Au cinéma le 4 mai 2016
Ce film policier sort aujourd'hui au cinéma. Je n'ai malheureusement pas eu le temps de le découvrir en avant-première pour pouvoir vous donner mon avis, mais j'ai eu de bons retours dessus.
Un film réalisé par Julien Leclercq
Avec Sami Bouajila, Guillaume Gouix, Youssef Hajdi, Kaaris, Redouane Behache, Kahina Carina, David Saracino, Alice de Lencquesaing...
Long-métrage Français
Durée: 01h21mn
Année de production: 2015
Distributeur: SND
Interdit aux moins de 12 ans
Résumé : Yanis, Eric, Nasser et Frank forment l’équipe de braqueurs la plus efficace de toute la région Parisienne. Entre chaque coup, chacun gère comme il peut sa vie familiale, entre paranoïa, isolement et inquiétude des proches. Par appât du gain, Amine, le petit frère de Yanis, va commettre une erreur... Une erreur qui va les obliger à travailler pour des caïds de cité. Cette fois, il ne s'agit plus de braquer un fourgon blindé, mais un go-fast transportant plusieurs kilos d'héroïne. Mais la situation s’envenime, opposant rapidement braqueurs et dealers…
Bande annonce (VF)
Extrait (VF)
NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
Entretien avec Julien Leclercq
Comment le projet est-il né ?
Par des discussions avec mon associé. Nous avions envie de faire un film d’action dans l’univers des braquages. Nous en avons discuté avec Simon Moutaïrou avec qui j’avais écrit L’ASSAUT. Nous voulions faire un film d’action urbain, moderne, ancré dans le terroir des banlieues françaises de 2015. Mais je n’avais pas envie que ce film ne soit qu’un film d’action, j’avais envie d’avoir des personnages forts, d'être à hauteur d'homme pour ne pas fantasmer un univers. Car contrairement à ce que certains peuvent penser, les braqueurs n’ont pas du tout une vie glamour : ils sont dans une extrême solitude, vivent entre eux, coupés du monde. Je voulais montrer qu'un mec qui attaque un fourgon pour 3 millions d'Euros peut se retrouver tout seul dans son grand appartement haussmannien des beaux quartiers de Paris. Et je tenais aussi à évoquer l'autarcie des braqueurs qui passent toute leur vie ensemble, qui mangent ensemble, partent en vacances ensemble etc. – tout en craignant en permanence de mourir petitement, abattus par un simple flic, au coin d'une rue.
L'évocation de ce milieu repose sur une dramaturgie très forte.
Absolument. On retrouve tous les rouages universels du genre : la loyauté, la trahison, les renversements d'alliances, le cœur familial. Je voulais montrer que la vie des braqueurs est un vrai château de cartes : à cause d'une faute du petit frère, tout s'écroule, entraînant des conséquences terribles qui vont jusqu'à l'exil forcé. Les fondations sont très légères, malgré l'argent.
Vous vous êtes beaucoup documenté ?
Beaucoup. J’ai notamment été passionné par le documentaire de Jérôme Pierrat « Nouveaux Caïds de Cités » diffusé sur Canal+ et qui est tellement culte en banlieue qu’il circule sur internet… On est ici dans les codes des grands bandits des années 2000 qui sont très méticuleux et tout aussi paranos. D'où la prudence et la discrétion absolues de Yanis (Sami Bouajila). Quand j'ai choisi la voiture du protagoniste – une 206 gris métallisée avec enjoliveurs noirs en sale état –, quelques membres de l'équipe ont été surpris. Mais je leur ai dit que ce personnage veut être constamment incognito et qu'il est obligé de se planquer parmi la foule. À l'inverse des années 70, où les voyous étaient des flambeurs, la nouvelle génération du grand banditisme est très prudente : elle investit son argent et monte des PME. Ce qui m'intéressait dans ce phénomène, c'est le "chemin de l'argent" : ces braqueurs possèdent des kebabs, des salons de coiffure et des entreprises pour blanchir leur argent. Et ils se préoccupent de ce qu'ils vont pouvoir léguer à leurs enfants.
Avez-vous travaillé avec un consultant par souci de véracité ?
J'ai écrit le scénario avec Simon Moutaïrou, avec qui j’avais écrit L’ASSAUT et on a fait appel à Jérôme Pierrat pour qu'il nous raconte comment fonctionnaient les braqueurs sur le terrain. Ce qui était intéressant pour nous, c'est qu'il côtoie ces mecs-là et qu'il a donc une approche de l'intérieur de ce milieu. Il nous a expliqué les codes du milieu ou encore la faculté des braqueurs à passer une frontière Je voulais être dans une totale crédibilité sans jamais rien fantasmer.
Le protagoniste campé par Sami Bouajila est un homme rugueux, presque minéral, dans la ligne des personnages de Melville…
Il est vrai qu'il y a chez lui un côté samouraï et solitaire du mec qui s'est construit son code de conduite et qui se définit par une forme de droiture à l'ancienne – même si mes références sont surtout américaines : HEAT de Michael Mann ou encore THE TOWN de Ben Affleck. Ce qui m'a aussi inspiré, et que je retrouvais dans différents témoignages, c'est la paranoïa des braqueurs et leur hantise constante de se faire serrer. Après le coup, quand Yanis rentre en voiture chez lui, dans le 16ème arrondissement, un couple est en train de discuter en bas de son immeuble et il hésite avant de couper son moteur et de descendre de voiture. Quand il comprend que ce sont des badauds, il est rassuré. Mais la peur de voir un flic posté en bas de chez lui ne le quitte jamais.
