mardi 3 mai 2016

VENDEUR


Comédie dramatique/Un film sensible

Réalisé par Sylvain Desclous
Avec Gilbert Melki, Pio Marmai, Pascal Elso, Clementine Poidatz, Sara Giraudeau, Christian Hecq, Serge Livrozet, Damien Bonnard...

Long-métrage Français
Durée: 01h29mn
Année de production: 2015
Distributeur: Bac Films 

Date de sortie sur nos écrans : 4 mai 2016


Résumé : Serge est l’un des meilleurs vendeurs de France. Depuis 30 ans, il écume les zones commerciales et les grands magasins, garantissant à ses employeurs un retour sur investissement immédiat et spectaculaire. Il a tout sacrifié à sa carrière. Ses amis, ses femmes et son fils, Gérald, qu’il ne voit jamais. Et sa santé. Quand Gérald vient lui demander un travail pour financer les travaux de son futur restaurant, Serge hésite puis accepte finalement de le faire embaucher comme vendeur. Contre toute attente, Gérald se découvre un don.

Bande annonce (VF)



Ce que j'en ai penséAvec VENDEUR, Sylvain Desclous réalise un premier long-métrage sensible. Il maîtrise son sujet de façon élégante. Il parle du bilan d'une vie, d'une absence affective et d'une implication aussi soudaine que forte dans un rôle ultra important : celui de père. Son personnage central, Serge, interprété par Gilbert Melki, passe par toutes ses étapes. 
Le fait que Serge soit un vendeur toujours sur les routes et devant faire de parfaites performances tous les jours, avec une pression constante, place ce protagoniste dans un cadre assez déplaisant au premier abord, celui des types qui vous vendraient père et mère pour faire du chiffre. Et c'est là où j'ai trouvé la réalisation de Sylvain Desclous très bonne car il fait évoluer son protagoniste pour le sortir de la caricature et l'emmener vers une meilleure version de lui-même, plus touchante et aussi plus intéressante. En tant que spectateur, on assiste à sa prise de conscience et on voit l'armure se fendre lorsque son fils se rapproche de lui.
Gilbert Melki a à la fois la carrure et le charisme qu'il faut pour le rôle de Serge, le super vendeur. Il est crédible et maîtrise parfaitement les petits changements qui marquent l'évolution de son personnage.


Face à lui, Pio Marmai interprète Gérald, un jeune homme un perdu, qui doute et se cherche y compris dans les yeux de son père, Serge. Il apporte un naturel un peu à vif à Gérald. Cela complète bien cette relation père/fils car la nature de Gérald est en opposition avec la personnalité de showman très sûr de lui de Serge.




VENDEUR explore un pan des relations humaines. Il part d'un milieu professionnel particulier pour venir éclairer des aspects très personnels. Le traitement est simple et efficace. Le scénario ne surprend pas vraiment mais l'histoire est bien amenée. J'ai beaucoup aimé les musiques, aussi bien la création originale à base de batterie, que les ballades qui accompagnent les déplacements. VENDEUR est un premier film qui tient ses promesses, je vous conseille donc d'aller le découvrir.


NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

Après la projection du film, le réalisateur Sylvain Desclous et l'acteur Gilbert Melki ont eu la gentillesse de venir répondre aux questions des spectateurs dans la salle. Retrouvez cet échange dans les vidéos ci-dessous (qui contiennent des spoilers) :






ENTRETIEN AVEC SYLVAIN DESCLOUS

Vous avez ancré votre premier long métrage dans un univers rarement exploité au cinéma, celui de la vente. Pourquoi ce choix ?

L’idée m’est venue devant un reportage télévisé ayant pour sujet un vendeur « extra », qui désigne, dans le jargon des cuisinistes, un vendeur qui n’est pas salarié mais qui passe de magasin en magasin. Alors que l’angle du reportage était plutôt celui des réussites matérielles et sociales que ce métier peut engendrer, j’y ai surtout vu le prix à payer. Le vendeur dont on faisait le portrait menait en effet, dans l’exercice de son travail, une existence très solitaire, et à mes yeux, assez triste. Le contraste que montrait le reportage entre la « richesse » de la vie professionnelle de cet homme, faite de rencontres, d’échanges et de challenges, et le néant de sa vie personnelle, m’a frappé. Je me suis alors dit qu’il y avait là matière à faire un film... Pour y avoir fait de nombreuses incursions dans ma vie professionnelle antérieure, je connais un peu le monde de l’entreprise et je sais à quel point les gens peuvent aussi y être malheureux. Une sorte d’insatisfaction personnelle et/ou existentielle, planquée sous le masque de la réussite... En tous cas, il y avait là un bon terreau pour faire un film avec des personnages à la fois ordinaires et singuliers, complexes et attachants.

