Drame/Thriller/Un film dur, fort et impressionnant
Réalisé par Bertrand Bonello
Avec Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani, Manal Issa, Martin Guyot, Jamil McCraven, Rabah Naït Oufella, Laure Valentinelli...
Long-métrage Français
Durée: 02h10mn
Année de production: 2015
Distributeur: Wild Bunch Distribution
Date de sortie sur nos écrans : 31 août 2016
Résumé : Paris, un matin. Une poignée de jeunes, de milieux différents.
Chacun de leur côté, ils entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale.
Ils semblent suivre un plan.
Leurs gestes sont précis, presque dangereux.
Ils convergent vers un même point, un Grand Magasin, au moment où il ferme ses portes. La nuit commence.
Chacun de leur côté, ils entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale.
Ils semblent suivre un plan.
Leurs gestes sont précis, presque dangereux.
Ils convergent vers un même point, un Grand Magasin, au moment où il ferme ses portes. La nuit commence.
Bande annonce (VF)
Ce que j'en ai pensé : J'ai eu la chance de découvrir NOCTURAMA hier soir et le film m'a impressionné. Il est indéniable que les événements récents dans l'actualité vont fortement influencer l'avis des spectateurs sur ce film. Nous n'aurions certainement pas regarder ce long-métrage de la même façon il y a quelques années. Le sujet est difficile et le rendu est anxiogène, mais le film est très intéressant aussi bien dans sa construction que dans son approche du sujet.
Le réalisateur, Bertrand Bonello, nous invite à suivre cette histoire uniquement du point de vue du groupe de jeunes sans nous livrer toutes les explications. C'est assez frustrant au départ car on ne comprend pas de quoi il retourne ni les motivations. Au fur et à mesure, grâce à une habile construction temporelle, Bertrand Bonnello nous livre des éléments. Juste assez pour que l'ensemble ait un sens, cependant il nous laisse nous poser énormément de questions. C'est aussi cela qui fait son intérêt. NOCTURAMA ne laisse pas indifférent, loin de là, et quand on sort du film on a plein d'interrogations, on voudrait que la réflexion puisse éteindre nos peurs. Cela est dû au fait que le film traite le cœur du sujet, mais sans nous mâcher le travail. Cela peut décontenancer mais personnellement j'ai trouvé l'expérience super.
La maîtrise du sujet est vraiment impressionnante. On sent que le film a plusieurs parties qui prennent des visages totalement différents pour former une seule histoire. J'ai beaucoup aimé les symboles et les décalages d'ambiance entre les scènes intérieures et extérieures. Il y a des moments choquants, qui le sont d'autant plus qu'ils viennent souvent après des moments de calme. Ce qui est très compliqué ici, c'est qu'on apprend à connaître un peu ces jeunes et que sans qu'on sache vraiment ce qui les poussent - on sent des motifs différents mais ils ne sont jamais clairement identifiés - ils commettent l'irréparable et l'impardonnable. On assiste à un gâchis qui interloque et angoisse.
Les jeunes acteurs sont excellents car chacun apporte une personnalité spécifique au groupe. L'association de ces jeunes qui viennent de milieux différents rend l'ensemble encore plus stressant car ils représentent métaphoriquement un mécontentement global dont la source est floue et l'expression extrêmement violente.
NOCTURAMA a été pour moi une surprise captivante et angoissante. Je ne peux que vous le conseiller car c'est un film étonnant à découvrir. Il vous surprendra assurément.
Le réalisateur, Bertrand Bonello, nous invite à suivre cette histoire uniquement du point de vue du groupe de jeunes sans nous livrer toutes les explications. C'est assez frustrant au départ car on ne comprend pas de quoi il retourne ni les motivations. Au fur et à mesure, grâce à une habile construction temporelle, Bertrand Bonnello nous livre des éléments. Juste assez pour que l'ensemble ait un sens, cependant il nous laisse nous poser énormément de questions. C'est aussi cela qui fait son intérêt. NOCTURAMA ne laisse pas indifférent, loin de là, et quand on sort du film on a plein d'interrogations, on voudrait que la réflexion puisse éteindre nos peurs. Cela est dû au fait que le film traite le cœur du sujet, mais sans nous mâcher le travail. Cela peut décontenancer mais personnellement j'ai trouvé l'expérience super.
