Back to the future
Drame/Science fiction/Thriller/Super casting, inventif et très agréable à regarder
Réalisé par Lana Wachowski, Tom Tykwer, Andy Wachowski
Avec Tom Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent, Hugo Weaving, Jim Sturgess, Doona Bae, Ben Whishaw, Keith David, James d'Arcy, Susan Sarandon, Hugh Grant, Robert Fyfe...
Long-métrage Américain
Durée: 02h45mn
Année de production: 2012
Distributeur: Warner Bros. France
Date de sortie sur les écrans U.S.: 26 octobre 2012
Date de sortie sur nos écrans: 13 mars 2013
Résumé: À travers une histoire qui se déroule sur cinq siècles dans plusieurs espaces temps, des êtres se croisent et se retrouvent d’une vie à l’autre, naissant et renaissant successivement… Tandis que leurs décisions ont des conséquences sur leur parcours, dans le passé, le présent et l’avenir lointain, un tueur devient un héros et un seul acte de générosité suffit à entraîner des répercussions pendant plusieurs siècles et à provoquer une révolution. Tout, absolument tout, est lié.
Bande annonce (VOSTFR)
Ce que
j'en ai pensé: 'Cloud Atlas' est l'adaptation du roman éponyme de David Mitchell. Il a été publié en France sous le titre Cartographie des nuages. Je n'ai pas lu le livre, mon avis ne concerne donc que le film.
'Cloud Atlas' est un film peu commun. Très original par son
montage qui est impressionnant, il est tout à fait agréable à regarder (la
durée ne se fait pas sentir). Il traverse les
époques, tout en faisant des va-et-vient entre ces dernières, leur attribuant à chacune un genre cinématographique différent: du film d'aventure au thriller, en passant par la comédie anglaise ou le film de
science-fiction. Et cela afin
d'expliquer au spectateur comment le karma intervient, en fonction des actions
passées, sur le futur et comment un choix ou une rencontre peuvent changer les choses. Si l'on croit à la réincarnation et au karma, alors
ce long métrage peut enthousiasmer et conquérir le cœur du spectateur aisément.
Dans le cas contraire, on peut regarder le film comme une
métaphore sur ce que l'on peut attendre dans sa propre vie comme résultat en
fonction de ses choix et de ses actes passés. Mais c'est un film à message et forcément cela ne plaira pas à tout le monde.
Cependant, au-delà de cet aspect, il faut reconnaître à 'Cloud Atlas' certaines qualités intrinsèques. La
manière dont les histoires des personnages s'imbriquent à un but bien précis, au
départ c'est confus pour le spectateur mais au final c'est intelligible, le pari
ambitieux lié à la structure même du film est donc réussi. Le casting est un véritable régal dont on se délecte pendant presque trois heures et cela en soit est un vrai bonheur.
Visuellement certaines scènes sont absolument magnifiques et les ambiances des époques sont parfaitement rendues.
Tout n'est pour autant pas parfait. Je n'ai pas du tout aimé les maquillages qui griment les acteurs pour les vieillir, les faire changer d'ethnie ou de sexe. Ils sont parfois (mais pas toujours, je le reconnais) trop évidents, même, des fois, exagérément épais à mon goût. Ils me dérangeaient et me déconnectaient de l'histoire par moment. Pour moi, c'est le principal point négatif du film. J'ai également été un peu déçue par le contenu du message une fois arrivée au bout de l'aventure. En lui même il n'est pas foncièrement original. Du coup, j'ai suivi l'histoire avec intérêt mais elle ne m'a pas vraiment touchée ou émue.
Visuellement certaines scènes sont absolument magnifiques et les ambiances des époques sont parfaitement rendues.
Tout n'est pour autant pas parfait. Je n'ai pas du tout aimé les maquillages qui griment les acteurs pour les vieillir, les faire changer d'ethnie ou de sexe. Ils sont parfois (mais pas toujours, je le reconnais) trop évidents, même, des fois, exagérément épais à mon goût. Ils me dérangeaient et me déconnectaient de l'histoire par moment. Pour moi, c'est le principal point négatif du film. J'ai également été un peu déçue par le contenu du message une fois arrivée au bout de l'aventure. En lui même il n'est pas foncièrement original. Du coup, j'ai suivi l'histoire avec intérêt mais elle ne m'a pas vraiment touchée ou émue.
Reste que 'Cloud
Atlas' est une aventure cinématographique intéressante qu'il faut tenter et que je conseille. C'est un film inventif, imposant et ambitieux qui sort franchement de l'ordinaire.
NOTES
DE PRODUCTION
(Attention, elles spoilent tout le film! A ne lire qu'après l'avoir vu!)
“Nous ne sommes pas maîtres de nos vies. De la naissance à la mort, nous sommes liés les uns aux autres. À travers le passé et le présent. Et que nous commettions un crime ou une bonne action, nous portons en nous notre avenir». Sonmi-451, 2144
Épopée ambitieuse, CLOUD ATLAS se déroule sur cinq siècles et s’interroge sur les questions
existentielles qui ne cessent de hanter les hommes. Alternant entre action et
scènes plus intimistes, il met en scène des êtres liés les uns aux autres comme
un chapelet à travers le temps. Il suggère ainsi que chaque individu a un
cheminement personnel qui traverse les siècles. Les âmes se réincarnent et
renouvellent leurs liens entre elles à l’infi ni. Les erreurs peuvent être
corrigées… ou répétées. La liberté peut être gagnée ou perdue, mais elle est
toujours l’objet d’une quête. Et comme toujours, l’amour triomphe. “Nous avons été
immédiatement attirés par l’envergure des idées véhiculées par le livre : la
compassion pour les êtres humains, la hardiesse et l’audace de l’écriture.
C’est une histoire à la fois classique et pourtant complètement nouvelle”, déclare Lana
Wachowski, l’une des trois scénaristes et réalisatrices qui ont adapté le roman
de David Mitchell dont le film s’inspire (paru en français aux éditions de
l’Olivier en 2007 et intitulé : “Cartographie des nuages”). “D’un point de vue
thématique, le livre transcende les frontières entre les communautés, les
sexes, les lieux et le temps. Il nous raconte une histoire qui place la nature
humaine bien au-delà de ces frontières. C’est ce qui nous a touchés lorsque
nous avons lu le roman et nous avons alors commencé à travailler sur le
scénario”.
Les cinéastes, Lana et Andy Wachowski et Tom Tykwer, également
amis de longue date, avaient souvent pensé à travailler ensemble et c’est
finalement leur passion pour le roman de David Mitchell qui les a réunis. Ils
ont formé une équipe de création résolument à part, s’inscrivant dans l’esprit
d’un scénario non conventionnel, et ils en ont partagé l’écriture et la
réalisation pour porter à l’écran ce livre, salué comme un chef-d’oeuvre
moderne. “Cela touche des cordes sensibles”, explique Tom Tykwer. “Il y a du vrai dans de
simples observations individuelles que chacun peut faire. En replaçant ces
moments dans un contexte dramatique plus large et en considérant l’étendue
temporelle du fi lm, vous obtenez alors un point de vue fascinant sur la
condition humaine”. CLOUD ATLAS englobe plusieurs genres et situe l’action simultanément dans le
passé, le présent et le futur. Il montre comment les évènements et les
décisions de tout un chacun, à un instant T, peuvent avoir des répercussions
imprévisibles à travers l’espace et le temps et influer sur la vie des autres.
En 1849, un avocat de San Francisco cache un esclave en fuite lors d’une
traversée fatidique du Pacifique… Quelques années avant la Seconde guerre
mondiale, en Angleterre, un compositeur talentueux et démuni se bat pour
achever son oeuvre avant qu’un acte irréfléchi ne le rattrape... En 1973, un
journaliste s’active pour éviter un désastre industriel... De nos jours, un
éditeur à la veille de son plus grand succès, se retrouve injustement
incarcéré... En 2144, un clone vit le réveil de la conscience humaine pourtant
interdit… Et dans un avenir post-apocalyptique des années 2300, un gardien de chèvres se bat pour
rester en vie. Chaque intrigue est présentée au spectateur, puis développée
l’une à la suite de l’autre, tandis que des transitions fluides révèlent
comment toutes ces histoires se font écho. Très vite, il apparaît clairement
que ces intrigues ne sont pas indépendantes les unes des autres – elles sont
plutôt comme des instants de vie d’un continuum unique. Selon Andy Wachowski, “Il faut laisser tomber l’idée qu’il
s’agit de six récits. En réalité, il n’y a qu’un seul récit. Chacune des histoires et des époques agit sur les autres
tout au long du fi lm. À mesure que ces âmes évoluent, on observe les
correspondances entre elles, et on suit leur progression chronologique”. De même, chaque personnage, qui fait
partie d’une plus grande entité, se réincarne en de nouvelles identités au sein
de nouveaux environnements. “Il n’est pas simplement question d’une personne que l’on
suit tout au long de l’histoire, mais plutôt de plusieurs protagonistes dans
chacun des mondes traversés”,
affirme David Mitchell. “Les
relations entre les personnages et la nature de ces relations évoluent
également. Dans un monde où la réincarnation est possible et dans un fi lm où
le passé, le présent et le futur s’enchevêtrent, la mort est juste un nouveau
point de passage d’un univers à l’autre”. C’est ainsi que les conflits qui émergent à une époque
donnée peuvent être résolus quelques générations plus tard, que les injustices
peuvent être réparées (avec des résultats parfois surprenants) et que les
amants peuvent vieillir côte à côte pendant des siècles. “Une partie du fi lm raconte une
grande histoire d’amour qui se déroule sur plusieurs vies, mais le spectateur
la découvre de manière séquencée et non pas d’un seul tenant”, relève Lana Wachowski, en se
référant à la manière dont l’amour naissant d’un couple peut s’épanouir et
influer sur ses décisions à travers des rencontres récurrentes dans le temps. “Un autre thème du film a trait au
fait que l’amour peut changer le cours de votre vie à tout moment”.
