qui a valu à
Christopher Plummer un Oscar et un Golden Globe, s’inspirait du père du
réalisateur qui a attendu ses 75 ans pour assumer pleinement son homosexualité.
20TH CENTURY WOMEN s’appuie, en revanche, sur la plus grande proximité entre
Mills et sa mère. Pourtant, hormis quelques points communs fondamentaux –
l’inspiration autobiographique, l’humour, un certain penchant pour l’art, une
fascination pour la fugacité des choses et un style visuel proche du collage –,
les deux films sont très différents. Tout d’abord parce que, comme son titre l’indique,
20TH CENTURY WOMEN parle de l’identité des femmes aux États-Unis vers la fin du
siècle dernier.
Quel que soit son moyen d’expression, Mills a toujours
mêlé des histoires personnelles à des événements historiques. Comme beaucoup de
sa génération – celle qu’on désigne simplement d’un «X» ambivalent, coincée
entre les baby-boomers et la génération Y –, l’homme est inclassable. Il mène
depuis longtemps une carrière pluridisciplinaire comme graphiste et réalisateur.
Il a ainsi conçu les pochettes d’albums des Beastie Boys et de Sonic Youth,
collaboré aux clips d’Air, Pulp et Yoko Ono et exposé ses oeuvres picturales
dans plusieurs galeries du monde entier, au Musée d’art contemporain de Los
Angeles (MoCA) et au Musée d’art moderne de San Francisco (SFMOMA). Pour lui,
l’art doit entretenir un rapport avec le monde qui l’entoure : son oeuvre
montre que des moments d’intimité peuvent, comme les pièces d’un puzzle,
trouver leur place sur de vastes échiquiers culturel, sociétal et historique.
Comme le dit le slogan féministe, « le personnel est politique ». Les tout
premiers courts métrages de Mills témoignent de sa passion pour la dimension
drôle et insolite du quotidien et les tendances éphémères de la culture
actuelle. DEFORMER (2000) s’attache à l’univers de l’artiste et skateur professionnel
Ed Templeton, tandis que PAPERBOYS (2001) se penche sur le métier de livreur de
journaux voué à disparaître. Dans son premier long métrage, ÂGE DIFFICILE OBSCUR
(2005), adapté du roman de Walter Kirn, il offre un point de vue original sur
le malaise et les angoisses de l’adolescence. Puis, il enchaîne avec le
documentaire DOES YOUR SOUL HAVE A COLD? (2007), autour de l’arrivée des antidépresseurs
au Japon. En 2010, le succès de BEGINNERS impose Mills comme un cinéaste
majeur.
Mais c’est avec 20TH CENTURY WOMEN qu’il relève son plus
grand défi. Car lorsqu’un homme met en scène les femmes, le propos n’est pas
toujours des plus convaincants. Or, Mills a non seulement puisé dans sa propre
adolescence, profondément marquée par la présence de femmes fascinantes, mais
il s’est nourri d’entretiens et de lectures pour mettre au point des portraits
au féminin de trois générations différentes, à divers stades de leur parcours :
Dorothea, qui a grandi pendant la Grande Dépression et qui doit concilier sa
vie professionnelle et sa vie de mère, Abbie, artiste issue du baby-boom et
Julie, adolescente incarnant la Génération X.
« J’ai été élevée par une femme
au fort tempérament, et le scénario est très proche de ce qu’était sa vie,
affirme le réalisateur. Mon père était présent, mais pas pendant mon enfance.
Quand j’étais enfant, je passais l’essentiel de mon temps avec ma mère et mes
deux soeurs. Depuis, je fréquente surtout des femmes et je crois avoir compris
très tôt qu’en cherchant à cerner les femmes de mon entourage, j’assurais ma
propre survie. J’ai passé mon temps à m’intéresser à elles et à tenter
d’apprendre à leur contact, même lorsqu’elles étaient insondables. »
Si Jamie ne parvient pas totalement à percer à jour
Dorothea, il l’aime profondément et éprouve un immense respect pour son courage
de mère célibataire et son étonnante force de caractère. Un apparent paradoxe
qu’il n’était pas évident d’évoquer dans le scénario d’autant plus qu’il est au
cœur du film : « Je n’ai aucune difficulté à
épouser un point de vue féminin mais le personnage de Dorothea m’a posé
problème, notamment parce que ma propre mère a longtemps été – et le restera en
partie – une énigme à mes yeux, indique le cinéaste. Il s’agissait de chercher
à comprendre le fonctionnement d’une mère de 55 ans qui non seulement a eu un
enfant à 40 ans, mais qui est née dans les années 20 – puis de la confronter
aux grands bouleversements de la société des années 70. Il a fallu à la fois
que je mène des recherches et que je puise dans mon propre parcours. »
Mills a emprunté certains traits de personnalité de
Dorothea à sa mère. « Elle voulait, elle aussi,
devenir pilote, elle a travaillé dans une entreprise dont tous les salariés
étaient des hommes et elle adorait les vieux films, surtout ceux avec Bogart »,
se remémore-t- il. Le grand acteur
hollywoodien est devenu un fil conducteur pour le réalisateur, lui-même
extrêmement cinéphile. Car si le mouvement punk était emblématique d’une
génération qui rejetait les héros traditionnels, Bogart, à ses yeux, était
l’ultime archétype masculin à trouver sa place dans le nouveau monde de l’après-guerre
qui se dessinait – un homme ténébreux, délicieusement caustique et noble dans
un univers pétri d’incertitudes.
« J’ai vu énormément de films de
cette époque et les dialogues mordants entre hommes et femmes m’ont aussi
inspiré, poursuit le cinéaste. Plusieurs de ces films sont drôles et subversifs
et m’ont permis de mieux cerner Dorothea. J’ai compris qu’elle aspirait moins à
vivre une grande histoire d’amour avec lui qu’à être Bogart ! Un leitmotiv est
revenu sans cesse pendant l’écriture du personnage : Qu’est-ce que ferait
Bogart dans cette situation ? »
Le personnage d’Abbie, jeune femme punk qui a abandonné ses
rêves d’artiste à New York en se découvrant un cancer, s’inspire d’amis
artistes du cinéaste et d’une jeune femme ayant survécu à une tumeur. Car le
film parle aussi bien de l’exaltation propre au mouvement punk que de mortalité
et de fécondité. « Une amie à moi a souffert du
cancer du col de l’utérus et je me suis longuement entretenue avec elle pour
les besoins du script », reprend
le réalisateur. La toute jeune – mais non moins complexe – Julie s’inspire de plusieurs
filles que fréquentait Mills au lycée et qu’il a retrouvées pour les
interviewer. « J’ai fait un travail de journaliste
pour bien comprendre leur fonctionnement », explique le réalisateur.
Pour autant, il a su imprégner ses recherches
journalistiques de considérations plus stimulantes pour l’imagination : la mémoire,
l’humour et surtout l’effet du temps qui passe sur les élans du coeur. Mills
souligne que les cinéastes qui l’inspirent s’intéressent à l’impact du passage
du temps sur l’existence et les relations amoureuses. Il cite souvent Alain
Resnais qui a évoqué la nature chaotique du souvenir dans LA GUERRE EST FINIE,
HIROSHIMA MON AMOUR et MURIEL, ou encore UN FILM D’AMOUR d’Istvan Szabo où un
homme est hanté par une histoire d’amour adolescente qu’il a vécue entre la fin
de la guerre et la mise en place du rideau de fer. Le nom de Fellini revient
également dans la bouche du réalisateur : il regardait souvent ses films sur
son iPad avant de tourner. «
Il n’y a pas de plus grand maître que Fellini pour donner à son propre vécu une
envergure cinématographique »,
s’enthousiasme Mills. Malgré tout, 20TH CENTURY WOMEN ne s’intéresse pas seulement
au temps qui passe mais surtout à son accélération dans les dernières décennies.
Annette Bening remarque : «
L’être humain s’est toujours adapté au changement, mais c’est le rythme de ces
mutations qui est inédit depuis la fin du XXème siècle. Tout va tellement vite !
Et si j’ai adoré ce scénario, c’est notamment parce que j’étais une jeune fille
en 1979, vivant en Californie, si bien que je m’identifie aux personnages féminins
du film. Et j’ai aussi l’impression d’avoir été proche de l’ensemble des
personnages à un moment ou à un autre de ma vie. À mon sens, on dispose
aujourd’hui du recul suffisant pour se pencher sur les dernières décennies du
XXème siècle – et c’est exactement ce
qu’a fait Mike avec le talent qui lui appartient. »
Au-delà du seul cinéma, le film puise dans d’autres
influences socioculturelles : des albums vinyles, des best-sellers, le malaise
politique de l’époque, des émissions de télévision à succès et toutes sortes
d’objets présents dans les décors. Ils ne datent pas tous de 1979 mais évoquent
également l’évolution des goûts artistiques de Dorothea. « On pourrait presque résumer le
film à la trajectoire qui va de «As Time Goes By» [chanson emblématique de
CASABLANCA, NdT] au groupe de punk Buzzcocks », plaisante Mills.