La maîtrise du sujet est vraiment impressionnante. On sent que le film a plusieurs parties qui prennent des visages totalement différents pour former une seule histoire. J'ai beaucoup aimé les symboles et les décalages d'ambiance entre les scènes intérieures et extérieures. Il y a des moments choquants, qui le sont d'autant plus qu'ils viennent souvent après des moments de calme. Ce qui est très compliqué ici, c'est qu'on apprend à connaître un peu ces jeunes et que sans qu'on sache vraiment ce qui les poussent - on sent des motifs différents mais ils ne sont jamais clairement identifiés - ils commettent l'irréparable et l'impardonnable. On assiste à un gâchis qui interloque et angoisse.
Les jeunes acteurs sont excellents car chacun apporte une personnalité spécifique au groupe. L'association de ces jeunes qui viennent de milieux différents rend l'ensemble encore plus stressant car ils représentent métaphoriquement un mécontentement global dont la source est floue et l'expression extrêmement violente.
NOCTURAMA a été pour moi une surprise captivante et angoissante. Je ne peux que vous le conseiller car c'est un film étonnant à découvrir. Il vous surprendra assurément.
Crédit photo © Carole Bethuel
NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
Après la projection du film, Bertand Bonello, le réalisateur, a eu la gentillesse de venir répondre à nos questions à chaud. Attention, les vidéos de la rencontre ci-dessous contiennent beaucoup de spoilers. Il ne faut les regarder qu'après avoir vu le film !
Propos de Bertrand Bonello
Nocturama
Le film est venu à la fois d’un
ressenti du monde dans lequel nous vivons et de désirs formels
cinématographiques. J’ai écrit la toute première version il y a cinq ans,
tandis que j’étais en train de travailler sur L’Apollonide, un film
d'époque, romanesque, tout en opiacé, et j'avais envie, en contrepoint, de
faire ensuite un film ultra contemporain, pensé de manière inverse, très
direct, plus comme un geste.
J’ai donc écrit très vite une
version, qui répondait à ce climat que je ressens depuis longtemps, que je
qualifierais « d’effet cocotte minute », c’est-à-dire quelque chose qui frémit
et face auquel je me pose souvent la question de « Pourquoi ça n'explose pas »
? Évidemment, le propre du comportement humain, c'est de s'adapter, d’intégrer
et d’admettre des choses qui, finalement, sont inacceptables. Puis de temps en
temps dans l'Histoire, il y a une insurrection, une révolution. Un moment où
les gens disent stop. Il y a un refus.
Je suis parti de ce postulat
que j'ai eu envie de tirer vers le cinéma de genre. Dans le sens où très vite,
j’ai voulu m’intéresser à la question du Comment plus que celle du Pourquoi.
Le Pourquoi, la scène avec Adèle Haenel le prend en charge : « Ça devait
arriver » dit-elle. Oui, il suffit de marcher dans la rue, de sentir la tension
extrêmement palpable, ou d’ouvrir le journal pour se dire qu’en effet, ça
pourrait arriver. C’est pour cela que le film démarre sans préambule.
Comment on passe à l'acte, de
quelle manière ça se fait, dans le film, le geste est, pour moi, plus important
que la parole. L'action face au discours, c'est le « comment » face au «
pourquoi ». Le mystère fait aussi partie du cinéma et je ne voulais pas essayer
de rationaliser des choses qui ne sont pas toujours ni explicables ni
justifiables.
Le scénario s’est tout de suite
appelé Paris est une fête. Cette antiphrase correspondait complètement
au film que je voulais faire. Je l’ai mis de côté pour tourner Saint
Laurent, puis j’ai repris la préparation pour un tournage à l’été 2015.
Pendant la post production, le
titre Paris est une fête a pris un tout autre sens et il fallait
évidemment en changer, je me suis alors tourné naturellement vers la musique. Nocturama
est le titre d’un album de Nick Cave. J’aimais l’idée de cet hybride entre
le latin et le grec qui voudrait dire vision de nuit, je lui ai demandé
l’autorisation. Il a accepté, et m’a expliqué qu’en fait le mot désignait dans
un zoo la zone créée spécifiquement pour les animaux nocturnes. Ça m’allait
très bien. Nocturama renvoie aussi à l’idée de cauchemar.
Du réel à la fiction
En tant que cinéaste, je ne
suis pas là pour me substituer à un journaliste, un sociologue, ou un
historien. Mon but n’est pas de décrypter l’actualité, ni de la commenter. De
toute manière, l’actualité est trop rapide pour le cinéma, qui sera toujours
dépassé s’il essaie d’y
coller.