Yanis reste simple dans son apparence et n'arbore pas de signes extérieurs de richesse.
Ce qui est frappant, c'est qu'il a un bel appartement et que personne ne se doute de sa véritable activité. Sa voisine de palier, par exemple, pense qu'il vend des voitures à Courbevoie. Et personne ne vient frapper à sa porte sinon sa sœur et son frère. Il est donc seul dans ce grand appart qu’il loue meublé et à la décoration spartiate. Les gens comme lui ont un pouvoir d'achat monstrueux mais ne peuvent pas se permettre d'être dans l'ostentation. Ce qui les excite, c'est de "faire des coups" : une fois qu'ils ont dîné à la Tour d'Argent ou qu'ils ont fait le tour du périph en Ferrari, ils se lassent très vite. C'est l'adrénaline du coup qui est motrice.
Il semble presque en décalage avec son époque.
Sa survie ne repose que sur la discrétion : il paraît "old school" car il ne va pas sur les réseaux sociaux et il ne surfe pas sur Internet. Il s'achète un téléphone avec une carte prépayée au bar PMU du coin : il va même jusqu'à extraire la puce de son téléphone pour ne pas être repéré. Du coup, cela le coupe d'un certain style de vie.
C'est aussi une sorte de patriarche qui se constitue une "famille" autour de lui…
Dans le scénario, on se demandait qui incarnait l'image paternelle et c'est clairement Yanis qui protège les siens. Car on comprend rapidement que son père est parti fonder une nouvelle famille. Yanis, lui, est toujours présent financièrement pour son frère et sa sœur, même s'il est rejeté par sa mère. Et puis, il y a la famille qu'on se crée autour de soi – celle qui est la plus présente. Il faut se souvenir que ces types-là font tout ensemble et ne peuvent pas tomber amoureux de quelqu'un qui n'appartient pas à la "famille". Du coup, la musicienne dont Yanis est amoureux et qui est à des années-lumière de lui reste un fantasme.
Le film est très ramassé, très compact, dans le rythme et l'enchaînement des événements…
On n'a jamais lâché ça à l'écriture ou pendant la fabrication. Je voulais faire un film sec qui soit un vrai roller coaster : mes références en la matière étaient scandinaves. On a acheté la banque son des artistes qui ont travaillé sur les films de Michael Mann pour que les bruits des armes soient proches de la réalité. Je souhaitais aussi accrocher ma caméra aux personnages. D'ailleurs, il n'y a pas de flic dans le film : les policiers restent des ombres au loin. Ce n'est pas un hasard si le film s'appelle BRAQUEURS : on épouse uniquement le point de vue des braqueurs.
Comment avez-vous pensé à Sami Bouajila pour le rôle principal ?
Sami est un acteur extraordinaire. Il a ébloui tout le monde par son côté félin. Il est élégant, dans son jeu comme dans la vie. C'est l'un des meilleurs acteurs avec qui j'ai bossé et il s'est totalement investi dans le rôle. Je n’ai jamais pris autant de plaisir à diriger des acteurs que sur ce film. Nous étions tous en phase. En parfait harmonie. Lorsque l'équipe technique a vu Sami, félin, bondir d'un couloir de HLM de la cité de Sevran, ils se sont dit "c'est un animal". Sami est toujours au service du film et il se met à hauteur de tout le monde. C'est un acteur brillant.
Et les autres comédiens ?
Avec Guillaume Gouix, j'ai fait une vraie rencontre. Je savais qu'il était bon comédien mais il m'a réellement bluffé. C'est grâce à lui que j'ai pu étirer quelques plans-séquences, assez complexes techniquement. C'est un très grand comédien. Tous les acteurs se sont mis dans l'univers de la bande des braqueurs : ils mangeaient ensemble à la cantine et ne se quittaient pas d'une semelle. Je n'avais que des alliés autour de moi. C'était très généreux de leur part et cela a créé un climat très sain sur le plateau. BRAQUEURS a été de loin mon meilleur tournage. Je l'ai écrit, réalisé et produit. La star était le film. Nous étions tous à son service. Dans une énergie absolue.
Les acteurs ont-ils suivi un entraînement particulier ?
C'est un film d'action et en termes de fabrication, c'est vraiment un train en marche et les acteurs et techniciens devaient grimper dedans le plus vite possible. Ils se sont donc entraînés chez le loueur d'armes et avec un ancien du GIGN qui nous avait aidés sur L'ASSAUT. Les braqueurs forment un groupe quasi paramilitaire à l'inverse des caïds des cités : ces mecs ont des kalachnikovs sous leur matelas mais ne sont pas des tireurs exceptionnels.
Le braquage du début est impressionnant.
On a recréé une chorégraphie réaliste sur cette séquence : les braqueurs expliquent que ce qui les excite, c'est d'être maitres du temps dans un espace donné. Ils refont tout le tracé dans leur tête et créent une bulle autour du fourgon en se prenant quasiment pour Dieu ! Ce genre d’attaque à la voiture-bélier a eu lieu il y a plusieurs années à Aubervilliers.
Où avez-vous tourné ?
