JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE
Drame/Manque d'intérêt
Réalisé par Benoît Jacquot
Avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Clotilde Mollet, Hervé Pierre, Mélodie Valemberg, Patrick d'Assumçao, Vincent Lacoste, Joséphine Derenne, Dominique Reymond, Rosette, Adriana Asti, Aurélia Petit...
Long-métrage Français/Belge
Durée : 1h35m
Année de production : 2015
Distributeur : Mars Distribution
Date de sortie sur nos écrans : 1 avril 2015
Résumé : Début du XXème siècle, en province. Très courtisée pour sa beauté, Célestine est une jeune femme de chambre nouvellement arrivée de Paris au service de la famille Lanlaire. Repoussant les avances de Monsieur, Célestine doit également faire face à la très stricte Madame Lanlaire qui régit la maison d’une main de fer. Elle y fait la rencontre de Joseph, l’énigmatique jardinier de la propriété, pour lequel elle éprouve une véritable fascination.
Bande annonce (VF)
Ce que j’en ai pensé : Je n’avais pas d’attentes spécifiques par rapport à ce film. La bande annonce avait piqué ma curiosité. Aussi, lorsque j’ai reçu l’invitation pour aller le découvrir en avant-première hier soir, je n’ai pas hésité à faire le déplacement. Après une courte introduction (vidéo ci-dessous) de la part de Benoît Jacquot et de Léa Seydoux, qui ont eu la gentillesse de se déplacer pour venir à notre rencontre, la projection du film a débuté.
Je vous le dis tout de suite, je ne suis pas du tout rentrée dans l’histoire. Pour tout dire, et à regret, je me suis ennuyée. Benoît Jacquot a une réalisation appuyée pour mettre en scène des regards et des attitudes un peu répétitive à mon goût. Les ambiances d'époque sont bien retransmises (les toilettes des femmes sont belles dans leur style), cependant il ne se passe pas grand-chose dans cette histoire. En plus, la construction du film est confuse. Les va-et-vient entre les événements arrivent sans que la logique du pourquoi soit évidente.
Il y a une volonté de faire une étude sociale qui est bienvenue et qui constitue la partie la plus intéressante. Je comprends parfaitement la force des ressentiments, la disparité des vies selon les classes sociales affichées et les douleurs insoutenables qui se cachent derrière les regards et les peines des femmes domestiques. Mais ce qui est très problématique pour moi, c’est que je ne me suis absolument pas attachée aux personnages, domestiques ou maîtres. Leurs états d'âme m'ont laissée de marbre. J’ai trouvé que la plupart des acteurs sur-jouent comme pour justifier l'emphase des dialogues. Lea Seydoux qui interprète Célestine est plus convaincante et juste dans son jeu que ses partenaires, mais la personnalité de cette femme de chambre reste floue. L’histoire de Célestine ne m’a pas bouleversée.
Finalement, les protagonistes ne ressortent jamais comme sympathiques, ils sont même parfois plus qu'antipathiques. Cela rend d'autant plus bizarre la relation que Célestine peut entretenir avec eux. N'ayant pas lu le roman éponyme d'Octave Mirbeau dont le film s'inspire, je ne saurais vous dire si Benoît Jacquot a pris beaucoup de liberté avec les personnalités des protagonistes ou si au contraire il est resté très fidèle au roman. En fait, cela importe peu car ce film ne me correspond pas du tout. Je n’ai pas accroché ni à l’histoire, ni à la réalisation, ni au jeu des acteurs. Je le regrette car j’aurais aimé être ravie et lui trouver beaucoup de charme, mais je suis passée à côté complètement. A vous de voir si ce genre de long-métrage peut vous plaire.
Entretien Benoît Jacquot
Pourquoi avoir voulu réaliser une adaptation du « Journal d’une femme de chambre » ?
Ce film, je l’ai écrit et tourné dans une sorte de besoin : j’y trouvais un écho direct avec le climat sociopolitique actuel. Par détour, le roman de Mirbeau, qui se situe au début du XXème siècle, me donnait l’opportunité d’évoquer des questions que notre société ne traite plus que de manière masquée : l’esclavage salarié, l’antisémitisme, la discrimination sexuelle. Il me donnait aussi l’occasion de suivre à nouveau un personnage féminin du premier au dernier plan comme je l’ai fait souvent.
On pense forcément aux films qu’en avaient tirés Jean Renoir en 1946 et Luis Buñuel en 1964.
Leur point commun est d’être tiré du livre de Mirbeau. À part ça, ils sont si différents qu’il est difficile de les comparer. Ce n’était donc pas insensé d’en proposer un troisième. C’est du moins l’argument que je me suis donné.
Votre adaptation est très fidèle au roman.
Mais j’ai fait des choix, sorti un certain nombre de scènes qu’il m’intéressait de juxtaposer dans un ordre précis, jusqu’à constituer la matière de ce « Journal » : une chronique ponctuée de réminiscences.
Le film débute sur un entretien d’embauche. Le bureau de placement et les échanges de Célestine avec la responsable des lieux jouent un rôle capital dans le récit.