La force de la fiction est ailleurs. Dans la recréation d’un monde, avec ses
règles, ses logiques, des lignes de force qui lui sont propres. Poser un regard
plus qu’une analyse.
Qu’on ressente ou s’inspire du
réel est pour moi une nécessité, mais il faut ensuite s’en dégager et se
l’approprier. Se sentir libre. Le réel, on le retrouve de toute manière
ailleurs : le choix d’un acteur, d’un décor.
De l’extérieur à l’intérieur
La structure est la première
chose qui est venue. Ça a été la base. Une première partie avec des personnages
isolés, à l’extérieur, en mouvement, seulement soutenue par des trajets et des
actions, des personnages à peine réunis le temps de deux flashbacks
impressionnistes. Puis une partie où ils sont ensemble, non plus dans l’action,
mais dans l’attente. Le passage de l’extérieur à l’intérieur permet aussi un
passage d’une réalité à une abstraction, d’un monde réel à un monde fantasmé.
Dès que les personnages
rentrent dans le grand magasin, il n'y a plus d'extérieur, il n'y a plus de
fenêtre. Il n'y a plus de portable, il n'y a plus rien et on se réinvente
quelque chose. La fiction et le mental prennent le dessus sur l'extérieur.
Et puis, à un moment, un
personnage ressort à nouveau. Il tente presque de s’échapper, pour s’apercevoir
in fine, qu’il n’appartient plus au monde extérieur. Qu’il n’a plus rien
à y faire. Et il revient.
Le hors-champ
J’ai immédiatement fait le
choix de n’être qu’avec mon groupe de personnages. Tout est de leur point de
vue. Et nous, comme eux, nous ne savons pas exactement ce qui se passe à
l’extérieur, excepté parfois via les écrans de télés. Je ne voulais pas de
montage parallèle.
D’une part, pour me concentrer
sur l’idée du temps qui passe, et d’autre part, parce que ce qui m’intéresse,
ce sont eux, c’est cette micro société qu’ils forment, obligée de se
reconstruire pour survivre. Le hors-champ nous rapproche d’eux.
Paris
Je voulais filmer Paris de
manière réaliste, y compris dans ses aspects les plus durs. C’est une ville
extrêmement difficile à filmer, une très belle ville mais abîmée par sa vie
interne, par ses signalétiques, panneaux, pubs, travaux, etc . Mais j’ai décidé
de composer avec tout cela. Les trajets des personnages font partie de ce
réalisme.
Pour les scènes dans le métro
par exemple, nous avons tourné en mode quasi documentaire. Sans rien
privatiser. Nous sommes partis, au milieu des gens. Je voulais montrer la
richesse du métro, toutes ces atmosphères différentes, via ce ballet du début.
Le
choix des « cibles » répond quant à lui à ce besoin qui traverse le film de
passer de l’effet de réel à celui de déréalisation. Je n’ai rien contre HSBC ni
contre le Ministère de l’Intérieur. Mais ils sont là. Ils font partie de notre
vie, de notre environnement, de notre quotidien. C’est une idée de la
répression, du capitalisme, de l’étouffement. Le face-à-face entre une gamine
de banlieue et Jeanne d’Arc est l’une des toutes premières images que j’avais
dès l’écriture. C’est pour moi une certaine idée de la France. Je ne voulais
pas d’attaques aveuglément meurtrières. Je préférais aller sur des symboles.
Au départ, je craignais que mes
jeunes acteurs me disent que cela ne leur évoquait pas grand chose mais en en
discutant avec eux, j’ai compris au contraire que cela leur parlait beaucoup et
que je n’étais pas tombé bien loin. Dans un discours politique et critique, ils
évoquaient spontanément des institutions financières, le Ministère de la
Justice, les médias, l'oppression économique et tout ce qui leur semble
aujourd’hui être une prise de pouvoir sur leurs pensées, sur leurs libertés.
Le grand magasin
Les grands magasins de ce genre
sont des lieux fascinants. De vrais lieux de fiction. Dans le sens où ils sont
la recréation du monde à l’intérieur du monde. Tout y est. Toute la « vie » est
là, de la baignoire à la nourriture, du lit aux télévisions ... c’est aussi un
symbole du consumérisme de notre époque, y compris dans sa virtualité.
Après avoir attaqué violemment
le monde extérieur, les personnages se retrouvent enfermés dans ce monde
intérieur. Et ils se font happer. C’est inévitable. Chacun, en effet, se
retrouve à un endroit de ce magasin. Parce que c'est ce qu'il voudrait être, ça
le fait rêver, c'est facile, il en a besoin, ou bien encore parce que c'est
tout simplement lui-même... Il y a deux scènes, par exemple, où un personnage
se retrouve face à un mannequin habillé comme lui. La première, on est dans le
consumérisme et la seconde on est dans la mort. Dans la disparition de
soi-même.
