Policier/Coup de cœur. Film violent et prenant
Réalisé par Jérôme Salle
Avec Orlando Bloom, Forest Whitaker, Conrad Kemp, Inge Beckmann, Tinarie Van Wyk-Loots, Reghart Van Den Bergh, Randal Majiet, Patrick Lyster...
Long-métrage Français
Durée : 01h50mn
Année de production : 2013
Distributeur : Pathé Distribution
Scénario : Julien Rappeneau & Jérôme Salle
Adapté du roman « ZULU » de Caryl Férey (éd. Gallimard - Collection Série Noire 2008)
Page Facebook : https://www.facebook.com/ZuluLeFilm?directed_target_id=0
Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement
Date de sortie sur nos écrans : 4 décembre 2013
Résumé : Dans une Afrique du Sud encore hantée par l'apartheid, deux policiers, un noir, un blanc, pourchassent le meurtrier sauvage d'une jeune adolescente. Des Townships de Cape Town aux luxueuses villas du bord de mer, cette enquête va bouleverser la vie des deux hommes et les contraindre à affronter leurs démons intérieurs.
Bande annonce (VOSTFR)
Ce que j'en ai pensé : ZULU vous prend à la gorge dès la première image. C'est un policier sombre et pessimiste sur un fond historique très dur. Le film est violent. Il est également intriguant, intéressant et vraiment prenant. J'ai eu un coup de cœur en le découvrant.
Jérôme Salle, le réalisateur, raconte l'histoire d'une manière simple, efficace et percutante, sans en faire des tonnes.
J'ai particulièrement apprécié sa façon de prendre le spectateur au dépourvu. Certaines scènes montent en intensité à une vitesse folle alors que rien ne le laisse présager. Du coup, on se retrouve collé à son fauteuil complètement secoué. Il est intelligemment secondé par la musique d'Alexandre Desplat qui évite les poncifs des films dont l'action se situe en Afrique et met en exergue la partie policière de l'histoire.
Jérôme Salle m'a donné le sentiment de nous présenter plein d'aspects différents de l'Afrique du Sud en nous montrant les milieux nocturnes, les travailleurs, les étudiants, les townships, les quartiers résidentiels... Les quelques scènes ayant en fond des paysages magnifiques de Cape Town marquent la mémoire.
Les deux acteurs principaux Forest Whitaker, qui interprète Ali Sokhela, et Orlando Bloom, qui interprète Brian Epkeen sont excellents. J'ai eu un plaisir immense à voir Forest Whitaker dans ce rôle d'homme meurtri qui lui va à merveille.
Orlando Bloom est vraiment étonnant et super convaincant. Il prouve avec ce rôle d'homme violent à la dérive qu'il peut se détacher de son image de jeune premier.
Les deux protagonistes ont des personnalités complètement différentes mais on comprend très bien au fur et à mesure que le film se déroule l'importance qu'ils ont l'un pour l'autre et pourquoi ils travaillent ensemble.
L'intrigue de l'histoire est complexe mais comme le réalisateur tire les ficelles avec brio, elle reste claire. Il explique tout. Par delà cette terrible affaire policière, il nous raconte l'influence du passé sur le présent de ces deux hommes.
ZULU m'a impressionné. Attention, je le redis, il est violent. Cela dit, je vous le conseille fortement car c'est un film marquant. Il fait voyager (parfois dans des recoins effrayants du comportement humain). Il vaut mieux le voir en VO sous-titrée pour apprécier les accents et les différentes langues utilisées qui montrent la diversité et la richesse de ce pays.
Il y a des lots à gagner tous les jours sur Facebook dont un voyage à Cape Town où a été tourné ZULU !
Pour jouer, cliquez sur l'image ci-dessous :
Les interviews ci-dessous datent un peu puisqu'elles remontent à la présentation du film en clôture du 66ème Festival de Cannes au mois de mai 2013. Je les partage tout de même avec vous car les informations données sur le film dans ces interviews sont informatives et intéressantes.
COMMENÇONS PAR LE FESTIVAL DE CANNES : VOUS ÊTES UN JEUNE RÉALISATEUR, ZULU N’EST QUE VOTRE 4ÈME FILM... COMMENT VIVEZ-VOUS CE MOMENT UNIQUE DE CLÔTURER LE PLUS GRAND RENDEZ-VOUS MONDIAL DU CINÉMA ?
Ce serait mentir de dire que je ne me sens pas stressé. Ça donne le sentiment que tout va se jouer en une projection ! Il y a l’idée d’un verdict immédiat... Mais je suis très fier d’aller à Cannes avec ZULU. La fierté l’emporte sur le stress.
EST-CE QUE L’AVENTURE ZULU EST DIRECTEMENT LIÉE À CELLE DE LARGO WINCH II, QUI ÉTAIT DÉJÀ UNE PRODUCTION INTERNATIONALE ?
Oui et non. Les deux films sont tellement différents. En sortant de l’expérience LARGO, j’avais à la fois l’impression d’avoir progressé, d’avoir emmagasiné beaucoup d’expérience, tout en étant frustré parce que le film ne me ressemblait pas vraiment et que les autres ne percevaient pas ce que je pouvais et ce que j’avais envie de faire. Il me fallait absolument un projet plus personnel. C’est-à-dire trouver une histoire qui me touche et la raconter avec un style qui me ressemble.
ET CE PROJET-LÀ DÉMARRE AVEC LE ROMAN DE CARYL FÉREY ?
J’étais en train de finir le tournage de LARGO II et mon monteur, Stan Collet, m’a parlé du livre de Caryl en me disant que le producteur, Richard Grandpierre, avait acheté les droits, qu’il cherchait un réalisateur et que, d’après lui, ce serait un sujet parfait pour moi. J’ai donc lu le roman de Caryl que j’ai effectivement adoré. J’ai contacté Richard via mon agent. Ça s’est passé rapidement même si je dois reconnaître que je me suis engagé dans ce projet avec une certaine prudence. Cette histoire se passe entièrement en Afrique du Sud avec des personnages tous sud-africains et, à part Mandela ou Desmond Tutu comme tout le monde, je ne connaissais pas grand-chose de ce pays. Donc je ne savais pas si je serais capable ou légitime pour tourner ce film ! Richard a eu la bonne idée de me proposer d’aller passer deux semaines là-bas, pour me balader, sentir l’atmosphère. C’était une excellente idée puisque je suis vraiment tombé amoureux du pays et plus spécifiquement de Cape Town, où se déroule l’histoire. D’ailleurs aujourd’hui, après y avoir vécu pendant des mois, presque une année entière, je me sens chez moi là-bas. C’est une sensation assez étonnante… En tout cas, ce premier séjour là-bas m’a convaincu qu’il fallait être fidèle au bouquin dans lequel l’Afrique du Sud est un personnage à part entière. Et ne surtout pas «franciser» un des personnages en utilisant un subterfuge scénaristique comme il en avait été question à un moment. Il fallait faire un vrai film sud-africain ! C’était évidemment plus compliqué car ça obligeait à faire le film entièrement en anglais, avec un casting international. Pas simple. Heureusement, Richard a eu l’envie, le courage et la folie de tenter l’aventure !
LE FILM ÉTANT BASÉ SUR LE ROMAN ORIGINEL, QUELS SONT LES ENJEUX OU LES THÈMES QUI VOUS ONT INSPIRÉ AU MOMENT DE VOUS LANCER DANS CE PROJET ?
Ce que je voulais développer avant tout, c’est cette idée du pardon qui parcourt tout le film. Comme le dit Desmond Tutu : «Pas d’avenir sans pardon.» Le film traite de la difficulté et de la nécessité de pardonner pour aller de l’avant. J’ai un agent à Los Angeles depuis mon premier film, ANTHONY ZIMMER, et je reçois régulièrement des scénarios de là-bas. Pas mal de ces scénarios sont étiquetés «revenge movie». Cette thématique de la revanche, c’est presque un genre à part entière aux États-Unis. Or j’ai un peu de mal avec l’idée de glorifier ce sentiment. Le plus grand classique en matière d’histoire de vengeance, c’est Le Comte de Monte-Cristo et il se trouve que c’est sans doute mon roman préféré ! Mais dans le livre de Dumas, la fin vous fait ressentir l’absurdité, la vacuité de la vengeance. Ce n’est pas le cas de la plupart des «revenge movies», loin de là ! Alors tourner un thriller qui prenait le contre-pied de ce «genre», de cette philosophie, ça m’intéressait. Et l’Afrique du Sud est le pays idéal pour traiter du pardon. À la fin de l’apartheid, le gouvernement a mis en place des «commissions vérité et réconciliation» afin d’éviter l’engrenage de la vengeance et de permettre aux bourreaux de demander pardon à leurs victimes. Et d’être ensuite amnistiés, pardonnés. Un processus de réconciliation pacifique qui a été repris depuis dans d’autres pays, en Afrique ou en Amérique latine.
AVEC UNE VISION TRÈS RUDE DE L’AFRIQUE DU SUD, OÙ L’ON A L’IMPRESSION QU’UN APARTHEID SOCIAL A REMPLACÉ L’APARTHEID RACIAL...
Sincèrement, je ne crois pas que ma vision soit rude. Ce pays, c’est comme l’image du verre à moitié vide ou à moitié plein... Quand on parle avec des Sud-africains, on est frappé par le regard souvent sombre, parfois très pessimiste qu’ils portent sur leur pays. Et moi je leur disais souvent : «Mais regardez : vous avez fait quelque chose d’incroyable. Après des décennies d’un régime atroce, vous vous en êtes sortis sans bain de sang. Et même si ce n’est pas toujours simple, vous vivez ensemble. Rien que ça, c’est un succès !» Seulement, le fait qu’il y ait eu évolution et pas révolution, cela peut donner le sentiment que les choses changent lentement. Trop
lentement pour certains. Mais un traumatisme tel que l’apartheid ne peut pas se régler en une génération. Il faut laisser du temps au temps disait Mitterrand... Pas toujours facile à accepter.
QUAND UN METTEUR EN SCÈNE ÉTRANGER ARRIVE SUR PLACE AVEC UN FILM QUI PARLE DE VIOLENCE, DE DROGUE, DES TOWNSHIPS, COMMENT LES CHOSES SE PASSENT-ELLES ? COMMENT AVEZ-VOUS ÉTÉ REÇU ?
En me rendant là-bas, je me suis aperçu peu à peu qu’être étranger était peut-être finalement pour moi un avantage, pour raconter cette histoire ! Je n’ai pas, sur mes épaules, le poids de la culpabilité que peuvent ressentir beaucoup de blancs de ma génération, ni le poids de la souffrance et des humiliations passées que peuvent ressentir les noirs, les métis ou les indiens. Et ça me donne sans doute une plus grande liberté pour converser librement, avec tout le monde. Ensuite, il faut passer du temps à rencontrer les gens, discuter, comprendre. Vous savez, les Sud-africains sont eux-mêmes assez lucides sur l’état de leur pays. Ils sont souvent plus durs que je ne le suis ! Je considère au final que ZULU est un vrai film sud-africain : nous n’étions que cinq Français sur place. Tout le reste de l’équipe et du casting, mis à part Forest et Orlando, était composé de Sud-africains. J’ai tout de suite été clair en leur disant que je venais faire un film qui parlait d’eux, de leur pays, et que j’abordais ce travail avec beaucoup d’humilité, que j’avais besoin d’eux pour tenter de coller à la réalité de ce pays si complexe. Je tenais à ce que ce film puisse être vu par le public sud-africain comme un film sud-africain. Le casting a duré plusieurs mois. Il y a des acteurs formidables en Afrique du Sud qui, malheureusement, n’ont accès le plus souvent qu’à de petits rôles, sur les productions internationales. Ce tournage a d’ailleurs permis quelques belles histoires. Conrad Kemp par exemple, jeune acteur qui joue Dan Fletcher et qui s’est révélé exceptionnel, va déménager à New York cet été car il va monter sur scène à Broadway avec Orlando Bloom pour jouer «Roméo et Juliette» dès le mois de septembre ! Ou Randall Majiet, un ancien membre des gangs, qui était en centre de réhabilitation lorsqu’il a été repéré lors d’un casting sauvage. Randall est un véritable talent naturel qui a tenu ce rôle important avec une assurance incroyable. La journée, il tournait face à Forest Whitaker et le soir il rentrait, toujours accompagné d’un responsable, à son centre de réhabilitation. Je l’ai revu récemment. Il est sorti du centre. Il va bien. Il travaille. Il a un agent et il est bien décidé à continuer dans cette voie. Ce travail d’acteur lui a permis de donner une nouvelle direction à sa vie. Tous ces acteurs ont apporté tellement au film.
AVEC UN ÉCUEIL DANS LEQUEL IL NE FALLAIT PAS TOMBER : CELUI DE FILMER UNE AFRIQUE DU SUD DE CARTE POSTALE. CERTES, IL Y A DES SCÈNES SUPERBES, NOTAMMENT CELLES DE LA PLAGE OU DU DÉSERT, MAIS ON N’EST PAS DANS UN GUIDE TOURISTIQUE !
Non, d’abord parce que j’ai voulu filmer l’Afrique du Sud comme un personnage à part entière, avec sa complexité. Et j’ai pris soin - et cela suit l’action du livre d’ailleurs - que nous tournions partout : dans le centre de Cape Town, dans les quartiers résidentiels du bord de mer, mais aussi dans les townships ou le quartier des Cape Flats. Le quartier historique des métis. Le quartier des gangs. Tout le monde a entendu parler des townships, vu des photos de ces bidonvilles colorés… Il y a même des circuits touristiques… Mais les Cape Flats, c’est autre chose. Là, vous ne verrez aucun touriste ! C’est la misère, la prostitution, les supermarchés de la drogue... C’est le chauffeur qui conduisait notre mini van pendant les repérages qui m’y a emmené : un membre de sa famille y dirige un gang ! Nous avons tourné dans des coins où personne n’avait tourné avant nous. Personne. Et nous avons travaillé avec les résidents aussi bien pour la production, la sécurité que la figuration. Et ça s’est très bien déroulé. Les habitants étaient tellement fiers qu’il se passe quelque chose de positif dans leur quartier.
ON SENT BIEN QUE VOUS REVENDIQUEZ CE FILM EN TANT QU’AUTEUR ET CINÉASTE. QUE VOULIEZ-VOUS ABSOLUMENT GARDER DU ROMAN MAIS AUSSI APPORTER DE PERSONNEL À CETTE HISTOIRE ?
Partir d’un tel roman, c’est d’abord un plaisir : les personnages sont forts, l’intrigue est intelligente. Ça aide ! Caryl Férey est un auteur formidable. En plus, j’ai découvert que c’est un homme formidable. Avec Julien Rappeneau, mon coscénariste, il nous a quand même fallu simplifier les choses pour faire rentrer un livre de 400 pages en deux heures de film... Et puis encore une fois, je me suis concentré sur cette thématique du pardon pour qu’elle parcourt tout le film... La difficulté et la nécessité de pardonner pour aller de l’avant. Que ce soit pour un être humain, une communauté ou un pays.