Cet entretien et ceux qui suivent m’ont immédiatement semblé devoir en constituer la charpente. Ce qui s’y dit renvoie à des situations qui nous concernent tous, nous rappelant que l’esclavage salarié, comme on disait autrefois, existe toujours et que sa violence n’a pas varié. Dramaturgiquement, il était important d’en faire le fil conducteur de la narration. C’était aussi une manière de dénoncer le discours actuel qui n’a que trop tendance à maquiller et atténuer la brutalité toujours plus vive du monde du travail.
« Il n’y a que de mauvais maîtres », dit Célestine à Dominique Reymond, la recruteuse. « Non, il n’y a que de mauvais domestiques », lui répond celle-ci. En une scène, tout est dit ou presque sur la condition de l’héroïne.
Oui, sa situation l’accule à un cynisme aussi constant que possible.
Célestine est intelligente. Elle est différente des autres, c’est une battante, elle peut se montrer insolente, refuser les places qu’on lui propose, et, pour autant, elle n’échappe à sa condition que pour aller vers un destin encore plus sombre.
Elle va du pire au pire. À partir du moment où elle décide de ne plus avoir de maître, sa seule alternative est d’être recrutée dans un bordel ou de suivre Joseph, ce type qui représente le pire mais qui est aussi la seule issue qu’elle se trouve.
Elle est tout de suite attirée par le palefrenier des Lanlaire, ces bourgeois de province chez lesquels elle s’est placée, tout en manifestant, dès leur première rencontre, une certaine répugnance à son égard.
C’est comme un phénomène climatique : il y a immédiatement entre eux un lien d’attraction / répulsion irrésistible, érotique. Tout en tenant au côté chronique au film, j’avais besoin d’un autre fil pour le conduire dramatiquement. Interprété par Vincent Lindon, le personnage de Joseph me servait, en quelque sorte, d’inducteur. Un mélange de magnétisme et de calcul, un personnage dont l’ignominie est attirante.
Une sorte de monstre.
Oui, comme souvent les monstres exercent un charme violent sur ceux qui osent les approcher.
Dès la scène du repas, à l’office, Célestine et Joseph échangent des regards qui tranchent avec l’attitude qu’elle adopte avec les autres hommes.
Dans le monde où vit Célestine, les hommes, à l’exception de Joseph et du jeune Georges, ne peuvent être que les instruments d’un calcul ou, éventuellement, l’occasion d’assouvir un besoin de se faire sauter à toute vitesse. Un type passe et la regarde et, immédiatement, elle se fait prendre dans une chambre assez brutalement. Célestine n’a affaire qu’à la brutalité masculine, y compris quand elle finit par faire l’amour avec Joseph. Il y a les chiens, qui sont très importants, parce qu’il sont annonciateurs du danger – ces chiens qui sont constamment sur les talons de Joseph, qui n’obéissent qu’à lui et à ceux à qui il leur dit d’obéir, avec lesquels il a un lien quasi animal et qu’il tue froidement à la fin.
Joseph est calculateur, voleur, peut-être est-il même un violeur, et il est violemment antisémite.
Je n’ai pas attendu de lire Mirbeau pour savoir de façon précise – grâce, notamment, aux travaux de Zeev Sternhell –, que l’antisémitisme moderne, celui du XXème siècle, est largement une invention française. Son roman me donnait l’occasion de remonter aux sources de cet antisémitisme. Le discours franco-français le fait passer pour un épiphénomène et l’attribue volontiers à nos voisins allemands. Il remonte tout autant à l’époque de Georges Boulanger, Edouard Drumont et Maurice Barrès et s’est cristallisé au moment de l’affaire Dreyfus qui est à peu près celle où se déroule le film. Les historiens le savent : ce qui s’est passé à ce moment-là a déterminé ce que nous vivons aujourd’hui – la ségrégation de classe, de race, de sexe.
En cédant à Joseph, Célestine cède en quelque sorte aux sirènes de l’extrémisme.
Même si on prend soin d’avertir que Célestine n’est pas a priori sensible aux propos antisémites – « Si je réfléchis, dit-elle, je ne vois pas pourquoi je serai contre les juifs. J’ai servi chez eux autrefois (…) ils ne sont pas pires que les autres » –, elle succombe à Joseph pour les mêmes raisons que celles qui poussent actuellement un certain nombre de personnes dans les bras de l’extrême droite ou du fondamentalisme. Le désespoir et la misère peuvent facilement conduire à trouver du charme aux discours du pire. Célestine est attirée par l’énergie radicale dégagée par Joseph qui va dans le sens du radicalisme de l’époque, un populisme marqué d’antisémitisme. On a un peu tendance à oublier que les dirigeants progressistes d’alors – Auguste Blanqui, Louise Michel, etc.–, étaient volontiers antisémites au nom de l’anticapitalisme.
Célestine travaille très dur chez les Lanlaire ; elle est constamment en train d’accomplir des tâches ingrates. Vous accordez beaucoup de place à ces scènes.
Je voulais qu’elles soient plastiquement belles – c’est d’ailleurs un désir qui court dans toute la mise en scène du film ; une beauté qui fasse d’autant mieux apparaître l’ingratitude de la situation. Le filmage devait ne pas renchérir sur la misère. Je tiens particulièrement à cette scène qui montre sa patronne envoyer Célestine chercher du fil, puis l’oblige à remonter à l’étage pour ramener une aiguille, puis à remonter encore chercher des ciseaux. C’est un exercice de dressage. Madame Lanlaire esclavagise Célestine avec un plaisir assez pervers ; elle guette ses réactions.