D’autres
puissances sont à l’oeuvre. Tom Hanks, dans le rôle de six personnages
différents incarnant une même âme à travers le temps, remarque : “Les personnages sont souvent témoins
d’un événement qui pourrait changer leurs vies pour toujours et ils doivent
agir. Ils peuvent être des héros ou des lâches. La question est de savoir ce
qu’est l’Histoire, sinon d’innombrables moments comme ceux-ci, reliés les uns
aux autres. Qu’est-ce que la condition humaine sinon une série de décisions qu’il
faut prendre ?’”.
Grâce à des exemples éloquents de courage, d’espoir et d’émerveillement - ainsi
que de trahison, de lutte et de deuil -, CLOUD ATLAS se concentre tout particulièrement sur ces moments clés.
“C’est une forme de narration
extrêmement intéressante”,
poursuit Tom Hanks. “Chacun
peut y trouver son compte. À chaque instant, la caméra filme une cascade
spectaculaire ou cerne une émotion. Dès que j’ai lu le scénario, je me suis
demandé qui étaient ces personnages et puis leurs liens sont devenus évidents
pour moi. Leurs combats artistiques, leurs batailles pour survivre et les choix
qui unissent une vie à l’autre m’ont aussi paru évidents, et j’ai été
complètement absorbé. L’alliance entre le roman de David Mitchell et le talent
de nos trois réalisateurs est une parfaite réussite - une brillante oeuvre de
‘littérature cinématographique’ qui étudie les liens entre les êtres humains à
travers le temps”. Tout
comme Tom Hanks, Halle Berry a interprété six personnages. “C’était vraiment une expérience
unique”,
confi e-t-elle. “Je
ne pense pas que je referai un fi lm de ce genre un jour. J’aime son
originalité. Il y a énormément d’obstacles à franchir, de nombreux concepts
intéressants abordés, et j’espère que cela fera réfléchir les gens sur leur
perception du monde et de leur vie”. Tous ces éléments ont fortement touché Tykwer et les
Wachowski.
Ils
ont également attiré des acteurs reconnus et appréciés dans le monde entier.
Tom Hanks et Halle Berry, qui interprètent plusieurs personnages, figurent en
tête d’affiche. Le casting compte également Jim Broadbent, Hugo
Weaving, Jim Sturgess, Doona Bae, Ben Whishaw, James D’Arcy, Xun Zhou, Keith David,
David Gyasi, Susan Sarandon et Hugh Grant. Tout au long du fi lm, on passe d’un groupe d’acteurs
principaux à un autre, tandis que d’autres comédiens apparaissent à des
moments-clés ou laissent deviner leur présence de manière plus subtile. “C’est un projet d’une grande
envergure”,
affirme Grant Hill, le producteur qui achève ainsi sa quatrième collaboration avec
les Wachowski. “Il
met en scène des personnages profonds, une histoire d’amour, parle de
compassion, et ne manque pas de scènes d’action importantes. Tout aboutit à
composer une toile gigantesque”, poursuit-il. “Il y a des courses-poursuites impressionnantes, des scènes
incroyables, une vraie épopée, mais aussi matière à penser”, ajoute Stefan Arndt, le
producteur partenaire de Tom Tykwer. “Nous adorons faire des films exaltants, divertissants et
romantiques qui explorent aussi de nouvelles idées. Dans notre travail, nous
essayons d’offrir au spectateur plusieurs pistes pour apprécier nos films. Sur
un plan visuel, nous essayons de montrer au public des choses qu’il n’a encore
jamais vues. Sur un plan émotionnel, nous nous efforçons de susciter suffisamment
de frissons, d’adrénaline ou d’émotion pour satisfaire à la fois l’enfant qui
est en nous et le public. Enfin, nous tentons de présenter de nouvelles
perspectives ou des points de vue sur des questions très personnelles ou encore
des idées pertinentes concernant notre vie de tous les jours”, explique Lana Wachowski. “Au départ, ce qui m’a attiré dans le
travail de Lana et d’Andy, c’est cette conviction que le coeur et l’esprit
peuvent travailler ensemble”,
indique Tom Tykwer. “Vous
pouvez avoir en tête un bouillonnement de questions à débattre et pourtant, en
regardant le film, vous restez cloués sur place”.
DU
LIVRE AU GRAND ÉCRAN : CRÉER DES RÉSONANCES
«Écoute-moi bien et je te
parlerai de la première fois où nous nous sommes rencontrés face à face». Zachry, 2346
Les Wachowski et Tom Tykwer n’ont pas résisté à l’occasion de
porter à l’écran une histoire aussi exaltante. Comment le projet a-t-il pris
forme ? David Mitchell a présenté son récit comme une série de plusieurs
histoires toutes structurées de la même façon. L’intrigue commence, puis
atteint son point culminant à mi-chemin de la narration et s’interrompt. Le
dénouement de chaque récit est ensuite révélé. “Nous savions que nous ne
pouvions pas adopter cette structure narrative pour un fi lm”, indique Lana
Wachowski. “Cela nous a fait réfléchir aux manières de repousser les limites
de la narration cinématographique standard”. David Mitchell a adopté un style différent
pour chaque chapitre, “afin que chaque partie ait sa propre tonalité sans déteindre sur
l’autre”, dit-il. “J’ai envisagé le livre comme un menu qui prendrait des directions
culinaires différentes à chaque plat”. Les cinéastes ont volontiers adopté cette
construction, façonnant ainsi un drame avec l’un des chapitres, une histoire
d’amour avec un autre, un thriller avec un autre encore, une comédie et une
aventure de science-fiction Pourtant, la force de CLOUD ATLAS ne réside pas dans la
manière dont ces éléments divergent mais plutôt dans la façon dont ils
s’insèrent dans ce qu’Andy Wachowski appelle “une mosaïque. Vous imaginez cette mosaïque
d’une scène à l’autre. Vous faites automatiquement les associations. Nous avons
donc intuitivement pris cette direction pour le fi lm.” Les cinéastes ont
passé des jours entiers à fi cher les scènes et les liens entre les personnages
du livre. En les organisant en différents groupes, ils sont ainsi parvenus à un
entrelacement plus direct d’intrigues. “À force de fixer toutes ces fiches, vous finissez
par voir que les personnages coexistent et prennent naturellement des
directions pour lesquelles ils ont les mêmes affinités. Ou bien vous voyez
comment un personnage prend le relais là où un autre s’est arrêté”, confi e Andy Wachowski. “Notre but était de
développer une méta-narration pour lier le tout en une histoire fluide qui
possède son propre élan”, explique Tom Tykwer.
L’exploration du thème de l’éternel retour, central dans le roman,
s’attache à ces troublantes sensations de déjà-vu – lorsque les personnages se
rencontrent manifestement pour la première fois alors qu’ils ont pourtant
l’impression de se connaître ou lorsque les notes d’une symphonie semblent
familières aux oreilles d’un vendeur d’un magasin de musique qui pourrait bien
en avoir été le compositeur dans une autre vie. Dans cette perspective, les
cinéastes ont repris et développé un procédé de David Mitchell : certains
personnages portent une tache de naissance en forme de comète pour manifester
la migration d’une âme. “Dans le roman”, souligne David Mitchell, “la tache de naissance signifie que c’est la
même âme qui se réincarne à travers le temps... une âme traversant l’éternité
et changeant simplement de corps”. Mais à l’écran, cette réincarnation se
présente autrement. Pour incarner une même âme, les réalisateurs ont choisi de
faire systématiquement apparaître le même acteur qui recommence chaque fois un
nouveau cycle karmique.
Tom Tykwer affirme : “Lorsque nous avons discuté des relations qui
lient les personnages à travers les siècles, et de ces moments où il semble qu’un
être achève ce qu’un autre a entamé cent ans plus tôt, nous nous sommes dits, ‘Pourquoi ne ferait-on pas jouer le
même acteur ?’, pourquoi ne pas faire le fi lm en partant du principe que
chaque comédien incarnerait non pas un seul rôle, mais plusieurs, qui, tous
ensemble, témoigneraient de l’évolution d’une seule âme”. Tom Hanks ajoute : “Chaque personnage pris
individuellement a son propre destin, mais tous ensemble, ils participent d’une
destinée plus grande. Un personnage pose des fondations et un autre prend le
relais, comme un collier de perles”. Lorsque les personnages se réincarnent sous de
nouveaux traits, ils reviennent tout naturellement dans des lieux différents et
il n’est alors pas rare qu’ils changent de sexe et de nationalité. Les répétiteurs
William Conacher, Peggy Hall-Plessas et Julia Wilson Dickson ont aidé les
acteurs à interpréter leurs rôles de manière convaincante. Les comédiens
d’origine américaine, australienne, britannique, chinoise, allemande et
coréenne ont ainsi travaillé leur diction pour s’accorder avec leur changement
d’identité culturelle. “L’un
des personnages que j’interprète est une Juive allemande, une autre vit au XXIVème siècle”, raconte Halle Berry. “En tant qu’actrice, c’est exaltant,
mais c’est aussi un formidable défi ”. Et elle ajoute : “Les gens sont ce qu’ils sont. Et ils le seront toujours,
peu importent les circonstances ou l’époque. Il fallait que je trouve chez les
personnages que j’ai interprété une qualité dans laquelle chacun d’entre nous
peut se reconnaître. Parce que, en fi n de compte, nous sommes tous faits de
chair et de sang, et nous avons tous un coeur et un cerveau”.