EN DÉTOURNANT AU PASSAGE LE PRINCIPE TRÈS CLASSIQUE DU FILM «DE FLICS», CELUI DES DEUX COLLÈGUES QUI N’ONT RIEN À FAIRE ENSEMBLE MAIS QUI VONT ALLER AU BOUT DE LEUR MISSION...
Oui. Vous remarquerez d’ailleurs qu’Ali et Brian sont très rarement ensemble dans le film ! Bien sûr, on ressent fortement leur amitié et leur respect mutuel. Mais au fond, ces deux types sont aussi très seuls... Ils sont à l’image de leur pays, vivant avec le poids du passé. Noir ou Blanc, ils portent la responsabilité des actes de leurs parents, de leurs ancêtres.
PARLONS MAINTENANT DE VOS DEUX COMÉDIENS PRINCIPAUX : FOREST WHITAKER ET ORLANDO BLOOM. ILS ÉTAIENT VOS CHOIX DEPUIS LE DÉBUT ?
Non, les choses ont bougé en ce qui concerne Forest. Un autre comédien avait été évoqué avant que je n’arrive sur le projet, mais il y a eu un problème de date trois mois avant le tournage… En fait, ça s’est joué en une nuit. Une nuit qui a mal commencé et qui a très bien fini. Quelques heures après que nous ayons dû renoncer au comédien initial, le manager de Forest m’a envoyé un mail me disant qu’il connaissait le projet, que Forest était libre à ces dates et qu’il serait sûrement intéressé par le rôle ! Il était trois heures du matin et j’étais comme un fou dans ma chambre d’hôtel à Cape Town ! Pour moi Forest est un des plus grands acteurs de sa génération. Un surdoué ! On lui a immédiatement envoyé le scénario et il a donné son accord en deux jours. Pour Orlando, nous avions besoin d’un blanc anglo-saxon et nous avions une liste de 3 ou 4 comédiens possibles. C’est moi qui ai insisté pour que ce soit lui... Même si je sais que ce n’était pas un choix évident pour tout le monde ! Il y a trois raisons objectives qui m’ont motivé : d’abord, le personnage de Brian pouvait vite devenir une caricature. Le flic épave, qui a des problèmes avec son ex-femme, qui ne parle plus à son fils, qui boit et prend des cachets, on l’a vu très souvent... Je me suis dit qu’Orlando Bloom, qui dans la vie dégage une énergie très positive, pouvait nous surprendre, donner une autre couleur à Brian et justement éviter le cliché. Ensuite, en me renseignant sur sa vie, j’ai appris qu’il avait des liens intimes, familiaux avec l’Afrique du Sud. Son père, Harry Bloom, qui n’était en fait pas son père biologique, était un journaliste et écrivain sud-africain connu, militant anti apartheid. Il a dû fuir le pays et c’est ainsi qu’il a rencontré la mère d’Orlando en Angleterre. Ça aussi, ça me semblait une piste intéressante à creuser... Enfin, dès notre première rencontre, j’ai senti l’incroyable motivation qui l’animait. Il avait parfaitement compris l’histoire et le film qu’on pouvait en tirer. Nous étions sur la même longueur d’onde et comme Orlando est un homme intelligent, il ne restait plus qu’à travailler ensemble pour façonner Brian. Ce rôle était un vrai risque pour lui mais il m’a bluffé.
UN RISQUE ET UN ENJEU POUR LES DEUX D’AILLEURS...
Dans un monde idéal, un film devrait à chaque fois être un défi, que l’on soit réalisateur ou acteur. Nous devrions tous à chaque fois nous faire peur, nous mettre en danger. Avec ZULU, j’ai vraiment ressenti cette sensation, pour eux comme pour moi...
DEUX REMARQUES TECHNIQUES À PRÉSENT : TOUT D’ABORD LE SOUFFLE QUE VOUS DONNEZ AUX SCÈNES D’ACTION PAR L’UTILISATION DE LA CAMÉRA À L’ÉPAULE ET ENSUITE L’INTELLIGENCE DU MONTAGE QUI DONNE SOUVENT L’IMPRESSION QU’UNE SCÈNE S’IMBRIQUE DANS LA SUIVANTE.
Le mot-clé que j’ai répété à toute l’équipe, et en priorité à mon chef opérateur, Denis Rouden, et à mon chef décorateur, Laurent Ott, c’était ma volonté de tourner un film «âpre». Je ne voulais pas qu’il soit beau, propre sur lui, mais rude, rugueux, pour coller à la violence de l’histoire. Les décors sont réalistes, justes. Leur esthétique naît de leur authenticité. Pour le filmage, il me fallait aller aussi vers la simplicité et le réalisme. D’ailleurs il n’y a pas que de l’épaule dans le film, loin de là. Il y a en fait tous les outils, tous les jouets classiques… Steadycam, grue, hélicoptère, etc. Mais je crois, j’espère, que ce n’est jamais tape à l’oeil. C’est toujours au service du récit. Cette histoire était quand même très complexe à raconter alors j’ai été, du début à la fin, obsédé par le récit. Pour moi, lorsque vous êtes réalisateur, raconter une histoire, c’est l’essence même de votre travail. Ça peut paraître simple, mais ça ne l’est pas du tout. Quant au montage, je l’ai confié à Stan Collet : rappelez-vous, c’est lui qui m’avait parlé le premier du roman «Zulu» ! C’est notre deuxième collaboration et il est venu monter en parallèle à Cape Town alors qu’au départ il devait rester à Paris. Mais sur place, je me suis rendu compte que j’allais être un peu seul et que j’allais avoir besoin d’un autre regard sur le film... Il avait pour consigne de ne rien laisser passer, de me dire les choses désagréables, d’être intransigeant et il a parfaitement rempli ce rôle ! Grâce au numérique, 24 heures après les avoir tournées, je voyais mes scènes montées et du coup, je ne pouvais pas me mentir sur mon travail. Je suis très fier et content du montage du film car il est faussement simple, bourré de petits trucs un peu partout. Ça semble transparent, limpide mais ça ne l’est pas du tout.
JE REVIENS À CANNES POUR FINIR : ZULU SORTIRA EN SALLES EN FRANCE LE 4 DÉCEMBRE MAIS IL Y A CETTE URGENCE DE LA CLÔTURE DU FESTIVAL... EST-CE QUE CETTE PRESSION SUPPLÉMENTAIRE VOUS A AIDÉ À LAISSER LE «BÉBÉ» VOUS ÉCHAPPER ?
Sans doute, même si je ne fais pas partie de ces réalisateurs qui ont du mal à lâcher leur «bébé» ! Lorsqu’on fait un film, on passe un contrat, juridique mais surtout moral je crois avec un producteur, un distributeur. J’essaye toujours de respecter mes engagements et la date de livraison du film en fait évidemment partie. C’est la règle du jeu. Si vous ne l’aimez pas, mieux vaut ne pas jouer. Ou trouver un autre partenaire avec d’autres règles ! La seule différence avec ZULU, c’est que les finitions sur le mix, l’étalonnage ou les effets spéciaux seront terminés au dernier moment et, en fait, je ne verrai la version définitive que le dimanche 26 mai dans la grande salle du Palais avec 2 500 personnes autour de moi ! Heureusement, même si c’est mon quatrième film, c‘est peut-être le premier dont je sois vraiment fier. En tout cas, c’est celui qui ressemble le plus à ce que je souhaite faire en matière de cinéma. Alors cela me donne un peu de sérénité. Un peu.
VOUS ÊTES ARRIVÉ TARD DANS L’AVENTURE ZULU, MAIS VOUS TENIEZ ABSOLUMENT À EN FAIRE PARTIE… COMMENT LES CHOSES SE SONT-ELLES DÉROULÉES ?
C’est mon manager qui a lu le script et qui m’a demandé d’en faire autant en me disant que le rôle était formidable ! J’ai immédiatement perçu tout le potentiel de ce personnage, tout ce qu’il y avait à explorer… Il a un côté intemporel qui est très intéressant à incarner pour un comédien…
SI VOUS DEVIEZ JUSTEMENT PARLER D’ALI, VOTRE PERSONNAGE, À QUELQU’UN QUI NE LE CONNAIT PAS, QU’EN DIRIEZ-VOUS ?
C’est le capitaine d’une unité de la police criminelle de Cape Town, une victime collatérale de l’apartheid, son père ayant été tué à cette époque… Aujourd’hui, il tente simplement d’avoir une vie normale en recherchant le bonheur. Malheureusement, son monde va être totalement bouleversé et il va devoir se confronter à ce passé douloureux.
DE QUEL MATÉRIAU AVEZ-VOUS BESOIN POUR TROUVER L’ESSENCE D’UN PERSONNAGE, ALI OU UN AUTRE D’AILLEURS ?
Ce qui m’intéresse, c’est d’aller chercher la vérité. Je pars toujours de l’environnement du personnage : où il vit, la manière dont il parle, ce qu’il ressent de ce qui l’entoure. Ensuite, je vois comment transposer tout cela dans le film. Pour Ali, je me suis appliqué à ne pas le faire évoluer spectaculairement mais en douceur du début à la fin. Pourtant, vous le verrez, entre ces deux moments, son évolution est très importante… Ce qui compte pour moi, c’est que les expériences vécues par mes personnages dans le récit nourrissent ce qu’ils sont et ce qu’ils deviennent. De plus, pour Ali, mon travail passait par le langage et la religion. J’ai appris des notions d’arabe et d’espagnol, j’ai voulu connaître le sens des prières, leurs déroulements, leurs rites… Et puis je me suis intéressé aux vêtements qu’il porte : son intégrité passe aussi par le fait qu’il souhaite rester impeccable. J’ai évidemment parlé de tout cela avec Jérôme Salle parce que c’est lui qui avait l’oeil sur l’ensemble du projet. J’avais besoin de sa validation et il m’a toujours encouragé en ce sens !
ZULU PARLE BEAUCOUP DU PARDON ET DE LA FACULTÉ QUE NOUS AVONS OU PAS À PARDONNER… EST-CE UN THÈME QUI VOUS TOUCHE ?
Bien entendu ! En tant qu’êtres humains, c’est une idée qui nous concerne tous. Qu’est-ce que le pardon ? Quels sont les différents degrés du pardon ? Pour Ali, il s’agit surtout d’accepter ce qui lui est arrivé, ce que l’apartheid lui a volé et de faire avec. Il doit aller de l’avant et vivre au milieu des autres… En fait, je crois qu’il n’a pas vraiment pardonné à ceux qui lui ont fait du mal, pas plus qu’il ne s’est pardonné à lui-même. Ali tente de continuer à exister. Mais quand les choses vont dégénérer, tout ce qu’il essayait d’enfouir depuis si longtemps va brutalement remonter à la surface.
PARLEZ-NOUS DE VOTRE COLLABORATION AVEC ORLANDO BLOOM, QUI JOUE VOTRE PARTENAIRE BRIAN.
En fait, nous n’avons cessé de discuter durant le tournage. Ce qui est paradoxal, c’est que nous avons peu de scènes ensemble. Or, quand vous voyez le film, vous avez l’impression inverse. Son personnage et le mien ont beaucoup de points communs, à commencer par un passé difficile. Lui est aussi dépendant à la boisson et au sexe ! Ali et Brian vont devoir affronter ces fantômes, ils y seront forcés. J’ai adoré jouer avec Orlando, il a fait un boulot fantastique de son côté.
IL Y A UN AUTRE PERSONNAGE ESSENTIEL DANS LE FILM, C’EST L’AFRIQUE DU SUD. CONNAISSIEZ-VOUS CE PAYS OU AVEZ-VOUS EU BESOIN DE LE DÉCOUVRIR EN AMONT DU TOURNAGE ?
J’aurais aimé pouvoir le faire mais j’ai manqué de temps. J’étais déjà venu en Afrique du Sud mais je ne peux pas dire pour autant que je «connaissais» ce pays ! Je crois que c’est le film qui m’a permis de mieux le découvrir car Jérôme Salle et son équipe avaient fait des recherches qui m’ont été précieuses. J’avais une perception née des grands repères que tout le monde connait : la mise en place de l’apartheid, la lutte contre la ségrégation, la fin de ce système et la politique de réconciliation nationale. Là-bas, j’ai découvert que ces événements étaient encore récents et qu’il fallait faire avec. On n’efface pas en une décennie des années de haine et de combat. Comment dépasser le sentiment de violence ? Comment considérer comme partenaire aujourd’hui celui qui était oppresseur hier ? Comment accepter que celui qui vous était inférieur soit devenu votre égal ? Ce qui a été très intéressant c’est que je suis venu avec mes questions et que les réponses m’ont été en partie apportées grâce à la rencontre avec des acteurs de ces périodes, mais aussi grâce à des associations avec lesquelles j’ai travaillé sur place. Je me suis investi auprès de différentes communautés qui œuvrent pour le droit des femmes, la santé, la salubrité publique, la médiation dans les quartiers... C’est tout cela qui a peu à peu bâti une compréhension plus globale de ce qui est en train de changer et de transformer l’Afrique du Sud, mais aussi de ce qui continue de miner ce pays : la violence, l’inégalité sociale... Encore une fois, le but de mon voyage sur cette Terre c’est de trouver la vérité ! Celle d’une situation, celle de l’intimité des êtres, celle qui les entoure. En arrivant en Afrique du Sud, c’est ce que je me suis demandé : où est la vérité et comment la découvrir, si possible en écoutant ceux qui y vivent ?
J’AI L’IMPRESSION QUE DANS LE CAS DE ZULU, CET ENGAGEMENT, CETTE QUÊTE DÉPASSENT LA SIMPLE PRÉPARATION D’UN RÔLE…
C’est vrai que ce n’est pas toujours aussi profond ! J’ai demandé des notes, j’ai participé à des débats, je continue via ma fondation à soutenir certaines organisations sur place. Je sais d’ailleurs que j’y retournerai pour poursuivre cet engagement.
VOUS PARLIEZ DE JÉRÔME SALLE ET DE SON ÉCOUTE, COMMENT QUALIFIERIEZ-VOUS VOTRE TRAVAIL EN COMMUN ?
C’est un réalisateur très talentueux, qui a su baliser l’univers qu’il souhaitait décrire et ça nous a énormément apporté à Orlando et à moi. Il a également su s’entourer d’une équipe presque 100% sud-africaine et ça a été une chance pour nous, les deux comédiens étrangers. Nous sentions l’énergie et l’intensité de ceux qui nous entouraient. C’est important d’être influencé par de telles choses et c’est grâce à Jérôme. Ses choix ont été pertinents au-delà des techniciens ou des acteurs « locaux » : jusque dans les lieux de tournage, il a su trouver le bon endroit et bien entendu, tout cela a rejailli sur nous.
CE RÔLE D’ALI, QUELLE PLACE LUI ACCORDEZ-VOUS, AU MILIEU DE TANT D’AUTRES PERSONNAGES MARQUANTS QUE VOUS AVEZ INTERPRÉTÉ, DE BIRD AU DERNIER ROI D’ÉCOSSE ?