Célestine s’exécute en maugréant. Elle marmonne et bouillonne intérieurement mais ne se défait jamais, sauf en de très rares occasions, de sa cuirasse.
Ces moments où elle se laisse déborder par l’émotion – lorsqu’elle apprend la mort de sa mère ou lorsqu’on lui propose de se prostituer dans une maison de passe – sont très importants : ils mettent l’accent sur le bloc émotif qu’elle retient, nous la rendent accessible, vulnérable avant d’être insolente.
On la sent capable d’une grande douceur. « Il suffit qu’on me parle doucement, qu’on ne me considère pas comme entre un perroquet et un chien, pour que je sois tout de suite émue », dit-elle en rentrant au service de la vieille madame Mendelson et de son petit-fils. Mais, même dans ces moments heureux, elle est incapable de sortir de son statut de domestique et refuse, par exemple, d’appeler le jeune homme autrement que Monsieur Georges. « Je ne pourrais pas !», s’exclame-telle.
Comme les esclaves, elle a intériorisé sa servitude. C’est ce qu’on nomme « servitude volontaire » et il me semble qu’on ne s’en inquiète jamais assez.
Célestine ne se départit finalement jamais de ce sentiment. Elle pense échapper à sa condition en suivant Joseph mais ne fait, en réalité, que passer d’un maître à un autre. « Il me tient », dit-elle à son propos en quittant la maison des Lanlaire.
Oui, elle a l’illusion très fugitive, qu’en le choisissant, lui, elle en fera autre chose mais, évidemment, elle se trompe. C’est toujours ce cheminement du pire au pire.
La plupart des scènes du film fonctionnent comme de petites fables…
Le film est construit comme ça. Certaines, qui peuvent sembler anodines, sont très parlantes. Je pense à cette séquence où Madame Lanlaire envoie Célestine acheter de la viande pour les chiens. La viande est découpée, bien belle, bien rouge ; elle la donne aux chiens et dit à Joseph en passant : « Les chiens des riches, c’est pas des pauvres ». C’est bref, c’est du français vif, et on va immédiatement à l’essentiel.
Parlez-nous du capitaine Mauger, ce voisin des Lanlaire, qui mange des fleurs et partage officiellement sa couche avec Rose, sa bonne.
Lui, Rose, les femmes du village, et même Lanlaire, font partie d’une galerie de personnages saugrenus et farfelus – parfois grimaçants –, qui participent au ton un peu ricaneur et sarcastique du film. J’ai pris beaucoup de plaisir à les croquer. C’était assez inhabituel pour moi qui suis plutôt porté à la litote.
Les acteurs qui les interprètent sont pour la plupart peu connus.
La difficulté de ce genre de rôle, qui vaut aussi pour le couple des Lanlaire, est de jouer constamment avec les limites : ne surtout pas être dans la réserve mais ne pas dépasser non plus la ligne au-delà de laquelle plus rien n’est crédible. Les acteurs formés au théâtre maîtrisent très bien ces techniques. Pour le personnage de Lanlaire, je tenais beaucoup à la présence d’Hervé Pierre, cet extraordinaire comédien du Français qui tenait déjà un rôle dans deux de mes films. Sa femme, Clotilde Mollet, est également une comédienne brillante, et je trouvais séduisant d’engager un couple pour former celui du film. J’avais remarqué Patrick d’Assumçao dans L’INCONNU DU LAC. Lui aussi vient de la scène, tout comme Mélodie Valemberg, qui interprète Marianne.
Vous retrouvez Léa Seydoux avec qui vous avez tourné LES ADIEUX À LA REINE.
Je lui ai vraiment confié le film.
Ainsi que Vincent Lindon, avec lequel vous avez déjà travaillé trois fois.
Nous n’avions pas tourné ensemble depuis longtemps – nous avons d’ailleurs un autre film en préparation. Vincent est doué d’une immédiateté, d’une animalité, paradoxalement assez raffinée, qui convenaient parfaitement à l’attraction qu’exerce Joseph sur Célestine.
Parlez-nous d’Hélène Zimmer avec laquelle vous cosignez le scénario.
C’est elle qui m’a fait découvrir le roman de Mirbeau. Je connaissais les films, pas le livre dont ils sont tirés. Hélène, qui m’avait donné à lire le scénario de son premier long métrage, À 14 ANS, venait de découvrir LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE et m’a dit avec autorité que je devais à mon tour en faire un film. Son ton m’a suffisamment frappé pour que je me lance dans sa lecture et comprenne pourquoi elle m’y poussait. Je lui ai proposé de s’associer à l’écriture.
Comme toujours, lorsque vous tournez des films d’époque, JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE est d’une très grande modernité.
C’est quasiment un principe chez moi : j’essaie de naturaliser une langue qui n’est plus tout à fait la nôtre, la rendre contemporaine ; respecter les tournures de l’époque du film et donner l’impression qu’elles sont d’aujourd’hui. Je travaille de la même façon sur les costumes qui correspondent précisément à la période représentée, mais sont portés et manipulés comme des vêtements actuels.