Les
cinéastes ont donc gardé l’idée de la tache de naissance en forme de comète.
Mais ils l’ont adaptée. Dans le film, ceux qui la portent ont atteint un niveau
de développement supérieur et sont sur le point de prendre une décision
majeure, susceptible de bouleverser le cours de leur vie ou celui d’autres
personnes de manière significative. Tom Tykwer explique : «Cette tache de naissance engendre
des résonances entre les personnages qui en sont porteurs : par exemple, un
individu peut marquer son époque par une création personnelle, puis un autre,
quelques générations plus tard, pourra s’en inspirer». Ce procédé a offert des possibilités
insoupçonnées aux scénaristes. Lana Wachowski remarque : “Nous nous sommes d’abord demandés si
un être malveillant dans une vie donnée pouvait devenir un héros dans une
autre. Une fois que nous avons répondu à cette question, nous nous sommes tout
naturellement demandé comment cet être malfaisant pouvait se transformer. La
comète est donc devenue une manifestation phénoménologique. Sa marque
symbolise, chez celui qui la porte, l’opportunité de changer les choses”. David Mitchell, qui voit pour la
première fois l’un de ses livres adapté au cinéma, confie : “C’était magique. Je suis enchanté et
admiratif de la manière dont les réalisateurs ont disséqué puis reconstruit mon
livre afin de l’adapter au mieux pour le grand écran. Je me sens comme un donneur
de cellules-souches qu’ils auraient ensuite utilisées pour créer un être. C’est
un travail magnifique. J’ai été bouleversé”. Les producteurs ont également adopté une approche peu
conventionnelle. Ils ont mis en place deux équipes de tournage – l’une pilotée
par Tom Tykwer et l’autre par Lana et Andy Wachowski –, qui ont commencé à
travailler simultanément en septembre 2011. Ceci a permis de diminuer de moitié
le temps de tournage et de mobiliser les acteurs pendant trois mois au lieu de
six. Il a également fallu doubler le nombre de chefs de poste et faire appel à
deux directeurs de la photographie, deux chefs décorateurs, deux chefs costumiers,
et deux chefs coiffeurs et maquilleurs. Les Wachowski se sont installés dans
les studios Babelsberg de Berlin : ils ont tourné à Berlin et dans les environs
de la capitale allemande, ainsi qu’en Saxeet à Majorque les scènes qui se
déroulent en 1849, 2144 et dans un XXIVème siècle
post-apocalyptique. Parallèlement, Tom Tykwer est parti en Écosse avec son
équipe où il a tourné les séquences qui ont lieu en 1936, 1973 et 2012. Les
acteurs qui, pour la plupart, jouent dans chaque épisode ont voyagé d’un
endroit à l’autre.
Tom
Tykwer a également écrit la musique du film avec Johnny Klimek et Reinhold
Heil, plusieurs mois avant le premier clap. C’est assez rare chez pour un
réalisateur de composer sa propre musique, et s’y prendre si tôt est encore
plus exceptionnel. Grâce à cette méthode, Tykwer a pu déterminer la tonalité et
la dramaturgie propres à chaque scène, et comédiens et techniciens s’en sont
inspirés dans leur travail. Le coeur de la partition est une symphonie créée
dans le récit situé en 1936, dans lequel un jeune musicien peine à terminer son
chef-d’oeuvre intitulé “Le sextuor de Cloud Atlas ”. Le défi “était d’écrire une musique qui
s’accorde avec l’époque à laquelle elle est censée avoir été écrite, et qui
soit aussi le thème central de tout le fi lm, accompagnant de nombreuses
scènes. Il fallait que ce soit une musique que tout le monde puisse reconnaître
des années après l’avoir entendue”, révèle Tykwer.
Pour
les cinéastes, porter “Cartographie des nuages” à l’écran a indéniablement été
un acte d’amour. Alors même qu’ils écrivaient le scénario, ils avaient décidé
de ne poursuivre le projet que si David Mitchell était enthousiasmé par
l’adaptation. Cet engagement s’est étendu à l’ensemble des aspects du tournage
et toute l’équipe l’a unanimement partagé. “C’était une expérience fabuleuse, car il s’agit d’une
vaste épopée qui s’adresse à un public adulte, et j’ai adoré les idées qui y
sont développées et tout le tournage en général”, raconte Susan Sarandon, qui
interprète, entre autres rôles, un Indien et un chef spirituel dans les années
2300. “C’est
l’un de ces rares scénarios où on ne peut pas prévoir ce qui va arriver.” “L’approche est audacieuse et
ambitieuse. Les réalisateurs sont restés à l’écart des sentiers battus”, ajoute Hugh Grant, qui a
particulièrement savouré les rôles inhabituels de méchants toujours plus noirs
qu’il a incarnés. “Même
maintenant - je sais que cela peut paraître un peu fl eur bleue - je suis
pleine de gratitude et d’émotion, lorsque je pense que nous avons fait ce fi lm”, confie Lana Wachowski, faisant
ainsi écho aux sentiments de ses collègues. “Nous sommes profondément reconnaissants envers les acteurs
qui nous ont fait confiance en participant à cette expérience et à cette
histoire extraordinaire. Peu de films exigent autant des acteurs. Après une
lecture complète du scénario avec les comédiens, l’une des plus drôles que nous
ayons vécue, Hugo Weaving en a livré le meilleur résumé : ‘Il nous fallait des
personnages agissant avec foi et courage, et c’est vrai de chacun de nous dans
cette pièce’. Faire ce fi lm exigeait un courage et une foi à toute épreuve.”
HISTOIRE,
CASTING ET PERSONNAGES
“Hier, ma vie allait dans
une direction. Aujourd’hui, elle va dans une autre». Isaac Sachs, 1973
“La pression que Lana, Andy et Tom se sont imposée pour que ce
projet voie le jour n’avait d’égal que la confiance qu’ils nous ont accordée
en tant qu’acteurs”, raconte Tom Hanks. “C’était vraiment génial car ils nous ont
laissés suivre notre instinct. Ce tournage est passé très vite parce que tous
les jours nous avions une nouvelle séquence à faire et c’était à chaque fois
stimulant. J’ai fait partie d’une très belle équipe, vraiment soudée”. “Nous faire interpréter
plusieurs personnages était une idée brillante”, déclare Jim Broadbent. “Il y a déjà eu de grands
fi lms auparavant dans lesquels l’acteur principal tient plusieurs rôles, mais
jamais une entreprise d’une telle envergure. C’est tout à fait unique et
parfait pour ce genre d’histoire, où tout se répond, où l’énergie se transmet
d’une scène à l’autre jusqu’à obtenir ce bel élan, fait de moments plus
passionnants les uns que les autres”. Comme le tournage se déroulait en deux lieux
différents, les acteurs ont passé leur temps à enchaîner les scènes et les
plateaux – et ils se sont souvent déplacés d’un pays à un autre –, en passant
entre les mains des maquilleurs et des costumiers qui les transformaient
parfois si radicalement qu’ils pouvaient momentanément passer incognito les uns parmi les
autres. Comparant l’expérience à une atmosphère détendue et festive du Cirque
du Soleil, où les acteurs enchaînent courageusement les scènes tels des trapézistes,
Susan Sarandon se rappelle : “Un jour, je me suis regardée dans le miroir et
pendant une seconde, je ne me suis pas reconnue. C’était la première fois de ma
carrière que cela m’arrivait. C’était saisissant. C’est la magie du cinéma :
pouvoir se glisser dans la peau d’un personnage avec lequel vous pensiez n’avoir
aucun point commun et finalement constater à quel point vous vous ressemblez,
que le temps, l’âge, la couleur de peau et le sexe importent peu à l’échelle de
la Vie...”.
Aux dires de tous, c’était une opportunité rêvée pour un acteur.
Ben Whishaw témoigne : “Cela m’a rappelé pourquoi je suis devenu acteur et je pense que
c’est le cas de tout le monde. La plupart du temps, le rôle importe peu, vous
êtes toujours plus ou moins vous-même. Mais l’instinct de transformation de
l’acteur est toujours présent et ce fi lm a été une formidable occasion de le
vérifier. Cela a vraiment été libérateur.” Pour certains, cela a peut-être été plus
libérateur que pour d’autres. Hugh Grant relève d’un ton pince sans- rire : “J’ai été très intéressé
par l’histoire, qui est brillante, mais j’aurais fait ce film rien que pour le
rôle du chef cannibale, pilleur et égorgeur. Il n’y avait pas beaucoup de
scènes d’égorgement dans ORGUEIL ET PRÉJUGÉS”. CLOUD ATLAS commence en 1849… puis se poursuit en 1936,
1973, 2012, 2144 et 2346. Toutes les intrigues démarrent en même temps, puis la
caméra se concentre alternativement sur l’une et l’autre. C’est ainsi que le
film plonge le public simultanément dans six récits parallèles qui constituent
en fait une seule histoire. Les causes et les effets révèlent immédiatement
leur concomitance, et les liens entre les personnages et les époques sont
construits comme les parties du même tout.