Je sais que c’est un rôle unique, je n’avais jamais joué ce genre de choses. Je n’ai pas l’habitude de me retourner sur ma carrière ou de l’analyser, car je veux toujours aller de l’avant, mais je sais qu’Ali est arrivé au bon moment. Vous parlez de BIRD, je sais que Clint Eastwood alors ne m’a pas juste donné mon premier rôle principal, mais surtout sa confiance et il m’a fallu affronter mes peurs. Je savais que je pouvais échouer mais je savais aussi que je tenterais tout pour réussir. LE DERNIER ROI D’ÉCOSSE, lui, m’a appris comment faire évoluer un personnage, comment me transformer dans un même personnage. Maintenant débute une période où je me sens revitalisé, heureux de travailler et cette période a commencé cette année. Elle sera marquée par les films qui vont arriver dans les deux prochaines années. J’ai envie, non pas de prouver des choses, mais de devenir plus fort, d’aller de l’avant. C’est pour moi un nouveau départ en tant qu’artiste et ZULU en est le symbole.
ZULU, SIGNÉ PAR UN RÉALISATEUR FRANÇAIS, VOUS DEVENEZ UN HABITUÉ DE « NOTRE » CINÉMA ?
D’abord, je regrette que mon français soit si mauvais et j’ai d’ailleurs décidé d’apprendre votre langue en 2014 ! C’est en effet mon quatrième film avec des metteurs en scène français : Olivier Dahan pour MY OWN LOVE SONG, LULLABY de Benoit Philippon, le nouveau film de Rachid Bouchareb, LA VOIE DE L’ENNEMI (que j’ai fini au printemps dernier, juste avant Cannes) et donc me voici dans ZULU de Jérôme Salle. Je suis très impatient de savoir comment les gens vont le recevoir car en ce qui me concerne, j’ai eu énormément de plaisir et d’intérêt à le tourner !
VOUS TENIEZ ABSOLUMENT À FAIRE PARTIE DE L’AVENTURE ZULU, BRIAN EST UN PERSONNAGE TRÈS ÉLOIGNÉ DE CE QUE VOUS AVEZ FAIT JUSQU’ICI. COMMENT LE RESSENTEZ-VOUS ? QUI EST–IL ?
Brian fait partie de ces gens qui portent le poids de l’histoire de leur peuple et de leur pays, en l’occurrence l’Afrique du Sud. C’est un type qui a une ex-femme, un fils de 17 ans qui le considère comme un étranger. Il a une addiction à l’alcool, aux médicaments qui le pousse régulièrement à la violence, incompatible logiquement avec son boulot de flic. La thématique de ce personnage, c’est l’idée de revanche contre la vie, contre les femmes, contre ce qui l’a bâti mais au bout du compte, c’est l’idée de pardonner et de se pardonner qui va s’imposer à lui.
D’UNE MANIÈRE GÉNÉRALE ET DANS LE CAS PARTICULIER DE BRIAN, COMMENT CONSTRUISEZ-VOUS VOS PERSONNAGES ? CELA PART DU SCÉNARIO, DU COSTUME, D’AUTRES CHOSES ?
Ici, j’ai travaillé sur un aspect du personnage qui est peu développé dans le film, mais qui est sous-jacent : la relation que l’on devine compliquée entre Brian et son père. Elle déteint d’ailleurs sur les rapports que lui-même entretient avec son fils. Et puis je voulais bosser son accent, sa façon de parler, le son de sa voix pour que cela ne sonne pas artificiel. Enfin il y avait l’aspect physique : les hommes sud-africains sont un brin machos, ils laissent souvent parler leurs poings ! J’ai donc pris du muscle pour paraître plus fort, presque plus grand que je ne le suis et incarner cette violence qui fait partie de l’identité de Brian. La violence qu’il porte en lui mais aussi celle de l’histoire de son pays et de son peuple.
PARTANT DE CE PRINCIPE D’EXPLORATION DU PERSONNAGE, AVEZ-VOUS PROPOSÉ DES CHOSES À JÉRÔME SALLE ?
Oui, par exemple l’idée que Brian soit accro aux pilules, aux cigarettes et qu’il mange cette sorte de viande séchée, véritable concentré de protéines, que l’on consomme beaucoup là-bas. J’ai beaucoup insisté sur ces détails auprès de Jérôme car ils allaient dans le sens du personnage. Et lui, de son côté, m’a encouragé à essayer des choses, à tenter des détours, à ne pas avoir peur d’en rajouter dans le côté physique. Il a été formidable !
C’EST LA PREMIÈRE FOIS QUE NOUS VOUS DÉCOUVRONS DANS UN RÔLE QUI MALMÈNE VOTRE IMAGE DE «BEAU GOSSE», SAIN, SPORTIF, ÉGÉRIE DE MARQUE DE LUXE ! C’ÉTAIT UNE VOLONTÉ DE VOTRE PART ?
Quand vous avez, comme moi, une carrière qui a démarré très tôt et qui s’appuie sur des films très ambitieux et très populaires, vous ne pouvez que vous réjouir et dire merci ! Et puis le temps passe et vous souhaitez faire évoluer cette image ou en tout cas, la façon dont votre image est véhiculée, en partie via la publicité. Ça, franchement, c’est quelque chose qui m’a échappé, auquel je n’étais pas assez attentif. Je me considère avant tout comme un acteur qui joue des personnages et, en la matière, je ne me suis jamais fixé de barrières : chaque proposition m’apparaît comme un challenge, une opportunité. Mais il est vrai qu’en terminant certaines de ces grosses productions, j’ai réalisé que la perception que l’on avait de moi était faussée et j’ai décidé de consacrer du temps à faire évoluer cela, notamment en jouant des personnages comme Brian dans ZULU. J’ai compris que, si je parvenais à le rendre honorable et crédible, ça me donnerait l’occasion de corriger ce «malentendu» ! Et le fait que ZULU ait été présenté en clôture du Festival de Cannes a également permis de donner à l’ensemble de ce projet une touche «auteur» qui a forcément rejailli sur mon cas personnel. Ce film est véritablement une pierre sur laquelle je compte construire quelque chose, m’améliorer en tant que comédien et en tant qu’être humain.
L’AFRIQUE DU SUD JOUE ÉVIDEMMENT UN GRAND RÔLE DANS CETTE HISTOIRE. C’EST ÉGALEMENT LE CAS POUR VOTRE PROPRE HISTOIRE PERSONNELLE.
Le mari de ma mère était une figure très connue de la lutte contre l’apartheid dans ce pays. Il était écrivain, journaliste, reporter mais aussi un militant très actif. À 13 ans, j’ai découvert que cet homme, que je croyais être mon père, en fait ne l’était pas d’un point de vue biologique. Cela dit, pour moi, il l’est de fait. L’homme qu’il était, ses idées sont profondément ancrées en moi, dans mon esprit et mon cœur. Je n’avais jamais trouvé le temps de venir en Afrique du Sud pour rencontrer ceux qui avaient travaillé ou vécu à ses côtés, mais je sentais une connexion avec ce pays. Ce rôle est donc arrivé à un moment où il était important et intéressant pour moi de m’y attarder un peu.
QUE DIRE DE VOTRE TRAVAIL AVEC FOREST WHITAKER ? MÊME SI VOUS AVEZ AU FINAL PEU DE SCÈNES ENSEMBLE, UNE VÉRITABLE OSMOSE TRANSPARAÎT ENTRE VOUS À L’ÉCRAN.
Je dois d’abord vous avouer que je suis un immense fan de Forest Whitaker ! Au-delà de ça, j’ai trouvé intéressante cette dynamique entre deux flics qui portent en eux le poids de leur culture et de leur peuple. Moi, le Blanc anglo-saxon et lui le Zulu africain… Cette histoire est baignée par l’héritage de l’apartheid, ils peuvent et doivent travailler ensemble. Comme vous le dites, nous sommes rarement réunis à l’écran, mais il nous semblait intéressant que le public ressente le respect réciproque qui les unit. Brian doit beaucoup à Ali car c’est ce dernier qui le maintient à flot malgré ses naufrages. Brian est un type honorable, un très bon lieutenant pour quelqu’un comme Ali. On peut avoir confiance en lui, même s’il paraît irresponsable, s’il est en retard ou injoignable ! Ali sait que le moment venu, il pourra toujours compter sur Brian à ses côtés. Nous avons donc décidé de travailler en profondeur cet aspect de leur relation dans les quelques scènes où ils étaient ensemble et à l’arrivée, je pense que cela transparaît.
ZULU EST AUSSI VOTRE PREMIER FILM FRANÇAIS…
J’ai beaucoup apprécié l’intégrité de Jérôme Salle, sa vision très claire d’un récit habité par l’idée de l’honnêteté vis-à-vis de l’Afrique du Sud actuelle. Parce que Jérôme est français, parce qu’il n’a pas grandi en vivant tous les aspects socio-politiques de ce pays, il a pu garder un œil objectif sur les aboutissants de son histoire. Son authenticité nous a véritablement rendus légitimes là-bas, Forest et moi car, mis à part quelques personnes, l’ensemble de l’équipe était sud-africaine. J’ai le sentiment d’avoir travaillé aux côtés d’une personne très humble dotée en plus d’un grand sens de l’humour !
ÊTES-VOUS D’AILLEURS AMATEUR DE CINÉMA FRANÇAIS OU TOUT SIMPLEMENT DE FILMS VENUS D’AILLEURS ?
Évidemment ! Je me souviens encore de la première fois où j’ai vu LE CERCLE ROUGE de Melville et de mon sentiment d’émerveillement. Les réalisateurs français ont un sens de l’esthétique dans leur façon de filmer qui m’intéresse beaucoup. Jacques Audiard en est un formidable exemple : DE BATTRE MON CŒUR S’EST ARRÊTÉ reste un de mes films préférés, tout comme UN PROPHÈTE. Et je crois que Jérôme Salle, avec ZULU, a passé un cap dans sa carrière de metteur en scène. Il m’a dit que c’est aussi ce qui l’excitait dans ce projet. C’est tout de même un français qui a mis en scène un film en anglais mais surtout sud-africain par essence !
ET VOTRE PROPRE FILMOGRAPHIE : COMMENT REGARDEZ-VOUS AUJOURD’HUI LA SAGA DE PIRATES DES CARAÏBES OU DU SEIGNEUR DES ANNEAUX ?
Je pars du principe que «quand c’est fait, c’est fait» ! Peut-être un jour, quand mon fils sera plus grand, nous regarderons quelques-uns de ces films ensemble, mais ce moment-là n’est pas encore venu et je n’ai pas cette impatience. En ce moment, je vis plutôt pleinement mes premiers pas à Broadway dans «Roméo et Juliette» et ensuite, nous y revenons, je retrouverai Legolas une dernière fois pour la fin de l’aventure du HOBBIT…
AVANT D’ÊTRE UN AUTEUR DE POLAR RECONNU, VOUS AVEZ TRAVAILLÉ DANS UN GUIDE DE VOYAGE... EST-CE QUE C’EST CETTE EXPÉRIENCE QUI VOUS A DONNÉ LA GOÛT DES CONTRÉES LOINTAINES PUISQUE «ZULU» SE PASSE EN AFRIQUE DU SUD ET QUE VOS DEUX ROMANS PRÉCÉDENTS, «HAKA» EN 1998 ET «UTU» EN 2004, SE DÉROULAIENT EN NOUVELLE-ZÉLANDE ?
Cette passion du voyage vient d’abord de ma propre vie : j’ai fait un tour du monde à l’âge de 20 ans et pour moi, cela correspond à mes études ! L’idée était avant tout de partir et loin effectivement. La sensation de se sentir sur une terre australe m’est unique et agréable... En fait, le plus dur, c’est toujours de quitter son «bled» : une fois qu’on a décidé de partir, on peut aller partout...
PLUSIEURS SENTIMENTS TRÈS FORTS TRAVERSENT LE FILM ET DONC LE ROMAN : ILS SONT DIRECTEMENT LIÉS À CE QUE PROCURE L’AFRIQUE DU SUD. AVEZ-VOUS RESSENTI CE GENRE DE CHOC EN DÉCOUVRANT CE PAYS ?
Je suis moi-même assez excessif dans la vie et c’est vrai que l’Afrique du Sud, quand on écrit des romans noirs, c’est du pain béni ! C’est la même chose avec les auteurs américains : leur société est tellement fascinante et épouvantable à la fois que cela ne peut donner que des bons livres... Si vous allez au Liechtenstein, à part mettre le feu aux banques, vous ne trouverez pas grand-chose à faire, ni un imaginaire très développé ! L’Afrique du Sud est un des plus beaux pays au monde avec une lumière incroyable, une végétation fantastique mais aussi des problèmes colossaux hérités de l’apartheid comme le sida ou la violence... Tous ces contrastes en effet causent un choc. J’ai également eu la chance de m’y faire un ami, un journaliste qui a vécu là-bas durant les années Mandela. Quand je suis arrivé, je n’étais pas un touriste mais un auteur directement plongé dans la société, dans les townships, au milieu d’une société en pleine construction mais également habitée par ses fantômes...
LE FILM D’AILLEURS MÊLE LE POLAR, LE THRILLER, LA POLITIQUE ET LE SOCIAL : C’ÉTAIT VOTRE VOLONTÉ D’ÉCRIVAIN D’ASSEMBLER EN UN RÉCIT TOUTES LES PIÈCES DU PUZZLE SUD-AFRICAIN ?
Complètement : c’est la base de ce type de roman et de film. Ce ne sont pas des thrillers avec des meurtres et des types qui ont trois flingues ! Ça c’est davantage du jeu vidéo et ça ne m’intéresse pas du tout... Je veux explorer un pays dans son intimité, sa profondeur, ses contrastes, à travers des personnages qui permettent de parler justement de problèmes raciaux, sociaux. Jérôme est resté très proche du livre, près du coeur des personnages : il n’a pas voulu en faire juste un thriller...
QUAND «ZULU» EST PARU EN 2008, IL A CONNU UN TRÈS GRAND SUCCÈS PUBLIC MAIS IL A AUSSI RECU PAS MOINS DE 7 PRIX DONT LE GRAND PRIX LITTÉRATURE POLICIÈRE. J’IMAGINE QUE VOUS AVEZ ÉTÉ TRÈS SOLLICITÉ POUR SON ADAPTATION AU CINÉMA...
Oui mais Richard Grandpierre a été le plus rapide ! Il venait de tourner une comédie en Afrique du Sud et avait adoré le pays. Il voulait utiliser différemment les paysages et l’ambiance, donc y faire un polar. «Zulu» était sorti depuis quelques mois, il m’a appelé pour me demander si les droits étaient libres, ce qui était le cas. À partir de là, les choses se sont faites vite et naturellement ! Cela ne veut pas dire qu’ensuite tout ait été paisible et facile pour monter le film : Richard a dû s’accrocher pour mener le projet à bien...
ET LE CONTACT AVEC JÉRÔME SALLE ? J’IMAGINE QUE C’EST ESSENTIEL POUR UN AUTEUR DE S’ENTENDRE AVEC CELUI QUI METTRA DES IMAGES SUR SES MOTS ?
