jeudi 5 mai 2016

MEN & CHICKEN


Comédie dramatique/Un film spécial mais réussi dans son genre

Réalisé par Anders Thomas Jensen
Avec Mads Mikkelsen, David Dencik, Nicolas Bro, Nikolaj Lie Kaas, Søren Malling, Bodil Jorgensen, Ole Thestrup, Rikke Louise...

Long-métrage Danois
Titre original : Mænd & høns
Durée: 01h44mn
Année de production: 2015
Distributeur: Urban Distribution

Date de sortie sur les écrans danois : 5 février 2015
Date de sortie sur nos écrans : 25 mai 2016


Résumé : A la mort de leur père, Elias et Gabriel découvrent qu’ils ont été adoptés et que leur père biologique, Evelio Thanatos, est un généticien qui travaille dans le plus grand secret sur une île mystérieuse. 
Malgré leur relation houleuse, ils décident de partir ensemble à sa rencontre. Arrivés sur cette île éloignée de la civilisation, ils vont découvrir une fratrie étrange et des origines inquiétantes. 
Il devient évident que, décidément, on ne choisit pas sa famille.

Bande annonce (VOSTFR)


Ce que j'en ai pensé : Avec MEN AND CHICKEN, le réalisateur, Anders Thomas Jensen, nous propose une fable bizarre dans laquelle l'humour noir prime. Il en ressort une histoire pour le moins spéciale. La réalisation est fluide et a le mérite, avec ce scénario, de plus suggérer les évènements que de les montrer. Cette approche est intelligente car elle permet au film de conserver son statut de farce. Il y a pas mal d'idées glauques qui sont développées au fur et à mesure que Gabriel, le frère doté d'une intelligence supérieure à la moyenne, s'entête à découvrir la vérité.
La grande réussite du réalisateur est de réussir à rendre attachants les cinq frères. C'était un pari assez risqué. En expliquant le cadre, il permet aux spectateurs de comprendre et donc de les voir sous un autre jour que celui qui est définit seulement par leur comportement. On comprend qu'il y a une souffrance sous-jacente dans cette fratrie.
Il est aidé dans sa mission par ses très bons acteurs. Mads Mikkelsen, qui interprète Elias, est méconnaissable. Elias est un homme-enfant complètement en décalage avec les règles de la société.
David Dencik interprète Gabriel, le frère doté d'un cerveau parfaitement fonctionnel et qui est partagé entre fuir à toute jambe et accepter cette famille très étrange.
Nikolaj Lie Kaas interprète Gregor. Il est lui aussi méconnaissable et excellent pour jouer le curieux de la bande, celui qui va s'intéresser aux autres et qui a envie d'évouler (un peu).




MEN AND CHICKEN est vraiment un film bizarre et il est donc réussit car je pense que c'est exactement le résultat souhaité par son réalisateur. Si vous aimez les films décalés, sur fond d'humour noir et qui ne mettent pas les spectateurs à l'aise avec leur sujet, alors c'est une découverte originale à tenter.


NOTES DE PRODUCTION 
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

ENTRETIEN AVEC ANDERS THOMAS JENSEN 

Dix ans se sont écoulés depuis votre dernier film, ADAM’S APPLES. Vous avez profité de ce temps pour écrire beaucoup de scénarios pour d’autres réalisateurs, notamment pour Susan Bier, ce qui vous a valu un Oscar. Pourquoi ? 

J’ai eu quatre enfants après avoir fini ADAM’S APPLES, et tourner un film signifie être loin de chez soi pendant un an environ. J’ai donc voulu me rapprocher de ma famille et trouver un moyen de travailler tout en étant près d’eux. J’ai tenté d’équilibrer famille et travail sans que l’un n’interfère avec l’autre. Après, quand on a quatre enfants, il y en a toujours un qui pleure ou qui a mal, donc lors des phases d’écriture, je partais quelques semaines dans une maison de campagne. 

Comment est venue l’envie de réaliser MEN AND CHICKEN, et de mélanger plusieurs genres, de la comédie noire au fantastique, en passant par quelques éléments d’hor reur ? 

Ma première source d’inspiration a été mes enfants. Leur façon d’interagir, et le sentiment d’appartenance à une famille. Le moment du repas en semaine est un parfait exemple du décalage dont je me suis inspiré : ce qui semble parfaitement normal pour ma femme et moi peut apparaître comme une scène d’apocalypse pour nos amis qui n’ont pas d’enfants, car ils ne sont pas habitués à l’espèce de chaos ambiant qui règne autour d’une table avec quatre enfants affamés. En ayant des enfants, certains souvenirs de ma propre enfance me sont revenus, des souvenirs que j’avais jusqu’alors mis de côté ou oublié, dont j’ai retiré l’essence pour les transformer en des éléments grotesques et, je l’espère, drôles, dans le film. Nous avons beaucoup travaillé avec ma directrice de production, Mia Steensgaard, et mon chef opérateur, Sebastian Blenkov, pour harmoniser tous ces genres divers. Nous avions conscience de travailler avec un éventail large, allant du slapstick jusqu’au thriller, voire à l’horreur. Nous avons tenté de créer pour chaque scène quelque chose d’à la fois beau et déplaisant. Un élément étrange et un élément normal. Trouver l’équilibre n’était pas chose facile, mais a été très stimulant. 