Alors que les choses sont si
difficiles à obtenir dans la vie, ici, tout est simple. Ça devient un lieu de
liberté, même si factice. Du coup, ils se permettent tout, allant jusqu'à
prendre un bain, faire du kart ou encore un spectacle. Parmi toutes les idées
que j’avais, j’ai gardé les choses les plus incongrues car ce sont pour moi les
plus belles. J’ai préféré le rêve au trivial ou au matérialisme.
Le choix des interprètes
Parmi les acteurs, seule la
moitié a déjà eu une expérience de cinéma, l’autre moitié aucune. Je tenais à
ce mélange et à cette proportion. Ces derniers amènent, sans les composer, des
choses magnifiques, qui sont leur visage, leur manière de bouger, la musique de
leur langage. J’adore les acteurs mais j’ai pris ici un plaisir inouï à filmer
d’autres visages, des corps nouveaux, des manières de se tenir, parfois
maladroites mais nouvelles. Je savais en écrivant que je ne mettais en place
que 50% des personnages. Que le reste, ce sont les acteurs qui me
l’amèneraient, avec leur personnalité, leur manière d’être, qui ils sont. Je me disais
souvent que la mise en scène devait être du côté de la fiction, et que la
direction d’acteur devait être du côté du documentaire.
Le casting a duré près de neuf
mois. J'ai rencontré toutes sortes de jeunesse. J'étais dans le romanesque et
dans le fantasme en écrivant. Mais en les rencontrant, j’ai été surpris de voir
à quel point ce que je leur racontais de cette histoire n'était pas du tout
extraordinaire pour eux. Ils me disaient : « Ça me semble normal, ça me semble
logique, il nous manque juste un peu de courage, un peu d'organisation... Moi
je suis non violent mais je pourrais le faire »...
Nos enfants / Une jeunesse
perdue
Maintenant que je regarde le
film fini, il y a quelque chose dont je ne me rendais pas compte en l’écrivant.
Quelque chose en eux qui est encore dans l’enfance et que je trouve assez
bouleversant, et le film raconte aussi cela : Voilà ce qu’on a fait de nos
enfants. Le point de vue le plus fictionnel du film, c’est son postulat de
départ : vouloir rassembler des jeunes d’univers géographiques et sociaux
différents, que la société fait tout pour diviser. Les rassembler dans une idée
commune. C’est le côté un peu « punk » de la genèse du film, dans le sens d’une
utopie quasi adolescente, dans un désir de refus, voire de destruction. Ce qui
m’intéressait c’est qu’ils partagent tous cette envie de dire stop... D’une
autre manière, on voit depuis quelques semaines, dans les rues, sur les places,
des mouvements de jeunes se créer pour exposer à leur manière également un
refus.
En préparant le film, j’ai relu
« Discours de la Servitude Volontaire » de La Boétie. Un livre très court mais
extrêmement puissant qui est un appel à l'insurrection. Je ne me souvenais plus
qu’il avait été écrit par un gamin de vingt ans au XVIème siècle. La Boétie y
explique qu'il y a un moment où l'Homme accepte des choses que l'animal
n'accepterait pas. Et Nocturama est avant tout un film sur le refus. La
seule manière de l’exprimer était de former un groupe hétérogène et d'essayer
de trouver une logique, une évidence, dans la manière dans laquelle ils
puissent être ensemble. Cet « être ensemble », comme on le dirait du « vivre
ensemble », était fondamental. Dans le début du film par exemple, ils
fonctionnent seuls ou par deux, trois mais ne sont que rarement ensemble, sauf
dans ce flash back pendant lequel il y a une scène de danse. Presque une
transe. Je voulais vraiment que quelque chose les réunisse sans passer par le
discours ni le dialogue. J’ai enregistré une musique à la fois rythmique et
ambiante et je les ai plongés dedans. Et puis, je les ai laissés libres de s’en
emparer. Chacun a fini par trouver son espace dans la pièce et dans le son.
La mise en scène
J'étais obsédé par le mélange
d'ultra réalisme et d'abstraction. Le réalisme, avec les trajets, les détails,
tous très documentés, HSBC, Manuel Valls…L’abstraction, c’est plutôt
l’intérieur, la déconnexion.