Vous savez, j’ai une nature assez «cash» ! Je déteste les gens qui ont trop d’ego, ça me met mal à l’aise, ça ne fonctionne pas... Jérôme a immédiatement été très simple, très agréable : il nous a fallu dix minutes pour tomber d’accord et nous entendre ! Ne connaissant pas du tout l’Afrique du Sud, il avait une véritable humilité par rapport à ce pays donc, de mon côté, j’ai vu ce que je pouvais lui apporter, d’abord à travers le roman. Ce pays est très cinématographique et le livre est écrit, découpé comme un scénario, truffé d’endroits fabuleux à l’image : le parc botanique Kirstenbosch ou la Table Mountain par exemple... Je lui ai dit qu’il trouverait sur place cette matière-là et bien d’autres choses dans les environs du Cap ! Et je me souviens que lors de ses premiers repérages, Jérôme m’appelait ou m’envoyait des textos en me disant : «Je suis dans telle rue, je n’arrive pas à trouver tel bar...» Et je lui répondais : «Prends la 1ère à droite, tu vas tomber dessus...» ! C’était amusant et intense de se retrouver complices à 10 000 kilomètres de distance. Ensuite, je suis allé sur le tournage, un peu sur la pointe des pieds, mais tout le monde m’a formidablement accueilli...
VOUS ÉCRIVEZ VOUS AUSSI DES SCÉNARIOS DONC VOUS SAVEZ QUE CETTE DISCIPLINE PASSE PAR DES CHOIX, DES COUPES, DES CHANGEMENTS : EN TANT QU’AUTEUR, COMMENT AVEZ-VOUS ACCEPTÉ CES SACRIFICES ENTRE VOTRE ROMAN ET LE FILM ?
C’est le cinéma, c’est une adaptation ! On sait qu’en tant que lecteur, nous avons plus d’imagination qu’une caméra et c’est pourquoi nous sommes souvent déçus en voyant le film tiré d’un livre. Après, il faut voir et apprécier comment se font les choses : j’avais une totale confiance en Richard et Jérôme. Bien sûr, ils ont fait des changements par rapport à mon roman mais l’essentiel est respecté, notamment à la toute fin de l’histoire. Pour que ce soit acceptable, il fallait que cela corresponde à l’Afrique du Sud et donc à l’histoire de base. C’est un récit dur, peuplé de personnages qui le sont tout autant et la vision qu’en donne Jérôme correspond à la mienne donc c’est le plus important !
UN MOT DES ACTEURS DU FILM : EST-CE QUE FOREST WHITAKER ET ORLANDO BLOOM COLLENT, EUX AUSSI, À VOS ALI ET BRIAN DE PAPIER ?
Ce qui est extraordinaire, c’est que le casting a changé depuis l’origine de l’adaptation. Finalement, Forest Whitaker a endossé le rôle d’Ali, plus massif que je ne l’avais imaginé en écrivant. Mais quand je suis allé sur le tournage et que je l’ai entendu prononcer ses premiers mots, je me suis dit que je ne pouvais pas rêver meilleur Ali que lui ! Quant à Brian, c’est une formidable surprise. Whitaker, on sait que c’est un immense comédien, il l’a prouvé. Orlando Bloom, lui, n’avait pas encore atteint ce niveau de jeu ou abordé ce registre-là... Toutes les filles sont folles de lui mais pas grâce à ce style de personnages ! Quand j’étais sur le plateau, il m’a littéralement sauté dessus en me disant : «C’est toi l’auteur ? Merci, c’est exactement ce que je cherchais. Ça fait des années que je joue un elfe dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX !» Il était totalement investi dans le rôle, il est arrivé trois semaines avant le tournage pour s’imprégner des lieux...
EST-CE QUE CETTE EXPÉRIENCE DU ROMAN «ZULU» AU FILM ZULU VOUS A DONNÉ L’ENVIE D’AUTRES EXPÉRIENCES DE CINÉMA ?
Oui, je suis en train d’écrire l’adaptation de mon dernier roman, «Mapuche», qui est aussi un récit très dur, basé sur un contexte réel : le combat des mères et grand-mères de la place de Mai à Buenos Aires en Argentine... Ça raconte le destin de ces indiens Mapuche qui ont été en grande partie exterminés durant la dictature... Comme dans ZULU, on y croise pas mal de fantômes !
SI L’ON REGARDE VOTRE PARCOURS DE SCÉNARISTE, ENTRE 36 QUAI DES ORFÈVRES, PARS-VITE ET REVIENS TARD ET ZULU, VOUS AVEZ NOTAMMENT ABORDÉ PAR TROIS FOIS DÉJÀ
DES AMBIANCES PLUTÔT RUDES EN MATIÈRE DE POLAR. QU’EST-CE QUI VOUS FASCINE DANS CES UNIVERS-LÀ ?
J’y trouve la possibilité d’accompagner des personnages très forts, confrontés quotidiennement à la violence du monde tout en ayant, toujours, leurs problématiques personnelles et humaines à gérer. Ce sont souvent des personnages riches, complexes, donc intéressants. C’était vraiment le cas dans le roman de Caryl Férey avec ces héros dont l’identité est totalement nourrie de l’histoire particulière de l’Afrique du Sud. Par ailleurs, le polar offre la possibilité de bâtir des histoires rythmées, prenantes, mystérieuses, ce qui est excitant pour un scénariste. Il y avait tout cela dans «Zulu» ! Avec un personnage supplémentaire fascinant, qui fait partie intégrante du roman et du film : l’Afrique du Sud, en particulier la ville du Cap. Ce n’est pas un pays que l’on a l’habitude de voir au cinéma. Et c’est évidemment l’une des choses qui nous a beaucoup plu avec Jérôme Salle à la lecture du roman de Caryl Férey.
QUAND ON PART D’UN TEL ROMAN, QUE FAUT-IL OBLIGATOIREMENT EN GARDER ET QUE DOIT-ON LAISSER DE CÔTÉ OU CHANGER ?
L’écueil principal était la richesse du roman : 450 pages ! Un livre avec une intrigue complexe, beaucoup de personnages secondaires, d’évocations du passé de ces personnages... Pour aboutir à un film rythmé d’un peu moins de deux heures, tout en gardant l’intrigue du roman et la multiplicité des points de vue, il fallait à la fois simplifier et densifier l’histoire. Évidemment, nous sommes partis avec Jérôme Salle des deux «héros» du roman, de leurs identités, de leurs problématiques tout en les basculant dans une narration cinématographique. À un moment, une fois décidée la thématique principale qui nous intéressait, celle du pardon, il nous a fallu refermer le roman «Zulu» pour nous projeter dans le film. Ça implique en effet de faire des choix, d’abandonner certains personnages, certaines sous-intrigues, pour ne conserver que l’essentiel en respectant l’esprit du livre, son ton et aussi la place qu’il laisse à l’histoire de l’Afrique du Sud et à sa réalité socio-politique actuelle.
ET JUSTEMENT, EN TANT QUE SCÉNARISTE, J’IMAGINE QUE VOUS RENDRE SUR PLACE POUR L’ÉCRITURE A ÉTÉ UN MOMENT IMPORTANT...
Nous sommes allés y passer deux semaines avec Jérôme lorsque nous avons eu une première version du scénario... Le roman de Caryl Férey était une base extrêmement précieuse, très documentée du fait de son long séjour sur place. En amont de l’écriture, nous avons également lu d’autres ouvrages, des articles sur l’Afrique du Sud, regardé des documentaires, des émissions. Ensuite, ces pré-repérages du tournage nous ont permis de vérifier si ce que l’on racontait était cohérent avec l’ambiance, la culture locale, les rapports sociaux ou encore la géographie des lieux. Cela a conduit d’ailleurs à des modifications dans notre adaptation.
L’HISTOIRE S’APPUIE SUR UN PARADOXE TRÈS INTÉRESSANT : ELLE POSSÈDE TOUS LES CODES DU «BUDDY-MOVIE», (DEUX PERSONNAGES QUI N’ONT RIEN À FAIRE ENSEMBLE ET QUI POURTANT SE COMPLÈTENT), MAIS ELLE DYNAMITE CES CODES !
C’est l’un des aspects très intéressant dans le livre et que nous avons voulu creuser : l’étrange amitié qui unit Ali et Brian. Ce sont deux types, deux flics qui n’ont pas le même profil psychologique, pas la même vie, pas du tout la même histoire familiale et qui pourtant sont profondément liés... Leur style est totalement opposé mais ils veulent plus que tout travailler ensemble. Ali défend Brian envers et contre tous, y compris sa hiérarchie, il veut le garder à ses côtés malgré un certain manque de professionnalisme de ce dernier... Ali, au fond, sait bien que Brian a besoin de ce travail pour ne pas basculer définitivement dans l’auto-destruction. J’aime cette idée d’un duo apparemment traditionnel dans son opposition, mais dont la relation est en réalité beaucoup plus riche, mélange d’un profond respect et d’amitié.
PUISQU’ON PARLE DE DUO : ZULU MARQUE VOTRE TROISIÈME COLLABORATION AVEC JÉRÔME SALLE APRÈS LARGO WINCH ET LARGO WINCH II : COMMENT PARLERIEZ-VOUS DE VOTRE TRAVAIL COMMUN ?
Je crois qu’avant tout nous nous entendons très bien ! Nous communiquons beaucoup sur le film, au-delà même du scénario. J’ai rencontré Jérôme avant l’écriture du premier LARGO WINCH et j’ai appris à travailler avec lui. Nous formons une sorte d’équipe complémentaire : nous avons des goûts communs mais chacun garde son individualité. C’est en effet notre troisième film ensemble mais nous ne sommes pas lassés de cette collaboration parce qu’à chaque fois, nous avons essayé de nous renouveler et de nous lancer de nouveaux défis. Pour ZULU, il fallait parvenir à rendre compte, comme dans le roman, de la richesse humaine, politique et sociale de l’Afrique du Sud tout en écrivant un film tendu où le principal demeure, cependant, l’intime des personnages.
ZULU VA ÊTRE PRÉSENTÉ EN CLÔTURE DU FESTIVAL DE CANNES, LE PLUS GRAND ET LE PLUS PRESTIGIEUX AU MONDE. POUR UN JEUNE SCÉNARISTE, C’EST AVANT TOUT DE LA SATISFACTION, DE LA FIERTÉ ?
Une fierté bien sûr, mais avant tout du plaisir et une heureuse surprise ! ZULU est plus qu’un polar : une histoire policière forte dans un contexte social et politique rude, traversée par des personnages marquants. Au-delà de la seule intrigue policière, le film de Jérôme dégage une force et de vraies émotions. Aller à Cannes est très excitant, formidable pour le film, pour Jérôme, pour Caryl Férey, pour Richard Grandpierre et toute l’équipe...
À n’en pas douter, la projection dans le grand auditorium Lumière sera pour nous un moment mémorable…
ZULU EST UNE NOUVELLE ÉTAPE DE VOTRE TRAVAIL DE COMPOSITION POUR JÉRÔME SALLE... D’OÙ VIENT L’ENVIE DE POURSUIVRE CETTE COLLABORATION, TRÈS DIFFÉRENTE DES FILMS LARGO WINCH ?
Jérôme m’a contacté lorsqu’il préparait le premier volet de LARGO. Nous nous sommes rapidement très bien entendus ! J’ai tout de suite apprécié sa franchise, son énergie et son exigence en matière de mise en scène. Je ne me suis pas trompé...
UN TROISÈME FILM ENSEMBLE COULAIT DONC DE SOURCE ?
Ça n’est jamais le cas, l’expérience me l’a appris ! Jérôme a juste eu la gentillesse de faire à nouveau appel à moi pour ZULU et j’ai continué avec lui assez logiquement.
ZULU EXPLORE UN UNIVERS TRÈS RUDE, VIOLENT. COMMENT TRAVAILLEZ-VOUS SUR CE GENRE DE FILM : AVEZ-VOUS BESOIN DE VOIR DES IMAGES, DE LIRE LE LIVRE PUISQUE C’EST À LA BASE UN ROMAN ?
Je n’ai pas lu le livre mais le script que j’ai moi aussi trouvé brutal et dur. Ça m’a d’ailleurs aidé à imaginer ce que serait la musique et surtout, aussi, ce qu’elle ne serait pas ! Très tôt, Jérôme a compris que ça ne pourrait pas être une musique d’action, parce que ces scènes-là sont toujours assez fulgurantes dans le film, sans complaisance. Si la musique se prenait à vouloir souligner l’action, cela aurait eu l’effet inverse. Pour moi, la musique est plutôt présente pour créer une atmosphère lourde, étrange. J’ai utilisé un orchestre, épaulé par beaucoup d’éléments électroniques mais sans aucun apport d’instruments ethniques qui puissent nous ramener en Afrique. L’idée était de garder une distance, de ne pas se laisser piéger par un film de genre.
C’EST INTÉRESSANT PARCE QUE POUR ARGO PAR EXEMPLE, VOUS AVIEZ TENU AU CONTRAIRE À INTÉGRER DANS VOTRE BANDE ORIGINALE DES INSTRUMENTS ET DES MUSICIENS PERSES.
Mais il y avait pour cela une raison très forte : Tony Mendez, le personnage de Ben Affleck, a pour mission d’entrer en Iran, dans un monde hostile et d’en ressortir en ayant sauvé des otages. Donc la musique, pour moi, représentait cet univers ennemi. La rupture entre le début du film baigné de musique occidentale et la seconde partie plus ethnique en Iran était essentielle. Dans ZULU, on est d’entrée en Afrique du Sud, dans un univers inhospitalier, avec deux personnages sud-africains, un Blanc et un Noir. Tous deux sont à la recherche de la solution d’une énigme, compliquée par des réseaux de narco-trafiquants et de gangsters. Le contexte local existe, pas besoin de le souligner.
VOUS FAITES PARTIE AUJOURD’HUI D’UNE TOUTE PETITE LISTE DES COMPOSITEURS LES PLUS DEMANDÉS AU NIVEAU MONDIAL ET POURTANT VOUS CONTINUEZ À CHOISIR VOS PROJETS AVEC HUMILITÉ ET CURIOSITÉ, NOTAMMENT EN FRANCE.
Je reste toujours heureux de la rencontre avec un metteur en scène ou qu’un autre me rappelle, comme Jérôme ou Jacques Audiard par exemple, pour un nouveau voyage. J’aime aussi varier les expériences musicales : si LARGO WINCH s’inscrivait davantage dans une ambiance «Bondienne» ou «John Barryesque», ZULU m’a emmené ailleurs, avec le sentiment d’une mise en danger. Et ça ne ressemble pas non plus à ce que je viens d’enregistrer pour MARIUS et FANNY de Daniel Auteuil ! A priori, c’est ça qui est excitant : je ne saute pas à l’élastique mais c’est tout comme !