Le film se distingue essentiellement par ce sentiment
entêtant que certains souvenirs et obsessions mêlés composent notre vie
personnelle. Mais un autre motif caractéristique du début du XXIème siècle imprègne 20TH CENTURY WOMEN : la mise en abîme et
l’autofiction. En effet, en voyant le film, on a le sentiment étrange qu’il
s’agit du réalisateur qui se penche sur son parcours personnel d’artiste… en
réalisant le film qu’on est en train de visionner !
Billy
Crudup intervient : «
Notre identité est forgée par notre enfance, mais Mike ne se contente pas de
puiser dans sa propre trajectoire : son regard est nourri par le recul qu’il a acquis
sur son vécu au fil des années. Il montre que le gamin qu’il était est devenu
un vrai cinéaste qui a su mettre au point un style avec lequel il raconte son
histoire. C’est pour cela, à mon avis, que ce récit est universel. Mike a
réussi à concocter une histoire merveilleuse dans laquelle chacun d’entre nous peut
projeter sa propre vie. »
À mi-chemin du récit, la dimension introspective du film
entre particulièrement en jeu : Dorothea informe le spectateur de ce qui va bientôt
lui arriver, modifiant ainsi notre perception des événements à venir (et nous
rappelant que nous avons nous-mêmes une distance de plus de 35 ans par rapport
au récit), mais sans détour, ni mysticisme. Ce parti-pris s’est imposé à Mike
Mills très naturellement. «
Cela correspondait parfaitement à Dorothea, dit-il. Dorothea est constamment insaisissable,
un peu comme une arnaqueuse ! Et l’avenir est tellement imprévisible qu’on se
trompe systématiquement. Mais elle nous offre un petit aperçu fugace sur ce qui
va peut-être se passer… »
DOROTHEA
« Sortons ce soir. J’ai envie de voir à quoi ressemble ce monde moderne. »
« Dorothea a 55 ans et ressemble
à Amelia Earhart [première femme aviatrice à traverser l’Atlantique, NdT] », écrit Mike Mills en parlant de sa
protagoniste. Dans le film, son fils Jamie la décrit à travers ses
contradictions les plus marquantes : elle fait l’inventaire de ses actions tous
les matins, elle fume des Salem parce qu’elle sont censées être meilleures pour
la santé, elle porte des Birkenstocks parce qu’elles sont modernes, elle lit «
Les Garennes de Watership Down », elle sculpte des lapins en bois et ne sort
jamais avec un homme pendant très longtemps.
Annette Bening s’est appropriée chacun de ces détails.
Mais la comédienne quatre fois citée à l’Oscar (TOUT VA BIEN – THE KIDS ARE
ALRIGHT, ADORABLE JULIA, AMERICAN BEAUTY, LES ARNAQUEURS) a réussi à
transcender cette simple addition de caractéristiques, comme le souligne le
réalisateur. « Tout comme ma mère, Annette
est un peu secrète, note-t-il. Elle incarne un mystère à part entière et ce
qu’elle fait est magique. Elle possède tellement son métier qu’elle comprend parfaitement
la construction des scènes. Mais elle va bien plus loin que la technique
d’acteur pour incarner le personnage avec force et être totalement spontanée.
Ce que j’aime passionnément chez les acteurs, c’est quand ils réussissent à dépasser
la préparation technique d’une scène et qu’ils prennent leur envol – et Annette
adore faire ça. On était tous les deux souvent surpris par ce qu’elle faisait
devant la caméra. »
Il renchérit : «
On a beaucoup parlé de ma mère mais Annette ne s’est pas contentée de l’imiter
: elle s’est servie de tous les détails que je lui ai donnés pour livrer une
prestation originale. La Dorothea qu’on découvre à l’écran est issue du sens du
tempo d’Annette, de son intuition, de son intelligence et de son humour. Elle
réussit à se mettre dans la peau d’une femme dans ce genre de circonstances. »
Annette Bening a été aussitôt frappée par les paradoxes profondément
humains de Dorothea : « J’aime les femmes pétries de
contradictions – et nous en avons tous, dit-elle dans un éclat de rire. Dans la
plupart des scénarios, les femmes sont stéréotypées. Mais chez Mike, ce sont
des êtres humains complexes, aux multiples facettes. »
En acceptant le rôle, la comédienne a tâché de trouver l’équilibre
entre les souvenirs de Mills et sa propre interprétation. « Dorothea n’est pas une
incarnation à proprement parler de sa mère, dit-elle, mais pour me préparer au
rôle, je me suis nourrie de ses souvenirs d’elle, j’ai vu des photos et j’ai
compris ce que cet épisode de sa vie représente à ses yeux. Pour bien jouer un
rôle, il faut qu’une savante alchimie se produise entre votre investissement
personnel et l’exploration du personnage. C’est d’autant plus facile lorsque l’histoire
est formidable et qu’on a le sentiment de puiser dans ses propres émotions tout
en étant au service d’une œuvre qui vous dépasse. »
20TH CENTURY WOMEN est une déclaration d’amour aux mères
chères à nos cœurs que, toutefois, on ne comprend pas toujours. Autant dire
qu’Annette Bening était consciente d’être en terrain miné. « C’était compliqué parce qu’on
s’attache forcément à Dorothea mais on la trouve également susceptible et
froide, surtout avec son fils, souligne la comédienne. C’est un équilibre
subtil car elle encourage les autres à entrer dans son univers tout en faisant
comprendre à Jamie qu’il y aura toujours une part d’elle-même qui lui sera
inaccessible. Dans une certaine mesure, j’ai considéré que c’était à Mike de résoudre
cette équation dans l’intrigue, mais qu’il m’appartenait de jouer chaque
situation le plus sincèrement possible. »
L’actrice s’est aussi inspirée de l’héroïne de Dorothea,
l’aviatrice Amelia Earhart, qui a bousculé l’image traditionnelle des femmes
dans les années 20 et 30. Elle a notamment servi de source d’inspiration pour
son style personnel sans prétention. «
Quand on voit des photos d’Amelia, on se rend compte qu’elle incarne une toute
nouvelle conception de la féminité et de la beauté, note-t-elle. Elle n’a rien
à voir avec la tendance actuelle qui privilégie un maquillage sophistiqué, et la
quête de perfection physique et d’éternelle jeunesse. Dorothea n’est pas
attirée par tout cela : elle n’a pas évolué dans un monde qui a entretenu ce
culte de la féminité. C’est une autre de ses contradictions : elle est
totalement en prise avec son époque – 1979 – comme son indépendance le prouve, mais
elle est aussi issue d’un temps où les moeurs étaient différentes. »
Ce sont ces valeurs plus traditionnelles qui donnent un véritable
ancrage à Dorothea mais qui la poussent aussi à s’interroger sur l’avenir –
surtout dans cet environnement où elle voit des jeunes femmes mener un style de
vie qu’elle n’aurait jamais envisagé à leur âge. « Abbie et Julie jouissent d’une
vraie liberté qui, à mon avis, n’échappe pas à Dorothea, reprend Annette
Bening. Elle se demande comment elle aurait évolué si elle avait connu le même
contexte culturel à son époque. Dans le même temps, elle a suffisamment
d’expérience pour savoir que la liberté a un coût et qu’il n’est pas forcément plus
facile d’être une jeune femme en 1979. C’est tout simplement différent de ce
qu’elle a elle-même vécu. »
À un moment donné de l’histoire, Dorothea est séduite –
pour un temps seulement – par William (Billy Crudup), son homme à tout faire,
ancien hippie plutôt taciturne. Annette Bening a instinctivement compris
l’attirance de son personnage pour William. « J’ai vraiment eu le sentiment que je connaissais William
et j’ai ressenti beaucoup d’affection à son égard avant même le tournage,
reconnaît l’actrice. Mais Billy l’a campé avec un tel naturel qu’il m’a semblé
encore plus irrésistible. » « Je crois que Dorothea est la première surprise
par ses sentiments vis-à-vis de William mais elle n’est pas prête à remettre en
question son indépendance pour s’engager davantage, reprend-elle. Je ne sais
pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais elle est comme ça. C’est
quelque chose dont on prend conscience en vieillissant : nous faisons tous de
notre mieux mais nous savons aussi quelle limite nous ne franchirons pas même
si cela nous coûte. J’ai aimé jouer un personnage qui en est conscient. S’il y
a bien une chose à laquelle Dorothea n’est pas prête à renoncer, c’est son indépendance
d’esprit. Elle ne fera aucune concession sur ce qu’elle considère comme son
intégrité».