Comment avez-vous élaboré votre scénario ?

Avant de commencer à écrire, je me suis documenté. J’ai rencontré des vendeurs, j’ai assisté à des séances de coaching où on leur apprend à maximiser leur savoir-faire, je les ai regardés travailler aussi, bref, j’ai passé du temps avec eux. Tout ce « travail d’approche » m’a conforté dans l’idée que oui, il y avait chez certains d’entre eux, les meilleurs, quelque chose que j’avais envie de montrer à l’écran, car certains vendeurs sont de grands comédiens ! Pour décrocher un contrat, ils sont capables de parler pendant des heures avec des clients, de les faire rire, de les émouvoir, de les faire parler aussi... Cela masque parfois une grande solitude.

Serge, le personnage central de votre film, lui, « invente » beaucoup pour oublier la sienne. Il écume les bars, fréquente les prostituées et se drogue à tout va. N’avez-vous pas un peu forcé le trait ?

Je n’ai pas inventé grand-chose... Le milieu de la vente étant un univers plutôt masculin, il est, de fait, assez viril, voire machiste, et s’appuie sur le paraître et la performance. Quant à la drogue, comme dans un grand nombre de professions où il faut tenir physiquement et psychiquement, elle circule. Cela dit, Serge est un personnage de fiction et je n’ai pas voulu en faire l’archétype du vendeur et encore moins une caricature. Son métier sert de cadre. Je voulais montrer que chez certains êtres humains, le côté hâbleur dissimule souvent un grand vide affectif.

De ce solitaire qui s’est endurci au fil des ans, vous avez fait aussi un père. Au fur et à mesure de votre film, Serge va être rattrapé par le sentiment de la paternité, qu’il avait oublié...

Non seulement ça dopait le scénario, mais ça me permettait aussi de rendre Serge encore plus humain, plus fragile encore sous sa carapace de vieux noceur égoïste et fanfaron. On comprend que malgré la passion qu’il a à exercer son métier, il sent confusément qu’il y a perdu son âme. Le fait de revoir son fils et de l’aider, le lui rappelle brutalement. Et il va aller jusqu’au bout pour que ce fils n’emprunte pas la même route que lui. En faisant cela, il va redonner un sens à sa vie... Cette dimensionlà, d’un homme qui retrouve l’émotion et la responsabilité d’être un père, a pris une place essentielle dans le film.

Vous avez particulièrement soigné l’aspect formel de votre film...

Nous devions tourner dans des zones commerciales et des magasins de cuisine, qui ne sont pas, a priori, les lieux les plus esthétiques du monde. Ni les plus gais. Or je voulais donner à ces endroits une sorte de beauté, pour qu’ils génèrent de l’émotion, de la poésie, et de la vie aussi. Un traitement réaliste, avec une caméra à l’épaule accrochée aux basques du personnage, en plans serrés, par exemple, aurait été, je pense, à l’encontre du résultat recherché. Avec mon chef opérateur, on a visionné beaucoup de films, surtout des films américains, comme L’Épouvantail de Jerry Schatzberg ou The Yards de James Gray, ou encore Under the Skin de Jonathan Glazer, qui font souvent la part belle au plan large, et donc au décor. On a traité avec le même soin l’apparence des personnages, leurs voitures, leurs vêtements, les lieux où ils vont. Je ne voulais pas d’une imagerie naturaliste. Cela aurait été une facilité.

Pourquoi avoir choisi Gilbert Melki pour interpréter votre Serge ?