1849, Pacifi que Sud
Jim Sturgess interprète Adam Ewing, un avocat jeune et idéaliste,
originaire de San Francisco. Le jeune homme a voyagé jusqu’aux îles du Pacifique pour régler une affaire avec le très moralisateur Révérend Horrox (Hugh
Grant), propriétaire d’une plantation. Une fois sur place, Ewing est témoin de
la flagellation cruelle d’Autua, un des esclaves de Horrox (David Gyasi).
Pendant le supplice, Autua fixe Ewing dans les yeux comme s’il regardait une
âme soeur. Plus tard, lorsque l’esclave se cache dans la cabine d’Ewing qui
rentre chez lui, ce dernier doit choisir entre ses obligations professionnelles
et ses convictions morales, sans se douter que sa décision aura des
répercussions sur les siècles à venir d’une manière inimaginable. “À un moment donné, Autua
demande à Ewing de le sauver ou de le tuer : l’enjeu est énorme”, raconte Gyasi. “C’est la première fois
qu’Ewing assiste à l’horreur de la traite des esclaves”, ajoute Sturgess, en
soulignant que cette scène marque le début d’une série d’exemples similaires de
personnages luttant contre toutes les formes d’oppression à travers le temps. “ À l’époque, c’était
facile pour un homme comme Ewing d’adopter la mentalité d’un Horrox, qui
croyait représenter l’élite de la civilisation, mais il sent au plus profond de
lui que cela ne lui convient pas. Du coup, c’est à ce moment-là qu’il a
l’occasion de prendre la situation en main et de changer les choses”. Au même moment, le
compagnon de bord d’Ewing, le Docteur Goose (Tom Hanks), homme opportuniste et
malveillant, s’est engagé dans une trajectoire bien diff érente. Complétant le
tableau, Jim Broadbent apparaît, dans ce récit, sous les traits du pragmatique
Capitaine Molyneux, et Susan Sarandon interprète l’épouse d’Horrox, femme
bouillonnant intérieurement mais tout en retenue. Keith David tient le rôle de
l’esclave maori Kupaka qui souffre en silence. Halle Berry incarne un autre
personnage maori qui travaille sur la plantation. Hugo Weaving est le beau-père
d’Ewing, Haskell Moore. Et Doona Bae, occidentalisée, est Tilda, l’épouse
adorée d’Ewing.
1936, Écosse
Ben Whishaw interprète le rôle du malicieux Robert Frobisher,
jeune compositeur vaniteux mais très talentueux. Après que son père l’a
déshérité et la bonne société anglaise l’a rejeté, Frobisher quitte son amant
Rufus Sixsmith (James d’Arcy) et entreprend de se faire un nom par lui-même.
Tout en travaillant pour Vyvyan Ayrs – personnage d’environ 70 ans joué par Jim
Broadbent –, compositeur célèbre et démodé, auprès de qui il apprend beaucoup,
Frobisher écrit son chef-d’oeuvre, une symphonie qu’il intitulera “Le Sextuor
de Cloud Atlas”. Dans le même temps, il entretient une correspondance avec son
ancien amant, avec qui il est resté en contact et à qui il raconte qu’il
ambitionne de faire un retour en grâce triomphal. Cependant, il sous-estime
l’influence d’Ayrs jusqu’à ce que sa situation devienne désespérée. “Comme Frobisher est
jeune, plein d’idées et d’énergie créative, il croit manipuler Ayrs, mais c’est
peut-être le contraire qui se produit”, suggère Whishaw. “C’est une bataille
autour de la musique : Frobisher cherche à gagner la reconnaissance de ses
pairs et Ayrs à garder sa réputation intacte”. Autour des personnages
principaux de ce récit, on retrouve Halle Berry dans le rôle de Jocasta,
stoïque et sublime épouse d’Ayrs, et Hugo Weaving en ami d’Ayrs, Tadeusz
Kesselring, qui cache un sombre secret. Hugh Grant campe l’employé d’un hôtel
chic qui empêche Frobisher et Sixsmith de se quitter paisiblement. Quant à Tom
Hanks, il incarne le directeur avide d’une auberge miteuse.
1973, San Francisco
Halle Berry joue le rôle principal de Luisa Rey, une journaliste
qui, en 1973, découvre une affaire de corruption industrielle dans une centrale
nucléaire qui pourrait concerner des milliers de personnes. Elle doit ainsi affronter
le fourbe Lloyd Hooks, directeur de l’usine (Hugh Grant). Dans son enquête,
plusieurs personnages lui viennent en aide : Rufus Sixsmith, le même personnage
que dans le précédent récit, désormais vieux physicien, et Isaac Sachs (Tom
Hanks), salarié de l’usine qui ne s’explique pas pourquoi Luisa lui semble un
visage si familier, ni pourquoi il se sent si désireux de l’aider. “Luisa est à la croisée
des chemins”, explique Halle Berry. “En tant que journaliste, elle a le sentiment
qu’elle n’a pas vraiment été à la hauteur, et puis ce cadeau lui tombe du ciel
: c’est une occasion unique de prendre des risques et donc de faire quelque
chose qui pourrait s’avérer important. Elle ne se rend pas compte de sa force,
ou même si elle pourra, ou pas, aller jusqu’au bout, mais une fois sa décision
prise, elle accomplira des choses dont elle ne se savait pas capable”. Poursuivie par Bill
Smoke (Hugo Weaving), tueur engagé par Hook, Luisa n’a de chance de survivre
qu’en faisant confiance à Napier (Keith David), homme de main de Hook qui ne
supporte plus d’obéir à ses ordres. Toutes choses égales par ailleurs, David
considère son personnage comme “une sorte de Shaft, et c’est donc devenu une
référence pour nous. Ce qui était passionnant dans ce tournage, c’était de
parvenir à ce moment du voyage : lorsque cette âme – que l’on rencontre d’abord
sous les traits du maori Kupaka – bénéficie de plus de possibilités dans la
peau de Napier, et qu’elle en profite pour s’élever. Dans d’autres temps, elle
pourrait sans doute s’améliorer encore”. Dans cette partie du fi lm, l’actrice
chinoise Xun Zhou tient le rôle d’un employé dans un hôtel. La Coréenne Doona
Bae interprète une hispano-américaine – rôle pour lequel elle a dû maîtriser
l’accent espagnol après avoir déjà travaillé son anglais. David Gyasi
interprète le père de Luisa, Lester, célèbre correspondant de guerre qui a
servi de modèle à la jeune femme. Ben Whishaw est poignant dans son
interprétation d’un vendeur de magasin de disque qui ne parvient pas à se
sortir de l’esprit un air des années 1930.
2012, Angleterre
Jim Broadbent campe Timothy Cavendish, un petit éditeur. Lorsque
ce personnage rencontre le succès grâce aux ventes phénoménales de sa dernière
publication – prétentieuse biographie écrite par le violent Dermot Hoggins,
interprété par un Tom Hanks à l’accent écossais rugueux –, l’argent coule à flots.
Malheureusement, la fortune soudaine de Cavendish attire aussi ses créanciers,
dont certains cherchent bien davantage que de l’argent. Broadbent explique : “Il s’enfuit et finit par
trouver ce qu’il croit être un lieu sûr, mais ce refuge se transforme en
prison. Le récit prend alors l’allure d’une histoire d’évasion dans laquelle le
pauvre Cavendish doit trouver un moyen de se sauver.” Hugh Grant change de
registre dans l’interprétation de Denholme, frère vindicatif de l’éditeur. Ben
Whishaw campe Georgette, l’épouse déloyale de Denholme. Quant à Hugo Weaving,
il apparaît sous les traits de Noakes, une infirmière dominatrice, avec qui
Cavendish se bat, ce qui fait de cette scène l’épisode le plus comique du fi
lm. Susan Sarandon joue le rôle d’Ursula, le grand amour perdu de Cavendish,
Jim Sturgess interprète un Écossais lunatique supporteur de football, James
D’Arcy un infirmier auxiliaire dans une maison de retraite et Halle Berry une
femme qui attire brièvement le regard de l’auteur Dermot Hoggins. “Parmi tous les personnages
que j’ai interprétés, l’infirmière Noakes représentait le défi le plus grand
pour moi et c’était aussi le plus amusant”, confie Weaving. “C’est une affreuse
gorgone qui infantilise et méprise les patients résidant dans la maison de
retraite, et pourtant c’est elle qui est morte intérieurement. Elle travaille
dans cet établissement depuis longtemps, et je crois que l’endroit l’a
sclérosée”.