Annette Bening a demandé à Mills de porter un bijou
ayant appartenu à sa mère : elle arbore ainsi un bracelet en argent tout au
long du film. « C’était un peu comme un
talisman, souligne le réalisateur. Je considère souvent le cinéma comme un tour
de magie et de spiritisme et je trouve donc que c’est une bonne idée de
convoquer les muses pour vous guider. » La
comédienne reconnaît que ce genre d’objet revêt une résonance mystérieuse. « Le plus important, c’est que
ça comptait beaucoup pour Mike, dit-elle. On sait tous qu’un objet totalement
banal aux yeux d’un tiers peut nous bouleverser personnellement. Les
accessoires qu’a utilisés Mike n’avaient rien de particulier en eux-mêmes mais
c’est la force qu’ils symbolisent qui compte vraiment. Grâce à eux, on plonge
de plain-pied dans l’histoire. »
ABBIE
« Il faut que je m’invente une histoire. »
Dorothea engage Abbie, à qui elle loue une chambre, pour
l’accompagner dans l’éducation de Jamie. D’une formidable créativité, cette
jeune femme a mené une véritable introspection et tente désormais de retrouver
sa place après avoir survécu à un cancer qui a entamé sa foi en l’avenir.
Comédienne, scénariste et réalisatrice surtout connue pour ses rôles dans GREENBERG,
FRANCES HA et MISTRESS AMERICA de Noah Baumbach, Greta Gerwig a été emballée
par le personnage d’Abbie.
« Au départ, c’était difficile
de m’imaginer qui pouvait camper le rôle, reconnaît Mills. Mais
j’ai ensuite pensé à Greta. Elle connaît le milieu artistique et elle a
elle-même quitté Sacramento pour tenter sa chance à New York dans le théâtre expérimental.
Mais elle a aussi été touchée par la mélancolie et la part d’ombre d’Abbie.
Elle était tellement en empathie avec elle qu’il lui arrivait de pleurer quand
on parlait du personnage tous les deux. Elle est drôle et vive tout comme Abbie
et elle réussit à exprimer des émotions profondément ancrées en elle. »
La comédienne s’est prise d’affection pour le personnage
dès sa lecture du scénario. «
J’ai ressenti une proximité immédiate avec elle, se souvient-elle. Je sais ce
que c’est d’être originaire de Californie et d’aspirer à frayer dans le milieu
artistique newyorkais. Avec son état d’esprit, son côté ténébreux et ses angoisses,
elle a l’impression qu’elle n’a pas vraiment sa place en Californie et c’est
pour cela qu’elle en est partie. Mais elle a dû y revenir et elle le vit
difficilement. »
Si Greta Gerwig est venue à New York pour le théâtre,
elle a apprécié de se plonger dans l’univers d’Abbie : le milieu de l’art et de
la photographie des années 70, de style délibérément réaliste. C’était la fin
d’une période où New York n’avait rien à voir avec ce que la ville est devenue
aujourd’hui : les loyers des lofts étaient encore abordables, la criminalité
était alarmante, et on assistait à un foisonnement de spectacles d’expression corporelle
très physiques, de photographies naturalistes, de tapisseries d’inspiration
féministe, de graffitis, de galeries d’art anticonformistes et d’oeuvres
écologiques. « C’était galvanisant d’explorer
cet univers à travers le regard d’Abbie, relate la comédienne. La danse, la
peinture, la musique, la photo et la ‘street culture’ se donnaient rendez-vous
à Soho à l’époque et c’était sans doute un spectacle fascinant pour Abbie. »
Greta Gerwig a étudié l’oeuvre de la photographe Cindy Sherman
dont les autoportraits où l’artiste se met elle-même en scène fustigent les
archétypes de la représentation de la femme dans la culture populaire du XXème
siècle. Elle s’est également intéressée à l’artiste féministe Barbara Kruger connue
pour juxtaposer ses photos de slogans provocateurs (« Votre corps est un champ
de bataille ») et à l’artiste punk Patti Smith qui, parmi d’autres, a exploré
l’image du corps de la femme et sa chosification. « C’était une époque où les femmes
photographes s’attachaient à leur propre représentation et à l’idée du regard,
ajoute la comédienne. Ce que je retiens de ces artistes, c’est un mélange de
sexualité, de force et de dureté, mais aussi la farouche volonté de faire en sorte
que tout cela vibre dans leur oeuvre de manière incandescente. »
Le réalisateur et la comédienne ont évoqué plusieurs
sources d’inspiration pour le rôle, à l’instar de la bassiste androgyne des
Talking Heads Tina Weymouth et de la chanteuse Debbie Harry, du groupe Blondie,
qui a donné une vision assez sombre de la pin-up. Greta Gerwig précise : « Ce qui était très attirant chez
ces filles punk, c’est qu’elles semblaient dire : «Je suis sexy mais ce n’est
pas pour vous». Elles n’étaient pas aguicheuses. Leur sensualité avait presque
un côté dangereux. Et je crois que ce style punk où les sentiments comptent davantage
que le talent résonne très fort chez Abbie. »
Pour s’approprier davantage encore le rôle, Greta Gerwig
s’est baladée avec un appareil photo des années 70 pendant des mois et s’est
astreinte à ne pas écouter de musique enregistrée après 1978. Puis, elle s’est
teint les cheveux avec la coloration temporaire Manic Panic sortie en 1977 qui
séduisait les premières femmes punk.
Aussi séduisante et fière soit-elle, Abbie se sent en
revanche profondément vulnérable : elle récupère en effet d’un cancer causé par
le Distilbène qui modifie son regard sur la sexualité et la maternité. Elle s’est
entretenue avec des femmes souffrant de cancer du col de l’utérus et a lu
plusieurs ouvrages sur des malades atteintes de tumeurs. « Ces femmes ont eu la générosité
de me raconter leur parcours, souligne la comédienne. Ce qui m’a notamment
frappée, c’est que le contexte n’était pas du tout le même en 1979 pour les malades
: il n’y avait pas de fondation en faveur des personnes atteintes de cancer, ni
de mouvements de fierté des survivants. On ne parlait pas de sa maladie en
public et c’était même mal vu. Le contexte a vraiment changé. »
Greta Gerwig s’est appropriée les contrastes qui
définissent Abbie. « Ce que j’adore chez elle,
c’est que son côté indomptable s’accommode très bien de son instinct maternel,
dit-elle. Ces deux pôles de sa personnalité ne sont pas exclusifs l’un de l’autre.
À ses yeux, Dorothea est une vraie femme indépendante qui a su créer son
univers avec ses règles qui lui sont propres. Abbie se sent totalement dans
l’impasse à son retour en Californie et je crois que Dorothea lui permet de
retrouver un sens à sa vie. »
Quand elle décide de séduire William, Abbie y trouve une
autre forme de réconfort, même s’il n’est que fugace. « Au départ, Abbie voudrait
emprunter un autre visage avec William parce qu’il lui est trop douloureux
d’être elle-même, remarque Greta Gerwig. Elle est très complexée. Mais William,
qui est très généreux, souhaite la prendre telle qu’elle est. Elle n’est pas vraiment
faite pour William mais leurs moments ensemble sont très beaux. »
JULIE
« Il ne s’agit même pas de bonheur. Il s’agit de force de caractère et de résistance aux autres émotions. »
Si Julie ne vit pas vraiment chez Dorothea, elle y est
malgré tout une pensionnaire « clandestine », se faufilant souvent par la
fenêtre pour se glisser en pleine nuit dans le lit de son meilleur ami Jamie.
Pour ce dernier, Julie correspond totalement à sa vision d’une âme soeur… même
s’il se désole qu’elle se dérobe à ses sentiments amoureux. Issue de la libération
sexuelle – dont elle connaît pourtant les limites –, elle est aussi la fille
d’un psychothérapeute. Autant dire qu’elle est habituée à sonder ses émotions,
mais elle a fini par s’en lasser.
