vendredi 2 septembre 2016

FRANTZ


Drame/Un beau film émotionnellement fort

Réalisé par François Ozon
Avec Pierre Niney, Paula Beer, Ernst Stötzner, Marie Gruber, Johann von Bülow, Anton von Lucke, Cyrielle Clair, Alice de Lencquesaing...

Long-métrage Français/Allemand
Durée: 01h53mn
Année de production: 2016
Distributeur: Mars Films 

Date de sortie sur les écrans allemands : 29 septembre 2016
Date de sortie sur nos écrans : 7 septembre 2016


Résumé : Au lendemain de la guerre 14-18, dans une petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France. Mais ce jour-là, un jeune Français, Adrien, est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette présence à la suite de la défaite allemande va provoquer des réactions passionnelles dans la ville.

Bande annonce 


Ce que j'en ai pensé : FRANTZ est un beau film. J'ai particulièrement aimé son aspect à l'ancienne, sublimé par le choix du noir et blanc. François Ozon, le réalisateur, a filmé sur pellicule. Certaines des images sont parfois un peu floues comme dans les vieux films d’antan. Le fait que la couleur n'arrive que par intermittence pour souligner des moments particuliers donne de la profondeur aux sentiments. Le film est dénué d'artifices, François Ozon filme dans la simplicité, mais avec une grande précision, pour laisser les expressions des acteurs nous dicter ce qu'ils ressentent. L'histoire tourne autour des mensonges, les petits, les grands, ceux qui protègent, ceux qui font mal. Et au milieu de ces vérités cachées, c'est à nous de déduire ce que les personnages camouflent réellement sous leurs ambiguïtés.
En toile de fond, il y a la Première Guerre mondiale. J'ai trouvé l'ambiance, les décors, les costumes et les ressentiments remarquablement bien décrits. Cela donne à nos générations qui n'ont pas connu la guerre, une bonne idée de ce à quoi l'après-guerre devait ressembler. Les blessures physiques, les gueules cassées, les meurtrissures psychologiques, les paysages ravagés, tout y est. Et cela influence le déroulement des relations entre les protagonistes. Les horreurs et les dégâts de cette guerre particulièrement violente et meurtrière sont ici des éléments indissociables des choix et des émotions des personnages.
Les deux acteurs principaux sont superbes.
Paula Beer est une révélation pour moi. Elle est magnifique dans le rôle d'Anna, une jeune femme en deuil qui doit faire face à des sentiments inattendus dans un contexte compliqué.


Pierre Niney est touchant dans le rôle d'Adrien dont il fait ressortir à merveille la fragilité et la sensibilité à fleur de peau.


Ernst Stötzner, dans le rôle du Dr Hoffmeister, et Marie Gruber, dans le rôle de Magda, forment un couple de parents dont la peine se comprend. Ils se complètent tout à fait, cela les rend très crédibles.


FRANTZ est un film en apparence calme qui dépeint un contexte et des sentiments complexes. Il est émotionnellement fort et très fin dans sa construction. C'est un film qui sort des sentiers battus, qui ose des points de vue inhabituels dans notre cinéma. Il est très intéressant à découvrir.


NOTES DE PRODUCTION 
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

Après la projection du film, le réalisateur,  François Ozon et les acteurs, Paula Beer et Pierre Niney, ont eu la gentillesse de venir répondre à nos questions. Retrouvez cet échange dans les vidéos ci-dessous. Attention, elles contiennent de nombreux spoilers, je vous déconseille donc fortement de les regarder avant d'avoir découvert FRANTZ au cinéma.







Entretien avec François Ozon 

D’où est venu le désir de réaliser FRANTZ ? 

Dans une époque obsédée par la vérité et la transparence, je cherchais depuis longtemps à faire un film sur le mensonge. En tant qu’élève et admirateur d’Eric Rohmer, j’ai toujours trouvé les mensonges très excitants à raconter et à filmer. Je réfléchissais donc autour de cette thématique quand un ami m’a parlé d’une pièce de théâtre de Maurice Rostand, écrite juste après la Première Guerre mondiale. En me renseignant un peu plus sur cette pièce, j’apprends qu’elle a été adaptée au cinéma en 1931 par Lubitsch sous le titre BROKEN LULLABY. Ma première réaction a été de laisser tomber. Comment passer après Lubitsch ?! 

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ? 

La vision du film de Lubitsch m’a rassuré, car il est très proche de la pièce et adopte le même point de vue, celui du jeune Français. Mon désir au contraire était d’être du point de vue de la jeune fille, qui comme le spectateur ne sait pas pourquoi ce Français vient sur la tombe de son fiancé. Dans la pièce et le film, nous savons dès le début son secret, après une longue scène de confession auprès d’un prêtre. Finalement ce qui m’intéressait, c’était plus le mensonge que la culpabilité. Le film de Lubitsch est magnifique, à revoir dans le contexte pacifiste et idéaliste de l’après-guerre. J’ai d’ailleurs gardé certaines scènes qu’il a créées en adaptant la pièce. C’est son film le plus méconnu, son unique film dramatique – et aussi son plus gros échec. Sa mise en scène est comme d’habitude admirable et pleine d’inventivité mais en même temps, c’est le film d’un cinéaste américain, d’origine allemande, qui ne sait pas qu’une Seconde Guerre mondiale se profile et qui veut faire un film optimiste de réconciliation. La guerre de 14-18 avait été un tel massacre que beaucoup de voix politiques et artistiques, aussi bien en France qu’en Allemagne s’étaient élevées pour défendre un idéal pacifiste : « Plus jamais ça ». Mon point de vue en tant que Français, n’ayant connu aucune des deux guerres, allait forcément être différent. 