Je ne voulais fabriquer aucune feuille de décor. Pour les scènes de la cité, on a tourné dix jours dans le quartier de Rougemont, à Sevran, grâce à Kaaris. On avait toute la population avec nous. Tout le reste a été tourné en région parisienne. Pour aller chercher les séquences, il fallait s'adapter : j'avais un formidable cadreur et un super chef-opérateur. À l'inverse, le confort qu'on peut avoir en studio, dans un environnement maîtrisé, peut vous embourgeoiser et vous endormir. Comme j'étais stressé par la météo ou par la lumière du jour qui baissait, cela me mettait un coup de boost incroyable.
Quels étaient vos choix de cadre et de lumière ?
J'ai privilégié une facture assez réaliste tout en restant dans le cadre du Scope. On a passé beaucoup de temps en repérages et on a utilisé essentiellement de la lumière naturelle. Par exemple, quand on est dans la planque, on éclaire avec les lumières des peintres laissées sur place ou avec le néon. Notre seul ennemi, c'était le soleil, qu'il fallait occulter pour être raccord. Ce que je voulais, c'était suivre les personnages qui déambulent en longs plans-séquences. Être derrière leurs épaules. Ces plans sont difficiles à mettre en place parce qu'on colle aux acteurs mais aussi parce qu'il est essentiel d'orchestrer une véritable chorégraphie autour d'eux, entre les passants, les voitures qui tournent, etc. Il fallait crédibiliser la rue. Il n'y a rien de mieux que de prendre de vraies gens pour la figuration. Parfois, il faut faire confiance aux personnes qu'on trouve sur place et qui apportent du réalisme : c'est ce qui s'est passé à Sevran.
La musique rythme l'action.
J'ai travaillé avec X-Track avec qui j'avais collaboré sur L'ASSAUT. Quand on a monté le film, je pensais à des tempos plus percutants mais quand mon monteur m’a proposé de l'électro, j’ai adoré : c'était assez proche du rythme d'un battement de cœur et des cardios de certains personnages qui s'accélèrent quand ils sont à l'affût ou en pleine action. On est donc partis sur cette tonalité-là.
Entretien avec Jérôme Pierrat
Comment vous êtes-vous arrivé sur ce projet ?
Avec Julien, on réfléchissait depuis un moment à un scénario autour du braquage. Il se trouve que je suis journaliste spécialisé dans le crime organisé depuis une quinzaine d'années : je réalise des documentaires pour Canal Plus sur le sujet, en adoptant le point de vue des voyous, et Julien Leclercq connaissait mon travail. Il m'a donc demandé, avec son associé Julien Madon, de collaborer au scénario pour lui donner un regard de l'intérieur.
C'est votre expérience du terrain qui nourrit votre point de vue.
Je ne me nourris que de ce que je connais. Cela fait presque vingt ans que je passe mes nuits et mes journées dans ce milieu et que je fréquente ces gens-là. Autant dire que je connais bien la psychologie des voyous : ils n'ont pas besoin de m'expliciter leurs motivations. C'est aussi un milieu très riche en personnages qui sortent de l'ordinaire : ils me passionnent sans me fasciner. Pour autant, j'ai de l'empathie pour cet univers et j'ai rencontré des centaines de garçons, j'ai vécu des dizaines de situations, j'ai accompagné les gars dans les go-fast et dans les trafics d'armes. Il y a donc dans ces situations des dialogues que je chope au passage. Car dans ce monde-là, la réalité dépasse la fiction : c'est donc une source d'inspiration infinie d'autant plus qu'à force de côtoyer les Corses, les Russes, les Albanais ou les mecs des cités, j'ai une vision très large du banditisme. Je suis comme une éponge qui fait appel à sa mémoire pour parler de go-fasteurs, de flics, ou de voyous. Et si je fais ce métier c'est avant tout pour raconter des histoires.
Plus précisément, quel a été votre apport ?
L'idée était de comprendre cet univers et d'en casser les clichés, mais aussi de cerner la psychologie de ces braqueurs pour s'inscrire dans un banditisme moderne. Pendant longtemps, la représentation du banditisme au cinéma avait un côté romantique : ce qu'on en voit à l'écran, y compris aujourd'hui, évoque les modes de fonctionnement des voyous d'il y a vingt ou trente ans. Car c'est l'image communément admise, cinématographique et romantique. Je voulais aller vers un banditisme plus contemporain, qui implique des jeunes qui viennent souvent des quartiers. Il s'agissait donc pour moi d'apporter ma connaissance de la psychologie de ces gars-là et d'insuffler de la modernité, sans en révolutionner totalement l'image. On s'est posé plusieurs questions : Comment les braqueurs agissent-ils ? Comment font-ils leur business ? Jusqu'où peuvent-ils aller ? Qu'est-ce qui les motive ? Quel est leur quotidien ? Où habitent-ils ? Etc.
Comment la collaboration avec Julien et son coscénariste s'est-elle mise en place ?