« Grâce à Julie, j’ai pu
m’attacher à la différence entre un personnage qui a grandi dans un monde
habitué à la psychothérapie et une femme comme Dorothea qui est née à une
époque où il était normal de cacher ses sentiments, indique Mike Mills. Mais la
normalité et la maturité apparentes de Julie ne sont qu’un masque qui
dissimulent la personnalité d’un être pas comme les autres. »
Il a confié le rôle à Elle Fanning, 18 ans, à l’affiche
de NOUVEAU DÉPART de Cameron Crowe et MALÉFIQUE. Le réalisateur avait le
sentiment qu’elle était proche du personnage à plusieurs égards. « Elle est une jeune fille futée,
avec les pieds sur terre, et d’une grande maturité si bien qu’on sent qu’elle
se laisse guider par son intuition, reprend-il. Elle a un immense talent et
elle sait instinctivement comment être dans la sincérité sur un plan émotionnel,
ce qui est hallucinant pour une comédienne aussi jeune. Elle a une approche du
métier qui me fait penser à celle d’Annette, dans la mesure où elle est
parfaitement consciente de l’enjeu de la scène et, dans le même temps, elle
sait incarner totalement son personnage en oubliant la caméra. Sa manière de se
donner totalement dans chacune des scènes est d’une grande pureté. Pour autant,
même si Julie a pas mal de jugeote, Elle a très bien compris que le personnage
reste une ado. »
Elle Fanning a ressenti une proximité immédiate avec
Julie. « Elle a de multiples facettes,
dit-elle. Elle voudrait être une femme mais elle ne sait pas comment s’y
prendre et, dans le même temps, elle fait de son mieux pour le dissimuler. J’ai
l’impression qu’elle voudrait être perçue comme une sorte d’intello précoce – à
la Jodie Foster – et elle s’en rapproche à certains égards mais elle a un côté
canaille et peu sûre d’elle. Sans même parler du fait qu’elle est fumeuse
compulsive – sans l’avouer. Avec Mike, on a beaucoup évoqué les femmes qui nous
ont servi de sources d’inspiration mais notre objectif était d’aller au-delà de
l’apparence de ces filles particulièrement séduisantes. »
Habituée à la thérapie de groupe depuis son plus jeune
âge, Julie sait ce qu’on ressent quand on est dans une quête de bonheur qui
vous échappe ou quand on cherche à percer des secrets à jour. « Julie est très partagée parce
que, d’un côté, elle aime garder des choses secrètes comme tous les ados, mais
dans le même temps elle est accoutumée à tout raconter pour être analysée, note
la comédienne. Elle a réussi à inverser le processus en analysant les autres,
et notamment Jamie. Elle a été élevée dans l’idée qu’il était parfaitement normal
d’évoquer ouvertement les sentiments les plus intimes de ses interlocuteurs. »
La formidable capacité d’introspection de Julie ne lui
est guère utile s’agissant de sa sexualité naissante. Bien qu’elle vive à une
époque de libéralisation des moeurs, où le Sida n’existait pas, Julie ne sait
pas très bien comment s’y prendre. Elle a donc décidé de marquer une nette
séparation entre le physique, l’émotionnel, et l’excitation qu’elle ressent en
attirant les garçons. « À ses yeux, le sexe ne se
confond pas avec l’amour, souligne Elle Fanning. Elle ne sait pas bien ce
qu’est l’amour, mais elle en a une conception fantasmée qui, à mon avis, lui
permet de se protéger. Même si elle a beaucoup d’affection pour Jamie, elle ne
veut pas gâcher leur amitié en couchant avec lui. D’une certaine façon, elle a
peur de perdre leur amitié. »
La comédienne s’est plongée dans la culture de l’époque
pour se préparer au rôle. Elle évoque son « immersion » musicale : « Mike m’a fait écouter des
dizaines de morceaux de Fleetwood Mac, dit-elle.
C’était la musique de Julie. » Elle s’est aussi plongée dans le
livre préféré de son personnage, « Le chemin le moins fréquenté» » de Scott Peck, ouvrage de psychologie
emblématique de l’époque qui commence par les mots « la vie est difficile » et qui a poussé de nombreux jeunes
dans une quête d’épanouissement personnel. « Mike m’a demandé de le lire attentivement et de
repérer les passages susceptibles d’intéresser Julie. C’était un travail préparatoire
formidable. »
Julie utilise également un nouveau dispositif qui a
bouleversé la vie des femmes en 1979 : le tout nouveau test de grossesse à
effectuer chez soi. Bien qu’il ait commencé à être mis au point dans les années
60, il n’a été commercialisé aux États- Unis qu’à partir de 1977. La publicité
de l’époque promettait alors : «
Une petite révolution personnelle accessible à toutes les femmes. » Le réalisateur analyse : « Le test de grossesse à
pratiquer soi-même est une étape historique majeure. Le film évoque les
difficultés liées à la naissance. Abbie ne peut pas avoir d’enfant. La soeur de
Julie est née avec une infirmité motrice cérébrale et Julie a peur de tomber
enceinte. La reproduction est une problématique majeure dans le parcours des
femmes, que ce soit d’un point de vue historique, politique ou intime. »
Plus tard, Dorothea demande à Julie de jouer un rôle
maternel avec Jamie, ce qui l’enthousiasme. Elle Fanning était enchantée de
retrouver Annette Bening à qui elle avait donné la réplique dans GINGER &
ROSA de Sally Potter. « Ça m’a aidée d’avoir déjà
travaillé avec Annette, dit-elle, parce que Julie n’est pas du tout
impressionnée par Dorothea et, du coup, je ne l’étais pas avec Annette. Elle
vous pousse à donner le meilleur de vous-même et à
vous dépasser. Ce qui ne l’empêche pas d’être une femme merveilleuse et une comédienne
brillante. C’est la première fois que sur un tournage – en l’occurrence avec sa
scène d’anniversaire – je suis émue aux larmes. »
La comédienne appréhendait la séquence où Dorothea
tente, en voiture, de pousser la jeune fille dans ses retranchements et finit
en réalité par se retrouver elle-même sous le feu nourri de questions
personnelles sur sa vie amoureuse. «
Je savais que cette scène serait vraiment à part et, heureusement, on l’a
tournée vers la fin, avoue Elle Fanning. Du coup, je me sentais vraiment à
l’aise. Annette a une grande force de caractère et Julie n’a pas peur de
Dorothea et c’est l’occasion pour elle de l’affronter en face-à-face. »
Annette Bening ajoute : « Elle est une jeune femme exceptionnelle
mais ce qui m’a plu, c’est que le personnage qu’elle a créé ne lui ressemble
pas totalement. Julie est une dure à cuire mais elle se révèle bouleversante
parce qu’elle est vraiment en quête de quelque chose. Je la trouve provocatrice,
drôle et touchante. J’ai aussi le sentiment que leur type de relation est
inédit au cinéma. Elles sont toutes les deux susceptibles mais elles s’admirent
mutuellement et se méfient l’une de l’autre. »
Elle Fanning a noué un vrai lien avec Greta Gerwig : « On était très proches pendant
le tournage, affirme-t-elle. C’est un être humain fascinant – créatif et cool –
et ça tombait très bien parce que c’est exactement ce que ressent Julie à
l’égard d’Abbie. »
Si Julie voit très peu William, la jeune comédienne a
malgré tout ressenti une proximité avec lui qui se passait de mots. « Il incarne une version
masculine plus âgée de Julie, explique Elle Fanning. Tout comme elle, il ne
comprend pas grand chose à l’amour et ce sont tous les deux des âmes en peine. Billy
a été formidable et m’a inspirée. »
La
jeune actrice a été séduite par la direction d’acteur de Mike Mills qui procède
par étapes. «
Il organisait des mini-séances de travail entre moi et Lucas, moi et Greta, moi
et Annette, dit-elle. C’était un travail psychologique avant tout et nous
devions nous raconter ce que nous faisions quand on était gamins, ce qui nous a
considérablement rapprochés. Je me sentais totalement en confiance avec Mike
pour raconter des détails personnels, sans doute en partie parce qu’il me
confiait aussi des choses personnelles et qu’on avait le sentiment d’être deux potes
qui discutaient. Il n’a pas oublié l’ado qu’il a été, il a gardé intact sa
capacité d’enthousiasme et il tenait à ce que ce film soit une déclaration
d’amour à sa mère. Je pense qu’on peut entendre les battements de son cœur dans
ce film. »
WILLIAM
« Je me dis toujours que cette nouvelle relation va avoir plus d’importance qu’elle n’en a en réalité, mais ce n’est pas le cas. Et je me dis alors que la prochaine comptera davantage, ou encore celle d’après. »
Le seul personnage adulte masculin du film est William :
homme à tout faire, il rénove la maison de Dorothea dont il devient une figure
familière. Si Dorothea le considère tout d’abord comme un père de substitution
pour Jamie, celui-ci n’a guère d’affinités à son égard. En revanche, les femmes
projettent leurs désirs sur lui.