2144, Neo Seoul
Doona Bae campe un clone de type Sonmi-451, génétiquement
programmée pour occuper la fonction subalterne de serveuse de restaurant, au
sein d’un redoutable État totalitaire construit sur les ruines de Séoul, qui a
subi les ravages d’un raz-de-marée. Lorsqu’un autre clone, Yoona-939, campé par
Xun Zhou, l’encourage à penser par elle-même – ce qui est radicalement interdit
–, Sonmi emprunte une voie sans retour en arrière possible. Grâce au rebelle
Hae- Joo Chang, qu’incarne Jim Sturgess, Sonmi s’engage courageusement dans une
aventure périlleuse qui aboutira à l’insurrection. «Yoona et Sonmi n’étaient
pas satisfaites de leurs vies», signale la comédienne chinoise Zhou, qui
tourne ici dans son premier fi lm occidental. «Elles ont leur propre conception du monde et
elles sont convaincues que la situation n’est pas immuable. Elles aspirent à la
liberté». Doona Bae, qui elle aussi fait ici ses débuts dans un fi lm
occidental, ajoute : «C’est grâce à Yoona que Sonmi s’intéresse au genre humain. Elle
pousse Sonmi à réfléchir par elle-même, mais c’est Chang, le premier humain à
se montrer bienveillant à son égard, qui lui prouve qu’elle peut prendre sa vie
en main et affirmer sa dignité». Parmi les gardiens de l’ordre de cette
société totalitaire, citons l’obséquieux Seer Rhee (Hugh Grant), patron du
restaurant qui exerce son autorité en dehors des heures de travail, et Boardman
Mephi (Hugo Weaving), bureaucrate qui ne veut surtout rien changer. Halle Berry
et Susan Sarandon campent deux hommes – respectivement Ovid, médecin qui ôte le
collier de prisonnier de Sonmi, et Yusouf Suleiman, scientifique qui défend les
droits des clones –, tandis que Keith Davis incarne An-Kor Apis. Tom Hanks joue
un comédien dans une adaptation cinématographique de la vie de l’éditeur
Cavendish, qui pousse Sonmi à agir, Jim Broadbent interprète un musicien
coréen, et James d’Arcy campe l’archiviste du gouvernement chargé de recueillir
les aveux de la rebelle.
Après la chute, 2321 et Hawaï, 2346
On découvre enfin Tom Hanks dans le rôle du gardien de chèvres
Zachry, personnage perturbé mais fondamentalement intègre, dernier représentant
d’une tribu pacifique qui a survécu à un cataclysme planétaire ayant contraint
la plupart des hommes à revenir à un mode de vie primitif. Parmi les vestiges
de leur passé, on retrouve une image de Sonmi, qui a désormais le statut d’une
déesse, et dont les propos sont cités par Susan Sarandon qui joue l’abbesse du
village. Pour cet univers, l’écrivain a imaginé un dialecte dépouillé qui permet
de communiquer de manière rapide. Les réalisateurs ont conservé cette langue et
ont travaillé avec les comédiens dans un studio d’enregistrement de Los Angeles
avant le tournage, pour faire en sorte que la transposition du dialecte
fonctionne dans le film. «On a choisi un anglais très simple, en utilisant un minimum de
mots pour exprimer les émotions», précise Halle Berry qui, dans cet épisode,
interprète Meronym, émissaire d’une communauté humaine supérieure, baptisée les
Prescients. Adoptant ce dialecte pour gagner la confiance de Zachry, Meronym
sollicite l’aide de ce dernier afin de retrouver un objet dont elle a
cruellement besoin. Néanmoins, pour lui venir en aide, Zachry doit non
seulement risquer sa vie et renoncer à toutes ses croyances, mais aussi apaiser
les doutes qui l’assaillent à travers la voix moqueuse de Old Georgie (Hugo
Weaving). Xun Zhou incarne la soeur de Zachry, Rose, tandis que Jim Sturgess
campe son beau-frère Adam, et Ben Whishaw un membre de la tribu. Hugh Grant
joue ici son personnage le plus sombre : le chef Kona, à la tête d’une bande de
guerriers cannibales qui sillonnent la région. De leur côté, Keith David, David
Gyasi et Jim Broadbent interprètent des Prescients éclairés. Hugh Grant
s’exprime sur son personnage : «De toute évidence, les personnages ont la
possibilité de s’amender, et certains y parviennent, de manière spectaculaire,
et d’autres pas. Ils ne s’améliorent pas. Bien au contraire, ils empirent.
C’est le fruit de notre libre arbitre et des choix que nous faisons».
À
TRAVERS LES SIÈCLES
“Je crois que je suis
tombé amoureux de Luisa Rey. Est-ce possible ? Je viens de la rencontrer et
pourtant, j’ai le sentiment qu’il m’est arrivé quelque chose d’essentiel». Isaac Sachs, 1973
Tandis que les choix des
uns et des autres n’en finissent pas d’avoir des conséquences à travers le
temps, certains parcours individuels rejoignent des trajectoires collectives
qui constituent l’essence même de la vie. «J’interprète successivement une Indienne
impuissante, puis Jocasta, qui n’a pas non plus voix au chapitre, et Luisa Rey,
qui bataille durement pour affirmer son existence», signale Halle Berry. «Il y a une scène, dans
l’épisode autour de Cavendish, où je joue une mystérieuse invitée à la fête,
dont on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’elle arbore un air plein
d’assurance. Dans l’épisode suivant, je joue un médecin, Ovid, qui agit pour le
bien – si bien que lorsque j’en viens à interpréter Meronym, on perçoit chez
elle l’aboutissement de son parcours, et on comprend alors pourquoi elle est
aussi forte».
De même, les personnages incarnés par Keith David vont de
l’esclave au chef. Et lorsque Jim Sturgess interprète Ewing, il prend ses
décisions de manière instinctive, comme un homme qui commence à comprendre le
sens du mot justice. Mais il parvient à mieux cerner ce genre de concept
lorsqu’il est devenu Chang, combattant de la liberté. Car CLOUD ATLAS évoque l’aspiration
universelle et éternelle de l’humanité à connaître la liberté. «S’il y a un point commun
à tous mes personnages, c’est le fait qu’ils travaillent au sein d’institutions
qu’ils n’aiment pas et qu’ils voudraient changer», indique James D’Arcy,
qui incarne un employé d’une centrale électrique corrompue, puis d’une
épouvantable maison de retraite et d’un gouvernement totalitaire. «Mais mon dernier rôle
est celui d’un archiviste, et bien qu’il participe, d’une certaine façon, à la
répression, il finit par prendre sa vie en main, ce qui prouve qu’il n’est pas
un cas désespéré».
Andy Wachowski s’explique sur la nécessité d’avoir déconstruit le
roman pour l’adapter au cinéma : «Il y a une scène où Autua risque d’être
abattu quand il se tient sur le pont du bateau, et puis un moment similaire où
Sonmi manque d’être tuée, en s’échappant de prison. Si on avait monté ces deux séquences
ensemble, on aurait perçu les similarités et les rebondissements». «Je ne me
souviens plus du nombre de façons dont les réalisateurs ont cherché à enchaîner
les scènes, qu’elles soient éloignées d’un millier de kilomètres ou qu’elles
soient distantes de plusieurs siècles», ajoute David Mitchell. «Elles peuvent se faire
écho à travers un motif visuel, une simple parole, un élément architectural ou
le visage d’un comédien. Mais l’effet produit est celui d’une seule et même
mosaïque intelligente qui traverse les époques». En se référant à une
scène où Chang tire sur ses assaillants pendant une course-poursuite, l’auteur
ajoute : «Cette séquence s’achève sur un mur de verre qui se brise, tandis
que la suivante débute sur une fissure qui se propage à tout le pare-brise de
la Volkswagen de Luisa Rey – qui finit par s’abîmer dans la baie de San
Francisco».
Les résonances qui se manifestent à travers les siècles
bouleversent la notion de deuil. Lorsque des amants sont déchirés à une époque
donnée, Tykwer signale que «nous pouvons alors enchaîner sur les mêmes acteurs qui se
retrouvent ailleurs, apportant alors un peu d’optimisme à une scène qui s’était
achevée sur une note poignante». Chemin faisant, l’idée de la création parcourt le fi lm
: comme le souligne Tykwer, «il
s’agit de marquer son époque par une oeuvre d’art qui pourra ensuite influencer
un autre personnage». En
1936, Frobisher découvre, sous forme de journal intime publié, l’histoire de la
traversée maritime d’Adam Ewing, effectuée en 1849. Les lettres écrites par
Frobisher se retrouvent ensuite entre les mains de Luisa Rey, en 1973, et
l’histoire de Luisa autour du complot à la centrale nucléaire inspire le
manuscrit d’un livre, soumis à l’éditeur Cavendish. L’aventure de ce dernier
devient alors le sujet d’un film que voit Sonmi en 2144. Puis, la déclaration
de liberté de Sonmi est répétée et mémorisée, jusqu’à ce que, y compris dans
une société dépourvue de livres et de technologies, son message soit respecté
par Zachry et sa tribu au XXIVème
siècle. De même, le pouvoir et
l’impuissance sont au coeur des conflits les plus tenaces de l’humanité. En
1849, le docteur Goose – le rôle le plus ignoble de Tom Hanks dans le film –
justifie ses larcins et son mépris de toute vie humaine en déclarant : «Les plus faibles ne sont que de la
chair à canon, et les plus forts sont là pour diriger les autres». Plusieurs générations plus tard, son
incarnation se débat avec les mêmes concepts. Mais si certains personnages ne
tirent jamais les leçons de leurs erreurs, d’autres font d’immenses progrès, ce
qu’illustre sans doute l’évolution spectaculaire de Tom Hanks, incarnant
d’abord l’horrible Goose pour interpréter enfin Zachry. Et pourtant, le passé
se manifeste encore. «Il
y a une scène où Zachry se retrouve dans une situation où il pourrait de
nouveau basculer dans la violence», note Tykwer. «Il tient son couteau sous la gorge d’un guerrier Kona, et
Tom est tellement doué qu’on perçoit sur son visage des traces des personnages
qu’il a incarnés antérieurement. La puissance de ce vieil assassin de Goose est
encore là, dans ses gènes. Et même si Zachry est un autre genre d’homme, Goose,
lui, n’aurait pas hésité».