DERNIÈRE CHOSE : ZULU VA FAIRE LA CLÔTURE DU FESTIVAL DE CANNES. VOUS CONNAISSEZ BIEN CE RENDEZ-VOUS POUR Y AVOIR ÉTÉ EN COMPÉTITION ET MEMBRE DU JURY EN 2010. QUELS CONSEILS POURRIEZ-VOUS DONNER À JÉRÔME SALLE, RICHARD GRANDPIERRE ET TOUTE LEUR ÉQUIPE POUR LES AIDER À SUPPORTER L’ANGOISSE DE LA PROJECTION DEVANT LE TOUT CINÉMA MONDIAL ?
Simplement leur dire qu’ils doivent rester humbles mais aussi avoir confiance en leur film. ZULU est une remarquable adaptation du roman de Caryl Férey, porté par un casting fabuleux avec un Forest Whitaker revenu au sommet et un Orlando Bloom inédit, une mise en scène virtuose de simplicité... et évidemment une musique extraordinaire !
Jérôme Salle, le réalisateur, raconte l'histoire d'une manière simple, efficace et percutante, sans en faire des tonnes.
Jérôme Salle, le réalisateur |
Jérôme Salle m'a donné le sentiment de nous présenter plein d'aspects différents de l'Afrique du Sud en nous montrant les milieux nocturnes, les travailleurs, les étudiants, les townships, les quartiers résidentiels... Les quelques scènes ayant en fond des paysages magnifiques de Cape Town marquent la mémoire.
Les deux acteurs principaux Forest Whitaker, qui interprète Ali Sokhela, et Orlando Bloom, qui interprète Brian Epkeen sont excellents. J'ai eu un plaisir immense à voir Forest Whitaker dans ce rôle d'homme meurtri qui lui va à merveille.
Orlando Bloom est vraiment étonnant et super convaincant. Il prouve avec ce rôle d'homme violent à la dérive qu'il peut se détacher de son image de jeune premier.
Les deux protagonistes ont des personnalités complètement différentes mais on comprend très bien au fur et à mesure que le film se déroule l'importance qu'ils ont l'un pour l'autre et pourquoi ils travaillent ensemble.
L'intrigue de l'histoire est complexe mais comme le réalisateur tire les ficelles avec brio, elle reste claire. Il explique tout. Par delà cette terrible affaire policière, il nous raconte l'influence du passé sur le présent de ces deux hommes.
ZULU m'a impressionné. Attention, je le redis, il est violent. Cela dit, je vous le conseille fortement car c'est un film marquant. Il fait voyager (parfois dans des recoins effrayants du comportement humain). Il vaut mieux le voir en VO sous-titrée pour apprécier les accents et les différentes langues utilisées qui montrent la diversité et la richesse de ce pays.
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Notes de production
A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers!
ENTRETIEN AVEC JÉRÔME SALLE
RÉALISATEUR – COSCÉNARISTE
COMMENÇONS PAR LE FESTIVAL DE CANNES : VOUS ÊTES UN JEUNE RÉALISATEUR, ZULU N’EST QUE VOTRE 4ÈME FILM... COMMENT VIVEZ-VOUS CE MOMENT UNIQUE DE CLÔTURER LE PLUS GRAND RENDEZ-VOUS MONDIAL DU CINÉMA ?
Ce serait mentir de dire que je ne me sens pas stressé. Ça donne le sentiment que tout va se jouer en une projection ! Il y a l’idée d’un verdict immédiat... Mais je suis très fier d’aller à Cannes avec ZULU. La fierté l’emporte sur le stress.
EST-CE QUE L’AVENTURE ZULU EST DIRECTEMENT LIÉE À CELLE DE LARGO WINCH II, QUI ÉTAIT DÉJÀ UNE PRODUCTION INTERNATIONALE ?
Oui et non. Les deux films sont tellement différents. En sortant de l’expérience LARGO, j’avais à la fois l’impression d’avoir progressé, d’avoir emmagasiné beaucoup d’expérience, tout en étant frustré parce que le film ne me ressemblait pas vraiment et que les autres ne percevaient pas ce que je pouvais et ce que j’avais envie de faire. Il me fallait absolument un projet plus personnel. C’est-à-dire trouver une histoire qui me touche et la raconter avec un style qui me ressemble.
ET CE PROJET-LÀ DÉMARRE AVEC LE ROMAN DE CARYL FÉREY ?
J’étais en train de finir le tournage de LARGO II et mon monteur, Stan Collet, m’a parlé du livre de Caryl en me disant que le producteur, Richard Grandpierre, avait acheté les droits, qu’il cherchait un réalisateur et que, d’après lui, ce serait un sujet parfait pour moi. J’ai donc lu le roman de Caryl que j’ai effectivement adoré. J’ai contacté Richard via mon agent. Ça s’est passé rapidement même si je dois reconnaître que je me suis engagé dans ce projet avec une certaine prudence. Cette histoire se passe entièrement en Afrique du Sud avec des personnages tous sud-africains et, à part Mandela ou Desmond Tutu comme tout le monde, je ne connaissais pas grand-chose de ce pays. Donc je ne savais pas si je serais capable ou légitime pour tourner ce film ! Richard a eu la bonne idée de me proposer d’aller passer deux semaines là-bas, pour me balader, sentir l’atmosphère. C’était une excellente idée puisque je suis vraiment tombé amoureux du pays et plus spécifiquement de Cape Town, où se déroule l’histoire. D’ailleurs aujourd’hui, après y avoir vécu pendant des mois, presque une année entière, je me sens chez moi là-bas. C’est une sensation assez étonnante… En tout cas, ce premier séjour là-bas m’a convaincu qu’il fallait être fidèle au bouquin dans lequel l’Afrique du Sud est un personnage à part entière. Et ne surtout pas «franciser» un des personnages en utilisant un subterfuge scénaristique comme il en avait été question à un moment. Il fallait faire un vrai film sud-africain ! C’était évidemment plus compliqué car ça obligeait à faire le film entièrement en anglais, avec un casting international. Pas simple. Heureusement, Richard a eu l’envie, le courage et la folie de tenter l’aventure !
LE FILM ÉTANT BASÉ SUR LE ROMAN ORIGINEL, QUELS SONT LES ENJEUX OU LES THÈMES QUI VOUS ONT INSPIRÉ AU MOMENT DE VOUS LANCER DANS CE PROJET ?
Ce que je voulais développer avant tout, c’est cette idée du pardon qui parcourt tout le film. Comme le dit Desmond Tutu : «Pas d’avenir sans pardon.» Le film traite de la difficulté et de la nécessité de pardonner pour aller de l’avant. J’ai un agent à Los Angeles depuis mon premier film, ANTHONY ZIMMER, et je reçois régulièrement des scénarios de là-bas. Pas mal de ces scénarios sont étiquetés «revenge movie». Cette thématique de la revanche, c’est presque un genre à part entière aux États-Unis. Or j’ai un peu de mal avec l’idée de glorifier ce sentiment. Le plus grand classique en matière d’histoire de vengeance, c’est Le Comte de Monte-Cristo et il se trouve que c’est sans doute mon roman préféré ! Mais dans le livre de Dumas, la fin vous fait ressentir l’absurdité, la vacuité de la vengeance. Ce n’est pas le cas de la plupart des «revenge movies», loin de là ! Alors tourner un thriller qui prenait le contre-pied de ce «genre», de cette philosophie, ça m’intéressait. Et l’Afrique du Sud est le pays idéal pour traiter du pardon. À la fin de l’apartheid, le gouvernement a mis en place des «commissions vérité et réconciliation» afin d’éviter l’engrenage de la vengeance et de permettre aux bourreaux de demander pardon à leurs victimes. Et d’être ensuite amnistiés, pardonnés. Un processus de réconciliation pacifique qui a été repris depuis dans d’autres pays, en Afrique ou en Amérique latine.
AVEC UNE VISION TRÈS RUDE DE L’AFRIQUE DU SUD, OÙ L’ON A L’IMPRESSION QU’UN APARTHEID SOCIAL A REMPLACÉ L’APARTHEID RACIAL...
Sincèrement, je ne crois pas que ma vision soit rude. Ce pays, c’est comme l’image du verre à moitié vide ou à moitié plein... Quand on parle avec des Sud-africains, on est frappé par le regard souvent sombre, parfois très pessimiste qu’ils portent sur leur pays. Et moi je leur disais souvent : «Mais regardez : vous avez fait quelque chose d’incroyable. Après des décennies d’un régime atroce, vous vous en êtes sortis sans bain de sang. Et même si ce n’est pas toujours simple, vous vivez ensemble. Rien que ça, c’est un succès !» Seulement, le fait qu’il y ait eu évolution et pas révolution, cela peut donner le sentiment que les choses changent lentement. Trop
lentement pour certains. Mais un traumatisme tel que l’apartheid ne peut pas se régler en une génération. Il faut laisser du temps au temps disait Mitterrand... Pas toujours facile à accepter.
QUAND UN METTEUR EN SCÈNE ÉTRANGER ARRIVE SUR PLACE AVEC UN FILM QUI PARLE DE VIOLENCE, DE DROGUE, DES TOWNSHIPS, COMMENT LES CHOSES SE PASSENT-ELLES ? COMMENT AVEZ-VOUS ÉTÉ REÇU ?
En me rendant là-bas, je me suis aperçu peu à peu qu’être étranger était peut-être finalement pour moi un avantage, pour raconter cette histoire ! Je n’ai pas, sur mes épaules, le poids de la culpabilité que peuvent ressentir beaucoup de blancs de ma génération, ni le poids de la souffrance et des humiliations passées que peuvent ressentir les noirs, les métis ou les indiens. Et ça me donne sans doute une plus grande liberté pour converser librement, avec tout le monde. Ensuite, il faut passer du temps à rencontrer les gens, discuter, comprendre. Vous savez, les Sud-africains sont eux-mêmes assez lucides sur l’état de leur pays. Ils sont souvent plus durs que je ne le suis ! Je considère au final que ZULU est un vrai film sud-africain : nous n’étions que cinq Français sur place. Tout le reste de l’équipe et du casting, mis à part Forest et Orlando, était composé de Sud-africains. J’ai tout de suite été clair en leur disant que je venais faire un film qui parlait d’eux, de leur pays, et que j’abordais ce travail avec beaucoup d’humilité, que j’avais besoin d’eux pour tenter de coller à la réalité de ce pays si complexe. Je tenais à ce que ce film puisse être vu par le public sud-africain comme un film sud-africain. Le casting a duré plusieurs mois. Il y a des acteurs formidables en Afrique du Sud qui, malheureusement, n’ont accès le plus souvent qu’à de petits rôles, sur les productions internationales. Ce tournage a d’ailleurs permis quelques belles histoires. Conrad Kemp par exemple, jeune acteur qui joue Dan Fletcher et qui s’est révélé exceptionnel, va déménager à New York cet été car il va monter sur scène à Broadway avec Orlando Bloom pour jouer «Roméo et Juliette» dès le mois de septembre ! Ou Randall Majiet, un ancien membre des gangs, qui était en centre de réhabilitation lorsqu’il a été repéré lors d’un casting sauvage. Randall est un véritable talent naturel qui a tenu ce rôle important avec une assurance incroyable. La journée, il tournait face à Forest Whitaker et le soir il rentrait, toujours accompagné d’un responsable, à son centre de réhabilitation. Je l’ai revu récemment. Il est sorti du centre. Il va bien. Il travaille. Il a un agent et il est bien décidé à continuer dans cette voie. Ce travail d’acteur lui a permis de donner une nouvelle direction à sa vie. Tous ces acteurs ont apporté tellement au film.
AVEC UN ÉCUEIL DANS LEQUEL IL NE FALLAIT PAS TOMBER : CELUI DE FILMER UNE AFRIQUE DU SUD DE CARTE POSTALE. CERTES, IL Y A DES SCÈNES SUPERBES, NOTAMMENT CELLES DE LA PLAGE OU DU DÉSERT, MAIS ON N’EST PAS DANS UN GUIDE TOURISTIQUE !
Non, d’abord parce que j’ai voulu filmer l’Afrique du Sud comme un personnage à part entière, avec sa complexité. Et j’ai pris soin - et cela suit l’action du livre d’ailleurs - que nous tournions partout : dans le centre de Cape Town, dans les quartiers résidentiels du bord de mer, mais aussi dans les townships ou le quartier des Cape Flats. Le quartier historique des métis. Le quartier des gangs. Tout le monde a entendu parler des townships, vu des photos de ces bidonvilles colorés… Il y a même des circuits touristiques… Mais les Cape Flats, c’est autre chose. Là, vous ne verrez aucun touriste ! C’est la misère, la prostitution, les supermarchés de la drogue... C’est le chauffeur qui conduisait notre mini van pendant les repérages qui m’y a emmené : un membre de sa famille y dirige un gang ! Nous avons tourné dans des coins où personne n’avait tourné avant nous. Personne. Et nous avons travaillé avec les résidents aussi bien pour la production, la sécurité que la figuration. Et ça s’est très bien déroulé. Les habitants étaient tellement fiers qu’il se passe quelque chose de positif dans leur quartier.
ON SENT BIEN QUE VOUS REVENDIQUEZ CE FILM EN TANT QU’AUTEUR ET CINÉASTE. QUE VOULIEZ-VOUS ABSOLUMENT GARDER DU ROMAN MAIS AUSSI APPORTER DE PERSONNEL À CETTE HISTOIRE ?
Partir d’un tel roman, c’est d’abord un plaisir : les personnages sont forts, l’intrigue est intelligente. Ça aide ! Caryl Férey est un auteur formidable. En plus, j’ai découvert que c’est un homme formidable. Avec Julien Rappeneau, mon coscénariste, il nous a quand même fallu simplifier les choses pour faire rentrer un livre de 400 pages en deux heures de film... Et puis encore une fois, je me suis concentré sur cette thématique du pardon pour qu’elle parcourt tout le film... La difficulté et la nécessité de pardonner pour aller de l’avant. Que ce soit pour un être humain, une communauté ou un pays.
EN DÉTOURNANT AU PASSAGE LE PRINCIPE TRÈS CLASSIQUE DU FILM «DE FLICS», CELUI DES DEUX COLLÈGUES QUI N’ONT RIEN À FAIRE ENSEMBLE MAIS QUI VONT ALLER AU BOUT DE LEUR MISSION...
Oui. Vous remarquerez d’ailleurs qu’Ali et Brian sont très rarement ensemble dans le film ! Bien sûr, on ressent fortement leur amitié et leur respect mutuel. Mais au fond, ces deux types sont aussi très seuls... Ils sont à l’image de leur pays, vivant avec le poids du passé. Noir ou Blanc, ils portent la responsabilité des actes de leurs parents, de leurs ancêtres.
PARLONS MAINTENANT DE VOS DEUX COMÉDIENS PRINCIPAUX : FOREST WHITAKER ET ORLANDO BLOOM. ILS ÉTAIENT VOS CHOIX DEPUIS LE DÉBUT ?