Pour Mike Mills, William s’inspire très précisément des anciens
hippies qui tentaient difficilement de retrouver une place à l’aube des années
80. « William fait partie de ces hommes
attirés par la contre-culture des années 60 mais qui se sont rendu compte que
cela ne leur suffisait pas pour construire leur vie et vers la fin des années
70, il a perdu ses repères, note le réalisateur. C’est une époque où les hommes
n’étaient plus sûr d’eux. Il n’y avait plus de Bogart en 79. Même Carter est le
président le plus introverti et le plus vulnérable des États-Unis. »
Billy Crudup, à l’affiche de SPOTLIGHT et de PRESQUE
CÉLÈBRE de Cameron Crowe, campe ce personnage à la fois drôle et tendre. « Tous les comédiens ne seraient
pas à l’aise dans les situations où se trouve William, mais Billy est l’un des
rares qui n’a peur de rien, s’enthousiasme Mills. Il fait de William un homme
doux et gentil, un peu perdu et qui a du mal à s’exprimer. Billy bégaie un peu
et s’interrompt quand il parle, accréditant l’idée d’un homme taiseux sur
lequel tout le monde projette des choses. En outre, il avance lentement comme
s’il était dans le brouillard. Il est passif mais il sert d’aiguillon à tous
les occupants de la maison. »
L’acteur a travaillé les nuances du personnage : « Mike avait pas mal d’idées sur
William mais nous avons réfléchi ensemble pour l’ancrer dans la réalité,
indique Crudup. Il m’a raconté qu’il y avait toujours un type chez sa mère, qui
était soit homme à tout faire, soit ouvrier du bâtiment, mais dans le film
William est celui que choisit Dorothea comme figure masculine pour Jamie. Elle
n’a qu’un seul but : permettre à son fils de traverser une période difficile de
sa vie qui est aussi une période difficile pour les États-Unis. »
Symbole d’une masculinité en pleine mutation, William
n’était pas un personnage simple à camper avec réalisme. « William est censé être un
symbole et ce n’est jamais facile à jouer, note Crudup. Il fallait donc qu’on
ait des détails précis sur lui pour en faire un personnage concret et avec Mike
on a passé pas mal de temps à définir son passé. On s’est longuement demandé
pourquoi ce type aime se compliquer la vie avec toutes ces femmes mystérieuses,
élégantes et complexes autour de lui. »
Au moment du tournage, Crudup était encore plus emballé
par le rôle. « Je ne voulais plus m’arrêter
de jouer le personnage, ce qui n’est pas toujours le cas, avoue-t-il. Parfois, même quand on adore un
personnage, il peut s’avérer lassant à la longue mais pas William. Je pense que
c’est parce qu’il appartient totalement à son époque et qu’il est paumé. Du
coup, chaque journée de tournage réservait son lot de surprises. J’étais également
très intrigué par la souffrance que dissimule sa douceur et par son manque
d’ambition. Il n’a plus d’ambition au sens classique du terme mais il n’a pas
baissé les bras. Il tente toujours d’aimer et d’être aimé et c’est ce qui est
très touchant chez lui. »
Le mélange de placidité et de compassion ajoute au
charme du personnage. « Derrière son visage avenant se
cache un homme en souffrance qui attend qu’on vienne l’aider à construire son identité,
reprend-il. Mais dans le même temps, il est ouvert à toutes les situations qui
se présentent. Il est prêt à pousser la porte de toutes les chambres de la
maison, sous n’importe quel prétexte, pour voir ce qui peut arriver. »
À commencer par la chambre de Dorothea. « Il trouve son mélange de
fragilité et de force galvanisant, commente Crudup. C’est une femme qui
n’hésite pas à mettre les mains dans le cambouis et à réparer des choses – et
c’est un point très positif à ses yeux. C’est aussi la seule femme qui l’a reconnu
pour ce qu’il est. »
Crudup remarque que le climat régnant dans le pays fait
écho à sa quête d’identité : «
Mike a vraiment choisi l’époque la plus marquante pour explorer l’état
d’esprit, sexuel et personnel, qui domine chez Dorothea, dit-il.»La crise
d’identité de la nation à la fin des années 70 a façonné la culture ambiante.
Ça a plongé beaucoup de gens dans la dépression. »
Avec Abbie, elle-même en pleine dépression, William joue
un rôle de catalyseur : en étant le premier homme à coucher avec la jeune femme
depuis son cancer, il se met en danger sur un plan intime. « Abbie s’imagine qu’il est le
type idéal pour la ramener dans le monde des vivants, souligne Crudup. Il se prend
alors au jeu, sans se soucier des raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas
former un couple. »
Crudup a beaucoup apprécié de pouvoir travailler avec
ses mains, comme s’il s’agissait pour William d’un refuge dans un monde de plus
en plus envahi par la technologie. «
Je n’ai jamais été très fort en mécanique si bien que j’ai passé quelques jours
à me renseigner sur les moteurs de voitures, et j’ai ensuite travaillé avec des
menuisiers et un céramiste, explique l’acteur. C’était comme un apprentissage
en accéléré et j’adore ça sur les tournages. »
JAMIE
« Veuillez excuser l’absence de Jamie en cours ce matin : il a travaillé comme bénévole pour les sandinistes. »
Le film adopte le point de vue de Jamie, permettant au spectateur
de porter sur ce monde un regard propre à l’adolescence – ce moment de
l’existence où, plus qu’à tout autre âge, on exprime davantage ses émotions, on
est plus en proie au doute et on aime la vie passionnément. Comme beaucoup de
garçons de son âge, Jamie est en quête d’identité – mais il est sans doute l’un
des seuls à être guidé par des femmes de générations et de parcours différents,
à commencer par sa mère qu’il adore mais qu’il ne comprend pas du tout. Mike
Mills a confié au débutant Lucas Jade Zumann un rôle qui fait écho à sa propre
jeunesse. Pour autant, le réalisateur ne voulait pas d’un acteur qui lui
ressemble. « Ce n’est pas ma propre
personne qui m’intéresse, confie-t-il.
Du coup, j’aime bien le fait que
Lucas ne me ressemble pas du tout. En revanche, il se retrouve dans ma
situation à l’époque – moi qui étais skateur, punk et entouré de toutes ces
femmes – d’une manière différente de la mienne. Lucas est étonnamment réfléchi
pour un ado de 14 ans, et du coup il est parfaitement crédible en jeune homme
extrêmement observateur, qui a vraiment envie de connaître ces femmes gravitant
autour de lui. Il campe Jamie en ne faisant de lui ni un macho, ni un intello
constamment fourré dans ses livres, ni un garçon souffrant de mal-être. »
Zumann a lui-même été fasciné par le contexte du film. « Jamie est à un moment de sa
vie où il cherche à devenir un homme mais sans figure masculine à laquelle
s’identifier, dit-il. Au contraire, il vit dans une
maison entouré de femmes qui tentent de lui donner des repères et c’est à
partir de là qu’il doit affirmer sa masculinité. »
Bien que sa vie n’ait rien à voir avec celle de Jamie et
que Zumann n’ait jamais été punk et ne s’intéresse pas à la littérature
féministe, il a été immédiatement sensible à la quête d’identité de son
personnage. « Ce qui est formidable dans
l’écriture de Mike, c’est qu’elle nous touche de manière intime et qu’on
s’attache au moindre personnage »,
dit-il. Cependant, le jeune acteur tenait à s’inspirer de Mills : « Quand il s’adressait aux
acteurs, j’écoutais ce qu’il disait mais dans le même temps je l’observais et
prenais des notes, plaisante-t- il. J’espère sincèrement qu’on
retrouve un peu de Mike à travers Jamie. Bien sûr, il ne lui ressemble pas – et
nous avons d’ailleurs évoqué leurs différences – mais je voulais faire de mon
mieux pour camper ce merveilleux artiste quand il était jeune. »
S’il
y a bien un point commun entre Zumann et Jamie, c’est leur passion pour le
skate-board. Le comédien a ainsi bien compris pourquoi il s’agit du moyen de
s’évader privilégié du garçon. « Au cours des répétitions,
Greta – à la demande de Mike – m’a interrogé sur mon goût pour le skateboard et
je me souviens de lui avoir répondu : «J’ai l’impression d’être dans une petite
bulle quand je me déplace sur cette planche de bois – je passe à côté de tous
ces gens sans les juger», se remémore-t-il. Je pense que c’est aussi mon
cas. »
Pour plonger Zumann dans une époque qu’il n’a évidemment
pas connue, Mills lui a envoyé une énorme boîte remplie d’objets emblématiques
des années 70. « J’ai passé une semaine à lire
«The Cultural Dictionary of Punk» tout en regardant des documentaires et des
clips punk de ces annéeslà », indique-t-il.