Vous avez donc rajouté toute une seconde partie à l’histoire originale. 

Dans la pièce et le film de Lubitsch, le mensonge n’est pas révélé aux parents, le Français est accepté dans la famille, il prend la place du mort, il joue du violon pour eux et tout se termine bien. Dans mon film, Adrien essaye aussi de s’intégrer à la famille mais à un moment, le mensonge et la culpabilité sont trop forts et il révèle tout à Anna. Et contrairement au film de Lubitsch, Anna ne peut l’accepter qu’à la suite d’un long parcours initiatique. D’où cette seconde partie, qui s’ouvre sur le départ d’Adrien et la dépression d’Anna. 

Contrairement aux mélos classiques, Adrien ne tombe pas amoureux d’Anna. En tout cas, il n’est pas prêt à l’assumer… 

Anna et Adrien partagent la mort de Frantz, mais peuvent-ils pour autant partager des sentiments amoureux ? Elle le pense dans un premier temps, puis face à la vérité, cela lui semble impossible. Finalement, elle finit par y croire à nouveau, jusqu’à ce qu’elle se retrouve face une autre réalité en France. Ce qui est beau chez Anna, c’est son aveuglement, elle sait ce qu’a fait Adrien, mais sa vraie souffrance est de ne pas assumer son désir pour lui – et finalement elle part le rejoindre, veut croire à leur amour malgré tout. Adrien en revanche ne sait pas où est son désir. J’avais envie de jouer sur des thématiques classiques du mélodrame comme l’idée de la culpabilité et du pardon pour ensuite bifurquer sur une désynchronisation des sentiments. 

À force de s’inventer une amitié avec lui, on se dit qu’Adrien apprivoise une forme de désir pour Frantz… 

Comme Anna le dit à la mère d’Adrien : « Ce n’est pas moi qui tourmente votre fils, madame, c’est Frantz. » Frantz, en tant que soldat allemand, mais aussi en tant que double de lui-même, en tant qu’ami ou amant potentiel… 

« N’ayez pas peur de nous rendre heureux », dit la mère à Adrien avant qu’il ne commence à jouer du violon… 

Les parents ont un tel désir d’accueillir Adrien, de croire à cette fiction d’amitié franco-allemande, à la possibilité qu’il puisse prendre la place de leur fils disparu, qu’ils acceptent inconsciemment le mensonge. Tout se joue sur un malentendu auquel Adrien s’abandonne. Et c’est une manière pour lui d’apprendre à connaître Frantz, de leur faire du bien à eux et à lui-même. Un mensonge réparateur. Ce qui est fréquent dans toutes les histoires du deuil : on prend du plaisir et on a besoin de reparler de la personne disparue tout en l’idéalisant. Pour Adrien, leur procurer ce plaisir est une manière aussi de calmer pour un instant sa propre culpabilité. 

Adrien est un personnage complexe… 

Adrien est un jeune homme très tourmenté et perdu. Perdu dans ses désirs, dans sa culpabilité, dans sa famille. Au début, on en sait peu sur lui, il est assez mystérieux. Et plus le film avance, plus il se révèle décevant aux yeux d’Anna. Le traumatisme de la guerre l’a laissé dans une forme d’impuissance, il manque de courage et se morfond dans une névrose qu’il ne peut dépasser. Son obsession ou son amour pour Frantz sont devenus mortifères et il ne souhaite pas s’en extraire. 

D’une certaine manière, c’est quand Adrien part d’Allemagne qu’Anna commence vraiment à faire son deuil de Frantz : elle dépose un portrait de lui sur sa sépulture, tombe en dépression… 

Jusque-là, Anna a tenu pour les parents de Frantz. Le père lui dit à un moment : « Merci de nous avoir soutenus, maintenant c’est à nous de t’aider. » Mais avec le mensonge et le départ d’Adrien, c’est comme si toute la douleur remontait, elle revit l’abandon de manière encore plus cruelle. Peut-être aussi parce qu’il s’est incarné de manière plus érotique avec Adrien. 

Plus qu’un travail de deuil et de pardon, c’est la découverte et l’apprentissage de l’amour qui sont davantage en jeu pour Anna… 

Le scénario du film est construit comme un Bildungsroman, comme un roman d’apprentissage. Il ne nous emmène pas dans un monde de rêve ou d’évasion mais il suit l’éducation sentimentale d’Anna, ses désillusions par rapport à la réalité, au mensonge, au désir, à la manière d’un conte initiatique. Anna était destinée à Frantz, c’était un amour romantique, de jeunesse, peut-être de convenance, sans doute jamais consommé. Mais cet élan a été brisé. Et un autre prince charmant arrive soudain miraculeusement, plus passionnel. Il n’est toujours pas la bonne personne, mais elle fera grâce à lui un apprentissage des grands événements de toute existence (la mort, l’amour, la haine, l’altérité…). 