Beaucoup de références nous viennent à l’esprit en voyant MEN AND CHICKEN : H.G. Wells, Mary Shelley, Franju, la science-fiction américaine des années 1950. Quels ont été vos influences artistiques ? 

Je ne m’en suis pas rendu compte en commençant à écrire le film, mais inconsciemment, je pense que j’ai été influencé par L’ILE DU DOCTEUR MOREAU, de H.G. Wells. Ce récit a eu un impact très important sur moi lorsque je l’ai lu dans mon e nfance. 

MEN AND CHICKEN est un film très physique pour les acteurs qui se battent beaucoup. Comment le tournage s’est-il passé ? 

Les quatre premiers jours de tournage ont consisté à jeter des objets et des animaux empaillés. Et même si nous essayions d’avoir des accessoires souples pour limiter les blessures, certaines scènes ont laissé des traces. David Dencik (Gabriel) n’est pas un acteur particulièrement physique. C’est lui qui a souffert le plus. Après quatre jours de passages à tabac, David est venu me voir pour me dire que maintenant, il faudrait penser à tourner d’autres scènes. Au niveau de la narration, c’était compliqué pour moi d’obtenir un effet comique avec des luttes filmées en gros plan, à l’exception des moments où l’un assomme l’autre avec un animal empaillé. C’est pour ça que j’ai souhaité tourner la plupart des scènes de bagarre en plan large, pour obtenir un style proche de la farce, voire du film muet. 

Le personnage de Flemming, le maire de l’île, interpelle Gabriel et Elias lors de leur arrivée au sujet de « l’humour particulier » local. Comment décririez-vous l’humour de votre film ? 

C’est un mélange de plusieurs styles d’humour. J’adore le burlesque, et il y en a dans le film. Mais je ris également beaucoup devant des séries comme BREAKING BAD qui pour moi est une des plus drôles de ces dernières années, un humour à la fois noir et sophistiqué. On retrouve un peu de ça aussi dans MEN AND CHICKEN. Pour moi, l’humour ne tient pas tant dans l’écriture que dans le rythme et le jeu de l’acteur. Un gag très classique peut avoir un grand effet s’il est placé au milieu d’un moment dramatique par exemple. 

Au Danemark, de nombreuses personnes ont protesté contre le fait que MEN AND CHICKEN montrait les personnes avec un bec-de-lièvre sous un mauvais jour, et que le film était de fait discriminatoire. Avez-vous pensé que votre histoire pourrait avoir ces conséquences ? 

Je peux facilement comprendre, et bien sûr, j’ai réfléchi aux conséquences, surtout à notre époque où les sensibilités sont exacerbées sur le sujet des discriminations. Mais je ne cherche à offenser personne, il s’agit plus pour moi de créer un lien physique entre les personnages pour signifier leur appartenance à la même fratrie. Globalement, il est très difficile de faire ce genre de comédies sans froisser qui que ce soit. Personne ne s’intéresserait à un film montrant comment aider les personnes ayant un bec-de-lièvre ou se déplaçant en fauteuil roulant. La sensibilité des gens peut parfois créer des absurdités : aujourd’hui, on ne peut plus dire que l’on est gardien d’immeuble ou éboueur. On parle de concierge ou d’agent d’entretien. Je ne vois pas l’intérêt à ne plus utiliser certains mots qui agacent les gens simplement pour ne pas les froisser. Pour moi, on s’éloigne de son sujet et cela en dit plus sur nous-mêmes que sur ce dont on souhaite parler. 

Le Danemark possède une histoire particulière avec le darwinisme et l’eugénisme, qui ont été des questions essentielles de politique au début du XXe siècle dans le pays. Est-ce que c’est un sujet que vous évoquez consciemment ? Quelle est votre position face à ces thèmes ? 