La mise en scène est particulièrement belle et confère au film une grande singularité.
Cette singularité, si elle existe, est peut-être liée au fait que le film s’inscrit à l’origine de la période qui n’en finit pas de finir aujourd’hui. Pour moi, comme pour beaucoup d’entre nous, le XXème siècle a touché le fond de l’horreur. Il a, en quelque sorte, atteint le cœur des ténèbres. Cinématographiquement – et je ne suis ni le seul à le penser ni le seul à tenter de le faire –, il est nécessaire d’en rendre compte. J’ai voulu m’y exercer en confrontant, par le filmage, le jeu des acteurs, ce que le film évoque d’effroyable, à un charme, une élégance. Il était important que la lumière, les mouvements d’appareils, la construction des plans obéissent à une rigueur esthétique, pour que s’y expose, de façon d’autant plus violente, la réalité pernicieuse qui continue de nous envelopper.
Entretien Léa Seydoux
Après LES ADIEUX À LA REINE, JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE marque vos retrouvailles avec Benoit Jacquot.
Il y a beaucoup de plaisir à trouver une continuité avec un cinéaste. On renoue avec une forme de complicité, une façon de travailler qui, dans le cas de Benoit, se passe de mots. Mais on peut aussi s’étonner, se surprendre : depuis LES ADIEUX À LA REINE, j’ai tourné avec d’autres metteurs en scène et vécu d’autres expériences. J’ai grandi.
Qu’est-ce qui vous séduisait dans ce film ?
Son originalité, sa modernité, son rythme particulier – un contre rythme, en fait, que l’on devinait déjà à l’écriture. J’aime les films qui sortent du rang.
Parlez-nous de Célestine.
C’est une fille pragmatique, en permanence dans la survie. Elle ne se laisse pas abattre. S’il faut qu’elle se place en province, elle y va. Célestine n’est pas dans la victimisation, elle a un certain orgueil et même un certain snobisme. De la culture aussi. Elle sait voir au travers des apparences, déceler la petitesse et les ridicules des gens qui l’entourent, mais n’est pas meilleure que les autres. Ce n’est pas la gentille et les méchants. Ses patrons l’exploitent mais elle réussit parfois à les exploiter en retour. Sa condition l’a endurcie. Elle est le miroir de la brutalité ambiante et n’a pas d’autre choix que de l’appliquer à elle-même : elle ne veut plus de maître, partir avec Joseph est la seule possibilité qui s’offre.
Comment définiriez-vous son attirance pour lui ?
Il exerce sur elle un magnétisme un peu morbide. Célestine désire Joseph mais ne se cache pas la vérité. Elle ne partage pas son antisémitisme – elle est bien plus intelligente et évoluée que lui – et envisage qu’il puisse être un criminel. Mais elle l’accepte. Pour se libérer du joug des Lanlaire, elle est prête à admettre une autre forme de violence. Tous ses actes sont liés à la notion de survie.
C’est un rôle écrasant. Comment l’avez-vous préparé ?
Je voulais que Célestine ait de la tenue. J’essaie toujours de trouver une posture particulière à mes personnages. Une fois celle-ci déterminée, j’ai le sentiment d’en posséder les clés. Dans ses robes, très corsetées, Célestine se tient droite. Je me suis aussi servie des doutes que j’éprouvais alors. C’était une période où j’avais perdu confiance en moi et en mes capacités d’actrice. J’ai beaucoup travaillé. Avec Benoit, on peut dire que j’ai retrouvé le plaisir de jouer.
Comment utilise-t-on le doute ?
Comme une fragilité qu’on peut changer en force. On parle toujours de soi à travers un rôle, on joue avec ses contradictions. C’est assez fantastique pour un acteur ou une actrice de pouvoir inventer quelqu’un, lui donner des couleurs comme les peintres créent un tableau, à partir d’émotions et d’obsessions personnelles. L’inconfort peut se révéler précieux.
Vous donnez une dimension très physique au personnage.
Quand Célestine lave le carrelage, elle le fait vraiment. Lorsqu’elle mange, elle mange vraiment. Son corps exprime quelque chose. C’est d’autant plus important qu’elle est constamment dans la retenue. Elle comprime en permanence le sentiment d’injustice qui la mine mais, à l’intérieur, elle bouillonne. Ce tumulte devait se traduire de manière quasi physiologique.
Célestine s’exprime dans une langue qui n’est plus la nôtre, habite des vêtements d’un autre siècle mais vous la rendez très contemporaine.
Je la voulais vivante, naturelle. Ses mots et ses atours ne sont pas ceux d’aujourd’hui. Mais elle parle et bouge comme nous le faisons. C’est tout l’enjeu d’un film qui se situe dans une autre époque : ne pas rester figée dans l’illustration, en respecter les codes tout en leur insufflant une énergie actuelle, une vraie modernité. La combativité de Célestine m’y aidait : elle résonne avec la période que nous vivons.
Comment travaille-t-on avec Benoit Jacquot ?