C’est un comédien que j’adore et que je trouve magnifique à filmer. Il a quelque chose que je trouve très rarement chez les autres comédiens, quelque chose d’assez indéfinissable, qui a à voir autant avec son physique qu’avec l’animalité de son jeu. D’autre part, et c’est assez exceptionnel dans le métier, il réussit à être populaire sans encombrer les écrans. Pour le rôle de Serge, je n’avais pas envie d’un acteur dont ça aurait été la quatrième prestation de l’année. Je voulais au contraire que ce soit un comédien qui suscite à la fois le désir et la curiosité du spectateur. Je lui ai envoyé mon scénario, il a dit oui, et on s’est mis au travail. Il a apporté beaucoup d’idées, nous avons réécrit ensemble quelques dialogues, et c’est également ensemble que nous avons trouvé l’allure générale de Serge, ses vêtements et ses accessoires. Comme il n’était pas question d’être réaliste, puisqu’on faisait un film de fiction et non un documentaire, on a cherché à en faire un personnage de cinéma, crédible, mais légèrement décalé. D’où ce look qui évoque un peu un mafieux à l’américaine.

Et Pio Marmaï ?

C’est un comédien pour lequel j’ai aussi beaucoup d’admiration. Je l’ai découvert dans Alyah, et depuis, j’ai suivi sa carrière. On lui confie souvent des rôles de trentenaires sympathiques et hurluberlus. Mais j’ai décelé en lui quelque chose de plus dramatique, un peu fêlé, qui me touche beaucoup. J’ai voulu exploiter ce côté sombre de sa personnalité. Sur le plateau, ça a bien fonctionné entre Gilbert et lui. Ils ont en commun d’être très instinctifs, et de proposer des choses nouvelles à chaque prise. Ce que j’apprécie beaucoup.

Et Sara Giraudeau qui interprète une prostituée ?

Quand elle est arrivée au casting, j’ai su tout de suite que j’allais lui donner le rôle. Parce que justement, avec sa voix si singulière, son physique gracile et son regard d’enfant, on ne l’attend pas dans ce registre. En plus, il émane d’elle une poésie folle...

Il y a beaucoup de seconds rôles dans votre film. Et ce qui frappe, c’est leur singularité et leur grande justesse. Comment les avez-vous choisis ?

Qu’il s’agisse de Pascal Elso, de Clémentine Poidatz, de Bernard Blancan ou de Christian Hecq, pour ne citer qu’eux, j’avais envie de travailler avec des comédiens qu’on ne voit pas beaucoup au cinéma, ou encore une fois, pas dans ce registre. De la même manière, j’ai eu envie de proposer un rôle à Serge Livrozet (le père de Serge) et à Thierry Beinsteingel (un client), qui ne sont pas des comédiens professionnels mais des écrivains que j’aime et respecte énormément.

Quel genre de directeur d’acteurs êtes-vous ?

Je pense être assez précis, dans mes intentions comme dans ma direction. Mais je ne refuse pas les propositions et je laisse de la liberté aux comédiens. D’autre part, je ne rentre jamais dans la dimension psychologique des personnages. Sur le plateau, j’aime quand c’est rapide. Je mise sur la vitesse, le rythme et la gestuelle. Pour cette raison, je ne fais pas beaucoup de prises.

Vous souvenez-vous de votre premier jour de tournage ?
Avez-vous eu le trac ?

Je l’ai surtout eu pendant la préparation. Je me suis demandé si j’aurais le souffle pour tenir les 38 jours du tournage. Mais une fois devant l’obstacle... J’ai sauté. J’étais bien entouré. Il n’y a pas eu de problème majeur.

Votre film n’est pas réaliste. Mais il témoigne d’une certaine réalité du monde du travail...

Quand on me demande ce que raconte mon film, je commence toujours en disant que c’est l’histoire d’un homme qui s’appelle Serge. C‘est dire que ce film est avant tout pour moi le portrait d’un homme qui a sacrifié beaucoup de sa vie à son travail. Après, c’est vrai qu’au-delà de ce portrait, j’ai eu envie de brosser celui d’un monde du travail où l’obsession de la performance et du chiffre a pris le pas sur d’autres valeurs plus essentielles à mes yeux.

La musique occupe une place importante dans Vendeur. Comment s’est effectué le choix des morceaux originaux et comment avez- vous procédé avec votre compositeur ?