Lana
Wachowski revient sur l’évolution de Zachry : «On a tous été intéressés par ce concept qui est devenu
l’un des motifs récurrents du fi lm : comment un être peut-il passer de l’ombre
à la lumière ? Tous ces personnages peuvent rester prisonniers d’une vie
égocentrée de prédateurs qui passent leur temps à exploiter les autres, ou ils
peuvent changer. On a donc voulu partir d’un personnage qui était un prédateur
absolu, Goose, et évoquer ses progrès jusqu’à ce qu’il devienne un héros en
puissance». Cette
évolution est souvent provoquée par l’amour, comme en témoigne l’attirance
mutuelle des personnages de Tom Hanks et de Halle Berry. La réalisatrice
poursuit : «Quand
Luisa Rey rencontre Isaac Sachs à la centrale, il est à mi-chemin de son
parcours : ce n’est pas un sale type, mais il travaille toujours pour une
entreprise néfaste. Pourtant, il tombe amoureux d’elle et c’est ce qui le fait
dévier de sa trajectoire».
DEUX
TOURNAGES SIMULTANÉS
«Quoi que tu fasses, cela
ne représentera jamais qu’une goutte d’eau dans l’océan» Haskell Moore, 1849 «Mais qu’est-ce qu’un océan, sinon une quantité infinie de gouttes
d’eau ?» Adam Ewing, 1849
Tykwer et les Wachowski n’avaient pas prévu de travailler sur deux
fronts lorsqu’ils se sont attelés à l’adaptation de CLOUD ATLAS. En effet, leur volonté
acharnée de cerner l’essentiel du roman de Mitchell éclipsait encore les difficultés
éventuelles du tournage. Mais lorsque le scénario a commencé à prendre forme,
que les comédiens ont été choisis et que l’envergure du projet est devenue
réalité, l’idée d’orchestrer deux tournages parallèles s’est avérée être la
plus efficace. Il devenait même possible de diviser le temps de tournage par
deux en pilotant simultanément deux équipes – chacune étant en charge de trois
épisodes – composées de collaborateurs propres, tandis que les comédiens
passeraient d’un plateau à l’autre. «Un an avant le début du tournage, nous avons
réuni les chefs de poste des deux équipes pour un séminaire de quatre semaines
à Berlin, afin de pouvoir travailler le scénario en profondeur», indique le producteur
Grant Hill. «Il s’agissait de s’assurer que les rapports entre les techniciens
étaient bons et que les approches du métier concordaient, et de voir comment on
pouvait monter cette opération». L’atmosphère a été celle d’un vrai travail
d’équipe : «Quand on a vu que tous ces formidables professionnels étaient
motivés par cette approche collective, on s’est dit qu’il fallait alors leur
donner des consignes claires, établir une stratégie solide et savoir canaliser
toute cette énergie créative».
Les Wachowski ont signé les scènes du voyage maritime d’Adam Ewing
de 1849, de la révolte de Sonmi de 2144, et de la vie de Zachry au XXIVème siècle. Ils ont
collaboré avec le chef-décorateur Hugh Bateup et le directeur de la
photographie John Toll. De son côté, Tom Tykwer a tourné les séquences du
copiste musical Robert Frobisher de 1936, des révélations de la journaliste
Luisa Rey autour d’un complot industriel de 1973, et du calvaire, souvent
drôle, de l’éditeur londonien Cavendish de 2012. Il a travaillé avec le
chef-décorateur Uli Hanisch et le directeur de la photographie Frank Griebe. Le
tournage a commencé en septembre 2011 : l’équipe pilotée par Tykwer s’est
établie en Ecosse, et celle dirigée par les Wachowski à Majorque. En tout, les
réalisateurs ont tourné en décors naturels à Glasgow, à Edinburgh et dans la
campagne écossaise, en Saxe, et dans plusieurs sites berlinois. Enfin, les
équipes se sont retrouvées dans les studios ultra-sophistiqués de Babelsberg
pour les scènes d’intérieurs et celles nécessitant des fonds verts. Tout en
travaillant dans des pays différents, les trois cinéastes étaient en contact
permanent. «Les réalisateurs ont réfléchi au moindre détail, au moindre
enchaînement et au montage entre les différents épisodes du film, et sont
arrivés parfaitement préparés sur le plateau», note le producteur
Stefan Arndt. «Pendant le tournage, ils avaient l’habitude de s’appeler pour se
dire : ‘Il faut que tu changes un élément à tel ou tel moment. Quand tu
tourneras la prochaine scène, sache que l’acteur fait telle ou telle chose’.
Ils communiquaient en permanence afi n de prendre leurs décisions d’un commun
accord». Majorque a servi de cadre pour la première partie de la saga – en
campant l’île du Pacifique où Adam Ewing et Autua s’embarquent pour mettre le
cap sur l’Amérique–
et pour la toute dernière – en représentant une vallée hawaïenne où vit Zachry
cinq siècles plus tard. «On
s’est dit qu’il fallait que ce soit la même île», affirme Lana Wachowski. «Tout comme Tom Hanks incarne au
début et à la fi n deux rôles extrêmement éloignés l’un de l’autre – Goose et
Zachry –, l’île sert de cadre à l’ouverture et à la conclusion de la
chronologie, comme pour mieux souligner le thème de la récurrence».
La
scène où Ewing rencontre le docteur Goose sur la plage a été tournée dans la
crique de Sa Calobra Cove à Torrent de Pareis, et la plantation de tabac de
Horrox du début du XIXème
siècle a été reconstituée dans une
propriété privée de la région d’Es Llombards, à Majorque. Le bateau d’Ewing, le
«Prophetess», est un véritable navire d’époque, magnifiquement bien conservé et
capable de prendre la mer : il s’agit du Earl of Pembroke, construit en Suède,
et désormais amarré à Charleston Harbor, en Cornouailles, par la Square Sail
Company. Le vaisseau a rejoint l’équipe de tournage à Majorque, où il a subi
quelques changements superficiels. Le capitaine de l’embarcation, Robin Davies,
a été recruté comme coordinateur maritime pour les besoins du tournage, et il
fait même le figurant – avec son équipage d’une quinzaine d’hommes – sur le
pont du bateau. À l’intérieur des terres, la production a déniché une région
montagneuse et rude pour la séquence où Zachry et Meronym entreprennent leur
longue marche, jouissant ainsi du point de vue spectaculaire qu’offre le Puig
Mayor – 1445 m d’altitude –, point culminant des îles Baléares. On y trouve
encore une base militaire des années 50, correspondant parfaitement au type de
structure que recherche Meronym.
Les
Wachowski se sont ensuite rendus en Saxe, au sud-est de l’Allemagne, où les
célèbres formations rocheuses en grès ont parachevé le cadre de vie de Zachry
et les forêts touffues ont campé les bois où la famille de ce dernier est
menacée par le Kona. Bateup, qui a bâti le village, précise : «On ne voulait pas que cette
communauté ait l’air trop primitif, comme si elle était revenue à l’âge de
pierre. On s’est dit qu’elle avait survécu à un cataclysme mondial, qui s’est
produit il y a cinquante ou soixante ans, et qu’elle avait appris à se
débrouiller. Ces gens fabriquent des objets à partir de matériaux de récupération
qu’ils ont trouvés dans les villes détruites. Ce sont des artisans, pas des
barbares”. Pour
des raisons de cohérence visuelle, le petit troupeau de chèvres de Zachry a été
transporté de Majorque en Saxe. La production a également fait venir six chevaux,
élevés en Espagne, de Madrid jusqu’en Saxe, pour la scène du redoutable assaut
de Kona contre le village. Le chef cascadeur espagnol Jordi Casares et son
équipe ont monté les chevaux pour les scènes d’action, tandis que le grand
cavalier et opérateur Steadicam Jorge Agero s’est vu confier la mission
périlleuse de tourner la séquence, tout en étant à cheval…
Dans
le même temps, Tykwer a transformé un quartier de Glasgow, aux rues en pente,
en San Francisco des années 1973. Les panneaux de signalisation et les
lampadaires ont été remplacés et des véhicules d’époque, trouvés sur place, ont
été acheminés pour la séquence où Luisa Rey et Napier tentent de fuir le
meurtrier Bill Smoke et d’échapper à ses coups de feu. Les salles du Conseil
municipal d’Edinburgh ont servi de cadre à l’hôtel où se cache Frobisher, après
avoir dévalé les gouttières, puis le célèbre Walter Scott Monument de la ville
a été utilisé pour son refuge, là même où il retrouve l’amour de sa vie pour la
dernière fois. Ce monument de 60 mètres de haut, qui n’avait encore jamais été
fermé au public pour un tournage, a été investi par l’équipe du film : pendant
deux jours, les techniciens ont ainsi pu acheminer les caméras et le matériel
par grue jusqu’à la plate-forme d’observation située au sommet, plutôt que par
son étroit escalier en colimaçon. Pour le superbe manoir d’Ayrs, où Frobisher
vient chercher du travail, Tykwer et le chef-décorateur Uli Hanisch ont
sillonné la campagne écossaise et ont fini par dénicher la Overtoun House, dans
le West Dunbartonshire, qui appartient encore à des particuliers. Cette demeure
a non seulement servi de cadre à la propriété des Ayr en 1936, mais aussi,
après avoir été redécorée, aux terribles Aurora Country Estates, où Cavendish
est incarcéré en 2012. «Près
de 80 ans se sont écoulés entre ces deux scènes, si bien que les arbres et le
jardin n’ont plus la même allure», signale Hanisch. «Nous avons donc ajouté du feuillage pour les années 30
que nous avons ensuite enlevé pour donner un côté plus dépouillé à l’époque
contemporaine». Pour
la période actuelle, l’équipe a également installé un jardin d’hiver et un
imposant portail. «Il
s’agit du château où Ayrs, le vieux compositeur, tente d’emprisonner le jeune
Frobisher, puis, quelque 80 ans plus tard, c’est lui, sous les traits de
Cavendish, qui se retrouve incarcéré là même où il était autrefois gardien de
prison», souligne
Tykwer.