On fait peu de répétitions. Benoit aime que les choses émergent d’elles-mêmes sur le plateau. C’était un atout pour les scènes que j’avais avec Vincent Lindon. Lui et moi nous connaissons bien mais n’avions jamais joué ensemble et j’éprouvais de l’appréhension à tourner une histoire d’amour avec lui. On livre quelque chose de très intime, c’est embarrassant. Le fait de peu répéter créait un effet de surprise. Je me suis parfois sentie déstabilisée et c’était bénéfique pour Célestine. La peur est définitivement une chose que j’aime utiliser dans mon jeu.
Vous semblez avoir été étroitement associée au film. Benoit Jacquot dit vous l’avoir confié… y compris au moment du montage.
Benoit Jacquot est très à l’écoute de ses acteurs. Il les aime – peu de cinéastes éprouvent cet amour pour leurs interprètes. Il m’est arrivé de lui donner mon point de vue – sur certaines scènes que je trouvais trop bavardes, certaines séquences au montage, où je trouvais que mon personnage manquait d’intensité. C’est important pour un acteur d’avoir sa propre subjectivité, de sentir que le metteur en scène est à son écoute. Mais mes interventions sont infimes. JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE est vraiment son film ; un film singulier, hors des modes.
Il y a une volonté de faire une étude sociale qui est bienvenue et qui constitue la partie la plus intéressante. Je comprends parfaitement la force des ressentiments, la disparité des vies selon les classes sociales affichées et les douleurs insoutenables qui se cachent derrière les regards et les peines des femmes domestiques. Mais ce qui est très problématique pour moi, c’est que je ne me suis absolument pas attachée aux personnages, domestiques ou maîtres. Leurs états d'âme m'ont laissée de marbre. J’ai trouvé que la plupart des acteurs sur-jouent comme pour justifier l'emphase des dialogues. Lea Seydoux qui interprète Célestine est plus convaincante et juste dans son jeu que ses partenaires, mais la personnalité de cette femme de chambre reste floue. L’histoire de Célestine ne m’a pas bouleversée.
Finalement, les protagonistes ne ressortent jamais comme sympathiques, ils sont même parfois plus qu'antipathiques. Cela rend d'autant plus bizarre la relation que Célestine peut entretenir avec eux. N'ayant pas lu le roman éponyme d'Octave Mirbeau dont le film s'inspire, je ne saurais vous dire si Benoît Jacquot a pris beaucoup de liberté avec les personnalités des protagonistes ou si au contraire il est resté très fidèle au roman. En fait, cela importe peu car ce film ne me correspond pas du tout. Je n’ai pas accroché ni à l’histoire, ni à la réalisation, ni au jeu des acteurs. Je le regrette car j’aurais aimé être ravie et lui trouver beaucoup de charme, mais je suis passée à côté complètement. A vous de voir si ce genre de long-métrage peut vous plaire.
NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers!)
Entretien Benoît Jacquot
Pourquoi avoir voulu réaliser une adaptation du « Journal d’une femme de chambre » ?
Ce film, je l’ai écrit et tourné dans une sorte de besoin : j’y trouvais un écho direct avec le climat sociopolitique actuel. Par détour, le roman de Mirbeau, qui se situe au début du XXème siècle, me donnait l’opportunité d’évoquer des questions que notre société ne traite plus que de manière masquée : l’esclavage salarié, l’antisémitisme, la discrimination sexuelle. Il me donnait aussi l’occasion de suivre à nouveau un personnage féminin du premier au dernier plan comme je l’ai fait souvent.
On pense forcément aux films qu’en avaient tirés Jean Renoir en 1946 et Luis Buñuel en 1964.
Leur point commun est d’être tiré du livre de Mirbeau. À part ça, ils sont si différents qu’il est difficile de les comparer. Ce n’était donc pas insensé d’en proposer un troisième. C’est du moins l’argument que je me suis donné.
Votre adaptation est très fidèle au roman.
Mais j’ai fait des choix, sorti un certain nombre de scènes qu’il m’intéressait de juxtaposer dans un ordre précis, jusqu’à constituer la matière de ce « Journal » : une chronique ponctuée de réminiscences.
Le film débute sur un entretien d’embauche. Le bureau de placement et les échanges de Célestine avec la responsable des lieux jouent un rôle capital dans le récit.
Cet entretien et ceux qui suivent m’ont immédiatement semblé devoir en constituer la charpente. Ce qui s’y dit renvoie à des situations qui nous concernent tous, nous rappelant que l’esclavage salarié, comme on disait autrefois, existe toujours et que sa violence n’a pas varié. Dramaturgiquement, il était important d’en faire le fil conducteur de la narration. C’était aussi une manière de dénoncer le discours actuel qui n’a que trop tendance à maquiller et atténuer la brutalité toujours plus vive du monde du travail.
« Il n’y a que de mauvais maîtres », dit Célestine à Dominique Reymond, la recruteuse. « Non, il n’y a que de mauvais domestiques », lui répond celle-ci. En une scène, tout est dit ou presque sur la condition de l’héroïne.
Oui, sa situation l’accule à un cynisme aussi constant que possible.
Célestine est intelligente. Elle est différente des autres, c’est une battante, elle peut se montrer insolente, refuser les places qu’on lui propose, et, pour autant, elle n’échappe à sa condition que pour aller vers un destin encore plus sombre.