Le début du film se concentre sur Anna, que l’on regarde déambuler entre la tombe de Frantz et sa maison… 

J’aime beaucoup filmer les trajets, c’est une manière concrète d’incarner l’idée du parcours des personnages et de placer le film et les protagonistes dans un lieu géographique. C’était important de montrer cette petite ville allemande, ces trajets de la maison jusqu’au cimetière, puis jusqu’au Gasthaus. Regarder ce trajet, c’est s’interroger sur le personnage, comprendre son cheminement. Au départ, Anna fait un peu du sur place, elle n’arrête pas de tourner en rond dans cette petite ville. Pour ensuite aborder le grand voyage qui l’amène en France et lui fait traverser les apparences… 

On retrouve dans FRANTZ beaucoup de vos thématiques – le deuil de SOUS LE SABLE, le plaisir ambigu de raconter des histoires de DANS LA MAISON, l’éducation sentimentale d’une jeune femme comme dans JEUNE & JOLIE… Mais en même temps, vous explorez beaucoup de nouvelles choses. 

Inconsciemment, plusieurs de mes obsessions sont peut-être là. Mais les aborder dans une autre langue, avec d’autres acteurs, dans d’autres lieux que la France, oblige à se renouveler et j’espère qu’elles prennent ainsi une nouvelle force, une nouvelle dimension. Il y avait beaucoup de défis excitants à relever dans ce film, je n’avais jamais filmé la guerre, des combats, une petite ville allemande, Paris en noir et blanc, en allemand… Une des choses les plus importantes pour moi était de raconter cette histoire du point de vue allemand, du côté des perdants, de ceux qui sont humiliés par le traité de Versailles et raconter que cette Allemagne-là est aussi le terreau d’un nationalisme naissant. 

Déjà avec GOUTTES D’EAU SUR PIERRES BRÛLANTES, adapté de Fassbinder, on sentait votre intérêt pour l’Allemagne… 

L’Allemagne est le premier pays étranger que j’ai découvert enfant et j’en ai gardé une certaine fascination, ainsi qu’un intérêt constant pour sa langue, son histoire et sa culture. Depuis longtemps j’avais envie de raconter le côté fraternel de ces deux peuples européens, l’amitié qui peut les lier, et ce film en était la parfaite occasion. Je me débrouille suffisamment en allemand pour tenir une conversation et diriger une équipe. Ensuite, j’ai fait confiance aux acteurs, je leur ai demandé de l’aide et des conseils pour les dialogues. Ils étaient très coopérants. 

Comment avez-vous envisagé la reconstitution historique ? 

Très différemment de celle d’ANGEL, où je cherchais à reconstituer le monde de cette jeune fille, tel qu’elle le rêve. Pour FRANTZ, je n’avais pas cette volonté de stylisation, au contraire il fallait être ancré dans un réalisme fort. Cette période est idéale car nous avons accès à beaucoup de documents photographiques et cinématographiques. Mais très vite, je me suis rendu compte que je n’avais pas le budget nécessaire pour une reconstitution aussi précise que je le souhaitais. En repérages, avec Michel Barthélémy, le chef décorateur, nous trouvions des décors intéressants mais qui nécessitaient des interventions trop onéreuses. Et un jour, j’ai eu l’idée de passer nos photos de repérages en noir et blanc. Miraculeusement tous nos décors fonctionnaient parfaitement et grâce au noir et blanc nous gagnions paradoxalement en réalisme et en véracité, puisque toutes nos références de cette époque étaient en noir et blanc. Ce fut un choix artistique et économique difficile à faire accepter à la production, mais finalement je crois que le film y gagne beaucoup. 

D’où est venue l’idée d’injecter des touches de couleurs à certains moments ? 

Travailler en noir et blanc pour la première fois était un défi excitant, mais en même temps un crève-coeur, car ma pente naturelle m’a toujours fait pencher vers la couleur et le technicolor. Il me semblait donc difficile d’y renoncer pour certains décors et certaines scènes. Notamment pour la scène de promenade dans la nature, qui faisait référence à la peinture romantique allemande de Caspar David Friedrich. J’ai donc décidé d’utiliser la couleur comme un élément de mise en scène et de l’intégrer aux scènes de « flash back », de mensonges ou de bonheur, comme si la vie revenait soudain dans cette période de deuil, et tel le sang qui coule dans les veines, la couleur viendrait irriguer les plans en noir et blanc du film. 

Où avez-vous tourné la partie allemande ? 

Nous avons tourné en plein centre de l’Allemagne, à environ 200 kilomètres de Berlin, à Quedlinburg et à Wernigerode pour la petite ville - et à Görlitz, à la frontière polonaise, pour le cimetière. En fait, ce sont des lieux de l’ex-RDA qui sont presque restés dans leur jus et n’ont pas été trop détruits ou trop rénovés au contraire des villes de l’Ouest. 

Comment avez-vous trouvé Paula Beer ? 

J’ai fait un casting en Allemagne, rencontré beaucoup de jeunes comédiennes. Dès que j’ai vu Paula, j’ai trouvé qu’elle avait quelque chose de mutin et en même temps de très mélancolique. Elle était très jeune, 20 ans, mais il y avait une maturité dans son jeu. Elle pouvait à la fois incarner l’innocence d’une jeune fille et la force d’une femme. Sa palette de jeu est très large, elle incarne tout de suite les choses et puis elle a une photogénie incroyable. 

Et le choix de Pierre Niney ? 