Non, les choses ont bougé en ce qui concerne Forest. Un autre comédien avait été évoqué avant que je n’arrive sur le projet, mais il y a eu un problème de date trois mois avant le tournage… En fait, ça s’est joué en une nuit. Une nuit qui a mal commencé et qui a très bien fini. Quelques heures après que nous ayons dû renoncer au comédien initial, le manager de Forest m’a envoyé un mail me disant qu’il connaissait le projet, que Forest était libre à ces dates et qu’il serait sûrement intéressé par le rôle ! Il était trois heures du matin et j’étais comme un fou dans ma chambre d’hôtel à Cape Town ! Pour moi Forest est un des plus grands acteurs de sa génération. Un surdoué ! On lui a immédiatement envoyé le scénario et il a donné son accord en deux jours. Pour Orlando, nous avions besoin d’un blanc anglo-saxon et nous avions une liste de 3 ou 4 comédiens possibles. C’est moi qui ai insisté pour que ce soit lui... Même si je sais que ce n’était pas un choix évident pour tout le monde ! Il y a trois raisons objectives qui m’ont motivé : d’abord, le personnage de Brian pouvait vite devenir une caricature. Le flic épave, qui a des problèmes avec son ex-femme, qui ne parle plus à son fils, qui boit et prend des cachets, on l’a vu très souvent... Je me suis dit qu’Orlando Bloom, qui dans la vie dégage une énergie très positive, pouvait nous surprendre, donner une autre couleur à Brian et justement éviter le cliché. Ensuite, en me renseignant sur sa vie, j’ai appris qu’il avait des liens intimes, familiaux avec l’Afrique du Sud. Son père, Harry Bloom, qui n’était en fait pas son père biologique, était un journaliste et écrivain sud-africain connu, militant anti apartheid. Il a dû fuir le pays et c’est ainsi qu’il a rencontré la mère d’Orlando en Angleterre. Ça aussi, ça me semblait une piste intéressante à creuser... Enfin, dès notre première rencontre, j’ai senti l’incroyable motivation qui l’animait. Il avait parfaitement compris l’histoire et le film qu’on pouvait en tirer. Nous étions sur la même longueur d’onde et comme Orlando est un homme intelligent, il ne restait plus qu’à travailler ensemble pour façonner Brian. Ce rôle était un vrai risque pour lui mais il m’a bluffé.
UN RISQUE ET UN ENJEU POUR LES DEUX D’AILLEURS...
Dans un monde idéal, un film devrait à chaque fois être un défi, que l’on soit réalisateur ou acteur. Nous devrions tous à chaque fois nous faire peur, nous mettre en danger. Avec ZULU, j’ai vraiment ressenti cette sensation, pour eux comme pour moi...
DEUX REMARQUES TECHNIQUES À PRÉSENT : TOUT D’ABORD LE SOUFFLE QUE VOUS DONNEZ AUX SCÈNES D’ACTION PAR L’UTILISATION DE LA CAMÉRA À L’ÉPAULE ET ENSUITE L’INTELLIGENCE DU MONTAGE QUI DONNE SOUVENT L’IMPRESSION QU’UNE SCÈNE S’IMBRIQUE DANS LA SUIVANTE.
Le mot-clé que j’ai répété à toute l’équipe, et en priorité à mon chef opérateur, Denis Rouden, et à mon chef décorateur, Laurent Ott, c’était ma volonté de tourner un film «âpre». Je ne voulais pas qu’il soit beau, propre sur lui, mais rude, rugueux, pour coller à la violence de l’histoire. Les décors sont réalistes, justes. Leur esthétique naît de leur authenticité. Pour le filmage, il me fallait aller aussi vers la simplicité et le réalisme. D’ailleurs il n’y a pas que de l’épaule dans le film, loin de là. Il y a en fait tous les outils, tous les jouets classiques… Steadycam, grue, hélicoptère, etc. Mais je crois, j’espère, que ce n’est jamais tape à l’oeil. C’est toujours au service du récit. Cette histoire était quand même très complexe à raconter alors j’ai été, du début à la fin, obsédé par le récit. Pour moi, lorsque vous êtes réalisateur, raconter une histoire, c’est l’essence même de votre travail. Ça peut paraître simple, mais ça ne l’est pas du tout. Quant au montage, je l’ai confié à Stan Collet : rappelez-vous, c’est lui qui m’avait parlé le premier du roman «Zulu» ! C’est notre deuxième collaboration et il est venu monter en parallèle à Cape Town alors qu’au départ il devait rester à Paris. Mais sur place, je me suis rendu compte que j’allais être un peu seul et que j’allais avoir besoin d’un autre regard sur le film... Il avait pour consigne de ne rien laisser passer, de me dire les choses désagréables, d’être intransigeant et il a parfaitement rempli ce rôle ! Grâce au numérique, 24 heures après les avoir tournées, je voyais mes scènes montées et du coup, je ne pouvais pas me mentir sur mon travail. Je suis très fier et content du montage du film car il est faussement simple, bourré de petits trucs un peu partout. Ça semble transparent, limpide mais ça ne l’est pas du tout.
JE REVIENS À CANNES POUR FINIR : ZULU SORTIRA EN SALLES EN FRANCE LE 4 DÉCEMBRE MAIS IL Y A CETTE URGENCE DE LA CLÔTURE DU FESTIVAL... EST-CE QUE CETTE PRESSION SUPPLÉMENTAIRE VOUS A AIDÉ À LAISSER LE «BÉBÉ» VOUS ÉCHAPPER ?
Sans doute, même si je ne fais pas partie de ces réalisateurs qui ont du mal à lâcher leur «bébé» ! Lorsqu’on fait un film, on passe un contrat, juridique mais surtout moral je crois avec un producteur, un distributeur. J’essaye toujours de respecter mes engagements et la date de livraison du film en fait évidemment partie. C’est la règle du jeu. Si vous ne l’aimez pas, mieux vaut ne pas jouer. Ou trouver un autre partenaire avec d’autres règles ! La seule différence avec ZULU, c’est que les finitions sur le mix, l’étalonnage ou les effets spéciaux seront terminés au dernier moment et, en fait, je ne verrai la version définitive que le dimanche 26 mai dans la grande salle du Palais avec 2 500 personnes autour de moi ! Heureusement, même si c’est mon quatrième film, c‘est peut-être le premier dont je sois vraiment fier. En tout cas, c’est celui qui ressemble le plus à ce que je souhaite faire en matière de cinéma. Alors cela me donne un peu de sérénité. Un peu.
ENTRETIEN AVEC FOREST WHITAKER
VOUS ÊTES ARRIVÉ TARD DANS L’AVENTURE ZULU, MAIS VOUS TENIEZ ABSOLUMENT À EN FAIRE PARTIE… COMMENT LES CHOSES SE SONT-ELLES DÉROULÉES ?
C’est mon manager qui a lu le script et qui m’a demandé d’en faire autant en me disant que le rôle était formidable ! J’ai immédiatement perçu tout le potentiel de ce personnage, tout ce qu’il y avait à explorer… Il a un côté intemporel qui est très intéressant à incarner pour un comédien…
SI VOUS DEVIEZ JUSTEMENT PARLER D’ALI, VOTRE PERSONNAGE, À QUELQU’UN QUI NE LE CONNAIT PAS, QU’EN DIRIEZ-VOUS ?
C’est le capitaine d’une unité de la police criminelle de Cape Town, une victime collatérale de l’apartheid, son père ayant été tué à cette époque… Aujourd’hui, il tente simplement d’avoir une vie normale en recherchant le bonheur. Malheureusement, son monde va être totalement bouleversé et il va devoir se confronter à ce passé douloureux.
DE QUEL MATÉRIAU AVEZ-VOUS BESOIN POUR TROUVER L’ESSENCE D’UN PERSONNAGE, ALI OU UN AUTRE D’AILLEURS ?
Ce qui m’intéresse, c’est d’aller chercher la vérité. Je pars toujours de l’environnement du personnage : où il vit, la manière dont il parle, ce qu’il ressent de ce qui l’entoure. Ensuite, je vois comment transposer tout cela dans le film. Pour Ali, je me suis appliqué à ne pas le faire évoluer spectaculairement mais en douceur du début à la fin. Pourtant, vous le verrez, entre ces deux moments, son évolution est très importante… Ce qui compte pour moi, c’est que les expériences vécues par mes personnages dans le récit nourrissent ce qu’ils sont et ce qu’ils deviennent. De plus, pour Ali, mon travail passait par le langage et la religion. J’ai appris des notions d’arabe et d’espagnol, j’ai voulu connaître le sens des prières, leurs déroulements, leurs rites… Et puis je me suis intéressé aux vêtements qu’il porte : son intégrité passe aussi par le fait qu’il souhaite rester impeccable. J’ai évidemment parlé de tout cela avec Jérôme Salle parce que c’est lui qui avait l’oeil sur l’ensemble du projet. J’avais besoin de sa validation et il m’a toujours encouragé en ce sens !
ZULU PARLE BEAUCOUP DU PARDON ET DE LA FACULTÉ QUE NOUS AVONS OU PAS À PARDONNER… EST-CE UN THÈME QUI VOUS TOUCHE ?
Bien entendu ! En tant qu’êtres humains, c’est une idée qui nous concerne tous. Qu’est-ce que le pardon ? Quels sont les différents degrés du pardon ? Pour Ali, il s’agit surtout d’accepter ce qui lui est arrivé, ce que l’apartheid lui a volé et de faire avec. Il doit aller de l’avant et vivre au milieu des autres… En fait, je crois qu’il n’a pas vraiment pardonné à ceux qui lui ont fait du mal, pas plus qu’il ne s’est pardonné à lui-même. Ali tente de continuer à exister. Mais quand les choses vont dégénérer, tout ce qu’il essayait d’enfouir depuis si longtemps va brutalement remonter à la surface.
PARLEZ-NOUS DE VOTRE COLLABORATION AVEC ORLANDO BLOOM, QUI JOUE VOTRE PARTENAIRE BRIAN.
En fait, nous n’avons cessé de discuter durant le tournage. Ce qui est paradoxal, c’est que nous avons peu de scènes ensemble. Or, quand vous voyez le film, vous avez l’impression inverse. Son personnage et le mien ont beaucoup de points communs, à commencer par un passé difficile. Lui est aussi dépendant à la boisson et au sexe ! Ali et Brian vont devoir affronter ces fantômes, ils y seront forcés. J’ai adoré jouer avec Orlando, il a fait un boulot fantastique de son côté.
IL Y A UN AUTRE PERSONNAGE ESSENTIEL DANS LE FILM, C’EST L’AFRIQUE DU SUD. CONNAISSIEZ-VOUS CE PAYS OU AVEZ-VOUS EU BESOIN DE LE DÉCOUVRIR EN AMONT DU TOURNAGE ?
J’aurais aimé pouvoir le faire mais j’ai manqué de temps. J’étais déjà venu en Afrique du Sud mais je ne peux pas dire pour autant que je «connaissais» ce pays ! Je crois que c’est le film qui m’a permis de mieux le découvrir car Jérôme Salle et son équipe avaient fait des recherches qui m’ont été précieuses. J’avais une perception née des grands repères que tout le monde connait : la mise en place de l’apartheid, la lutte contre la ségrégation, la fin de ce système et la politique de réconciliation nationale. Là-bas, j’ai découvert que ces événements étaient encore récents et qu’il fallait faire avec. On n’efface pas en une décennie des années de haine et de combat. Comment dépasser le sentiment de violence ? Comment considérer comme partenaire aujourd’hui celui qui était oppresseur hier ? Comment accepter que celui qui vous était inférieur soit devenu votre égal ? Ce qui a été très intéressant c’est que je suis venu avec mes questions et que les réponses m’ont été en partie apportées grâce à la rencontre avec des acteurs de ces périodes, mais aussi grâce à des associations avec lesquelles j’ai travaillé sur place. Je me suis investi auprès de différentes communautés qui œuvrent pour le droit des femmes, la santé, la salubrité publique, la médiation dans les quartiers... C’est tout cela qui a peu à peu bâti une compréhension plus globale de ce qui est en train de changer et de transformer l’Afrique du Sud, mais aussi de ce qui continue de miner ce pays : la violence, l’inégalité sociale... Encore une fois, le but de mon voyage sur cette Terre c’est de trouver la vérité ! Celle d’une situation, celle de l’intimité des êtres, celle qui les entoure. En arrivant en Afrique du Sud, c’est ce que je me suis demandé : où est la vérité et comment la découvrir, si possible en écoutant ceux qui y vivent ?
J’AI L’IMPRESSION QUE DANS LE CAS DE ZULU, CET ENGAGEMENT, CETTE QUÊTE DÉPASSENT LA SIMPLE PRÉPARATION D’UN RÔLE…
C’est vrai que ce n’est pas toujours aussi profond ! J’ai demandé des notes, j’ai participé à des débats, je continue via ma fondation à soutenir certaines organisations sur place. Je sais d’ailleurs que j’y retournerai pour poursuivre cet engagement.
VOUS PARLIEZ DE JÉRÔME SALLE ET DE SON ÉCOUTE, COMMENT QUALIFIERIEZ-VOUS VOTRE TRAVAIL EN COMMUN ?
C’est un réalisateur très talentueux, qui a su baliser l’univers qu’il souhaitait décrire et ça nous a énormément apporté à Orlando et à moi. Il a également su s’entourer d’une équipe presque 100% sud-africaine et ça a été une chance pour nous, les deux comédiens étrangers. Nous sentions l’énergie et l’intensité de ceux qui nous entouraient. C’est important d’être influencé par de telles choses et c’est grâce à Jérôme. Ses choix ont été pertinents au-delà des techniciens ou des acteurs « locaux » : jusque dans les lieux de tournage, il a su trouver le bon endroit et bien entendu, tout cela a rejailli sur nous.
CE RÔLE D’ALI, QUELLE PLACE LUI ACCORDEZ-VOUS, AU MILIEU DE TANT D’AUTRES PERSONNAGES MARQUANTS QUE VOUS AVEZ INTERPRÉTÉ, DE BIRD AU DERNIER ROI D’ÉCOSSE ?
Je sais que c’est un rôle unique, je n’avais jamais joué ce genre de choses. Je n’ai pas l’habitude de me retourner sur ma carrière ou de l’analyser, car je veux toujours aller de l’avant, mais je sais qu’Ali est arrivé au bon moment. Vous parlez de BIRD, je sais que Clint Eastwood alors ne m’a pas juste donné mon premier rôle principal, mais surtout sa confiance et il m’a fallu affronter mes peurs. Je savais que je pouvais échouer mais je savais aussi que je tenterais tout pour réussir. LE DERNIER ROI D’ÉCOSSE, lui, m’a appris comment faire évoluer un personnage, comment me transformer dans un même personnage. Maintenant débute une période où je me sens revitalisé, heureux de travailler et cette période a commencé cette année. Elle sera marquée par les films qui vont arriver dans les deux prochaines années. J’ai envie, non pas de prouver des choses, mais de devenir plus fort, d’aller de l’avant. C’est pour moi un nouveau départ en tant qu’artiste et ZULU en est le symbole.
ZULU, SIGNÉ PAR UN RÉALISATEUR FRANÇAIS, VOUS DEVENEZ UN HABITUÉ DE « NOTRE » CINÉMA ?