On a travaillé en amont sur les ressorts de la dramaturgie, les protagonistes et les antagonistes, et Julien et Simon ont ensuite scénarisé l'intrigue. Par exemple, on a beaucoup réfléchi au déroulement du braquage et aux problèmes que les personnages pouvaient rencontrer. Après coup, on a eu de nombreux échanges : dès que Julien et Simon avaient une question ou qu'ils souhaitaient vérifier qu'une situation fonctionnait, ils m'envoyaient leur proposition et je pointais ce qui était improbable ou au contraire crédible. Jusqu'à ce qu'ils arrivent tous les deux à une version qui les satisfasse et qui, moi, ne me tombe pas des mains ! (rires)
Le juste équilibre entre le réalisme et la nécessité de la fiction est difficile à trouver…
Le propos était de ne pas faire quelque chose de trop fantaisiste. C'est toujours la difficulté quand on veut faire se rencontrer la réalité et la fiction : il fallait forcément fictionnaliser mais le terreau devait être réel pour que le spectateur soit plongé dans un univers auquel il croit. À mon sens, le diable se niche dans les détails : c'est grâce à la justesse d'une réplique ou du geste d'un comédien qu'on adhère à un univers ou pas. Mais une fois que le cadre est posé, et qu'il est véridique, on peut s'affranchir de la réalité.
Avez-vous vérifié certains détails concernant les décors ou les lieux de tournage ?
J'ai pu le faire en amont parce que Julien m'a montré les repérages, les visages des acteurs, et les endroits où il voulait tourner. Je lui ai aussi donné des conseils pratiques. Par exemple, pour braquer un fourgon, il ne faut pas oublier de baisser les vitres de la voiture parce qu'avec le souffle de l'explosion, on peut se blesser à cause des débris de verre. De même, comme j'ai beaucoup insisté sur la paranoïa des braqueurs, je lui ai expliqué qu'ils avaient l'habitude de retirer la carte SIM de leur téléphone portable pour ne pas se faire repérer. Je voulais qu'il ait toutes les cartes en main au départ.
Entretien avec Sami Bouajila
Qu'est-ce qui vous a intéressé dans ce projet ?
D'abord, l'opportunité de jouer un personnage dans un polar extrêmement bien écrit : c'est un registre qui me fait rêver et que je n'ai pas toujours eu l'occasion d'aborder. Ensuite, la rencontre avec Julien Leclercq qui m'a fasciné : j'aime son univers, sa précision, sa méthode de travail. Il est proche de ses acteurs et de ses personnages et il sait les filmer.
Qu'avez-vous pensé du scénario ?
Il m'a immédiatement interpelé : il est concis, dense, fulgurant. Au-delà du film d'action, il y avait un esprit de bande que Julien a su entretenir durant le tournage. Mais ce n'est pas le réalisme qui m'a séduit car j'essaie en général de m'en éloigner pour trouver une forme d'onirisme.
Comment décrire Yanis ?
Il me fait penser à tous les personnages de Michael Mann, depuis LE SOLITAIRE jusqu'à HEAT. Ce sont de grands solitaires qui vivent en périphérie du système. Mais ce sont de vrais généreux parce qu'ils se sacrifient pour les autres, et c'est ce qui me plaisait dans le personnage. C'est ce qui le rachète à mes yeux.
Qu'est-ce qui l'anime selon vous ?
Plus profondément, au-delà de l'adrénaline, je crois qu'il cherche une forme de rédemption, à travers son parcours et ses choix. La seconde partie du film lui permet d'aboutir à cette rédemption.
Pensez-vous qu'il soit tenté par un autre style de vie ?
Sans doute. C'est de l'ordre du fantasme pour le personnage : il sait très bien qu'il n'arrivera jamais à satisfaire ce choix de vie. D'ailleurs, la femme qu'il aime lui dit "tu te racontes des films et tu es mytho car tu ne sais pas faire autre chose".
Le décririez-vous comme un patriarche ?
C'est un leader qui prend soin des siens. C'est donc, en un sens, une figure de patriarche. Il a aussi un code de conduite et des valeurs, ce qu'on voit bien dans son rapport à son frère ou avec Youssef. En revanche, il est trop sauvage pour être un parrain à la Coppola.
Vous êtes-vous documenté ?
Pas du tout. Le personnage était très écrit : il fallait trouver la colonne vertébrale de Yanis et après il vaut mieux se laisser aller au rêve et au fantasme. Avec un personnage qui s'isole, on est imprégné de réalisme dans les situations et dans les épisodes qu'il traverse. Je trouve qu'à un moment donné, il quitte le réalisme et qu'une forme d'onirisme émerge.
Parlez-moi de vos partenaires.
Je ne les connaissais pas et je trouve que le casting est extrêmement juste. Redouane Behache, qui joue mon frère, est extraordinaire. Guillaume Gouix fonctionne à l'instinct. Cette distribution était très cohérente avec les personnages. Julien s'est attaché à préparer le film pour qu'il y ait des acquis et une complicité qui se nouent en amont.
Quel genre de réalisateur Julien est-il ?
Il est très fédérateur dans sa démarche et dans ses choix. Sur le plateau, ensuite, on ne fait que suivre les directions. Au moment de la prépa, il crée une complicité et par la suite, c'est une machine de guerre ! Il est inépuisable. Il est également preneur des suggestions qu'on peut lui faire. Il n'est jamais castrateur : si la proposition lui convient et qu'elle rectifie son cadre, il en est friand. C'est un garçon très avenant.
Entretien avec Guillaume Gouix
Qu'est-ce qui vous a intéressé dans le projet ?
J'ai toujours besoin de lire le scénario pour savoir s'il y a quelque chose de nécessaire dans le projet : ici, l'écriture était sans compromis et d'une grande efficacité. Surtout, le script ne présentait pas une structure classique de polar : les personnages y étaient humanisés, et il n'y avait pas d'excès dans le spectaculaire et l'émotion. Au contraire, le récit était réaliste et sec et allait à l'essentiel, y compris dans les scènes d'action. Avec Julien, on a évoqué plusieurs films scandinaves et en voyant le film, j'ai trouvé qu'il se rapprochait notamment de la trilogie PUSHER. Il n'y a pas de gras. Même s'il y a de l'action, c'est un vrai film d'auteur, ramassé et puissant.