J’avais remarqué sa vivacité et son charme lunaire dans J’AIME REGARDER LES FILLES. Et je l’avais également apprécié au théâtre, à la Comédie Française, et dans le rôle d’Yves Saint-Laurent. Pierre est un grand acteur de composition, capable de jouer sur plusieurs registres, notamment la comédie dont il a naturellement le rythme, mais il est aussi à l’aise dans un registre plus dramatique et tourmenté, ce qui était important pour incarner Adrien. Il a aussi cette qualité, que peu d’acteurs masculins ont à son âge, de ne pas avoir peur de mettre en avant sa féminité, sa fragilité, ses failles jusque dans sa voix et dans sa manière de bouger. 

Comment avez-vous choisi les parents allemands ?

J’avais repéré Ernst Stötzner, qui joue le père, dans un film d’Hans-Christian Schmid. J’aime beaucoup son visage et l’autorité naturelle qu’il dégage dans sa prestance et sa voix. Avec sa barbe blanche, il représente la loi, la rigueur et la sévérité allemande. En le voyant en noir et blanc, j’avais l’impression parfois d’avoir en face de moi un acteur de Dreyer ou Max von Sydow dans un film de Bergman. Pour le rôle de la mère il me fallait, pour compenser la droiture et la raideur du père, une actrice aux antipodes, qui puisse dégager une chaleur maternelle, plus humaine, plus latine. Marie Gruber a été une vraie révélation lors du casting, j’ai d’abord aimé sa voix, puis son humanité, son tempérament et son regard, qui me faisaient penser à Giulietta Masina. 

Et Johann von Bülow dans le rôle de Kreutz ? 

Il a le rôle ingrat du « méchant » du film. Il représente cette petite bourgeoisie allemande nationaliste qui se sent humiliée et rêve de revanche. En même temps, il est amoureux d’Anna et il souffre de son rejet. Johann était parfait, car il a une grande finesse de jeu et d’ambiguïté pour amener ces deux choses à la fois, sans tomber dans la caricature. 

Et pour jouer la mère d’Adrien ? 

Je voulais une très belle femme pour incarner cette femme aristocratique, qui a un côté araignée et mère castratrice. On sent qu’elle a tissé sa toile, qu’elle manipule son entourage, qu’elle n’est dupe de rien et qu’elle veut garder à tout prix son fils pour elle, l’éloigner de l’« Allemande ». Cyrielle Clair était parfaite pour incarner, sous une élégance naturelle et une froideur apparente, l’aspect monstrueux de cette mère incestueuse. 

Fanny, la fiancée d’Adrien a un petit côté suffragette… 

Fanny est un personnage ambigu, on ne sait pas sur quel pied danser avec elle. Sous des apparences de fragilité et d’amabilité, elle sait ce qu’elle veut : garder elle aussi Adrien. Elle a du caractère, elle est habillée, coiffée de façon beaucoup plus moderne, très garçonne. Face à elle, Anna se sent comme une campagnarde, encore plus étrangère, renvoyée à son côté « petite Allemande ». Le film s’est construit beaucoup en miroir, il joue sur les contrastes entre Anna et Fanny, la France et l’Allemagne, la maison de Frantz et le château d’Adrien, les chants patriotiques des deux pays, etc… 

Et la musique de Philippe Rombi ? 

Tout le début du film, il y a une austérité, aussi bien dans la mise en scène que dans l’utilisation de la musique, très peu présente et discrète, jouant sur des tensions dramatiques. Peu à peu, le romanesque arrive, avec l’histoire d’amour qui naît, les espoirs d’Anna, puis ses désillusions. La musique suit son trajet, avec de rares bouffées de romantisme dans l’esprit des compositeurs de l’époque comme Mahler et Debussy. 

Et le prénom Frantz qui donne son titre au film ? 

C’est venu naturellement, tel un écho, qui sonne comme France… En allemand, le prénom s’écrit sans « t », c’est une faute très française qui amusait et charmait les Allemands, ce qui m’a encouragé à ne pas la corriger. Je me suis raconté que c’était Frantz qui avait rajouté ce « t », car il est un grand francophile. 

À la fin du film, Anna perpétue le mensonge pour protéger les parents de Frantz mais elle en a fini avec les faux semblants et accède à cette autre forme de mensonge qu’est l’art en contemplant « Le Suicidé » de Manet… 

Il était important pour moi de terminer sur ce tableau. L’art est aussi un mensonge, un moyen de supporter la souffrance. Mais c’est un mensonge plus noble, virtuel, qui peut nous aider à vivre. Dans la pièce de Rostand, on parle d’un tableau de Courbet, avec un garçon à la tête renversée en arrière. J’ai cherché dans les peintures de Courbet, mais je n’ai trouvé que des oeuvres trop romantiques, qui n’étaient pas assez violentes à mon goût. Et puis, en faisant des recherches sur des représentations de morts, je suis tombé sur ce tableau très méconnu de Manet, « Le Suicidé », d’une modernité incroyable. Après l’avoir montré en noir et blanc, je tenais à le révéler dans toutes ses couleurs, particulièrement le rouge du sang, qui tache la chemise blanche du suicidé. Brusquement, il prend toute sa force et sa puissance et il permet de se remémorer tout le drame qui s’est joué, de repenser à Frantz et à Adrien. Et à toute cette époque morbide de l’après-guerre, avec deux millions de morts en France et trois millions en Allemagne, dont les survivants sont rentrés mutilés, traumatisés, tentés par le suicide. Pour moi, ce poids de l’Histoire était très important, il fallait qu’Anna se retrouve face à ce tableau qui y fait écho – même si, en réalité, ce tableau datant de 1881 évoque un acte passionnel. Enfin les choses sont claires, à distance, projetées devant elle. 