D’abord, je regrette que mon français soit si mauvais et j’ai d’ailleurs décidé d’apprendre votre langue en 2014 ! C’est en effet mon quatrième film avec des metteurs en scène français : Olivier Dahan pour MY OWN LOVE SONG, LULLABY de Benoit Philippon, le nouveau film de Rachid Bouchareb, LA VOIE DE L’ENNEMI (que j’ai fini au printemps dernier, juste avant Cannes) et donc me voici dans ZULU de Jérôme Salle. Je suis très impatient de savoir comment les gens vont le recevoir car en ce qui me concerne, j’ai eu énormément de plaisir et d’intérêt à le tourner !
ENTRETIEN AVEC ORLANDO BLOOM
VOUS TENIEZ ABSOLUMENT À FAIRE PARTIE DE L’AVENTURE ZULU, BRIAN EST UN PERSONNAGE TRÈS ÉLOIGNÉ DE CE QUE VOUS AVEZ FAIT JUSQU’ICI. COMMENT LE RESSENTEZ-VOUS ? QUI EST–IL ?
Brian fait partie de ces gens qui portent le poids de l’histoire de leur peuple et de leur pays, en l’occurrence l’Afrique du Sud. C’est un type qui a une ex-femme, un fils de 17 ans qui le considère comme un étranger. Il a une addiction à l’alcool, aux médicaments qui le pousse régulièrement à la violence, incompatible logiquement avec son boulot de flic. La thématique de ce personnage, c’est l’idée de revanche contre la vie, contre les femmes, contre ce qui l’a bâti mais au bout du compte, c’est l’idée de pardonner et de se pardonner qui va s’imposer à lui.
D’UNE MANIÈRE GÉNÉRALE ET DANS LE CAS PARTICULIER DE BRIAN, COMMENT CONSTRUISEZ-VOUS VOS PERSONNAGES ? CELA PART DU SCÉNARIO, DU COSTUME, D’AUTRES CHOSES ?
Ici, j’ai travaillé sur un aspect du personnage qui est peu développé dans le film, mais qui est sous-jacent : la relation que l’on devine compliquée entre Brian et son père. Elle déteint d’ailleurs sur les rapports que lui-même entretient avec son fils. Et puis je voulais bosser son accent, sa façon de parler, le son de sa voix pour que cela ne sonne pas artificiel. Enfin il y avait l’aspect physique : les hommes sud-africains sont un brin machos, ils laissent souvent parler leurs poings ! J’ai donc pris du muscle pour paraître plus fort, presque plus grand que je ne le suis et incarner cette violence qui fait partie de l’identité de Brian. La violence qu’il porte en lui mais aussi celle de l’histoire de son pays et de son peuple.
PARTANT DE CE PRINCIPE D’EXPLORATION DU PERSONNAGE, AVEZ-VOUS PROPOSÉ DES CHOSES À JÉRÔME SALLE ?
Oui, par exemple l’idée que Brian soit accro aux pilules, aux cigarettes et qu’il mange cette sorte de viande séchée, véritable concentré de protéines, que l’on consomme beaucoup là-bas. J’ai beaucoup insisté sur ces détails auprès de Jérôme car ils allaient dans le sens du personnage. Et lui, de son côté, m’a encouragé à essayer des choses, à tenter des détours, à ne pas avoir peur d’en rajouter dans le côté physique. Il a été formidable !
C’EST LA PREMIÈRE FOIS QUE NOUS VOUS DÉCOUVRONS DANS UN RÔLE QUI MALMÈNE VOTRE IMAGE DE «BEAU GOSSE», SAIN, SPORTIF, ÉGÉRIE DE MARQUE DE LUXE ! C’ÉTAIT UNE VOLONTÉ DE VOTRE PART ?
Quand vous avez, comme moi, une carrière qui a démarré très tôt et qui s’appuie sur des films très ambitieux et très populaires, vous ne pouvez que vous réjouir et dire merci ! Et puis le temps passe et vous souhaitez faire évoluer cette image ou en tout cas, la façon dont votre image est véhiculée, en partie via la publicité. Ça, franchement, c’est quelque chose qui m’a échappé, auquel je n’étais pas assez attentif. Je me considère avant tout comme un acteur qui joue des personnages et, en la matière, je ne me suis jamais fixé de barrières : chaque proposition m’apparaît comme un challenge, une opportunité. Mais il est vrai qu’en terminant certaines de ces grosses productions, j’ai réalisé que la perception que l’on avait de moi était faussée et j’ai décidé de consacrer du temps à faire évoluer cela, notamment en jouant des personnages comme Brian dans ZULU. J’ai compris que, si je parvenais à le rendre honorable et crédible, ça me donnerait l’occasion de corriger ce «malentendu» ! Et le fait que ZULU ait été présenté en clôture du Festival de Cannes a également permis de donner à l’ensemble de ce projet une touche «auteur» qui a forcément rejailli sur mon cas personnel. Ce film est véritablement une pierre sur laquelle je compte construire quelque chose, m’améliorer en tant que comédien et en tant qu’être humain.
L’AFRIQUE DU SUD JOUE ÉVIDEMMENT UN GRAND RÔLE DANS CETTE HISTOIRE. C’EST ÉGALEMENT LE CAS POUR VOTRE PROPRE HISTOIRE PERSONNELLE.
Le mari de ma mère était une figure très connue de la lutte contre l’apartheid dans ce pays. Il était écrivain, journaliste, reporter mais aussi un militant très actif. À 13 ans, j’ai découvert que cet homme, que je croyais être mon père, en fait ne l’était pas d’un point de vue biologique. Cela dit, pour moi, il l’est de fait. L’homme qu’il était, ses idées sont profondément ancrées en moi, dans mon esprit et mon cœur. Je n’avais jamais trouvé le temps de venir en Afrique du Sud pour rencontrer ceux qui avaient travaillé ou vécu à ses côtés, mais je sentais une connexion avec ce pays. Ce rôle est donc arrivé à un moment où il était important et intéressant pour moi de m’y attarder un peu.
QUE DIRE DE VOTRE TRAVAIL AVEC FOREST WHITAKER ? MÊME SI VOUS AVEZ AU FINAL PEU DE SCÈNES ENSEMBLE, UNE VÉRITABLE OSMOSE TRANSPARAÎT ENTRE VOUS À L’ÉCRAN.
Je dois d’abord vous avouer que je suis un immense fan de Forest Whitaker ! Au-delà de ça, j’ai trouvé intéressante cette dynamique entre deux flics qui portent en eux le poids de leur culture et de leur peuple. Moi, le Blanc anglo-saxon et lui le Zulu africain… Cette histoire est baignée par l’héritage de l’apartheid, ils peuvent et doivent travailler ensemble. Comme vous le dites, nous sommes rarement réunis à l’écran, mais il nous semblait intéressant que le public ressente le respect réciproque qui les unit. Brian doit beaucoup à Ali car c’est ce dernier qui le maintient à flot malgré ses naufrages. Brian est un type honorable, un très bon lieutenant pour quelqu’un comme Ali. On peut avoir confiance en lui, même s’il paraît irresponsable, s’il est en retard ou injoignable ! Ali sait que le moment venu, il pourra toujours compter sur Brian à ses côtés. Nous avons donc décidé de travailler en profondeur cet aspect de leur relation dans les quelques scènes où ils étaient ensemble et à l’arrivée, je pense que cela transparaît.
ZULU EST AUSSI VOTRE PREMIER FILM FRANÇAIS…
J’ai beaucoup apprécié l’intégrité de Jérôme Salle, sa vision très claire d’un récit habité par l’idée de l’honnêteté vis-à-vis de l’Afrique du Sud actuelle. Parce que Jérôme est français, parce qu’il n’a pas grandi en vivant tous les aspects socio-politiques de ce pays, il a pu garder un œil objectif sur les aboutissants de son histoire. Son authenticité nous a véritablement rendus légitimes là-bas, Forest et moi car, mis à part quelques personnes, l’ensemble de l’équipe était sud-africaine. J’ai le sentiment d’avoir travaillé aux côtés d’une personne très humble dotée en plus d’un grand sens de l’humour !
ÊTES-VOUS D’AILLEURS AMATEUR DE CINÉMA FRANÇAIS OU TOUT SIMPLEMENT DE FILMS VENUS D’AILLEURS ?
Évidemment ! Je me souviens encore de la première fois où j’ai vu LE CERCLE ROUGE de Melville et de mon sentiment d’émerveillement. Les réalisateurs français ont un sens de l’esthétique dans leur façon de filmer qui m’intéresse beaucoup. Jacques Audiard en est un formidable exemple : DE BATTRE MON CŒUR S’EST ARRÊTÉ reste un de mes films préférés, tout comme UN PROPHÈTE. Et je crois que Jérôme Salle, avec ZULU, a passé un cap dans sa carrière de metteur en scène. Il m’a dit que c’est aussi ce qui l’excitait dans ce projet. C’est tout de même un français qui a mis en scène un film en anglais mais surtout sud-africain par essence !
ET VOTRE PROPRE FILMOGRAPHIE : COMMENT REGARDEZ-VOUS AUJOURD’HUI LA SAGA DE PIRATES DES CARAÏBES OU DU SEIGNEUR DES ANNEAUX ?
Je pars du principe que «quand c’est fait, c’est fait» ! Peut-être un jour, quand mon fils sera plus grand, nous regarderons quelques-uns de ces films ensemble, mais ce moment-là n’est pas encore venu et je n’ai pas cette impatience. En ce moment, je vis plutôt pleinement mes premiers pas à Broadway dans «Roméo et Juliette» et ensuite, nous y revenons, je retrouverai Legolas une dernière fois pour la fin de l’aventure du HOBBIT…
ENTRETIEN AVEC CARYL FÉREY
AUTEUR
AVANT D’ÊTRE UN AUTEUR DE POLAR RECONNU, VOUS AVEZ TRAVAILLÉ DANS UN GUIDE DE VOYAGE... EST-CE QUE C’EST CETTE EXPÉRIENCE QUI VOUS A DONNÉ LA GOÛT DES CONTRÉES LOINTAINES PUISQUE «ZULU» SE PASSE EN AFRIQUE DU SUD ET QUE VOS DEUX ROMANS PRÉCÉDENTS, «HAKA» EN 1998 ET «UTU» EN 2004, SE DÉROULAIENT EN NOUVELLE-ZÉLANDE ?
Cette passion du voyage vient d’abord de ma propre vie : j’ai fait un tour du monde à l’âge de 20 ans et pour moi, cela correspond à mes études ! L’idée était avant tout de partir et loin effectivement. La sensation de se sentir sur une terre australe m’est unique et agréable... En fait, le plus dur, c’est toujours de quitter son «bled» : une fois qu’on a décidé de partir, on peut aller partout...
PLUSIEURS SENTIMENTS TRÈS FORTS TRAVERSENT LE FILM ET DONC LE ROMAN : ILS SONT DIRECTEMENT LIÉS À CE QUE PROCURE L’AFRIQUE DU SUD. AVEZ-VOUS RESSENTI CE GENRE DE CHOC EN DÉCOUVRANT CE PAYS ?
Je suis moi-même assez excessif dans la vie et c’est vrai que l’Afrique du Sud, quand on écrit des romans noirs, c’est du pain béni ! C’est la même chose avec les auteurs américains : leur société est tellement fascinante et épouvantable à la fois que cela ne peut donner que des bons livres... Si vous allez au Liechtenstein, à part mettre le feu aux banques, vous ne trouverez pas grand-chose à faire, ni un imaginaire très développé ! L’Afrique du Sud est un des plus beaux pays au monde avec une lumière incroyable, une végétation fantastique mais aussi des problèmes colossaux hérités de l’apartheid comme le sida ou la violence... Tous ces contrastes en effet causent un choc. J’ai également eu la chance de m’y faire un ami, un journaliste qui a vécu là-bas durant les années Mandela. Quand je suis arrivé, je n’étais pas un touriste mais un auteur directement plongé dans la société, dans les townships, au milieu d’une société en pleine construction mais également habitée par ses fantômes...
LE FILM D’AILLEURS MÊLE LE POLAR, LE THRILLER, LA POLITIQUE ET LE SOCIAL : C’ÉTAIT VOTRE VOLONTÉ D’ÉCRIVAIN D’ASSEMBLER EN UN RÉCIT TOUTES LES PIÈCES DU PUZZLE SUD-AFRICAIN ?
Complètement : c’est la base de ce type de roman et de film. Ce ne sont pas des thrillers avec des meurtres et des types qui ont trois flingues ! Ça c’est davantage du jeu vidéo et ça ne m’intéresse pas du tout... Je veux explorer un pays dans son intimité, sa profondeur, ses contrastes, à travers des personnages qui permettent de parler justement de problèmes raciaux, sociaux. Jérôme est resté très proche du livre, près du coeur des personnages : il n’a pas voulu en faire juste un thriller...
QUAND «ZULU» EST PARU EN 2008, IL A CONNU UN TRÈS GRAND SUCCÈS PUBLIC MAIS IL A AUSSI RECU PAS MOINS DE 7 PRIX DONT LE GRAND PRIX LITTÉRATURE POLICIÈRE. J’IMAGINE QUE VOUS AVEZ ÉTÉ TRÈS SOLLICITÉ POUR SON ADAPTATION AU CINÉMA...
Oui mais Richard Grandpierre a été le plus rapide ! Il venait de tourner une comédie en Afrique du Sud et avait adoré le pays. Il voulait utiliser différemment les paysages et l’ambiance, donc y faire un polar. «Zulu» était sorti depuis quelques mois, il m’a appelé pour me demander si les droits étaient libres, ce qui était le cas. À partir de là, les choses se sont faites vite et naturellement ! Cela ne veut pas dire qu’ensuite tout ait été paisible et facile pour monter le film : Richard a dû s’accrocher pour mener le projet à bien...
ET LE CONTACT AVEC JÉRÔME SALLE ? J’IMAGINE QUE C’EST ESSENTIEL POUR UN AUTEUR DE S’ENTENDRE AVEC CELUI QUI METTRA DES IMAGES SUR SES MOTS ?
Vous savez, j’ai une nature assez «cash» ! Je déteste les gens qui ont trop d’ego, ça me met mal à l’aise, ça ne fonctionne pas... Jérôme a immédiatement été très simple, très agréable : il nous a fallu dix minutes pour tomber d’accord et nous entendre ! Ne connaissant pas du tout l’Afrique du Sud, il avait une véritable humilité par rapport à ce pays donc, de mon côté, j’ai vu ce que je pouvais lui apporter, d’abord à travers le roman. Ce pays est très cinématographique et le livre est écrit, découpé comme un scénario, truffé d’endroits fabuleux à l’image : le parc botanique Kirstenbosch ou la Table Mountain par exemple... Je lui ai dit qu’il trouverait sur place cette matière-là et bien d’autres choses dans les environs du Cap ! Et je me souviens que lors de ses premiers repérages, Jérôme m’appelait ou m’envoyait des textos en me disant : «Je suis dans telle rue, je n’arrive pas à trouver tel bar...» Et je lui répondais : «Prends la 1ère à droite, tu vas tomber dessus...» ! C’était amusant et intense de se retrouver complices à 10 000 kilomètres de distance. Ensuite, je suis allé sur le tournage, un peu sur la pointe des pieds, mais tout le monde m’a formidablement accueilli...