Avec Gilbert, quand nous préparions notre film et réfléchissions au personnage de Serge, nous avons beaucoup parlé musique. Non pas tant des musiques que pourrait écouter Serge, mais plus généralement de la couleur musicale du film. Nous sommes tombés d’accord assez rapidement : plutôt de la musique américaine des années 70. Je trouve que ça place le film (tout comme la voiture de Serge, ses costumes ou bien évidemment la lumière) dans un endroit plus singulier et plus cinématographique. Il se trouve que c’est la musique que j’aime et que j’écoute. Le morceau des Zombies, à la moitié du film, c’est Gilbert qui me l’a fait découvrir, et j’en suis tout de suite tombé amoureux. « Cadillac Walk » de Mink Meville, nous l’avions tous deux dans notre iPhone. Quant aux deux chansons de Fred Buscaglione, Gilbert les fredonnait pendant le tournage entre les prises, et je m’en suis souvenu au montage. Elles ont quelque chose d’intemporel. Quant à la musique originale, composée par Amaury Chabauty (avec qui je travaille depuis mes courtsmétrages), elle devait être à la hauteur des morceaux contenus dans le film, mais aussi travailler le thème de Serge. Une petite musique personnelle qui caractérise son personnage, et lui donne parfois des allures de lonesome cowboy. C‘est également Amaury qui a eu l’idée de composer de la batterie sur les séquences de vente. Cela leur donne du rythme mais illustre également ce que je disais plus haut : la vente est un spectacle, et chaque vendeur/comédien entre en scène et joue son numéro.

Avez-vous déjà en tête votre prochain film ?

Oui. Il se déroulera dans un tout autre univers, celui de la politique. Le personnage principal sera une jeune femme d’origine modeste qui intègre un cabinet ministériel. Je suis en début d’écriture...

ENTRETIEN AVEC GILBERT MELKI

Sylvain Desclous signe avec Vendeur son premier film. Pourquoi avez-vous décidé de travailler avec lui ?

En fait, je connais Sylvain depuis 2009. Je l’avais rencontré dans le cadre d’Emergence, une structure créée par Elisabeth Depardieu et qui aide de jeunes réalisateurs... On avait sympathisé et on s’était dit qu’un jour peutêtre, on ferait quelque chose ensemble. Quand il m’a appelé pour Vendeur, je n’ai donc pas été très surpris... Dès la première lecture, j’ai adoré son scénario. On s’est vus. On a discuté, il a accepté les deux ou trois choses que je proposais sur le personnage de Serge que je devais interpréter, et on a décidé de se faire confiance mutuellement. Ce qui est assez rare dans le milieu du cinéma.

Vous êtes un comédien qui a la réputation de ne fonctionner qu’au coup de cœur. Mise à part votre connivence avec Sylvain Desclous, qu’est-ce qui vous a touché dans Vendeur ?

Quand j’ai lu le scénario, Serge, qui travaille dans le milieu des cuisinistes, m’a fait penser immédiatement à un musicien dont la vie aurait été longtemps faite de tournées avec son groupe, de longs voyages sur les routes au volant d’une belle bagnole. J’ai vu aussi en Serge un artiste qui entre en scène dès qu’il se trouve face à un client. Vendre est pour lui comme un jeu, sauf que, contrairement à un chanteur ou un acteur, son texte n’est pas écrit. Il le réinvente à chaque fois. Le script le prend à un moment de son existence où la solitude et la fatigue dûes à ses voyages incessants en font un type blessé, mais qui veut, malgré tout, continuer à gagner de l’argent, et surtout porter beau face à ses collègues. Je me suis dit qu’il y avait un truc fort à composer pour rendre émouvant cet homme qui, pour oublier le naufrage affectif de sa vie, claque son fric n’importe comment, boit beaucoup trop, se drogue à la cocaïne, et va voir des prostituées. Et puis, au-delà de ce personnage qui brûle la chandelle par les deux bouts, j’ai vu dans Vendeur la possibilité de faire un film intéressant, différent, émouvant aussi, sur une profession rarement évoquée au cinéma de cette manière-là, qui évite les clichés.

Comment avez-vous composé votre Serge ?