Vous connaissiez le travail de Julien ?
Oui bien sûr, mais j'ai essayé de me focaliser sur ce qu'il voulait faire avec ce film-là et sur ce qu'il connaissait de ce milieu. Pour moi, d'entrée de jeu, il ne fallait pas que les personnages prennent des poses de gangster. J'ai donc cherché à me concentrer sur cette priorité centrale, sans forcément m'attacher aux films précédents de Julien.
Parlez-moi d'Éric, votre personnage. Est-il fasciné par les braqueurs ?
Oui, mais il a surtout l'impression d'être un survivant et de faire ce qu'il peut. Il court après sa vie. Il y a de la précision chez lui, mais on n'est pas dans les tics du cinéma américain : il reste fébrile et il a des faiblesses, comme tous les personnages d'ailleurs. Ce sont de vrais battants : on sent que c'est dur pour eux mais qu'ils se battent pour ne jamais céder de terrain.
Éric est sans doute l'un des personnages les plus complexes du film.
C'était un cadeau pour moi : entre son histoire d'amour, ses anciennes blessures, sa dépendance, son rapport à un enfant qu'il n'a presque pas connu, son combat et son duo avec Yanis, il est d'une incroyable richesse. En plus, j'ai le sentiment qu'il y avait une belle complémentarité entre le côté "chien fou" de mon personnage et la solidité et la puissance que dégage Sami Bouajila. Une sorte d'équilibre entre celui qui tient le cap et celui dont on pense qu'il ne le tiendra pas, car il est plus fébrile et plus excessif.
Il évoque ces personnages de voyous qui veulent faire "un dernier coup" avant de raccrocher…
Oui, même si on sent qu'il n'y croit pas depuis le début. Il est à un tel niveau d'adrénaline qu'il craint de retomber dans un quotidien normal. Évidemment, on aimerait qu'il accepte de gagner le SMIC et de bosser comme ouvrier, mais une fois qu'on a connu le mode de vie qui est devenu le sien, c'est tellement plus vibrant qu'il est difficile d'y renoncer. Éric est un personnage qui brûle la vie. Pour un acteur, les failles sont toujours ce qu'il y a de plus intéressant à jouer.
Il trouve aussi une "famille" auprès de Yanis et Nasser…
Il y trouve surtout une place sociale et une forme d'équilibre. Ce qui est assez beau, c'est qu'alors qu'au cinéma les gangsters sont souvent fantasmés, BRAQUEURS évite ces clichés : c'est l'adrénaline qui séduit – et détruit – les protagonistes.
Vous êtes-vous entraîné pour le rôle ?
C'était essentiellement un entraînement technique pour le maniement des armes. Comme les braqueurs sont de vrais pros, il fallait qu'ils soient dans la justesse – pas dans la frime : ces mecs-là ne tirent jamais une balle de trop. Ils sont méthodiques et rigoureux.
Avez-vous ressenti le besoin de vous documenter ?
Julien m'avait demandé de visionner un documentaire sur des braqueurs et nous a donné beaucoup de références cinématographiques. Après, ce que Julien voulait – évoquer le destin croisé de ces voyous qui n'ont rien à voir les uns avec les autres – était tellement limpide que ce n'était pas franchement utile. Je me suis surtout concentré sur ses intentions et j'ai essayé de ne pas trop fantasmer la dimension romantique du gangster. Éric est avant tout un ouvrier, y compris dans les braquages.
Parlez-moi de vos partenaires.
C'était un vrai film de bande et j'ai l'impression que chacun avait sa place. Je connais très bien Youssef Hajdi dans la vie : c'est un acteur très inventif. Grâce à son rôle, on croit à ce qu'on voit à l'écran, on croit à la bande et à la famille. Ce sont ces moments-là qui nous permettent d'avoir accès à cet univers. Mon personnage, au contraire, incarne "l'invité" de ce milieu. La force de Julien est de faire appel à des acteurs d'univers très différents et de ne pas confier les premiers rôles à des têtes d'affiche habituées au cinéma d'action. Il a aussi eu l'intelligence de donner de la place à des actrices, même si c'est un film de testostérone. Comme à chaque fois, ce sont les femmes qui mènent la barque, de la mère à la sœur et aux conjointes de chacun des mecs.
Vous partagez plusieurs scènes avec Alice de Lencquesaing.
C'est une formidable actrice qui invente tout le temps. Avec elle, comme avec Sami d'ailleurs, on se laissait aller aux accidents et on veillait à ne pas tout maîtriser en permanence. Comme le film est rythmé par des codes de cinéma d'action, on cherchait à rendre les situations vivantes à travers notre jeu.
Comment avez-vous vécu le tournage ?
L'ambiance était hyper joyeuse, même si on a beaucoup travaillé. Julien est un gros bosseur : c'est un "ouvrier" du cinéma. Il ne lâche jamais rien, il travaille sans cesse et comme je suis moi-même très exigeant, je lui demandais systématiquement si on pouvait tenter autre chose lorsqu'il était content d'une prise. Je me disais qu'à partir du moment où on était satisfait d'une scène, on pourrait toujours y revenir par la suite. Du coup, autant tenter autre chose que de refaire 50 fois la même prise ! On était au diapason avec Julien là-dessus.