Dès
l’élaboration du projet de CLOUD
ATLAS, il a été décidé que certains lieux
allaient se retrouver à intervalles réguliers tout au long du film. «On voulait conserver un minimum de
souplesse, malgré tout», signale
Hanisch. «Parfois,
on aperçoit le véritable lieu, et parfois encore, on n’en voit qu’un bout. On a
commencé par la cabine d’Ewing sous le pont du bateau, et puis, on retrouve la
forme de cette pièce tout au long du fi lm : le bureau de Cavendish,
l’appartement de Luisa Rey, la chambre de Frobisher dans le manoir d’Ayrs, le
refuge de Sonmi et la cabane de Zachry». C’est ainsi que l’intérieur de l’opulent salon musical d’Ayrs,
construit en studio, est devenu le réfectoire lugubre d’Aurora Country Estates.
Dans le restaurant où Sonmi est employée, les clients mangent dans un espace
lumineux et une atmosphère joyeuse, mais, quand l’établissement ferme ses
portes, l’ambiance devient sombre et menaçante. Bateup, qui a conçu cet espace,
précise : «Il a
fallu qu’on imagine une société de consommation des années 2144 et qu’on
invente le style d’un fast-food du futur. Comme Lana et Andy ont une conception
précise de cette époque, ils m’ont donné pas mal d’idées et on a fi ni par
mettre au point l’univers de Sonmi». Après le tournage de cet épisode, l’espace a été
réutilisé pour une autre séquence et redécoré en noir, blanc et rouge : il
s’agit du cocktail en l’honneur du livre de Cavendish, qui a lieu sur une
terrasse, où un énorme aquarium fait écho à l’étang de poissons virtuel du
restaurant.
L’équipe
Décoration a également conçu des éléments récurrents, comme des trains et des
ponts, que l’on retrouve dans les récits de Frobisher, de Cavendish, de Luisa
Rey et de Zachry. Des objets ovoïdes ponctuent aussi le fi lm, qu’il s’agisse
des jouets de l’usine parcourue par Luisa Rey à San Francisco, des sièges du
restaurant ou de l’appareil enregistreur de l’archiviste de Sonmi. «On tenait à ce qu’il n’y ait aucune
ambiguïté dans nos représentations des différentes époques, afin qu’on sache
avec certitude qu’il s’agit bien des années 1930 ou 1840», reprend Hanisch. «Dans le même temps, les résonances
visuelles et les lieux qu’on réutilise pour différents décors renforcent l’idée
que les multiples intrigues se répondent et constituent une seule et même
histoire».
Les
chefs-opérateurs John Toll et Frank Griebe ont aussi contribué au style
sophistiqué et fluide du film. «Les principaux éléments de décors étaient déjà là quand
nous sommes arrivés sur le plateau», explique Toll. «Ce qu’on a notamment cherché à faire avec la lumière,
c’est fondre les récits propres à chaque personnage qui s’étalent sur cinq
siècles afin de créer une atmosphère riche et foisonnante, sans que ce soit
forcément une ambiance unique pour le fi lm. Du coup, cela a nécessité de
concevoir un style visuel qui convienne à chaque épisode, tout en donnant une
unité à l’ensemble». Après
s’être réunis pour évoquer le choix des prises de vue et des objectifs, Griebe
et Toll se sont rendus sur leurs plateaux respectifs, tout en se tenant au
courant du travail de l’autre grâce au visionnage des rushes.
Dan
Glass, qui collabore avec les Wachowski depuis MATRIX, a orchestré les effets
visuels des deux équipes. Il a surtout été sollicité pour les scènes
futuristes, et notamment pour l’épisode de Sonmi et l’atmosphère virtuelle du
restaurant où elle travaille, mais il a contribué à l’intégralité des époques
dépeintes dans le film. Il a ainsi transformé Glasgow en San Francisco et bâti
la centrale fictive de Swannekke. «Tom est habitué aux décors en dur, et on a donc travaillé
à partir d’éléments physiques qu’on a modifiés par la suite», dit-il. «C’était une formidable approche s’agissant
de ce fi lm». La
scène où Luisa Rey traverse le pont du Golden Gate a été en partie tournée dans
une citerne de Cologne et en partie sur la piste d’atterrissage de l’aéroport
désaffecté de Tempelhof, en Allemagne : celui-ci a servi de cadre pour le
carambolage des voitures pilotées par des cascadeurs et la chute de la
Coccinelle par-dessus la glissière de sécurité. Quant au pont et à la vue sur
la baie de San Francisco, ils ont été créés de manière infographique. Pour
l’univers du Neo Seoul de 2144, la production a imaginé un environnement où le
niveau de la mer a augmenté et submergé la vieille ville. «Les habitants ont bâti des murs
immenses pour faire barrage à la montée des eaux, et c’est dans les quartiers
submergés que nous avons installé les derniers étages de gratte-ciel qui
émergent de l’eau pour suggérer que des immeubles gisent au fond de l’océan», note Glass. «Quant aux quartiers plus modernes,
où vivent les habitants les plus aisés, nous les avons filmés du haut des
ruines. Et plus on descend vers la mer, plus on pénètre dans un monde sombre et
lugubre, là même où démarre la révolte de Chang». L’évasion de Sonmi et l’affrontement
haletant entre Chang et le commando du gouvernement se déroulant depuis le
sommet des tours de Neo Seoul jusque dans les profondeurs de la ville ont été
tournés sur fonds verts et à l’aide d’effets infographiques dans les studios de
Babelsberg, où se sont finalement retrouvées les deux équipes.
COSTUMES,
COIFFURE ET MAQUILLAGE
«J’ai vu quelque chose
dans ses yeux d’un bleu glacial, quelque chose qui transcende les années et la
maladie. Quelque chose que j’ai déjà vu ailleurs». Robert Frobisher, 1936
Outre les costumes pour les personnages, les chefs costumiers Kym
Barrett et Pierre-Yves Gayraud ont cherché à évoquer certains motifs et
couleurs pouvant se répondre harmonieusement et à leur donner une unité à
travers les différentes époques. Barrett, qui a lui aussi collaboré à MATRIX,
précise : «Nous avons choisi certains tons de verts, par exemple, qu’on
retrouve chez plusieurs personnages. D’autre part, nous avons découvert un
motif triangulaire des années 70 sur une chemise de cette époque que nous avons
modifié et qu’on revoit ensuite sur le papier peint du refuge de Sonmi. Nous
avons cherché à glisser des motifs comme celui-là à divers endroits du fi lm
pour créer un flux d’images subconscient». Gayraud, qui collabore ici pour la troisième
fois avec Tykwer, a acheté des vêtements dans des magasins berlinois pour
l’épisode de Cavendish, mais l’essentiel des costumes des époques antérieures a
été fabriquées suivant ses instructions, souvent à partir d’authentiques tissus
anciens dénichés au marché au Puces de Paris. Pour la garde-robe d’Ayrs, il a
utilisé un tissu imprimé de motifs géométriques des années 1970 évocateur du
mouvement futuriste du début du XXème siècle qu’il a ensuite découpé et teint. Le
gilet luxueux de Rufus Sixsmith a été fabriqué avec des étoffes des années
1830, et rend hommage à l’époque d’Adam Ewing. «On s’est dit, par
exemple, que Luisa Rey aurait pu s’acheter une robe des années 1930 sur un
marché aux puces», dit-il. «Le collier que porte Halle Berry sous les traits de Luisa est le
même que celui qu’elle a au cou lorsqu’elle incarne Jocasta en 1936 ou encore
une invitée à la fête dans l’épisode de Cavendish».
De même, le joaillier Lorenzo Mancianti a conçu les boutons du
gilet d’Ewing qui attirent le regard concupiscent du docteur Goose : on
retrouvera ces objets précieux sous forme de perles autour du cou de Zachry. Il
fallait non seulement que ces boutons aient l’air de pierres précieuses, mais
qu’ils évoquent la Terre vue de l’espace et suscitent ainsi un sentiment
d’éternité. Barrett a adopté un point de vue minimaliste pour la garde-robe de
Sonmi : «Son parcours est à la fois politique et sentimental, et Sonmi
devient une icône mythique dans l’avenir de Zachry», dit-il. «Pour faire d’elle un
personnage réel, puis la métamorphoser en une sorte de divinité, on a décidé de
la montrer pratiquement nue. On s’est essentiellement attardés sur son visage».