« Il me donne envie de vivre », dit Anna en le regardant…

J’aime ce paradoxe : face à ce tableau d’un suicidé, elle a enfin traversé le miroir, malgré la guerre, les drames, les morts, les mensonges… Elle a grandi, surmonté des épreuves, parcouru un long trajet et acquis une grande force. À travers Frantz et Adrien, elle a fait le deuil d’un amour perdu et le deuil d’un amour fantasmé. Peut-être sera-t-elle maintenant capable d’aimer et de rencontrer la bonne personne. 

Entretien avec Pierre Niney 

Quelle a été votre réaction à la lecture du scénario de FRANTZ ? 

J’ai été attrapé par l’histoire, par ces faux-semblants qui m’ont emmené sur de fausses routes. Le scénario nous ment comme les personnages du film ne cessent de mentir. J’étais d’autant plus surpris que je ne m’attendais pas à une telle intrigue de la part de François Ozon. Je trouve captivante cette thématique du mensonge salvateur ou destructeur. Et puis j’ai immédiatement aimé le personnage d’Adrien, cette histoire d’amour impossible et le cadre « classique » du film, dans lequel le nationalisme latent d’après-guerre fait écho à quelque chose de très actuel et très moderne.

Comment s’est passée la rencontre avec François Ozon ? 

Très simplement. Nous avons fait une première lecture du scénario. Très vite nous étions dans le travail, ensemble. François a un univers très personnel et en même temps une grande lucidité sur ce qui fonctionne ou pas. J’ai beaucoup aimé cette première rencontre-lecture car j’ai senti que malgré son côté très construit, le scénario restait une matière vivante, modifiable et transformable au fil de nos impressions communes et de nos envies. 

Et la rencontre avec Paula Beer ? 

Nous avons fait une journée d’essais avec plusieurs actrices sur la scène du lac en Allemagne et la scène du baiser avorté dans la famille d’Adrien à la fin du film. Paula fut une évidence. Elle avait la grâce et la sincérité de son personnage. C’est une immense actrice. Sa prestation dans le film est remarquable et reste en nous très longtemps. Elle a une classe et une simplicité très fortes, elle est très directe dans le jeu. Le travail avec elle a été facile et riche. 

Comment avez-vous appréhendé votre personnage ? 

Pour moi le personnage d’Adrien est un être très sensible que la guerre a brisé. Il était important que le mystère de ce personnage se traduise par son aspect torturé et sa fragilité mais ça a demandé un travail sur le fil, ne pas trop en révéler dans la première partie du film, tout en gardant toujours à l’esprit l’immense trauma que ce jeune homme a connu. J’ai beaucoup regardé les peintures d’Egon Schiele avant et pendant le tournage. Je trouvais dans ses portraits de jeunes hommes une blessure qui me parlait d’Adrien. Le rôle était un défi car j’ai dû apprendre le violon, l’allemand… et la valse ! Le violon fut une épreuve très difficile, car il s’agissait de trois morceaux assez compliqués. Et François tenait à pouvoir filmer mes deux mains, les arpèges et l’archet en même temps. J’ai beaucoup travaillé avec un coach pour arriver au résultat final. 

Et jouer en allemand ? 

Le fait de jouer en allemand a aussi été un vrai défi. Paula Beer m’a beaucoup aidé. J’étais en tournage sur un autre film avant de débuter FRANTZ, et sur le plateau j’écoutais sur mon iPod des enregistrements qu’elle m’envoyait tous les jours de mes dialogues. C’était mieux que tout, car elle a une voix très douce et qu’elle est une excellente actrice. C’était très inspirant, surtout pour s’attaquer à une langue qui a parfois mauvaise réputation en termes de sonorités et de fluidité. Au bout du compte, j’ai adoré jouer en allemand. La scène où Adrien raconte sa visite fantasmée du Louvre avec Frantz est l’une des scènes que j’ai préféré tourner. Elle instaure un lien très fort entre le français et l’allemand, ce qui est aussi l’un des sujets du film. 

« N’ayez pas peur de nous rendre heureux », dit la mère de Frantz à Adrien avant qu’il ne joue du violon. Comment interprétez-vous cette phrase ? 

Elle est pour moi une des raisons du mensonge qu’entreprend Adrien. La famille Hoffmeister et Anna ont un besoin évident d’amour et de vie dans ce moment douloureux de deuil. C’est ce qui pousse Adrien à inventer cette amitié avec sa victime. Il se sent le besoin de leur donner cela, de les rendre à nouveau heureux, de leur mentir pour les faire revivre, même un instant. Je trouve cette vision salutaire du mensonge très intéressante. 

Pour Adrien, Frantz incarne la culpabilité mais il est peut-être aussi celui qui lui révèle une forme de désir homosexuel. Comment avez-vous approché cette ambiguïté de votre personnage ?