Quel genre de directeur d'acteurs est-il ?
Il est super précis et très ouvert. Il grandit avec ses films. J'ai le sentiment qu'il assume complètement qu'il peut progresser. Tout comme Sami. Ils ont l'intelligence de se dire qu'ils peuvent apprendre au contact des autres. Au final, il a réussi à mêler le spectaculaire et une forme d'intelligence du récit. Car si les courses-poursuites sont démentes, l'histoire que raconte le film est captivante.
Entretien avec Youssef Hajdi
Comment êtes-vous arrivé sur BRAQUEURS ?
Avec Julien, on se connaît et on s'apprécie depuis longtemps. Il m'avait proposé un rôle dans L'ASSAUT mais cela n'avait pas abouti en raison de l'âge du personnage. J'ai ensuite tourné avec lui sur GIBRALTAR et comme on était heureux de notre collaboration, il m'a dit qu'il souhaitait retravailler avec moi sur son prochain projet.
Qu'est-ce qui vous a intéressé dans cette nouvelle aventure ?
J'ai aimé sa façon d'aborder le thème des braqueurs. En règle générale, le cinéma se contente d'opposer les voyous à la police et il est très difficile de se réinventer dans ce genre. Quand Julien m'a dit que les braqueurs allaient devoir négocier avec des voyous des cités, qui n'ont pas du tout les mêmes codes, j'ai été captivé. Autant le personnage de Kaaris grandit en "voyoucratie", autant les braqueurs sont des soldats pendant l'action qui retrouvent une vie normale ensuite. Par ailleurs, ce qui me plaît avec Julien, c'est de pouvoir collaborer en amont sur les personnages et sur leurs relations. Il avait une véritable envie de travailler différemment que sur ses films précédents : on a tourné en plein hiver, dans l'urgence, ce qui a produit un formidable résultat sur le plan artistique.
Comment avez-vous abordé votre personnage ?
Au début, ce n'était pas évident. Pour défendre ce rôle, je voulais être à hauteur d'homme et rester cohérent : je ne souhaitais pas créer un "méchant" qu'on a vu cent fois au cinéma. Dans le feu de l'action, c'est un soldat acharné et dans la vie de tous les jours, il a ses fragilités et ses faiblesses, mais aussi un vrai rapport à la joie : il est plus solaire que ses partenaires, il sait se marrer avec un karaoké, et dans le même temps prendre une kalachnikov en cas de besoin. Souvent au cinéma, on oublie que ces types-là ont des moments de gaité et on ne se focalise que sur leur colère intérieure. Avec son coscénariste, Julien a su faire exister un passé entre Nasser et Franck (Guillaume Gouix) qui ont noué une relation en prison : ils ont donc un lien d'autant plus fort qu'il s'est forgé en cellule. Quant à Yanis, il incarne le frère d'armes de Nasser : on sent qu'il y a un lien quasi familial entre eux.
Qu'est-ce qui l'anime selon vous ?
À sa sortie de prison, il a compris qu'il allait être très difficile de se réinsérer et de reprendre une vie normale. Par survie, il s'est constitué une équipe et il sait que s'en désolidariser peut s'avérer très coûteux. Il est profondément attaché à Yanis et à son clan, malgré les dangers qui peuvent survenir. Il y a chez lui comme une sorte de nécessité intérieure d'aller au bout de ce qu'il entreprend. D'ailleurs, quand Yanis vient le chercher pour autre chose que le braquage, il est partant car le groupe passe avant tout. Ce n'est pas un hasard si au début du film, on assiste à une scène de match de foot au cours de laquelle on capte les échanges, les regards, les complicités au sein du gang.
Vous êtes-vous documenté ?
Julien nous a donné des films à voir et je me suis beaucoup documenté sur Internet. Après coup, j'ai eu besoin de m'en départir. Car à vouloir retranscrire à tout prix une réalité, on peut perdre l'idée de la fiction et son propre imaginaire.
Avez-vous suivi un entraînement particulier ?
On a travaillé avec un ancien du GIGN pendant des mois : dès l'entraînement, le fait d'être en appui les uns par rapport aux autres installait une solidarité entre nous. On évoluait avec des armes, ce qui a créé une osmose entre les acteurs. J'ai dû perdre 14 kg et suivre un entraînement physique très intensif d'autant que je venais de me rétablir d'une grosse blessure au tendon d'Achille. Une fois que mon corps était suffisamment musclé et que j'ai su manier les armes, il a fallu réfléchir à la meilleure manière de faire exister ce "soldat" dans la vie quotidienne. J'ai voulu en faire quelqu'un de posé et de confiant, qui connaît ses capacités d'action. Il n'a pas besoin de forcer le trait quand il est au combat. Cela rejoint mon obsession d'être à hauteur d'homme.
Parlez-moi de vos partenaires.
Avec Guillaume Gouix, on se connaissait dans la vie mais on n'avait jamais tourné ensemble : il est de la même génération que moi, et j'aime son travail. C'était un vrai plaisir de se retrouver ensemble sur un plateau. C'était très intéressant de travailler avec Sami qui, lui, appartient à une autre génération d'acteurs. Il s'est créé une osmose de groupe entre tous les comédiens, même en dehors du plateau : on faisait attention au travail des uns et des autres, ce qui a contribué à créer un véritable esprit de solidarité et de groupe.