Dans le paysage sauvage
du monde de Zachry, le point de vue de Barrett est devenu pragmatique : «Comme ils vivent en
forêt, il fallait que les personnages se fondent dans la verdure ambiante pour
leur propre survie», indique-t-il. «Je me suis donc dit que ce peuple tricotait ses propres
vêtements, et que tout était tissé à la main ou fabriqué en macramé. Étant
donné qu’ils vivent sous la menace constante du Kona, ils doivent pouvoir
bouger au moindre danger, et il est vrai qu’un rouet s’emporte facilement».
Le chef coiffeur et maquilleur Jeremy Woodhead a collaboré avec
Barrett et les Wachowski pour les épisodes Ewing, Sonmi et Zachry. C’est son
homologue, Daniel Parker qui, lui, a travaillé avec Gayraud et Tykwer sur les
séquences concernant Frobisher, Luisa Rey etCavendish. Chacun d’entre eux a contribué à vieillir ou
rajeunir les comédiens, ou encore à modifier leur origine ethnique ou leur
sexe, en fonction des époques qu’ils traversent. Il leur fallait ainsi changer
l’apparence physique des acteurs, sans pour autant les rendre méconnaissables.
Woodhead explique que, même s’agissant du maquillage le plus radical, «il s’agissait de trouver un juste
équilibre pour escamoter certains de leurs traits, sans les faire disparaître
totalement». Certaines
de ces transformations ont nécessité des prothèses – dont ils sont tous deux
spécialistes –, mais, dans la mesure du possible, ils ont privilégié un
maquillage traditionnel, des perruques et des extensions de cheveux. Comme il
est intervenu sur le premier et le dernier épisode de la chronologie, Woodhead
a fait passer Tom Hanks d’un extrême à l’autre. «On voulait que Tom soit
resplendissant dans le rôle fi nal de Zachry», dit-il. «Lorsqu’il incarne le docteur Goose,
en 1849, je me suis accordé davantage de liberté pour créer un ‘personnage’. Je
lui ai donné un faux crâne chauve, de petites touffes de cheveux roux, des
favoris, un faux nez et de très grandes dents. Il est toujours reconnaissable,
mais il est aux antipodes de Zachry, homme fort, discret et bienveillant». Parker a transformé l’acteur en
Dermot Hoggins, auteur de «Knuckle Sandwich»_: «On l’a affublé d’un faux nez qui a
été brutalement brisé, d’un faux crâne chauve, de cicatrices et de tatouages», souligne-t-il. Plus tard, quand on
le retrouve sous les traits d’un directeur d’hôtel avare, en 1936, l’acteur
porte une moustache, un cou plus fin et un nez couperosé.
Woodhead a aussi
accompli la prouesse de transformer Hugh Grant en redoutable cannibale à l’aide
d’une boue blanchâtre : «La
métamorphose prenait deux heures», dit-il. «On utilisait de faux crânes chauves, une crête iroquoise,
de la peinture corporelle et un dentier. C’était totalement nouveau pour Hugh”.
En outre, Woodhead a transformé Jim
Sturgess en Chang, dans l’épisode de Sonmi, et a accompagné les métamorphoses
successives de Halle Berry qui passe d’une femme Maori, à un homme asiatique
âgé et à la magnifique et lumineuse Meronym. Il a aussi transformé Susan
Sarandon en Suleiman, personnage masculin, il a donné à Doona Bae des traits
occidentaux pour son interprétation de Tilda, et il a fait de James D’Arcy et
de Hugh Grant des Asiatiques. Grâce à Parker, Hugo Weaving est devenu l’infirmière
Noakes.
«Travestir un homme en femme, et inversement, est toujours difficile», reconnaît-il. «Le squelette osseux des hommes est
différent de celui des femmes, et cela prend donc du temps d’effectuer la
transformation. La forme du crâne d’un homme n’a rien à voir avec celle d’une
femme. Il faut alors modifier le front et la texture de la peau. Il y a tout un
tas de détails subtils auxquels on ne pense pas forcément, mais si on n’y prête
pas attention, on saura immédiatement qu’il s’agit d’un homme déguisé, et ce
n’est pas l’effet qu’on recherchait». Parker a également fait de Jim Sturgess un Écossais
barbu, de Ben Whishaw la discrète Georgette Cavendish, de Doona Bae une
ouvrière latino et de Xun Zhou un réceptionniste d’hôtel. Il a encore
accompagné la métamorphose de Halle Berry en convive d’origine indienne, en
Luisa Rey, journaliste à moitié portoricaine, et en Jocasta, épouse européenne
du compositeur Ayrs. «Ce
fi lm était un vrai bonheur en matière de création de coiffure et de
maquillage, et une occasion rêvée pour un professionnel du secteur», indique Woodhead. «Je ne sais pas si j’aurai pareille
chance à l’avenir».
LE
SEXTUOR DE CLOUD ATLAS
“Voilà. C’est la musique
de mes rêves». Vyvyan Ayrs, 1936
Tom Tykwer fait partie de ces rares cinéastes qui écrivent la
partition de leurs films. Et contrairement à la plupart des compositeurs qui
écrivent la musique après le montage, lui préfère s’y atteler bien en amont du
tournage. Travaillant avec Johnny Klimek et Reinhold Heil, avec lesquels il a
composé la musique de presque tous ses films, Tykwer a écrit et enregistré la
partition de CLOUD ATLAS deux mois avant le premier tour de manivelle. «Il préfère fonctionner
comme cela que d’utiliser des musiques temporaires écrites par d’autres
musiciens», souligne Heil. «Cela lui permet d’avoir recours à des musiques provisoires sans
avoir à se demander comment les remplacer par la suite. Lorsque le film prend
forme en postproduction, on voit ce qui manque ou ce qu’il faut modifier, et on
réenregistre une version définitive». «Du coup, la musique instaure une
atmosphère qui sert de source d’inspiration aux comédiens, et la musique fait
ainsi partie intégrante du tournage», renchérit Tykwer. «La première chose
qu’aient faite les producteurs pendant les séances de lecture, c’est passer la
musique pour les acteurs et nous faire écouter les différentes interprétations,
afin qu’on soit immergé dans l’atmosphère», souligne Hanks. «Cela faisait partie
intégrante d’une vision d’ensemble des cinéastes qui nous a été exposée
d’entrée de jeu».
Les compositeurs ont accueilli avec enthousiasme les apports des
Wachowski : «C’était formidable de bénéficier des idées de Lana et Andy qui,
même s’ils ne sont pas musiciens, savent comment utiliser la musique pour
servir la dramaturgie. Ils nous ont stimulés avec efficacité». La musique est d’abord
au coeur de l’histoire de Frobisher, puisque le jeune compositeur se bat pour
achever l’oeuvre de sa vie, «Le Sextuor de Cloud Atlas». Mais, comme le note
Klimek, «Cette musique se décline sous plusieurs registres, qu’il s’agisse
d’une simple mélodie pour cordes, d’un air de rock à la guitare, ou d’un
sextuor de jazz qu’on entend en toile de fond pendant la fête de Cavendish. Il
nous fallait quelque chose de beau et d’adaptable pour nous accompagner à
travers cinq siècles d’histoire». «Plusieurs générations après, un personnage
qui entend cette mélodie a le sentiment de la connaître», souligne Tykwer, qui
indique que la partition elle-même participe à la thématique de la
réincarnation. «Le sextuor appartient à l’époque où il a été écrit, les années
1930, et relève d’un style moderne façon Frobisher, mais revient à intervalles
réguliers et se marie très bien avec de nombreuses scènes, si bien qu’il
devient le thème central du film».
Le «Sextuor de Cloud Atlas» fait écho à la structure même de
l’intrigue, qui compte divers chapitres, atmosphères et thématiques qui
s’enchevêtrent dans un vaste ensemble de manière rythmée. «Il y a de nombreux
points de vue subjectifs qui s’expriment dans le fi lm, et nous étions à la
recherche d’un point de vue qui puisse les réunir tous pour constituer un
choeur harmonieux», rappelle Tykwer. En s’appuyant sur un sentiment exprimé par Adam
Ewing, dont l’aventure ouvre la saga en 1849, Andy Wachowski précise : «C’est Adam Ewing qui
prononce l’une des dernières répliques du fi lm, ‘Qu’est ce qu’un océan, sinon
une multitude de gouttes d’eau ?’ Et quand on repense à tous ceux qui ont
participé à cette aventure, à la somme d’individus qui ont contribué à cette
oeuvre collective, cela résume bien le tournage de notre fi lm». «Il y a une
idée que j’ai toujours aimée, c’est que la véritable nature de l’immortalité se
trouve dans nos paroles et nos actes qui continuent à se manifester à travers
le temps», ajoute Lana Wachowski. «C’est un concept fascinant, et c’est en
grande partie ce qui nous a donné envie de nous atteler à ce projet. Et c’est
aussi ce que nous voulions aborder dans le fi lm».
(C) 2012 WARNER BROS. ENTERTAINMENT, INC.
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