VOUS ÉCRIVEZ VOUS AUSSI DES SCÉNARIOS DONC VOUS SAVEZ QUE CETTE DISCIPLINE PASSE PAR DES CHOIX, DES COUPES, DES CHANGEMENTS : EN TANT QU’AUTEUR, COMMENT AVEZ-VOUS ACCEPTÉ CES SACRIFICES ENTRE VOTRE ROMAN ET LE FILM ?
C’est le cinéma, c’est une adaptation ! On sait qu’en tant que lecteur, nous avons plus d’imagination qu’une caméra et c’est pourquoi nous sommes souvent déçus en voyant le film tiré d’un livre. Après, il faut voir et apprécier comment se font les choses : j’avais une totale confiance en Richard et Jérôme. Bien sûr, ils ont fait des changements par rapport à mon roman mais l’essentiel est respecté, notamment à la toute fin de l’histoire. Pour que ce soit acceptable, il fallait que cela corresponde à l’Afrique du Sud et donc à l’histoire de base. C’est un récit dur, peuplé de personnages qui le sont tout autant et la vision qu’en donne Jérôme correspond à la mienne donc c’est le plus important !
UN MOT DES ACTEURS DU FILM : EST-CE QUE FOREST WHITAKER ET ORLANDO BLOOM COLLENT, EUX AUSSI, À VOS ALI ET BRIAN DE PAPIER ?
Ce qui est extraordinaire, c’est que le casting a changé depuis l’origine de l’adaptation. Finalement, Forest Whitaker a endossé le rôle d’Ali, plus massif que je ne l’avais imaginé en écrivant. Mais quand je suis allé sur le tournage et que je l’ai entendu prononcer ses premiers mots, je me suis dit que je ne pouvais pas rêver meilleur Ali que lui ! Quant à Brian, c’est une formidable surprise. Whitaker, on sait que c’est un immense comédien, il l’a prouvé. Orlando Bloom, lui, n’avait pas encore atteint ce niveau de jeu ou abordé ce registre-là... Toutes les filles sont folles de lui mais pas grâce à ce style de personnages ! Quand j’étais sur le plateau, il m’a littéralement sauté dessus en me disant : «C’est toi l’auteur ? Merci, c’est exactement ce que je cherchais. Ça fait des années que je joue un elfe dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX !» Il était totalement investi dans le rôle, il est arrivé trois semaines avant le tournage pour s’imprégner des lieux...
EST-CE QUE CETTE EXPÉRIENCE DU ROMAN «ZULU» AU FILM ZULU VOUS A DONNÉ L’ENVIE D’AUTRES EXPÉRIENCES DE CINÉMA ?
Oui, je suis en train d’écrire l’adaptation de mon dernier roman, «Mapuche», qui est aussi un récit très dur, basé sur un contexte réel : le combat des mères et grand-mères de la place de Mai à Buenos Aires en Argentine... Ça raconte le destin de ces indiens Mapuche qui ont été en grande partie exterminés durant la dictature... Comme dans ZULU, on y croise pas mal de fantômes !
ENTRETIEN AVEC JULIEN RAPPENEAU
COSCÉNARISTE
SI L’ON REGARDE VOTRE PARCOURS DE SCÉNARISTE, ENTRE 36 QUAI DES ORFÈVRES, PARS-VITE ET REVIENS TARD ET ZULU, VOUS AVEZ NOTAMMENT ABORDÉ PAR TROIS FOIS DÉJÀ
DES AMBIANCES PLUTÔT RUDES EN MATIÈRE DE POLAR. QU’EST-CE QUI VOUS FASCINE DANS CES UNIVERS-LÀ ?
J’y trouve la possibilité d’accompagner des personnages très forts, confrontés quotidiennement à la violence du monde tout en ayant, toujours, leurs problématiques personnelles et humaines à gérer. Ce sont souvent des personnages riches, complexes, donc intéressants. C’était vraiment le cas dans le roman de Caryl Férey avec ces héros dont l’identité est totalement nourrie de l’histoire particulière de l’Afrique du Sud. Par ailleurs, le polar offre la possibilité de bâtir des histoires rythmées, prenantes, mystérieuses, ce qui est excitant pour un scénariste. Il y avait tout cela dans «Zulu» ! Avec un personnage supplémentaire fascinant, qui fait partie intégrante du roman et du film : l’Afrique du Sud, en particulier la ville du Cap. Ce n’est pas un pays que l’on a l’habitude de voir au cinéma. Et c’est évidemment l’une des choses qui nous a beaucoup plu avec Jérôme Salle à la lecture du roman de Caryl Férey.
QUAND ON PART D’UN TEL ROMAN, QUE FAUT-IL OBLIGATOIREMENT EN GARDER ET QUE DOIT-ON LAISSER DE CÔTÉ OU CHANGER ?
L’écueil principal était la richesse du roman : 450 pages ! Un livre avec une intrigue complexe, beaucoup de personnages secondaires, d’évocations du passé de ces personnages... Pour aboutir à un film rythmé d’un peu moins de deux heures, tout en gardant l’intrigue du roman et la multiplicité des points de vue, il fallait à la fois simplifier et densifier l’histoire. Évidemment, nous sommes partis avec Jérôme Salle des deux «héros» du roman, de leurs identités, de leurs problématiques tout en les basculant dans une narration cinématographique. À un moment, une fois décidée la thématique principale qui nous intéressait, celle du pardon, il nous a fallu refermer le roman «Zulu» pour nous projeter dans le film. Ça implique en effet de faire des choix, d’abandonner certains personnages, certaines sous-intrigues, pour ne conserver que l’essentiel en respectant l’esprit du livre, son ton et aussi la place qu’il laisse à l’histoire de l’Afrique du Sud et à sa réalité socio-politique actuelle.
ET JUSTEMENT, EN TANT QUE SCÉNARISTE, J’IMAGINE QUE VOUS RENDRE SUR PLACE POUR L’ÉCRITURE A ÉTÉ UN MOMENT IMPORTANT...
Nous sommes allés y passer deux semaines avec Jérôme lorsque nous avons eu une première version du scénario... Le roman de Caryl Férey était une base extrêmement précieuse, très documentée du fait de son long séjour sur place. En amont de l’écriture, nous avons également lu d’autres ouvrages, des articles sur l’Afrique du Sud, regardé des documentaires, des émissions. Ensuite, ces pré-repérages du tournage nous ont permis de vérifier si ce que l’on racontait était cohérent avec l’ambiance, la culture locale, les rapports sociaux ou encore la géographie des lieux. Cela a conduit d’ailleurs à des modifications dans notre adaptation.
L’HISTOIRE S’APPUIE SUR UN PARADOXE TRÈS INTÉRESSANT : ELLE POSSÈDE TOUS LES CODES DU «BUDDY-MOVIE», (DEUX PERSONNAGES QUI N’ONT RIEN À FAIRE ENSEMBLE ET QUI POURTANT SE COMPLÈTENT), MAIS ELLE DYNAMITE CES CODES !
C’est l’un des aspects très intéressant dans le livre et que nous avons voulu creuser : l’étrange amitié qui unit Ali et Brian. Ce sont deux types, deux flics qui n’ont pas le même profil psychologique, pas la même vie, pas du tout la même histoire familiale et qui pourtant sont profondément liés... Leur style est totalement opposé mais ils veulent plus que tout travailler ensemble. Ali défend Brian envers et contre tous, y compris sa hiérarchie, il veut le garder à ses côtés malgré un certain manque de professionnalisme de ce dernier... Ali, au fond, sait bien que Brian a besoin de ce travail pour ne pas basculer définitivement dans l’auto-destruction. J’aime cette idée d’un duo apparemment traditionnel dans son opposition, mais dont la relation est en réalité beaucoup plus riche, mélange d’un profond respect et d’amitié.
PUISQU’ON PARLE DE DUO : ZULU MARQUE VOTRE TROISIÈME COLLABORATION AVEC JÉRÔME SALLE APRÈS LARGO WINCH ET LARGO WINCH II : COMMENT PARLERIEZ-VOUS DE VOTRE TRAVAIL COMMUN ?
Je crois qu’avant tout nous nous entendons très bien ! Nous communiquons beaucoup sur le film, au-delà même du scénario. J’ai rencontré Jérôme avant l’écriture du premier LARGO WINCH et j’ai appris à travailler avec lui. Nous formons une sorte d’équipe complémentaire : nous avons des goûts communs mais chacun garde son individualité. C’est en effet notre troisième film ensemble mais nous ne sommes pas lassés de cette collaboration parce qu’à chaque fois, nous avons essayé de nous renouveler et de nous lancer de nouveaux défis. Pour ZULU, il fallait parvenir à rendre compte, comme dans le roman, de la richesse humaine, politique et sociale de l’Afrique du Sud tout en écrivant un film tendu où le principal demeure, cependant, l’intime des personnages.
ZULU VA ÊTRE PRÉSENTÉ EN CLÔTURE DU FESTIVAL DE CANNES, LE PLUS GRAND ET LE PLUS PRESTIGIEUX AU MONDE. POUR UN JEUNE SCÉNARISTE, C’EST AVANT TOUT DE LA SATISFACTION, DE LA FIERTÉ ?
Une fierté bien sûr, mais avant tout du plaisir et une heureuse surprise ! ZULU est plus qu’un polar : une histoire policière forte dans un contexte social et politique rude, traversée par des personnages marquants. Au-delà de la seule intrigue policière, le film de Jérôme dégage une force et de vraies émotions. Aller à Cannes est très excitant, formidable pour le film, pour Jérôme, pour Caryl Férey, pour Richard Grandpierre et toute l’équipe...
À n’en pas douter, la projection dans le grand auditorium Lumière sera pour nous un moment mémorable…
ENTRETIEN AVEC ALEXANDRE DESPLAT
MUSIQUE ORIGINALE
ZULU EST UNE NOUVELLE ÉTAPE DE VOTRE TRAVAIL DE COMPOSITION POUR JÉRÔME SALLE... D’OÙ VIENT L’ENVIE DE POURSUIVRE CETTE COLLABORATION, TRÈS DIFFÉRENTE DES FILMS LARGO WINCH ?
Jérôme m’a contacté lorsqu’il préparait le premier volet de LARGO. Nous nous sommes rapidement très bien entendus ! J’ai tout de suite apprécié sa franchise, son énergie et son exigence en matière de mise en scène. Je ne me suis pas trompé...
UN TROISÈME FILM ENSEMBLE COULAIT DONC DE SOURCE ?
Ça n’est jamais le cas, l’expérience me l’a appris ! Jérôme a juste eu la gentillesse de faire à nouveau appel à moi pour ZULU et j’ai continué avec lui assez logiquement.
ZULU EXPLORE UN UNIVERS TRÈS RUDE, VIOLENT. COMMENT TRAVAILLEZ-VOUS SUR CE GENRE DE FILM : AVEZ-VOUS BESOIN DE VOIR DES IMAGES, DE LIRE LE LIVRE PUISQUE C’EST À LA BASE UN ROMAN ?
Je n’ai pas lu le livre mais le script que j’ai moi aussi trouvé brutal et dur. Ça m’a d’ailleurs aidé à imaginer ce que serait la musique et surtout, aussi, ce qu’elle ne serait pas ! Très tôt, Jérôme a compris que ça ne pourrait pas être une musique d’action, parce que ces scènes-là sont toujours assez fulgurantes dans le film, sans complaisance. Si la musique se prenait à vouloir souligner l’action, cela aurait eu l’effet inverse. Pour moi, la musique est plutôt présente pour créer une atmosphère lourde, étrange. J’ai utilisé un orchestre, épaulé par beaucoup d’éléments électroniques mais sans aucun apport d’instruments ethniques qui puissent nous ramener en Afrique. L’idée était de garder une distance, de ne pas se laisser piéger par un film de genre.
C’EST INTÉRESSANT PARCE QUE POUR ARGO PAR EXEMPLE, VOUS AVIEZ TENU AU CONTRAIRE À INTÉGRER DANS VOTRE BANDE ORIGINALE DES INSTRUMENTS ET DES MUSICIENS PERSES.
Mais il y avait pour cela une raison très forte : Tony Mendez, le personnage de Ben Affleck, a pour mission d’entrer en Iran, dans un monde hostile et d’en ressortir en ayant sauvé des otages. Donc la musique, pour moi, représentait cet univers ennemi. La rupture entre le début du film baigné de musique occidentale et la seconde partie plus ethnique en Iran était essentielle. Dans ZULU, on est d’entrée en Afrique du Sud, dans un univers inhospitalier, avec deux personnages sud-africains, un Blanc et un Noir. Tous deux sont à la recherche de la solution d’une énigme, compliquée par des réseaux de narco-trafiquants et de gangsters. Le contexte local existe, pas besoin de le souligner.
VOUS FAITES PARTIE AUJOURD’HUI D’UNE TOUTE PETITE LISTE DES COMPOSITEURS LES PLUS DEMANDÉS AU NIVEAU MONDIAL ET POURTANT VOUS CONTINUEZ À CHOISIR VOS PROJETS AVEC HUMILITÉ ET CURIOSITÉ, NOTAMMENT EN FRANCE.
Je reste toujours heureux de la rencontre avec un metteur en scène ou qu’un autre me rappelle, comme Jérôme ou Jacques Audiard par exemple, pour un nouveau voyage. J’aime aussi varier les expériences musicales : si LARGO WINCH s’inscrivait davantage dans une ambiance «Bondienne» ou «John Barryesque», ZULU m’a emmené ailleurs, avec le sentiment d’une mise en danger. Et ça ne ressemble pas non plus à ce que je viens d’enregistrer pour MARIUS et FANNY de Daniel Auteuil ! A priori, c’est ça qui est excitant : je ne saute pas à l’élastique mais c’est tout comme !
DERNIÈRE CHOSE : ZULU VA FAIRE LA CLÔTURE DU FESTIVAL DE CANNES. VOUS CONNAISSEZ BIEN CE RENDEZ-VOUS POUR Y AVOIR ÉTÉ EN COMPÉTITION ET MEMBRE DU JURY EN 2010. QUELS CONSEILS POURRIEZ-VOUS DONNER À JÉRÔME SALLE, RICHARD GRANDPIERRE ET TOUTE LEUR ÉQUIPE POUR LES AIDER À SUPPORTER L’ANGOISSE DE LA PROJECTION DEVANT LE TOUT CINÉMA MONDIAL ?
Simplement leur dire qu’ils doivent rester humbles mais aussi avoir confiance en leur film. ZULU est une remarquable adaptation du roman de Caryl Férey, porté par un casting fabuleux avec un Forest Whitaker revenu au sommet et un Orlando Bloom inédit, une mise en scène virtuose de simplicité... et évidemment une musique extraordinaire !
ZULU A ETE TOURNE DU 24 SEPTEMBRE AU 7 DÉCEMBRE 2012 EN AFRIQUE DU SUD
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