Quel genre de réalisateur Julien est-il ?
Je l'avais vu en authentique chef d'orchestre sur GIBRALTAR qui était une énorme machine. Avec BRAQUEURS, j'ai découvert un metteur en scène différent, poussé dans ses retranchements chaque jour car il devait faire face à des problèmes de météo, des difficultés techniques, logistiques etc. Et je l'ai vu avancer quotidiennement sans faiblir : il avait le mental d'un braqueur sur ce tournage. Il nous montrait à tous comment avancer : c'était un vrai soldat. Voir la pertinence et le détail avec lesquels il maîtrisait son film était hallucinant. Dans le même temps, il laissait de la liberté aux acteurs et il était constamment à notre écoute dès que cela pouvait servir le film. Il y avait quelque chose de très sanguin et de très instinctif dans son approche du tournage.
Entretien avec Kaaris
Comment êtes-vous arrivé sur le film ?
Julien Leclercq m'a contacté parce qu'il avait vu un de mes clips, Zoo, en 2012 et qu'il trouvait que l'image correspondait au personnage du film. Mais avant de me faire passer le casting, on a tourné un clip pour mon deuxième album, Gucci Mane, qui a eu 10 millions de vues sur Internet. C'était une vidéo qui tranchait un peu avec le style habituel du rap : comme il y avait du jeu, Julien a remarqué que j'arrivais à me mouvoir devant une caméra.
Qu'avez-vous pensé du scénario ?
J'ai adoré ! Il était réaliste et les personnages étaient sobres : il n'y avait pas de fioriture. C'était un film proche du terrain et de la réalité comme je les aime. Mon personnage, Salif, est un jeune gangster des quartiers qui se rend compte que l'un de ses soldats est tombé à cause des braqueurs. À partir de là, Salif se dit qu'il y a une aubaine et qu'il n'aura plus besoin de faire le sale boulot puisque Yanis a une dette vis-à-vis de lui : il décide alors de le rencontrer pour lui donner ses ordres.
Il y a comme une rivalité entre eux.
Salif aimerait sans doute être à la place de Yanis : il aurait aimé faire ce qu'il fait, et être aussi bon que lui. Il éprouve donc de la haine envers lui, et en voyant les braquages à la télé, il se dit "wow, ces mecs-là, ils assurent !" Tout à coup, il a l'occasion de se servir de son pouvoir de caïd de la cité pour arriver à ses fins. Au final, ce ne sont pas les mêmes voyous : Salif est un tueur, contrairement à Yanis.
C'est le personnage le plus sombre du film.
Il n'a pas d'âme, ni de cœur. On ne sait pas ce qu'il cherche dans la vie : même mourir, ça ne lui fait pas peur. Il est prêt à tout pour atteindre son objectif, quitte à négocier avec la police. C'est ce qui le différencie de Yanis qui, lui, a un cœur. C'est super jouissif en tant qu'acteur ! Mon rôle est sans doute moins difficile à jouer que celui de Yanis qui tient à son frère et qui a une femme qu'il aime. Salif n'a pas de famille : il vit comme un chien, au jour le jour, et il va le plus loin possible.
Vous êtes-vous entraîné ?
Oui, surtout pour le tir, avec un ancien du GIGN. J'ai aussi beaucoup discuté avec Julien de mon personnage, surtout que je ne suis pas comédien de métier. Il fallait que je puisse devenir le personnage. D'où un entraînement physique intensif : je devais être frais pour être bien dans mon corps et dans ma tête, d'autant qu'on était censé arriver sur le plateau à 6h du matin avec une pêche d'enfer.
Quels ont été vos rapports avec les autres acteurs ?
Ce qui m'a marqué dans mon rapport aux autres, c'est d'abord un feeling : quand je vois Guillaume, Sami ou Youssef, je sens qu'ils ont tous envie de se dépasser. Et même si au départ je n'étais pas totalement à l'aise et en pleine possession de mes moyens, car ce n'était pas mon univers, j'ai été très bien accueilli. Mes partenaires m'ont beaucoup rassuré, et parfois Sami enchaînait sur mes lacunes pour que je me souvienne du texte. Il y avait vraiment une excellente ambiance et le tournage est passé comme une lettre à la poste.
C'est grâce à vous que l'équipe a pu tourner dans la cité de Sevran.
C'est là où j'ai grandi. J'avais dit à Julien qu'il était préférable de tourner au cœur de Sevran par souci de réalisme. Cela s'est super bien passé parce que je gère le quartier : j'ai parlé à mes potes en amont du tournage et je leur ai expliqué qu'on serait sur place pendant dix jours. Du coup, on a pu faire ce qu'on voulait, y compris des explosions : mes amis surveillaient les camions de la régie et on n'a même pas eu un pneu de voiture crevé, ce qui est exceptionnel dans une ville comme Sevran !
Parlez-moi de Julien Leclercq.
J'ai connu des réalisateurs de clips beaucoup plus compliqués que lui alors qu'un clip ne dure que trois minutes ! Je ne l'ai jamais vu s'énerver. Il gardait son calme en toute occasion : il est droit dans ses bottes, il dirige très bien, il a beaucoup d'empathie pour les acteurs, surtout pour moi qui suis novice. Même quand je me trompais, il venait m'expliquer ce qu'il fallait faire avec beaucoup de persuasion. Il savait ce qu'il voulait et il savait que je pouvais arriver à ce que lui avait en tête.