Il s’est aussi entretenu avec sa
grand-mère, elle-même adolescente dans les années 70. « C’était formidable de
discuter avec quelqu’un qui a connu cette époque et qui a pu m’en parler
concrètement. »
Le plus difficile restait à trouver l’équilibre dans la
relation à la fois affectueuse et difficile avec Annette Bening. Mais Zumann a
été surpris dans le bon sens : «
Je me souviens qu’en voyant les noms de mes partenaires, j’ai été impressionné
et me suis demandé comment être à la hauteur, reconnaît-il. Mais le courant est
immédiatement passé entre Annette et moi et on a instinctivement senti qu’on
était mère et fils. Elle m’a tout de suite appelé «petit» et je l’ai appelée
«madame». Chose amusante : j’avais plus de rapports maternels avec Annette que
n’en a Jamie dans l’histoire, mais c’est tout l’enjeu du film et on a réussi à
trouver des moments de proximité qui consolident les liens entre Jamie et
Dorothea. »
« Lucas est un garçon charmant
et j’ai été ravie qu’on ait pu avoir une relation aussi franche et surprenante,
confie Annette Bening. Ce n’est pas un ado comme les autres et c’est ce qui explique
que Mike l’ait engagé pour le rôle de Jamie. J’ai beaucoup appris à son contact
parce qu’il a encore cette pureté dans son jeu d’acteur que nous essayons tous
de conserver… » Zumann a longuement réfléchi aux
attentes de Jamie vis-à-vis de sa mère, même si elles ne seront jamais
satisfaites. Il était particulièrement conscient de leur profond écart
générationnel. « Comme tous les jeunes, il
aspire à une relation forte avec sa mère, dans laquelle il ne se sente pas mal
à l’aise, mais ils ont du mal à y parvenir. Ils ont grandi dans des mondes et à
des époques extrêmement différents. Par moments, on dirait qu’ils ne parlent
pas la même langue. Mais ce que je trouve formidable, c’est que si certains
spectateurs s’identifieront à Dorothea, et d’autres à Jamie, Mike apporte un
éclairage intelligent sur ces deux générations. » Il a également été sensible à la
relation entre Jamie et Julie qui n’a rien d’une banale histoire d’amour
adolescente – même si le garçon aimerait qu’il en soit autrement. « J’ai le sentiment que Jamie considère
Julie comme beaucoup plus mûre que lui, et il lui envie cette qualité, analyse le comédien. Le plus drôle, c’est que
l’objectif de Dorothea, c’est qu’il apprenne au contact de la jeune fille – et
c’est ce qui se passe ! Elle lui en apprend énormément sur les femmes et sur
lui. Pour autant, elle n’est pas encore adulte, aussi mûre qu’elle paraisse, et
Elle a formidablement joué ce contraste. »
Les plus belles scènes tournées par Zumann se passent de
dialogue et sont merveilleusement cinématographiques. En témoignent les séquences
où il danse avec Abbie comme si personne ne les observait. Un souvenir
mémorable pour le jeune acteur : «
Mike a eu l’excellente idée de ne jamais me laisser regarder le combo, dit-il,
amusé. Il était conscient qu’il ne fallait surtout pas que je me sente gêné,
même si ce n’était pas vraiment possible. J’ai essayé de puiser dans mes souvenirs
d’enfance : je me souviens par exemple que j’écoutais du Billy Idol pendant que
je dansais dans ma chambre et que je jouais de la guitare. Je me souviens de m’être
senti libre et seul au monde, comme si plus rien d’autre n’avait d’importance.
»
Au bout du compte, Zumann explique que son univers a
basculé pendant le tournage, mais de manière subtile et intime. Il confie : « Je crois que ce film m’a
permis de grandir, de réfléchir sur moi-même et sur la vie – et j’espère qu’il
en sera de même pour les jeunes de mon âge : ils se sentiront peut-être moins seuls
et s’accepteront peut-être davantage comme ils sont… »
LA SCÈNE PUNK
« Ils ne se rendent pas compte que c’est la fin du punk. Ils ne se rendent pas compte que Reagan s’apprête à être élu, avant Bush et Clinton… C’est impossible, à cette époque, d’envisager que la séropositivité et le Sida vont bientôt déferler, comme il est impossible d’imaginer le micro-ordinateur, les figures acrobatiques au skate-board, l’Internet… »
En 1979, la culture du punk-rock – considérée par
certains aussi bien comme un état d’esprit que comme une forme d’art, de
musique, de littérature et de mode vestimentaire anarchique et formidablement
expressive – sortait enfin de la clandestinité pour toucher les banlieues
américaines. Alors que le monde se préparait à des bouleversements majeurs, la
musique populaire connaissait sa première grande révolution depuis l’avènement
du rock’n’roll.
Si
ses origines sont sujettes à caution, le punk s’est imposé comme un courant
culturel « underground » florissant au milieu des années 70 dans les clubs les
plus radicaux de New York et les quartiers déshérités de Londres. En effet, les
jeunes qui avaient perdu leurs illusions exprimaient ainsi leur lassitude et
leur frustration à l’égard de la contre-culture des années 60 : mettant en
pièces les emblèmes de la génération précédente, ils remplaçaient les
injonctions au « peace and love » par des accès de rage, une apologie du chaos
et la revendication d’une « absence de perspectives d’avenir ». Radicalement
hostile au consumérisme érigé en mode de vie et préférant la vitalité à la
virtuosité, le punk est devenu un pôle de stabilité pour beaucoup de jeunes et
notamment pour les marginaux partout dans le monde. Ce courant culturel
favorise la débrouille, exalte l’altérité et se teinte parfois d’engagement politique.
En Californie, le punk trouve sa propre expression, s’épanouissant à Los
Angeles et dans l’Orange County. Alors qu’émergent le « hardcore » et le « surf
punk », à l’instar de l’emblématique Black Flag en 1979, des rivalités divisent
les partisans de groupes plus sophistiqués et ceux qui, à l’inverse, sont
séduits par ces nouveaux venus plus agressifs.
Pour Mike Mills, qui a grandi dans la petite ville bien
sage de Santa Barbara, la découverte du punk a été à la fois une révélation et
un moyen psychédélique d’exprimer ses émotions. « Pour moi, l’énergie du punk
était euphorisante, dit-il. J’avais le sentiment de me précipiter vers la
liberté les yeux fermés. Je me souviens que, du jour au lendemain, j’ai abandonné
Elton John pour les Clash ! L’art ne m’avait pas procuré beaucoup d’émotions
avant que je ne découvre ce courant musical. Je voulais que cette énergie et
cet élan vital soient au cœur du film. »
Le réalisateur se souvient aussi des oppositions entre
fans de différents groupes qui ont marqué la culture punk californienne. « On m’a traité de snob », se rappelle-t-il. Tout comme Jamie, qualifié ainsi
parce qu’il aime le groupe exigeant et haut de gamme Talking Heads. « On m’a
balancé ça au visage parce que j’appréciais les Talking Heads, Bauhaus et Joy
Division. C’était une époque où on pouvait en venir aux mains si on disait haut
et fort qu’on aimait tel ou tel groupe. »
Ce phénomène est incompréhensible pour Dorothea pour qui
la musique est romantique et source de sérénité. En revanche, Abbie se sert de
la musique comme moyen d’apprentissage pour Jamie : elle lui fait découvrir les
aspects plus secrets et féminins du punk à travers les groupes anglais
entièrement composés de femmes The Raincoats, et Siouxsie and the Banshees qui
façonnaient un courant culturel à part entière.
L’esthétique du film s’inspire de la passion du punk
pour le collage – pour cette propension à déchirer, puis à réunir des éléments
de notre quotidien pour créer une composition pleine de connotations et de sens
cachés. Mills a parcouru les archives photographiques de l’époque pour les
photos documentaires qu’on aperçoit dans le film, de Joe Strummer au grand
artiste punk de Los Angeles Darby Crash. «
La musique est un personnage à part entière dans 20TH CENTURY WOMEN et on y
entend toutes sortes de registres musicaux, observe le réalisateur. Mais à mes
yeux, il s’agit avant tout d’un film punk, à la fois dans sa narration et ses
contradictions humaines. »
LE DISCOURS DU « MALAISE »
« L’identité de l’homme ne se définit plus par ses actes mais par ses possessions matérielles. Pourtant, nous nous sommes rendu compte que la propriété et la consommation ne satisfont pas notre quête de sens. »Jimmy Carter
À mi-chemin du film, les personnages s’adonnent à un
rite typique de la fin du XXème siècle : ils se réunissent devant la télévision
pour écouter le discours de Jimmy Carter. Cette allocution – surnommée par la
suite « discours du malaise » ou « discours de la crise de confiance » – a été
prononcée le 15 juillet 1979, vers la fin du mandat chaotique de Carter. Témoignant
d’une candeur sans précédent pour un président – choquante aux yeux de nombreux
observateurs –, Carter regrette que son pays soit autant focalisé sur ses «
plaisirs immédiats et son obsession du consumérisme», se livre à son autocritique
et indique qu’il s’inquiète du fait que, face à la crise, la nation a perdu « toute
communauté de vues ». Grâce à ce discours, sa cote de popularité grimpe mais
quelques jours plus tard, il exige la démission de la plupart des membres de
son gouvernement : les Américains sentent que sa présidence est en pleine
déliquescence.
Pour
Mike Mills, le discours du malaise était un moment opportun pour que les
pensionnaires de la maison de Dorothea se rapprochent. « Cette allocution semblait
refléter une crise d’angoisse palpable dans le pays – le sentiment que la vie
ne pouvait plus continuer comme avant. Et elle intervient au moment où Dorothea
et Jamie se sentent au bout du rouleau, remarque-t-il. Ce qui m’a plu, c’est de pouvoir
esquisser la réalité affective de mes personnages sur une toile de fond historique.