J’adorais cette ambiguïté et je voulais égrainer dans le parcours de mon personnage des détails qui poseraient cette question au spectateur, l’ouvriraient vers ce possible désir d’Adrien envers Frantz. Pour moi, il a vécu un réel traumatisme et a appris à aimer Frantz. Maintenant, est-ce un amour fraternel ou un amour miroir car il reconnaît sa détresse dans les yeux de Frantz ? Ou un amour passionnel ? L’une des grandes forces du film est de renfermer, sous sa beauté classique, beaucoup d’interrogations sur Adrien. De même quand nous découvrons la mère et sa fiancée à la fin du film. Quelles sont leurs intentions, quelle est la possible malveillance de cette mère sur son fils ? 

Pour votre rôle, vous êtes-vous documenté sur la jeunesse sacrifiée sur les champs de la guerre de 14-18 ? 

Pour comprendre entièrement le choc vécu par Adrien, je me suis replongé dans ce que je savais être une guerre abominable. Les archives témoignent avec tellement de force des dégâts humains et psychiques qu’ont connus les soldats de 14-18. Allemands ou Français. Comme Adrien, énormément de soldats se sont retrouvés, très jeunes, jetés dans cette guerre d’une violence inouïe. Ce qui est bouleversant c’est aussi de voir que l’absurdité et l’horreur de cette guerre leur sont apparues parfois si clairement que des cessez-le-feu spontanés ont été proclamés entre les tranchées. Le film raconte aussi cela : comment une nation pouvait envoyer ses fils pacifistes à la mort. 

Comment s’est passé le tournage avec François Ozon ?

J’ai beaucoup aimé la façon de travailler de François. Il est très attentif aux acteurs, il travaille très vite pour laisser le temps au jeu, donc on se sent privilégié et on se donne du mal en retour. J’ai adoré la façon qu’il avait d’être avec nous dans les scènes. Pour commencer, il cadre lui-même tous ses plans. Il n’est donc pas assis dans une tente à côté en regardant son écran. Non, il a l’oeil rivé sur nous et murmure des indications pendant les scènes, avec beaucoup de douceur : « Ferme les yeux », « Regarde-la »… J’avais parfois la sensation d’une répétition de théâtre où tout était possible, ouvert. 

Adrien a un côté fantomatique. Ce n’est pas lui qui a été tué à la guerre mais quelque chose est mort en lui. Notamment peut-être sa capacité à aimer ? 

Pour moi, il a toujours cette capacité en lui. C’est d’ailleurs ce qu’il dit dans la scène d’aveux au cimetière : en découvrant sa fiancée, sa famille et leur vie il a appris a aimer Frantz de plus en plus. Et aussi Anna, indirectement et maladroitement, comme en témoigne leur premier et dernier baiser sur le quai de gare à la fin. Il est attiré par elle, il perçoit une possible histoire qu’ils pourraient vivre ensemble. Mais il est brisé, il connaît sa faute et ne l’oubliera jamais. Il ressent l’amour, mais il ne se permettra pas de le vivre. Son retour chez sa mère et son mariage avec cette amie d’enfance peuvent être perçus comme une expiation, une punition qu’il s’inflige à lui-même. J’aime que le film soit riche de toutes ces pistes et doutes sur les réelles motivations de chaque personnage, même les plus secondaires. 

Entretien avec Paula Beer 

Comment s’est passée la rencontre avec François Ozon ?

J’étais en vacances, quand j’ai été contactée par la production. Trois jours plus tard, on m’a envoyé deux scènes et le lendemain je passais le casting. Je ne connaissais pas le scénario et c’était ma première audition en français. La situation était donc très bizarre pour moi. Mais dès que je me suis retrouvée en face de François, ça s’est très bien passé. Nous nous sommes bien entendus, nous avons travaillé sur les deux scènes ensemble et il m’a parlé de l’histoire, d’Anna, du film qu’il voulait faire. Deux semaines plus tard, j’étais à Paris pour une audition avec Pierre Niney. Et quelques jours plus tard, François m’appelle pour me dire que c’est moi qui vais jouer Anna.

Quelle a été votre réaction à la lecture du scénario ? 

C’est excitant de lire un scénario en sachant qu’on va jouer un tel personnage. J’ai été très émue par l’histoire. Par toutes les questions posées dans le scénario et les thèmes importants abordés : l’honnêteté, l’amour, la perte, le mensonge, le lâcher-prise, la volonté, l’envie de vivre - et tout ça dans un grand calme, avec une forte vulnérabilité et malgré cela une certaine légèreté qui imprègne la relation entre Anna et Adrien et qui la rend si complexe. L’évolution d’Anna elle-même est bouleversante. Au début, c’est un être paisible qui, suite à la mort de son fiancé, s’abandonne elle-même jusqu’à un certain point. C’est seulement lors de la rencontre avec Adrien qu’elle redécouvre la joie de vivre, se rappelle l’époque d’avant la mort de Frantz. Là, elle s’épanouit littéralement. Mais du coup, elle essuie un revers d’autant plus fort lorsqu’elle apprend la vérité. Dans la deuxième partie de l’histoire, elle développe une force remarquable. J’étais très heureuse de pouvoir jouer ce rôle merveilleux. 

Comment avez-vous appréhendé ce personnage qui fait l’apprentissage de l’amour et passe de la jeune fille à la femme ? 