J’ai pioché dans mes souvenirs ! Parmi les métiers que j’ai exercés avant d’être acteur, j’ai fait celui de vendeur, dans un magasin de vêtements du Sentier. J’avais dix-huit ou dix-neuf ans. À cette époque-là, j’ai connu beaucoup de gens qui faisaient les foires et les marchés, au cours d’interminables tournées. Souvent, c’étaient des gens qui se la jouaient, étaient dans la flambe, mais qui, en fait, avaient une vie d’une grande solitude. La musique que j’écoutais alors, et que j’écoute toujours d’ailleurs, c’était de la musique anglosaxonne, les Rolling Stones, Iggy Pop, David Bowie, Mink DeVille, etc... C’est pour cela que j‘ai souhaité que le Serge du film évolue dans ce genre « d’environnement musical ». Il a un univers un peu clinquant, Serge, avec entre autres, sa BMW vintage, mais je pense que c’est ce qui en fait un personnage de cinéma. En plus, malgré les apparences, c’est quelqu’un qui respecte les autres, ses clients, comme ses collègues de travail. C’est quelqu’un de rigoureux aussi. On peut le percevoir à des petits détails. Ses cols de chemise par exemple. La costumière avait suggéré des cols mous, mais j’ai insisté pour qu’ils soient durs. Cela induit un certain maintien.

Serge est un père aussi, qui va beaucoup sacrifier pour son fils... Cette dimension-là du personnage vous a-t-elle aussi touché ?

Bien sûr. Comme j’ai un fils de 25 ans, je connais bien les affres de la paternité. Quand on est père, on passe son temps à se demander ce qui est bon pour ses enfants. Et parfois, ça empêche de dormir ! Le fait que Serge intervienne pour empêcher son fils de suivre son exemple et le remette dans le droit chemin de sa passion première qui est d’être cuisinier, m’a donc remué. À jouer, non seulement c’était passionnant, mais ça ajoutait à la complexité de Serge. Coïncidence heureuse : il se trouve que ce fils devait être interprété par Pio Marmaï que non seulement j’avais beaucoup aimé, en autres, dans Maestro, mais qui, en plus ressemble physiquement beaucoup à mon propre fils.

Vous êtes-vous spécialement préparé pour ce rôle ?

Non, pas vraiment. J’ai fait comme pour les autres. J’ai compté sur mon instinct, j’ai appris mon texte au rasoir, et j’ai laissé de la place pour l‘amusement, car le plaisir est pour moi une dimension importante de ce métier. Pour Serge, je me suis juste astreint à une bonne hygiène de vie: pas d’alcool, des couchers en deçà de minuit et de grandes nuits de sommeil, pour avoir l’esprit clair le matin. Quand on a de longues répliques à dire, il faut rester calme, et prendre le temps de faire fonctionner sa mémoire en même temps que son imaginaire.

Une fois encore, votre jeu est très minimaliste...

J’ai été très influencé par des comédiens comme Michel Piccoli, Jean-Louis Trintignant ou Charles Denner. Ils peuvent délirer, être drôles à mourir, ils gardent toujours une intériorité que je trouve fascinante. Chez eux, même dans des rôles très physiques, tout passe par le coeur et l’esprit. Trop d’extériorité peut tuer un personnage. Il faut toujours lui garder une part de mystère.

Les comédiens que vous venez de citer ont tous fait du théâtre. Ça ne vous tente pas ?

Si. J’aimerais. Je crois que j’adorerais tout jouer, des classiques comme Feydeau, Labiche ou Tchekhov, mais aussi des pièces contemporaines bien déjantées. Mais personne ne pense à me le proposer. Je voudrais avoir le culot d’Ingrid Bergman qui avait osé glisser un mot dans la poche de Roberto Rossellini pour lui dire qu’elle avait envie de travailler avec lui. Mais je ne suis pas Ingrid Bergman (rire !)...

ENTRETIEN AVEC PIO MARMAÏ

Contrairement à Gilbert Melki, vous ne connaissiez pas Sylvain Desclous. Qu’est-ce qui vous a décidé à participer à l’aventure de son film ?

C‘est d’abord son scénario, que j‘ai trouvé audacieux dans l’écriture, loin de tout stéréotype. Il échappait au naturalisme de la plupart des films qui se déroulent dans un milieu professionnel très défini. Ça peut paraître curieux, mais j’ai surtout été touché par le personnage de Serge. Je trouvais qu’il dégageait quelque chose de fort, de singulier, de pas encore beaucoup exploité au cinéma. Ce n’est pas moi qui allais l’interpréter, mais j’allais jouer face à lui... Et ce face à face m’intéressait. Ensuite j’ai rencontré Sylvain et je me suis tout de suite très bien entendu avec lui. C‘est indispensable, la bonne entente avec le réalisateur du film qu’on va tourner. En tous cas pour moi, qui déteste les conflits et les ambiances tendues. Sur les plateaux, je ne peux « fonctionner » qu’à la confiance. Avec Sylvain, l’accord a été parfait. En plus, Vendeur étant un premier film, son « montage » a demandé à tous ses « participants » un vrai investissement. Quand il y a enjeu, il y a motivation. Ça booste, après pour jouer !