Elle va du pire au pire. À partir du moment où elle décide de ne plus avoir de maître, sa seule alternative est d’être recrutée dans un bordel ou de suivre Joseph, ce type qui représente le pire mais qui est aussi la seule issue qu’elle se trouve.
Elle est tout de suite attirée par le palefrenier des Lanlaire, ces bourgeois de province chez lesquels elle s’est placée, tout en manifestant, dès leur première rencontre, une certaine répugnance à son égard.
C’est comme un phénomène climatique : il y a immédiatement entre eux un lien d’attraction / répulsion irrésistible, érotique. Tout en tenant au côté chronique au film, j’avais besoin d’un autre fil pour le conduire dramatiquement. Interprété par Vincent Lindon, le personnage de Joseph me servait, en quelque sorte, d’inducteur. Un mélange de magnétisme et de calcul, un personnage dont l’ignominie est attirante.
Une sorte de monstre.
Oui, comme souvent les monstres exercent un charme violent sur ceux qui osent les approcher.
Dès la scène du repas, à l’office, Célestine et Joseph échangent des regards qui tranchent avec l’attitude qu’elle adopte avec les autres hommes.
Dans le monde où vit Célestine, les hommes, à l’exception de Joseph et du jeune Georges, ne peuvent être que les instruments d’un calcul ou, éventuellement, l’occasion d’assouvir un besoin de se faire sauter à toute vitesse. Un type passe et la regarde et, immédiatement, elle se fait prendre dans une chambre assez brutalement. Célestine n’a affaire qu’à la brutalité masculine, y compris quand elle finit par faire l’amour avec Joseph. Il y a les chiens, qui sont très importants, parce qu’il sont annonciateurs du danger – ces chiens qui sont constamment sur les talons de Joseph, qui n’obéissent qu’à lui et à ceux à qui il leur dit d’obéir, avec lesquels il a un lien quasi animal et qu’il tue froidement à la fin.
Joseph est calculateur, voleur, peut-être est-il même un violeur, et il est violemment antisémite.
Je n’ai pas attendu de lire Mirbeau pour savoir de façon précise – grâce, notamment, aux travaux de Zeev Sternhell –, que l’antisémitisme moderne, celui du XXème siècle, est largement une invention française. Son roman me donnait l’occasion de remonter aux sources de cet antisémitisme. Le discours franco-français le fait passer pour un épiphénomène et l’attribue volontiers à nos voisins allemands. Il remonte tout autant à l’époque de Georges Boulanger, Edouard Drumont et Maurice Barrès et s’est cristallisé au moment de l’affaire Dreyfus qui est à peu près celle où se déroule le film. Les historiens le savent : ce qui s’est passé à ce moment-là a déterminé ce que nous vivons aujourd’hui – la ségrégation de classe, de race, de sexe.
En cédant à Joseph, Célestine cède en quelque sorte aux sirènes de l’extrémisme.
Même si on prend soin d’avertir que Célestine n’est pas a priori sensible aux propos antisémites – « Si je réfléchis, dit-elle, je ne vois pas pourquoi je serai contre les juifs. J’ai servi chez eux autrefois (…) ils ne sont pas pires que les autres » –, elle succombe à Joseph pour les mêmes raisons que celles qui poussent actuellement un certain nombre de personnes dans les bras de l’extrême droite ou du fondamentalisme. Le désespoir et la misère peuvent facilement conduire à trouver du charme aux discours du pire. Célestine est attirée par l’énergie radicale dégagée par Joseph qui va dans le sens du radicalisme de l’époque, un populisme marqué d’antisémitisme. On a un peu tendance à oublier que les dirigeants progressistes d’alors – Auguste Blanqui, Louise Michel, etc.–, étaient volontiers antisémites au nom de l’anticapitalisme.
Célestine travaille très dur chez les Lanlaire ; elle est constamment en train d’accomplir des tâches ingrates. Vous accordez beaucoup de place à ces scènes.
Je voulais qu’elles soient plastiquement belles – c’est d’ailleurs un désir qui court dans toute la mise en scène du film ; une beauté qui fasse d’autant mieux apparaître l’ingratitude de la situation. Le filmage devait ne pas renchérir sur la misère. Je tiens particulièrement à cette scène qui montre sa patronne envoyer Célestine chercher du fil, puis l’oblige à remonter à l’étage pour ramener une aiguille, puis à remonter encore chercher des ciseaux. C’est un exercice de dressage. Madame Lanlaire esclavagise Célestine avec un plaisir assez pervers ; elle guette ses réactions.
Célestine s’exécute en maugréant. Elle marmonne et bouillonne intérieurement mais ne se défait jamais, sauf en de très rares occasions, de sa cuirasse.
Ces moments où elle se laisse déborder par l’émotion – lorsqu’elle apprend la mort de sa mère ou lorsqu’on lui propose de se prostituer dans une maison de passe – sont très importants : ils mettent l’accent sur le bloc émotif qu’elle retient, nous la rendent accessible, vulnérable avant d’être insolente.
On la sent capable d’une grande douceur. « Il suffit qu’on me parle doucement, qu’on ne me considère pas comme entre un perroquet et un chien, pour que je sois tout de suite émue », dit-elle en rentrant au service de la vieille madame Mendelson et de son petit-fils. Mais, même dans ces moments heureux, elle est incapable de sortir de son statut de domestique et refuse, par exemple, d’appeler le jeune homme autrement que Monsieur Georges. « Je ne pourrais pas !», s’exclame-telle.