Comme Anna évolue énormément au cours de l’histoire, c’était important pour moi de bien saisir les différentes étapes qu’elle traverse. Comment la guerre a-t-elle transformé sa vie ? Comment était-elle avant ? Quelle influence Adrien a-t-il sur elle ? Quels désirs s’éveillent en elle, à ce moment-là ? D’ailleurs, les relations avec son entourage étaient décisives pour moi. Tout comme la douleur qui l’accompagne depuis la mort de Frantz et, en contraste, le désir de vivre et d’aimer à nouveau. 

L’une de ces étapes a lieu quand elle apprend le mensonge d’Adrien… 

Oui, c’est un choc inconcevable pour elle. Elle décide d’épargner cette douleur à ses beaux-parents. Elle porte toute seule le fardeau du mensonge, ainsi que la grande responsabilité qui s’ensuit. C’est un moment crucial où beaucoup de questions se posent. Pourquoi couvre-t-elle Adrien ? 

Comment s’est passé le tournage en France ? 

C’était formidable de tourner en France. Il y a une différence assez subtile, difficile à expliquer, avec un tournage en Allemagne. C’était vraiment une grande joie. L’équipe était fantastique ! Dès la préparation, j’ai senti que ça allait être un grand défi de jouer en français. Je n’ai pas vécu autant de choses dans cette langue, aussi mon corps ne réagit pas de la même façon aux mots français qu’en allemand. J’ai travaillé longuement pour créer cette connexion émotionnelle afin d’être libre dans mon jeu, même en disant des phrases écrites. 

Quelle est la façon de François Ozon de diriger les acteurs ? 

J’ai découvert une toute nouvelle méthode de travail. Dès le départ, François m’a beaucoup impliquée dans les préparations. Il m’a demandé mon avis, quels étaient mes sentiments par rapport au personnage et à l’histoire. Je pense qu’en faisant ça, il m’a fait preuve de sa confiance et m’a donné ainsi une grande liberté pour le tournage. Je n’en étais pas consciente tout de suite, j’étais un peu perturbée par sa façon « de me laisser faire à ma guise ». Mais très vite, nous avons trouvé un moyen de communiquer et ensuite, le travail était très facile et surtout très agréable. 

Il vous a donné des références de films ? 

Il nous a demandé de regarder LE RUBAN BLANC d’Haneke, pour nous plonger dans le contexte très dur et très strict de l’époque, et LA FIÈVRE DANS LE SANG de Kazan. Parce que c’est une histoire très romantique. Ces deux jeunes gens qui s’aiment sont magnifiques, François voulait sans doute retrouver quelque chose de cette jeunesse, de cet amour fiévreux, de cette atmosphère de désir, toute en tension, entravée par le monde extérieur. D’une certaine manière, François a voulu fondre les univers de ces deux films très différents dans FRANTZ. 

Et tourner avec vos partenaires ? 

C’était merveilleux de jouer avec Ernst Stötzner et Marie Gruber, deux acteurs très impressionnants et en même temps tellement gentils. J’ai eu l’impression qu’ils me protégeaient. Comme des parents ! C’était aussi passionnant de travailler avec Pierre Niney, de voir combien il arrive à exprimer tant de choses uniquement par un petit changement dans le regard. Cet art de travailler ainsi dans la finesse est magnifique. Pierre et moi avons vraiment joué l’un avec l’autre, et avec tous les autres acteurs. On a réellement formé une équipe, chacun de nous a donné de vraies émotions pour faire vivre son personnage. À cet égard, je pense que FRANTZ est un film très honnête. Comme le personnage d’Anna ! 

Elle est effectivement la seule qui, à un moment, refuse le mensonge et affronte la vérité et ses désirs… Quand Adrien l’embrasse sur le quai de la gare à la fin, pensez-vous que lui aussi serait enfin capable d’assumer leur histoire ? 

Je me suis surtout demandé si Anna le désirait… Je n’en suis pas sûre, je pense qu’elle a trop grandi pour Adrien. C’est lui qui a suscité son désir, qui l’a touchée, elle est tombée amoureuse de lui, a fait un grand voyage pour le retrouver. Mais tellement grand qu’elle est partie ailleurs ! Quand elle arrive dans la famille d’Adrien, bien sûr qu’elle est heureuse de le revoir, mais quelque chose ne s’établit pas entre eux deux. Adrien est bloqué dans sa situation, il n’a pas la force suffisante. Anna, elle, a son chemin à tracer. 

Que vous évoque « Le Suicidé » de Manet ? 

Dans cette histoire, Adrien a tué une part de lui-même et le tableau évoque cette forme de suicide. J’adore les tableaux de Manet, et plus généralement les peintres de cette période. Ce tableau est provocant et lourd dans son sujet, mais avec la délicatesse de style des impressionnistes. J’adore ce mélange. 

« Il me donne envie de vivre », dit Anna en le contemplant… 

Cette phrase offre plein de possibilités d’interprétations… Je pense qu’Anna se dit que si quelqu’un ou quelque chose est mort, peu importe. Tout peut toujours renaître de ses cendres comme un Phénix, comme elle-même qui était morte d’une certaine manière et qui, grâce à Adrien, a eu la force de revenir à la vie, de faire ce voyage en France. À la fin du film, Anna a beaucoup appris, elle a vraiment changé. Elle est devenue une nouvelle femme, prête à s’élancer vers d’autres horizons. 

Entretien avec Ernst Stötzner 

Connaissiez-vous le cinéma de François Ozon ?