Ce que j’aime également dans ce discours, c’est qu’il serait quasi
inenvisageable aujourd’hui mais qu’il est précurseur à de très nombreux égards
de ce qui s’est passé par la suite. Il n’y a qu’à cette époque que les discours
politiques pouvaient être aussi visionnaires. »
SANTA BARBARA
« Quitte cette ville sinon tu finiras comme vendeur de lunettes de soleil. »
Tous les éléments de 20TH CENTURY WOMEN – la culture
punk, la culture du skate-board, la contre-culture sur le déclin, le mélange de
classicisme et de mode de vie bohème de Dorothea et l’atmosphère de liberté qui
règne à Santa Barbara et dans la vieille maison défraîchie de la protagoniste –
se retrouvent dans le style visuel du film.
Le réalisateur souligne que Santa Barbara n’était pas la
même en 1979. Il s’agissait déjà d’une station balnéaire relativement cossue à
la météo toujours clémente, mais pas encore de la ville très chic qu’elle est
devenue aujourd’hui. « Quand j’étais gamin à Santa
Barbara, le mot «Yuppie» n’existait pas et les gens n’affichaient pas leur
réussite matérielle de la même façon, dit-il. Oprah n’habitait pas là. C’était
une petite ville tranquille et sans grand intérêt, faisant surtout penser à
GREY GARDENS. Il y avait des familles installées là depuis longtemps qui
n’avaient presque plus d’argent, beaucoup de maisons délabrées et de bâtiments
en piteux état. C’est un lieu qui fait écho à l’intrigue du film. À Santa
Barbara, les gens de la classe moyenne se mélangeaient aux plus fortunés, alors
qu’aujourd’hui, les habitants sont soit extrêmement riches, soit très pauvres.
»
Mills a travaillé en étroite collaboration avec son
équipe – le chef-opérateur Sean Porter (KUMIKO, THE TREASURE HUNTER, GREEN
ROOM), le chef-décorateur Chris Jones (HENRY’S CRIME), la chef-costumière
Jennifer Johnson (BEGINNERS) et la chef-monteuse citée à l’Oscar Leslie Jones
(RULES DON’T APPLY, THE MASTER, LA LIGNE ROUGE) – pour mettre au point un
climat vivant, donnant le sentiment que le spectateur débarque directement dans
la vie des personnages en pleine tourmente.
Cherchant
à imprimer au film un rythme et une énergie punk – tout en apportant un soin
particulier à la composition des plans –, Mills a fait part à Sean Porter de
son intention de multiplier les mouvements d’appareil. Il note : « On a disposé des rails un peu
partout dans la maison afin que la caméra puisse se déplacer dans toutes les
directions et on a tourné des séquences d’une grande complexité. » Pour lui, le mouvement n’est pas
seulement physique, mais métaphysique. « J’aime les films qui sont
structurés tout en réservant des effets de surprise et ce qui me plaît, ce sont
les contrastes, en passant rapidement d’une scène drôle à une scène triste,
d’un moment où les comédiens sont statiques à un autre, plus inattendu », reprend-il.
Porter et Mills ont aussi choisi de tourner en Scope et
d’utiliser le maximum de lumière naturelle. « J’aime le rendu des éclairages naturels au cinéma,
constate le réalisateur. Je trouve qu’ils mettent en place un espace crédible
et qu’ils ont une incidence sur la vraisemblance du jeu des acteurs. Cela fait
vraiment partie de l’esprit même du film. »
Le chef-décorateur a déniché la maison de Dorothea – personnage
à part entière – dans le quartier de West Adams de Los Angeles car c’est là un
genre d’architecture qui n’existe presque plus à Santa Barbara. Mills
souhaitait trouver une propriété patricienne mais désormais délabrée et en
pleine rénovation. « On a beaucoup parlé de la
maison, qu’il s’agisse de sa taille, du sentiment qu’elle menace de s’effondrer
sur ses occupants et de son réalisme, précise Jones. Mais le plus important,
c’est qu’on se dise que cette maison recèle des trésors – rien qu’à voir toutes
ces fissures et tous ces défauts, on sent qu’il s’agit d’un lieu chaleureux et
chargé d’histoire. Quand on a trouvé la maison, on a fait en sorte de donner à chaque
chambre le style de son occupant. »
Un mot revient régulièrement sur les lèvres de Jones en
parlant des décors : la sédimentation. C’est ce qui donne à la maison de
Dorothea son atmosphère accueillante : elle réunit plusieurs « couches »
d’objets de chacun de ses pensionnaires, traduisant leurs obsessions les plus
intimes. Il s’agissait aussi de ponctuer la maison d’objets issus de la propre histoire
de Mills – et de certains accessoires aperçus dans BEGINNERS : « Il y a le couvre-lit de mes
parents dans la chambre de Dorothea, leurs chaises et quelques-uns de leurs tableaux,
note Mills. Ce sont des notations discrètes mais qui imprègnent la maison d’une
touche de cette inexplicable magie propre aux origines. »
Pour le chef-décorateur, cette démarche était à la fois
une aubaine et un défi. «
Comme ce film puise dans l’intimité de Mike, la vraie difficulté consistait à
comprendre ce qu’il a en tête et le concrétiser, sans me contenter d’une simple
évocation de ses souvenirs. Bien entendu, il faut aussi se rappeler que Mike
est aussi graphiste. Il est obsédé par les couleurs et par l’évolution de
certains objets en symboles – c’est aussi l’un des thèmes du film. »
S’est également posée la question de savoir comment
aborder une époque qui a souvent donné lieu à un traitement kitsch au cinéma.
Mills souhaitait une approche plus frontale et propre à ses personnages. « Je ne voulais pas qu’ils aient
l’air d’être des caricatures des seventies, affirme le réalisateur. J’ai
privilégié des décors sobres tout en étant caractéristiques de l’époque. Beaucoup
d’objets qu’on voit dans la maison datent d’avant les années 70 puisqu’ils
remontent à la jeunesse de Dorothea. » « Le style du film n’est pas
immédiatement identifiable à l’époque car il s’agit moins d’évoquer les
seventies que le point de vue personnel de Mike sur cette décennie, relève le chef-décorateur. On a pas mal travaillé ensemble.
Avec notre décorateur de plateau, on proposait à Mike des objets issus de magasins
d’accessoires et de catalogues, et il en refusait davantage qu’il n’en
acceptait, mais ce n’était pas un problème pour nous parce qu’au fil du temps,
on a réussi à comprendre ce qu’il voulait et à resserrer nos propositions. » On découvre l’aménagement de la
maison quand Julie y débarque pour la première fois. « C’était très intelligent de la
part de Mike et Sean Porter de montrer Julie en train de déambuler à travers la
maison car c’est un moyen d’esquisser la cartographie du film, souligne Jones.
Ce qui nous a séduit dans cette propriété, c’est qu’on peut voir une pièce à
partir d’une autre et on a renforcé ce dispositif avec nos choix de matières et
de plantes. »
Lui-même affichiste, Mills était particulièrement
intéressé par les œuvres ornant les murs de la maison et d’autres décors. Sur
le lieu de travail de Julie, on découvre des affiches de Maxfield Parrish, dont
les lithographies aux couleurs vives étaient prisées des Américains tout au
long du XXème siècle. On aperçoit aussi des affiches de style Art
Nouveau d’Alphonse Mucha, ou encore des lithographies inspirées de Marimekko. « Elles évoquent une époque
antérieure à l’avènement du numérique et de l’Internet », précise Mills.
Pour la chambre de Dorothea, Jones a privilégié des
objets des années 60 et du début des années 70 et des teintes douces dans les
gris. Pour reconstituer le bureau d’architecte où elle travaillait comme
dessinatrice industrielle, Jones a investi un vieil hôpital, aménageant les
pièces au style ultra-minimaliste de tables à dessins d’une autre époque.
Les chambres d’Abbie et de Jamie sont aux antipodes de
ces décors. «1979 était une année de
changements majeurs, mais je pense aussi qu’elle marque un tournant dans la
mesure où les gens des générations précédentes étaient obligés de voir le monde
dans lequel vivaient leurs enfants d’un autre oeil. Pour eux, c’était un coup
difficile à encaisser, souligne
Jones. Par conséquent, surtout dans la
chambre d’Abbie, on remarque pas mal d’influences punk, entre ces vermillons tendance,
ces bleus sarcelle et ces couleurs qui font déjà très années 80. » En outre, Jones a créé les photos
censées avoir été prises par Abbie au cours de ses expériences artistiques. « On a passé tout un après-midi
à photographier des objets dans le style d’Abbie », ajoute Jones, amusé.
La chambre de Jamie est plus vide – et pas seulement
parce qu’il appartient, comme l’a surnommée la chanson de punk rock de Richard
Hell and the Voidoids, à la « génération vide ». Le chef-décorateur s’explique
: « Jamie apprécie l’esthétique punk
très dépouillée, mais il ne peut pas non plus s’investir outre-mesure dans la
déco de sa chambre car tout évolue constamment dans cette maison et qu’il ne
sait jamais quel projet de rénovation sa mère va avoir. Du coup, il se contente
d’un matelas à même le sol, qui fait écho à l’idée qu’il est très influençable
et qu’il se cherche encore. Je trouve que c’est propre aux chambres de garçons.