Vous incarnez un fils qui va retrouver son père... Dans votre parcours de comédien, la relation père-fils est une relation que vous avez jusqu’à présent très peu explorée...

Je n’avais pas interprété de fils depuis Le premier jour du reste de ta vie, en 2008. Et ça avait été, je crois, la première fois. Oui, bien sûr, cette composante-là de mon personnage m’a plu. Pour l’acteur que je suis, elle donnait de la matière de jeu. Mais exprimer de but en blanc un sentiment filial n’est pas si facile. Surtout quand on ne connaît pas son partenaire. Ce qui était le cas puisque je n’avais jamais joué avec Gilbert Melki. On a eu de la chance. Le scénario nous a facilité la tâche puisque les rapports du père et du fils, agressifs et presque inexistants au début, se construisent au fil des scènes. On a donc eu du temps Gilbert et moi pour s’apprivoiser et bâtir notre relation.

Quand vous abordez un nouveau registre, comme c‘est le cas avec Vendeur, quel sentiment éprouvez-vous ?

De l’émulation. D‘abord parce que je n’ai pas envie de décevoir les réalisateurs qui m’ont imaginé dans un nouveau type d’emploi. Ensuite parce que je préfère infiniment plus l’exploration à la redite. Remarcher dans les pas d’un rôle déjà abordé m’ennuie. M’embarquer dans l’inconnu me stimule. J’aime l’intranquillité...

Comment avez-vous préparé ce rôle ?

J’ai surtout travaillé sur la transformation mentale du personnage. Au départ en situation d’échec, Gérald est très renfermé, très dans le non-dit, et puis petit à petit, grâce à son métier de vendeur, qui nécessite bagout et aisance, on va le voir reprendre du plaisir à vivre. Il va retrouver son énergie et son aplomb d’avant. En fait, dans cette reconquête de luimême, ce ne sont pas les techniques de vente qui vont le faire évoluer, c’est l’exercice réussi d’un métier. C’est ça que j’ai voulu montrer. Je n’ai donc pas eu besoin de faire un stage chez des vendeurs (rires !). Cet épanouissement progressif d’un personnage a été assez jouissif à jouer. Ça demande de la finesse car, mine de rien, c’est assez casse-gueule. Mais quand ça marche, c’est formidable.

Quelle a été l’ambiance sur le tournage de Vendeur, qui, pour Sylvain, était un premier film ?

Franchement très agréable. Le fait qu’on tourne dans des zones industrielles et commerciales, qui ne sont pas ce qu’il y a de plus fun, a soudé très vite l’équipe. On s’est serré les coudes. En plus Sylvain, qui avait l’expérience des moyens métrages était très rassurant. Il savait précisément ce qu’il voulait. Donc on le suivait. Jamais, sur ce tournage je n’ai eu l’impression ni de flotter, ni, encore moins, d’aller dans le mur. Quand j’ai vu Vendeur, j’ai été surpris. Outre que par moments, il me fasse penser à un western -sans doute à cause de la musique- je trouve qu’il s’en dégage une certaine forme de poésie, qui ne m’était pas apparue à la lecture du scénario.

Vous êtes revenu récemment au théâtre. Les planches nourrissent-elles l’acteur que vous êtes ?

J’ai débuté au théâtre. Et puis, quand j’ai commencé -par hasard- à tourner, je l’ai laissé tomber, croyant bêtement, que le cinéma était plus important. En fait, au fond de moi je crois que la vraie raison est que j’avais pris peur. Au théâtre, on s’expose, on se met à nu... Je suis content d’avoir repris. Le côté physique de la scène me correspond bien. Quand on est une équipe de quinze comédiens, comme dans Roberto Zucco, il faut envoyer ! Ça donne un plaisir indicible. Avec le recul, je regrette d’avoir arrêté si longtemps. J’ai d’ailleurs l’intention de refaire du théâtre tous les deux ans. Ce qui ne m’empêchera pas de continuer le cinéma.

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