Pour moi, le point central du film est vraiment la famille. Je me suis beaucoup inspiré de ma propre famille. Quand on a des enfants, on réalise que nos comportements adultes sont essentiellement modelés par la façon dont nos parents nous ont éduqués et les valeurs qu’ils nous ont transmises. Sans ces acquis, nous ne sommes pas si éloignés des animaux, nos instincts sont plutôt primitifs. Le film raconte un peu cette histoire : une fratrie éloignée de tout, qui n’a pas bénéficié des acquis familiaux que l’on attendrait normalement. Comment ils se sont construits sans ces repères, comment ils communiquent, et comment les deux frères, qui ont été élevés par un père adoptif et ont eu accès à une certaine éducation, et les trois frères reclus arrivent à s’accepter malgré ces différences. Après, j’ai conscience que les manipulations génétiques peuvent nous mener à redéfinir ce que sont la vie et l’intelligence, avec toutes les questions éthiques que cela soulève. Mais je vois ces avancées comme quelque chose de positif et il serait insensé de ne pas explorer les possibilités que cela nous offre. Toutefois, l’eugénisme est pour moi la tentative de créer un objet parfait et sans défaut, ce qui est l’exact inverse de ce que la vie et la nature sont. 

Avez-vous déjà d’autres projets ? 

J’ai repris la casquette de scénariste, et je travaille actuellement sur un scénario adapté de LA TOUR SOMBRE, de Stephen King, qui sera réalisé par Nikolaj Arcel. 

ENTRETIEN AVEC MADS MIKKELSEN 

MEN AND CHICKEN dépeint une histoire de famille hor s norme. Cette famille peu ordinaire vous a-t-elle surpris ? 

Même avant de lire le scénario, je savais pertinemment que je n’aurais pas affaire à quelque chose de « normal ». Anders Thomas Jensen ne s’attache pas au « normal ». Je ne sais pas si ce qu’il écrit peut encore me surprendre, car je suis habitué à sa faculté à raconter des histoires que je serais incapable d’imaginer même en rêve. Et c’est encore le cas avec ce film. C’est assez difficile à décrire. Il ne franchit pas de limites, mais s’attache plutôt à redessiner ces limites, à rendre l’inimaginable possible, envisageable. Nous pouvons malgré tout éprouver de l’affection pour cette fratrie atypique. La question que l’on se pose en lisant le scénario du film, c’est de savoir si Anders Thomas Jensen parvient à créer un univers dans lequel on ne considère pas ces frères comme « normaux », mais que ça ne nous empêche pas pour autant de les comprendre. 

Comment décririez-vous l’histoire ? 

Cinq frères se retrouvent et se trouvent, malgré leur histoire et leur origine compliquées. Au-delà de la farce macabre, le film est un bel hommage à la vie, dissimulé dans un emballage pour le moins « déjanté ». On pourrait développer un propos similaire avec un groupe de femmes en surpoids qui apprennent à s’accepter telles qu’elles sont. Mais personne n’irait voir un film comme ça, car ce discours est développé tous les jours dans les émissions de téléréalité. D’où le recours à un « emballage » atypique et à un univers spécifique dont je parlais. 

Qu’est-ce que vous entendez par « univers » ? 

Anders Thomas Jensen crée pour chacun de ses films un monde bien spécifique dont il a besoin pour développer ses histoires, qui ne fonctionneraient pas sans ça. Il aborde de grands thèmes tels que la vie, la mort, Dieu, Satan. Dans ce film précisément, il développe le thème des racines, des origines et par extension, le fait de s’accepter tel que l’on est. Et il construit un univers particulier spécialement pour traiter ces thèmes. Un univers qui se nourrit de la tradition du film danois et de la façon de montrer la ruralité : le soleil brille et tout le monde est content ; Jensen s’amuse et manipule cet idéal pour se l’approprier. 

Est-ce que le film reste malg ré tout un film « typiquement » danois ? 

Pas nécessairement, mais il ne faut cependant pas oublier que Anders Thomas Jensen, avec ses films, aussi atypiques soient-il, fait malgré tout partie du patrimoine danois. Dans cette optique, je pense que l’on peut considérer MEN AND CHICKEN comme un film « typiquement danois ». Mais c’est surtout et avant tout un film de Anders Thomas Jensen. Il s’agit de notre quatrième collaboration. Je l’apprécie beaucoup. C’est un homme extrêmement intelligent. Il a une vision unique, un sens de l’histoire qui lui est propre et que je ne retrouve pas ailleurs. Il n’y a personne au Danemark, ni même à mon avis dans le monde, avec qui on pourrait le comparer. J’adore son sens de l’humour très particulier. Nous avons une façon de travailler bien spécifique, il a créé à plusieurs reprises des personnages spécialement pour moi, qui sont tous plus ou moins détestables. Et nous nous efforçons à chaque fois des les rendre appréciables. 

Dans ce cas précis, vous incarnez un personnage au tempérament violent, qui se laisse guider par ses pulsions , mais qui est également naïf. 

Le personnage que j’incarne, même s’il a une apparence de grand gaillard, raisonne dans sa tête comme un enfant de cinq ans. Sa mentalité et son comportement face à des situations complexes sont ceux d’un enfant de cinq ans. Les solutions qu’il apporte également. Et on peut dire la même chose de la plupart des autres frères.

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