J’ai donc beaucoup travaillé
sur des mouvements, des gestes. Une forme d'action, qui n'est pas le film
d'action à l'américaine, mais qui doit, quand même, apporter de la tension. Et
à l’intérieur de cette tension, je savais qu’il fallait prendre du temps,
parfois quasiment du
temps
réel, y compris passer du temps avec les personnages pour ne pas les marionnettiser,
que l’on soit vraiment avec eux du début à la fin. Le film est extrêmement
préparé. Chaque mouvement, chaque point de vue, chaque changement de point de
vue. Il est construit comme une partition.
Le plus délicat était ensuite
de trouver une tension dans l’attente, quand ils sont dans le magasin. A partir
du moment où on ne sait pas ce qu’il se passe à l’extérieur, il faut gérer le
temps qui passe avec le hors champs.
De la même manière, j’ai
beaucoup travaillé la place des plans en mouvement et des plans fixes. Par
exemple, au moment où le personnage joué par Finnegan Oldfield sort du magasin,
j’ai eu envie de tableaux très simples. Des plans fixes, dans un Paris
totalement vide, avec un acteur qui traverse le cadre. La séquence apporte du
calme. On ne joue pas l'hystérie de l'extérieur mais, au contraire, le vide.
Même si ce calme est aussi terrifiant. Est venue enfin l’idée d’une temporalité
qui, comme le film, passerait du réel à l’irréel. Je voulais qu’au bout d’un
moment dans le magasin, le temps se difracte. On revient un peu en arrière, on
change de point de vue, on joue cette idée du « disque rayé »… Plus on avance
dans le film, plus le temps explose. Cela instille aussi le déraillement. Et
puis, les scènes avec le GIGN. Je les ai mises en place avec un ancien du GIGN.
Je ne voulais pas d’un assaut brutal, qu’on appelle « le bouclier », mais
plutôt d’une infiltration, lente et implacable, qu’ils appellent « l’enclume et
le marteau ». Là aussi, le temps s’étire. Dans l’histoire, c’est justifié par
le fait que le GIGN ignore le nombre « d’ennemis d’état » (Pour le GIGN, c’est
le terme adéquat vu les cibles choisies), s’ils sont armés ou pas. Et cela permet
un calme, à mon avis plus fort.
Vient ensuite la question de
l’image, de la lumière. C’est la première fois que je tourne en numérique. Je
trouve cela très cohérent pour ce film d’avoir une image plus dure, plus
froide, plus définie, de ne pas chercher l’esthétique du 35.
Nous avons structuré la lumière
dans le grand magasin en cinq parties : Très éclairé, puis totalement sombre
puis à nouveau éclairé pleinement, puis à moitié avant que le GIGN ne coupe
tout à nouveau. Cela crée des mouvements à l’intérieur du film.
Quant au Scope anamorphique, il
amène un côté fiction et la HD amène un effet de réel. C’est toujours le même
équilibre délicat à trouver.
La musique
Très vite, je voulais que les
deux parties du film aient leur propre musicalité, même si parfois l’une se
greffe dans l’autre. Un score d’un côté, de l’autre une sorte de juke-box. Ils
sont dans le grand magasin, ils passent des disques.
Pour le score, je voulais
quelque chose d’électronique, mais qui ne soit pas de l’électro. Quelque chose
de mental et de pulsionnel. Que cela passe par des soubassements, par un
travail sur les fréquences. Comme j’ai la chance de pouvoir faire ma musique,
je m’y attelle dès le travail d’écriture scénaristique, pour avoir la texture
musicale en même temps que le script. Sur le choix des disques qu’ils passent,
les morceaux se sont imposés très vite pendant l’écriture et n’ont plus bougé.
Et puisque le film s’appelait Paris est une fête, il me semblait
cohérent qu’il y ait à un moment l’idée de spectacle, d’un spectacle final.
J’ai pensé grand magasin, escalier, descente d’escalier… Et donc à My Way.
C’est la scène la plus irréelle du film. Elle marque encore plus cette rupture
avec l’extérieur et fait basculer le film dans quelque chose de très onirique,
de faux, de théâtral. Mais surtout pour moi, de tragique. Là, j’y vois la fin,
la mort. De la même manière, la musique de The Persuaders a été une
évidence. J’aime la mélancolie qu’elle dégage. Mais l’idée à ce moment-là,
alors que l’assaut débute et que la mort approche, était aussi de ramener de
l’enfance. La mienne, la leur.
© 2016 •
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