Comme les esclaves, elle a intériorisé sa servitude. C’est ce qu’on nomme « servitude volontaire » et il me semble qu’on ne s’en inquiète jamais assez.
Célestine ne se départit finalement jamais de ce sentiment. Elle pense échapper à sa condition en suivant Joseph mais ne fait, en réalité, que passer d’un maître à un autre. « Il me tient », dit-elle à son propos en quittant la maison des Lanlaire.
Oui, elle a l’illusion très fugitive, qu’en le choisissant, lui, elle en fera autre chose mais, évidemment, elle se trompe. C’est toujours ce cheminement du pire au pire.
La plupart des scènes du film fonctionnent comme de petites fables…
Le film est construit comme ça. Certaines, qui peuvent sembler anodines, sont très parlantes. Je pense à cette séquence où Madame Lanlaire envoie Célestine acheter de la viande pour les chiens. La viande est découpée, bien belle, bien rouge ; elle la donne aux chiens et dit à Joseph en passant : « Les chiens des riches, c’est pas des pauvres ». C’est bref, c’est du français vif, et on va immédiatement à l’essentiel.
Parlez-nous du capitaine Mauger, ce voisin des Lanlaire, qui mange des fleurs et partage officiellement sa couche avec Rose, sa bonne.
Lui, Rose, les femmes du village, et même Lanlaire, font partie d’une galerie de personnages saugrenus et farfelus – parfois grimaçants –, qui participent au ton un peu ricaneur et sarcastique du film. J’ai pris beaucoup de plaisir à les croquer. C’était assez inhabituel pour moi qui suis plutôt porté à la litote.
Les acteurs qui les interprètent sont pour la plupart peu connus.
La difficulté de ce genre de rôle, qui vaut aussi pour le couple des Lanlaire, est de jouer constamment avec les limites : ne surtout pas être dans la réserve mais ne pas dépasser non plus la ligne au-delà de laquelle plus rien n’est crédible. Les acteurs formés au théâtre maîtrisent très bien ces techniques. Pour le personnage de Lanlaire, je tenais beaucoup à la présence d’Hervé Pierre, cet extraordinaire comédien du Français qui tenait déjà un rôle dans deux de mes films. Sa femme, Clotilde Mollet, est également une comédienne brillante, et je trouvais séduisant d’engager un couple pour former celui du film. J’avais remarqué Patrick d’Assumçao dans L’INCONNU DU LAC. Lui aussi vient de la scène, tout comme Mélodie Valemberg, qui interprète Marianne.
Vous retrouvez Léa Seydoux avec qui vous avez tourné LES ADIEUX À LA REINE.
Je lui ai vraiment confié le film.
Ainsi que Vincent Lindon, avec lequel vous avez déjà travaillé trois fois.
Nous n’avions pas tourné ensemble depuis longtemps – nous avons d’ailleurs un autre film en préparation. Vincent est doué d’une immédiateté, d’une animalité, paradoxalement assez raffinée, qui convenaient parfaitement à l’attraction qu’exerce Joseph sur Célestine.
Parlez-nous d’Hélène Zimmer avec laquelle vous cosignez le scénario.
C’est elle qui m’a fait découvrir le roman de Mirbeau. Je connaissais les films, pas le livre dont ils sont tirés. Hélène, qui m’avait donné à lire le scénario de son premier long métrage, À 14 ANS, venait de découvrir LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE et m’a dit avec autorité que je devais à mon tour en faire un film. Son ton m’a suffisamment frappé pour que je me lance dans sa lecture et comprenne pourquoi elle m’y poussait. Je lui ai proposé de s’associer à l’écriture.
Comme toujours, lorsque vous tournez des films d’époque, JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE est d’une très grande modernité.
C’est quasiment un principe chez moi : j’essaie de naturaliser une langue qui n’est plus tout à fait la nôtre, la rendre contemporaine ; respecter les tournures de l’époque du film et donner l’impression qu’elles sont d’aujourd’hui. Je travaille de la même façon sur les costumes qui correspondent précisément à la période représentée, mais sont portés et manipulés comme des vêtements actuels.
La mise en scène est particulièrement belle et confère au film une grande singularité.
Cette singularité, si elle existe, est peut-être liée au fait que le film s’inscrit à l’origine de la période qui n’en finit pas de finir aujourd’hui. Pour moi, comme pour beaucoup d’entre nous, le XXème siècle a touché le fond de l’horreur. Il a, en quelque sorte, atteint le cœur des ténèbres. Cinématographiquement – et je ne suis ni le seul à le penser ni le seul à tenter de le faire –, il est nécessaire d’en rendre compte. J’ai voulu m’y exercer en confrontant, par le filmage, le jeu des acteurs, ce que le film évoque d’effroyable, à un charme, une élégance. Il était important que la lumière, les mouvements d’appareils, la construction des plans obéissent à une rigueur esthétique, pour que s’y expose, de façon d’autant plus violente, la réalité pernicieuse qui continue de nous envelopper.
Entretien Léa Seydoux
Après LES ADIEUX À LA REINE, JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE marque vos retrouvailles avec Benoit Jacquot.