Entretien avec Kahina Carina
Qu'est-ce qui vous a intéressée dans ce projet ?
D'abord, la possibilité de retravailler avec Julien Leclercq. J'avais déjà tourné avec lui sur GIBRALTAR où j'incarnais la femme de Tahar Rahim et j'adore son univers, ses choix d'acteurs, et ses idées de mise en scène. Le fait qu'il réalise ce film était donc déterminant pour moi. Par ailleurs, j'étais ravie de travailler avec Sami Bouajila et Guillaume Gouix.
Avez-vous été sensible au scénario ?
Il était d'une grande fluidité, sans aucune scène superflue : on entrait tout de suite dans l'histoire et dans un univers très imagé. Ce sont des éléments qui m'ont séduite. Par ailleurs, le récit était extrêmement réaliste et jamais dans les clichés. Comme je suis typée, la plupart des rôles qu'on me propose sont des femmes soumises et j'ai vraiment apprécié que BRAQUEURS y échappe. Yanis traite les membres de sa famille d'égal à égal, tout en les protégeant. J'ai trouvé cela à la fois moderne et vraisemblable. Il n'y pas non plus de flics, ni de bandits qui se droguent et qui n'ont ni cœur, ni vie sentimentale. Bien au contraire, les personnages sont très humains, et notamment Yanis, avec qui je suis le plus en contact. Il m'a touchée par sa sincérité, sa pudeur et sa paranoïa – ce besoin de tout contrôler tout en évoluant dans un monde complexe.
Vous êtes l'une des rares femmes dans un univers essentiellement masculin…
Je trouve que cela fait partie du réalisme du projet. Quand on voit la plupart des films sur des braquages, il y a très peu de femmes. Or les mères, les sœurs, les épouses y sont quand même présentes. À côté de la petite amie de Yanis, qui reste un fantasme inaccessible, j'avais une place ni trop importante, ni trop insignifiante. Et donc dans une vraie justesse. Surtout, les personnages féminins mettent en valeur l'humanité et la sensibilité des personnages masculins, à l'image de Nasser qu'on voit dans le karaoké avec sa femme ou Éric avec sa compagne.
Que pense votre personnage des activités de son frère ?
Nora a toujours voulu échapper à sa condition sociale et à sa banlieue. Elle a une vraie soif de liberté, tout comme son frère Yanis. Elle n'a jamais voulu être enfermée dans un carcan social et culturel : très tôt, elle a eu besoin de vivre seule, d'avoir son salon de coiffure, et de gagner son indépendance. Au moment où démarre le film, elle a envie de vivre par ellemême : ce n'est plus une fille de 20 ans prête à tout accepter. Elle ne se désolidarise pas de son frère mais elle affirme sa maturité et elle se rend compte qu'elle peut travailler et faire ses propres choix. Elle devient adulte.
Est-elle très proche de son petit frère ?
En fait, pour moi, elle n'a pas du tout les mêmes rapports avec Yanis et Redouane. Elle comprend qu'il n'a pas la force tranquille de son grand frère : c'est quelqu'un d'éparpillé et qui a besoin de se prouver beaucoup de choses. Du coup, elle le protège. Et leur complicité est forcément différente.
Et avec sa mère ?
Nora a une vraie connivence de femmes avec sa mère, mais elle ne révèle rien sur ses rapports avec son frère : c'est leur secret. Pour elle, ce sont des relations séparées. Pour autant, elle a une relation très adulte avec sa mère : quand elle lui dit qu'elle ne veut pas de la même vie qu'elle, elle affirme son honnêteté dans ses sentiments.
Vous êtes-vous glissée facilement dans la peau du personnage ?
Cela s'est passé de façon fluide grâce à l'efficacité scénaristique et aux préparations en amont. Julien nous a donné énormément d'informations et Jérôme Pierrat nous a expliqué beaucoup de choses sur la réalité de ce milieu qui nous ont aidés à nous approprier nos rôles. Je me suis laissé guider par le scénario et le réalisateur. Et il y avait une telle ambiance sur le plateau qu'on entrait naturellement dans l'univers du film.
Qu'avez-vous pensé de vos partenaires ?
La plupart de mes scènes sont avec Sami. Au départ, j'avais un peu peur de jouer avec lui d'autant que je l'admire beaucoup. Mais il est d'une grande simplicité et il est animé par une force tranquille, même si c'est un faux calme. J'avais le sentiment d'avoir en face de moi un grand frère avec qui j'étais d'égal à égal. Il m'a beaucoup aidée à me défaire de mes craintes. Dès notre première rencontre, on a créé un lien fort tout en gardant beaucoup de pudeur. Il a une capacité incroyable à susciter l'énergie du moment.
Parlez-moi de Julien Leclercq.
Ce qui est étonnant, c'est qu'il est extrêmement porteur : il a une énergie débordante et une exigence extraordinaire et dans le même temps une grande bienveillance. Il suffit de l'écouter pour se laisser porter : il instaure une atmosphère saine sur le plateau. Dès qu'on l'écoute, on est totalement dans le film et il ne met aucune distance avec les gens. Il est très positif et clair sur ce qu'il veut. Il ne cherche pas à "se couvrir" en multipliant les caméras. Il est constamment ouvert aux propositions tant que c'est la bonne idée qui prime.
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