Les filles sont plus mûres et ont un point de vue plus arrêté sur leurs centres
d’intérêt. Mais les garçons restent dans cet état de vacuité jusqu’à ce qu’ils soient
bousculés par un phénomène dynamique et galvanisant comme le punk… ou par
l’arrivée d’une fille dans leur vie ! »
C’est d’ailleurs Julie qui introduit la couleur dans la
chambre de Jamie, à travers les créations de la chef-costumière Jennifer Johnson.
« Dès que Julie apparaît, elle
porte des couleurs extrêmement audacieuses et acidulées, souligne Jones. Elle insuffle à la chambre de
Jamie un tout autre regard sur la vie. » Jones a été particulièrement sensible à la création du
club punk de Santa Barbara, ayant lui-même été initié à la culture punk à un
très jeune âge. « Dans les années 80, j’ai été
nourri à la musique post-punk et j’ai moi-même découvert ce style alors que
j’habitais une petite ville – on pensait moins à faire la révolution qu’à
apprendre à réfléchir sur le monde d’une autre façon, indique Jones. En 1979, les clubs punk se trouvaient
surtout dans des caves et des bars miteux et on a dégoté un bar formidable pour
le club de Santa Barbara qui avait déjà les couleurs qu’on voulait. Mike y a
ajouté des portraits de poètes français comme Rimbaud et Baudelaire, et j’y ai
moi-même fixé un néon rouge vermillon pour être dans une cohérence chromatique
et donner un véritable éclat au lieu. »
LES LIVRES
« Voilà quelques livres de mon cours sur le féminisme. Je me suis dit qu’ils pourraient t’intéresser. »
Quand les pensionnaires de la maison de Dorothea
n’écoutent pas de musique, il leur arrive fréquemment de lire – d’authentiques
ouvrages de papier imprimé, écornés et soulignés. En 1979, personne n’aurait pu
se douter que le livre, comme d’autres objets de l’époque, deviendrait en
l’espace de quelques décennies une espèce en voie de disparition, menacée par
l’avènement de l’électronique. Mais à l’époque où Mike Mills était enfant, on
trouvait son identité ou on cherchait sa voie grâce à la lecture et le
réalisateur a soigneusement choisi les livres aperçus – et cités – dans le
film.
Dorothea lit « Les garennes de Watership Down » de
Richard Adam, roman de 1972 devenu culte autour d’une bande de lapins tentant
d’échapper aux hommes pour reconquérir leur liberté, ou encore « Le choc du
futur » (1970) d’Alvin Toffler, affirmant que la société américaine connaissait
une mutation structurelle majeure en s’orientant vers le « super-industrialisme
» qui plongerait la population dans un état de stress, d’absence de repères et
de solitude.
Bibliophile, Julie lit « Pour toujours» » (1975) de Judy
Blume, roman sur la sexualité adolescente, « Le fléau » (1978), thriller apocalyptique
de Stephen King, et « Le chemin le moins fréquenté », best-seller de
psychologie de Scott Peck. Dans le film, elle cite les conseils de Peck : « De toutes les idées fausses sur
l’amour, la plus forte et la plus répandue est celle selon laquelle l’amour revient
à tomber amoureux. » De son côté, Abbie lit « Sur la
photographie » (1977) de la philosophe féministe Susan Sontag, recueil d’essais
sur l’impact de l’image photographique sur la société. Elle y écrit de manière visionnaire
: « L’omniprésence d’appareils
photo suggère avec force que le temps est constitué d’événements intéressants
qui méritent d’être photographiés. »
Jamie trouve des réponses à ses questions dans les
ouvrages sur le féminisme que lui prête Abbie. Il s’intéresse ainsi à « Our Bodies,
Ourselves» », publié pour la première fois en 1971 par le collectif de Boston
Women’s Health Book, appelé à devenir l’ouvrage de référence sur la sexualité
féminine. Il découvre aussi « Sisterhood Is Powerful: An Anthology of Writings
From The Women’s Liberation Movement », compilé par Robin Morgan en 1970, qui
s’est imposé comme le manifeste passionné de toute une génération. C’est à
partir de ce recueil que Jamie cite l’essai fondateur « The Politics of Orgasm
» de Susan Lydon (d’abord paru dans le magazine radical Ramparts), chroniqueuse
à Rolling Stone, à Dorothea. Il espère en effet qu’avec cette référence sa mère
pourra enfin s’ouvrir à lui, mais elle se contente de détourner le regard.
LA COMMUNAUTÉ DE 20TH CENTURY WOMEN
« C’est là que ça devient vraiment difficile. Et puis, ça s’améliore et ça redevient difficile. »
Pour mettre au point l’atmosphère d’une étonnante
authenticité du film, Mike Mills a poussé ses acteurs dans leurs ultimes retranchements.
Si son style dégage une sensibilité postmoderne, le cinéaste apprécie la
dimension « artisanale » de la mise en scène, tout particulièrement pour ce
projet qui s’inspire de l’esthétique punk adepte de la débrouillardise. Le réalisateur
aime tourner dans la continuité chronologique et organiser de traditionnelles
séances de répétitions intensives. Il jette ainsi les bases d’un récit intime à
partir de relations éphémères – entre comédiens et entre leur vie personnelle
et les thèmes du film – avant de tourner. Il a donc réuni les acteurs deux
semaines avant le début du tournage et leur a proposé des jeux et des exercices
et les a soumis à des entretiens. «
J’aime mettre en place une ambiance de travail très riche», dit-il.
Le cinéaste a brisé la glace entre les comédiens en
restant cohérent par rapport à l’intrigue : il a organisé des déplacements à
Santa Barbara et des soirées dansantes où chaque interprète était invité à
apporter une musique en lien avec son personnage. Annette Bening est venue avec
des standards des années 30 et 40 ; Greta Gerwig avec des morceaux des Talking
Heads et de David Bowie ; Billy Crudup avec des chansons folk ; Elle Fanning
avec du Fleetwood Mac ; et Lucas Zumann avec plusieurs titres de punk qu’il
venait de découvrir. Quel que soit le genre musical, ils ont tous dansé. « Les scènes de danse qu’on
voit dans le film sont réellement nées comme ça, signale Mills. C’est devenu
une manière de tisser des liens entre eux et il est évident que quelque chose
de viscéral s’est produit à ce moment-là. »
Comme l’affirme Greta Gerwig : « Il n’y a rien de plus gênant que
de danser en plein jour avec cinq parfaits inconnus. Et pourtant, ces séances
ont été organisées tellement en amont qu’elles nous ont permis de nous sentir à
l’aise les uns avec les autres. C’était une manière efficace de se sentir
vraiment détendu. »
Tout au long des répétitions, les comédiens, conscients
qu’il s’agit d’une histoire très personnelle, ont posé des questions à Mills : « La générosité de Mike a été
déterminante, assure Crudup. Il nous racontait ses anecdotes et parlait du film
d’une manière si élégante et tendre qu’on a tous eu envie de contribuer à
raconter cette histoire à travers son regard. » « Mike nous a jeté un sort,
s’amuse Greta Gerwig. C’est l’un des réalisateurs les plus bienveillants et
sensibles avec qui j’ai travaillé. Il se mettait parfois même à pleurer
derrière le combo tellement il était ému par les personnages. J’ai vraiment eu l’impression
de m’initier à une nouvelle direction d’acteur. Il est très respectueux de
l’intégrité de chacun. Et il passait son temps à passer de la musique. Certains
jours, il faisait venir un violoncelliste qui jouait pendant que les
techniciens préparaient des scènes complexes avec travellings. On avait constamment
le sentiment qu’un événement se produisait et que le film naissait de ces
événements. Mais si ce dispositif peut sembler le fruit du hasard, il exige en
réalité une discipline de fer et beaucoup d’habileté. »
Le
mot de la fin revient à Annette Bening : « Grâce à l’atmosphère que Mike
instaure, on a envie de se donner à fond pour concrétiser sa vision du film.
C’est un homme généreux qui a une belle âme et je trouve que ces qualités
imprègnent le film. Il est d’une grande douceur, ce qui ne l’empêche pas d’être
un artiste pugnace qui a beaucoup à dire. Sa vie, son regard sur le monde et
ses goûts se retrouvent dans le film. Rien n’était laissé au hasard – jusqu’au
moment où il s’apprêtait à dire « Moteur ! » C’est là que la situation devenait
palpitante – car il y avait alors une part d’inattendu qui séduit Mike. C’est
ce je-ne-sais-quoi qu’on ne peut définir mais qui finit par toucher le
spectateur en plein cœur. »
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