Oui, j’avais vu 5X2, GOUTTES D’EAU SUR PIERRES BRÛLANTES et REGARDE LA MER, que j’aime beaucoup. J’étais donc très touché qu’il me propose le rôle. Et de découvrir le scénario. J’avais l’impression de lire un roman de Julien Green comme « Adrienne Mesurat », avec ce personnage de femme qui éprouve un amour fort mais enfoui en elle, qu’elle ne peut extérioriser. Dans FRANTZ, les personnages aussi ont tous des sentiments très profonds, cachés en eux, mais ils n’arrivent pas à les exprimer car ils sont très fermés. 

Particulièrement votre personnage, tout du moins au début du film… 

Oui, c’est impossible pour ce père de parler de la douleur d’avoir perdu un fils. C’est comme si sa vie était finie. Il doit malgré tout continuer à vivre mais de quelle manière ? On ne se remet jamais de la mort d’un fils. Et tout d’un coup, avec l’arrivée d’Adrien, grâce à l’imaginaire qui se met en place visà- vis de cet inconnu, à la possibilité qu’il soit un jour le nouvel amour d’Anna, ce père retrouve de l’espoir. L’arrivée d’Adrien dans la famille ouvre le champ des possibles. C’est grâce à lui que les mots peuvent advenir, que cette famille recommence à vivre. 

Quelle a été votre réaction vis-à-vis du fait que François Ozon aborde cette histoire du point de vue allemand ?

J’étais touché, bien sûr ! Cette époque est très intéressante, d’autant plus quand elle est questionnée par quelqu’un d’extérieur. Et de la manière dont François l’a fait. FRANTZ est un film sur la culpabilité d’une génération. Il est d’autant plus essentiel de se pencher sur cette génération que celle qui lui a succédé ensuite – et qui était celle de mes parents – celle de l’Allemagne nazie. 

Comment avez-vous abordé votre rôle ? 

Cette histoire, j’ai tellement l’impression de la porter à l’intérieur de moi depuis toujours… Quand j’étais jeune, j’ai lu beaucoup de livres sur les deux guerres de 14-18 et 39-45 pour essayer de comprendre comment la génération de mes parents en était arrivée là et me construire moi-même, savoir qui je suis, tenter de savoir comment moi j’aurais réagi. Ce rôle était donc très naturel pour moi. Il était intégré à qui je suis, c’est comme si je savais déjà le jouer avant d’avoir joué. Comme une mélodie que vous connaissez depuis toujours et qui revient soudain. Le sujet du film était certes imposant mais j’avais le recul de mon époque. Je sais que moi, ça ne m’arrivera pas. 

Et tourner avec François Ozon ? 

C’est la première fois que je tournais avec un cinéaste français. C’était très particulier, d’autant plus que l’on tournait en pellicule, ce qui est devenu très rare. Je ne m’étais pas retrouvé devant une caméra 35mm depuis très longtemps. Surtout, c’est François qui était derrière cette caméra puisqu’il cadre lui-même ses films. Je crois que ça ne m’était jamais arrivé ! 

Qu’est-ce que ça change ? 

C’est plus direct. D’habitude, il y a un tiers, qui est le cadreur, vers lequel vous vous tournez, vous cherchez à savoir si c’est bon. Le cadreur a souvent plus d’impact que le réalisateur. Avec François, les deux étaient réunis en un, il était vraiment l’OEil ! 

Quel directeur d’acteur est-il ? 

François parle très peu, il utilise peu de mots : « yes, no… ». Avec lui, tout est dans la subtilité, dans la prononciation d’un mot, le simple fait d’en modifier légèrement l’intonation. Cela peut sembler sans importance, mais d’un coup, il ouvre des possibilités de jeu, suspend les choses, c’est très fort. François joue sur des nuances qui font que tu comprends qu’il a ressenti ce que tu essayais d’exprimer. Ce qui est très agréable car quand tu es comédien, tu ne sais pas si ce que tu éprouves à l’intérieur de toi a un impact sur l’extérieur. Avec François, tu le sais ! 

Au début, vous incarnez le père, la loi, la rigueur… Puis peu à peu, votre personnage s’humanise. 

Vous trouvez ? Tant mieux ! Mon personnage est très renfermé, c’est son tempérament. Alors tous ces moments où il s’ouvre, c’est grâce à François, c’est lui qui a été les chercher, dans des petites choses. J’étais tellement heureux de faire ce film, excité comme un petit garçon. Par moment, je me disais que je ne me comportais pas du tout de manière professionnelle ! 

Et jouer avec Paula Beer, Marie Gruber et Pierre Niney ? 

Nous étions tous très proches dès le début. Enfin surtout Paula, Marie et moi. À partir du moment où je les ai rencontrées, Marie était ma femme et Paula était la fiancée de mon fils mort. Je n’ai pas pu contrôler cette impression que l’on formait une famille. Avec Pierre, c’était différent tellement je me projetais dans mon rôle. Pierre, c’est-à-dire Adrien, était l’étranger, celui qui est à part. Du coup, je n’ai pas du tout éprouvé avec lui le même lien qu’avec les « membres de ma famille » ! Adrien et le père de Frantz sont comme deux aimants, ils éprouvent un mélange d’attraction et de méfiance l’un vis-à-vis de l’autre. Pour un acteur, c’est compliqué de séparer la vie et le rôle. À un moment, on ne peut pas tout contrôler, tout se mélange. 

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