Il y a beaucoup de plaisir à trouver une continuité avec un cinéaste. On renoue avec une forme de complicité, une façon de travailler qui, dans le cas de Benoit, se passe de mots. Mais on peut aussi s’étonner, se surprendre : depuis LES ADIEUX À LA REINE, j’ai tourné avec d’autres metteurs en scène et vécu d’autres expériences. J’ai grandi.
Qu’est-ce qui vous séduisait dans ce film ?
Son originalité, sa modernité, son rythme particulier – un contre rythme, en fait, que l’on devinait déjà à l’écriture. J’aime les films qui sortent du rang.
Parlez-nous de Célestine.
C’est une fille pragmatique, en permanence dans la survie. Elle ne se laisse pas abattre. S’il faut qu’elle se place en province, elle y va. Célestine n’est pas dans la victimisation, elle a un certain orgueil et même un certain snobisme. De la culture aussi. Elle sait voir au travers des apparences, déceler la petitesse et les ridicules des gens qui l’entourent, mais n’est pas meilleure que les autres. Ce n’est pas la gentille et les méchants. Ses patrons l’exploitent mais elle réussit parfois à les exploiter en retour. Sa condition l’a endurcie. Elle est le miroir de la brutalité ambiante et n’a pas d’autre choix que de l’appliquer à elle-même : elle ne veut plus de maître, partir avec Joseph est la seule possibilité qui s’offre.
Comment définiriez-vous son attirance pour lui ?
Il exerce sur elle un magnétisme un peu morbide. Célestine désire Joseph mais ne se cache pas la vérité. Elle ne partage pas son antisémitisme – elle est bien plus intelligente et évoluée que lui – et envisage qu’il puisse être un criminel. Mais elle l’accepte. Pour se libérer du joug des Lanlaire, elle est prête à admettre une autre forme de violence. Tous ses actes sont liés à la notion de survie.
C’est un rôle écrasant. Comment l’avez-vous préparé ?
Je voulais que Célestine ait de la tenue. J’essaie toujours de trouver une posture particulière à mes personnages. Une fois celle-ci déterminée, j’ai le sentiment d’en posséder les clés. Dans ses robes, très corsetées, Célestine se tient droite. Je me suis aussi servie des doutes que j’éprouvais alors. C’était une période où j’avais perdu confiance en moi et en mes capacités d’actrice. J’ai beaucoup travaillé. Avec Benoit, on peut dire que j’ai retrouvé le plaisir de jouer.
Comment utilise-t-on le doute ?
Comme une fragilité qu’on peut changer en force. On parle toujours de soi à travers un rôle, on joue avec ses contradictions. C’est assez fantastique pour un acteur ou une actrice de pouvoir inventer quelqu’un, lui donner des couleurs comme les peintres créent un tableau, à partir d’émotions et d’obsessions personnelles. L’inconfort peut se révéler précieux.
Vous donnez une dimension très physique au personnage.
Quand Célestine lave le carrelage, elle le fait vraiment. Lorsqu’elle mange, elle mange vraiment. Son corps exprime quelque chose. C’est d’autant plus important qu’elle est constamment dans la retenue. Elle comprime en permanence le sentiment d’injustice qui la mine mais, à l’intérieur, elle bouillonne. Ce tumulte devait se traduire de manière quasi physiologique.
Célestine s’exprime dans une langue qui n’est plus la nôtre, habite des vêtements d’un autre siècle mais vous la rendez très contemporaine.
Je la voulais vivante, naturelle. Ses mots et ses atours ne sont pas ceux d’aujourd’hui. Mais elle parle et bouge comme nous le faisons. C’est tout l’enjeu d’un film qui se situe dans une autre époque : ne pas rester figée dans l’illustration, en respecter les codes tout en leur insufflant une énergie actuelle, une vraie modernité. La combativité de Célestine m’y aidait : elle résonne avec la période que nous vivons.
Comment travaille-t-on avec Benoit Jacquot ?
On fait peu de répétitions. Benoit aime que les choses émergent d’elles-mêmes sur le plateau. C’était un atout pour les scènes que j’avais avec Vincent Lindon. Lui et moi nous connaissons bien mais n’avions jamais joué ensemble et j’éprouvais de l’appréhension à tourner une histoire d’amour avec lui. On livre quelque chose de très intime, c’est embarrassant. Le fait de peu répéter créait un effet de surprise. Je me suis parfois sentie déstabilisée et c’était bénéfique pour Célestine. La peur est définitivement une chose que j’aime utiliser dans mon jeu.
Vous semblez avoir été étroitement associée au film. Benoit Jacquot dit vous l’avoir confié… y compris au moment du montage.
Benoit Jacquot est très à l’écoute de ses acteurs. Il les aime – peu de cinéastes éprouvent cet amour pour leurs interprètes. Il m’est arrivé de lui donner mon point de vue – sur certaines scènes que je trouvais trop bavardes, certaines séquences au montage, où je trouvais que mon personnage manquait d’intensité. C’est important pour un acteur d’avoir sa propre subjectivité, de sentir que le metteur en scène est à son écoute. Mais mes interventions sont infimes. JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE est vraiment son film ; un film singulier, hors des modes.
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